Un guide trompeur [Neelahn Screeling]

Après s'être extirpé lui-même des marécages nauséabonds qu'offrait Malificium en guise de promenade de santé, Masaku était résolu à une chose: s'en éloigner le plus vite possible. Pourtant, quelque chose la chagrinait: l'odeur. Elle le suivait partout, pire qu'un charognard, pire qu'un pervers qui nous espionne. Collée à sa peau, l'unique salut qui lui était offert était de se laver ou de changer de peau. Hélas tout le long du chemin, il n'y avait pas un seul point d'eau. Masaku ne savait jamais où il était. Par contre, il se rappelait par moment de bribes de carte, des lieux qui se mélangeaient souvent, positionnant Malificium au Nord et Bénécius au Sud par instant. Bref, en partant de l'optique que plus il irait loin en allant droit, plus il s'éloignerait des marécages, le nomade filait tout droit. Avec quelques variantes de terrain, le vagabond avait vite fait de bifurquer vers l'Ouest (Ouest par rapport à sa propre position), si bien qu'à un paysage désolé se succédait un autre paysage... dévasté.

"C'est ici où les lames jumelles se sont frittées pour la première et dernière fois. Peut-être que je vais trouver le cratère quelque part par ici?"

Emporté par les contes de ces héros légendaires qui ont baigné son enfance, Masaku allait de l'avant. A la longue, les senteurs orientales n'avaient plus d'effet sur ses narines. Seulement voilà, ses problèmes se succédaient en chaine. Dans les plaines dévastées, où trouver de quoi se restaurer? Les charognards avaient la peau sur les eaux, transportant mille et une épidémie dans leur épiderme. Hors de question de se nourrir de bestioles qui se nourrissaient elles-mêmes de corps. Quand par chance il tomba sur un point d'eau entouré par des oiseaux frais de passage, le nomade ne se fit pas prier. Dissimuler sa présence pour aller les cueillir. Ces tas de plume bien dodus étaient appétissants. Quel dommage qu'ils s'évanouissaient un par un en buvant l'eau de cette mare. Tant pis, plus vite il les cuisinerait et retirerait leurs organes, moins il aurait de chance de s'empoisonner. Armé d'un vulgaire bâton et de ce qu'il trouvait approximativement pour faire un briquet, le nomade établissait son domicile au milieu de nulle part, sous un arbre plié à cause du vent et dont les branches sèches menaçaient de se briser au moindre choc.

Miam, des oiseaux rôtis. Les mains pleines de sang, le boucher en herbe jetait leurs entrailles par-dessus son épaule pour qui les voulait. Pas la manière la plus orthodoxe de cuisiner. Mais de nos jours, on fait avec ce qu'on a. Les stands de nourriture ne courent pas les rues, en particulier là où il n'y a pas de rue c'est pourquoi ce repas frugal était déjà une bénédiction. N'importe quoi qui tombait dans son estomac était délicieux de toute façon.

Après avoir rongé les derniers restes de viande sur les carcasses des volatiles, le nomade constatait qu'il était tout sauf présentable. A voir ses chaussures couvertes de poussière, ses vêtements couverts de poussière, son visage couvert de poussière et puis ses mains couvertes de sang, il passait d'avantage pour un rustre et affermissait les préjugés sur les nomades. Pire, même les nomades avaient un poil de plus de classe. Cependant, n'importe qui aillant traversé des marais, transporté de la vase collante sous ses semelles, mélangée à la terre de la route, aurait eu la même apparence que lui, si bien qu'en aillant un regard objectif, il ne s'en sortait pas trop mal. Du moins était-ce son humble avis car tous ne seraient apte à apprécier tant de splendeur.

Ce bref temps de repos terminé, le vagabond reprenait la route sans le moindre souvenir de la direction dont il venait. En priant simplement qu'il n'était en train de retourner vers les marais, Masaku reprenait sa marche hasardeuse. A force, il s'épuisait inutilement. Promesse intérieure: à la prochaine ville, il s'achèterait deux cartes, une de rechanges au cas où l'autre brulerait ou se déchirerait. Et c'est au milieu de nulle part, qu'il espérait trouver quelqu'un qui puisse lui indiquer la direction de la bourgade la plus proche des environs.

« Beurk, tu pues toujours ! »

Tigrou leva la tête, prêt à sauter à la gorge de Neelahn. Ce n’était certainement pas lui qui avait eu l’idée grotesque de suivre des inconnus, sous prétexte parce qu’ils prétendaient passer « pas trop loin de la forêt ». Ce n’était pas lui qui avait eu l’idée de s’y attarder pour bavarder comme une commère avec les habitants laids et puants et ce fut encore pas lui qui avait sauté dans une « flaque », aspergeant ainsi tout le monde de boue.
Les crocs bien visibles, le tigre blanc fit bien comprendre à l’elfe qu’il ne fallait pas le titiller. Il n’était pas d’humeur et Neelahn n’insista pas. Mais quand même. Il sentait affreusement mauvais. Tout comme elle d’ailleurs. Et pourtant, ce n’était pas par manque de volonté. Sur leur chemin, ils n’avaient sans cesse cherché un point d’eau (à peu près propre) pour enlever toute la crasse qu’ils avaient accumulée dans les marécages mais là où ils avaient atterris, il semblait que l’eau n’existait pas.
Les cheveux graisseux et collants, Neelahn en avait fait un chignon. Elle se disait qu’au moins, elle aurait moins l’air d’une mendiante, même si ses vêtements étaient sales et un peu troués (elle en avait bien évidemment d’autre de rechange dans son sac mais elle ne voulait pas enfiler des habits propres sans avoir fait sa toilette au préalable).

« A ton avis, on est où là ? »

Bien évidemment, le tigre blanc ne répondit pas et l’elfe le soupçonna même en train de bouder. D’une certaine manière, elle le comprenait. C’était entièrement de sa faute s’ils s’étaient retrouvés dans une situation pareille. Toutefois, il ne fallait pas oublier toutes les belles trouvailles qu’ils avaient faites ensemble et toutes les merveilleuses rencontres qui avaient croisé leur route. Même si désormais, Neelahn se sentait un peu perdue, elle se dit qu’elle s’était bien amusée et qu’elle ne regrettait pas son voyage.

« J’ai envie de manger du lapin. »

Cela faisait quelques jours que Neelahn n’avait plu eu l’occasion de déguster un bon plat chaud, se contentant seulement de viande séchée et de fruits. Les douces volutes des plats qu’elle avait eu l’occasion de goûter dans les auberges ou dans les tavernes lui manquaient déjà. Elle avait hâte de retourner à Bénécius ou Naturalia.

Et alors qu’elle pensait au prochain dessert qu’elle prendrait lorsqu’elle retournerait au Chaudron Étoilé, un point d’eau se dessina de plus en plus précisément à l’horizon. Une lueur d’espoir apparu et l’elfe s’y précipita. Malheureusement, lorsqu’elle arriva devant la grosse flaque, elle aperçu les oiseaux et autres charognards, elle eût un doute sur la qualité. S’accroupissant à côté, elle pencha la tête au-dessus de l’eau. Pouah. Son reflet était horrible. Elle avait vraiment besoin de prendre une douche. Malheureusement, le point d’eau qu’elle venait de trouver semblait assez suspect. Penchant la tête en avant, elle la releva aussitôt. Non. Elle ne voulait même pas savoir ce qui pouvait croupir dans là-dedans.

Après avoir soupiré, elle se releva et poursuivit son chemin. Elle n’était même pas sure qu’elle allait dans la même direction mais quoi qu’il en soit, cela lui faisait de nouveaux paysages et celui dans lequel elle avait atterri n’était pas si laid que ça. Certes, il n’équivalait pas la forêt mais c’était cent fois mieux que les marécages. Et puis, en plissant les yeux, Neelahn cru voir quelqu’un au loin.

« Oh eh ! Attendez-moi ! »

Oh une personne ! Cela faisait tellement du bien de voir quelqu’un. L’elfe en avait assez de marcher seule avec Tigrou qui lui faisait la tête.
Elle se mit à courir à toute vitesse, trop contente d’avoir trouver une personne potentiellement capable de lui dire qu’elle suivait la bonne direction et qu’elle allait bientôt retrouver sa forêt.

« Hé bah. Vous avez l’air d’être aussi pouilleux que moi. On dirait qu’on vient du même endroit. »

Essoufflée, Neelahn parvînt malgré tout à esquisser un sourire et jeta un regard en arrière. Elle aperçu alors Tigrou au loin qui marchait nonchalamment vers elle. Décidément, il était vraiment d’humeur boudeuse.

Avec la venue de son repas, Masaku avait eu l'occasion de retrouver une senteur familière, celle de la volaille grillée. Le temps du repas, ce fut un délice, même sans assaisonnement. Par contre, une fois le repas terminé et son odorat habituée aux délicieux oiseaux, l'odeur de son propre corps revenait en trombe, l'effet d'une véritable claque avec un léger changement: il sentait les marécages, la boue, la vase et le pigeon grillé. Passé cet instant de dégout total pour sa propre personne, le vagabond n'avait plus le choix, il devait marcher pour espérer capter une bourrasque de vent, un petit courant d'air, n'importe quel flux qui pourrait calmer momentanément ses irritations nasales. La prochaine fois qu'il passerait en ville, il y en aurait des achats à faire! De l'herbe savonneuse, une bouteille de liquide parfumé, des cartes de Nel Beraid et de la nourriture. Sa bourse n'était plus très lourde, il faudrait se serrer la ceinture pour réussir à tout caser dans le maigre sac qu'il avait dans le dos, attaché par une simple corde qui tenait en diagonale sur l'avant de son corps.

Lorsqu'on se mit à l'aborder, le vagabond eut un réflexe idiot de lever la tête vers le ciel. En général, dans un territoire désolé, il est tellement peu probable de croiser autrui qu'on en vient à croire que des voix divines nous crient aux oreilles. Cependant, cette voix divine qui lui demandait de l'attendre ne ressemblait pas à celle d'un vieux barbu, il s'agissait d'une femme alors son regard redescendait sur terre, effectua une rotation de cent quatre vingt degrés. Bingo, elle était là.

Il s'agissait visiblement d'une jeune femme aux cheveux blonds, désordonnés, elle n'avait pas bonne mine, à croire qu'elle était allée trainer dans des marécages. En voyant la couleur de la partie inférieure de son corps et en la comparant à la sienne, Masaku en déduisait très vite que ça avait été le cas. De plus, elle confirmait son hypothèse, une fois approchée alors qu'il s'était arrêté d'avancer. Le nomade prit un air outré. "Pouilleux", ce n'était pas des manières de parler à un étranger de la sorte, tout pouille qu'il soit. Alors tout modestement, il répondait d'un air détaché:

"Je me suis juste un tout petit peu... sali."

Soudain, l'horreur à l'état pur. Derrière, un tigre, un tigre blanc qui avançait tranquillement. Sa présence ne semblait pas choquer l'inconnue, au contraire, elle souriait en le regardant, ou bien peut-être avait-elle souri à Masaku, puis regardé le tigre? Il n'en savait trop rien. En tout cas, si il s'agissait également de son animal de compagnie, ils n'allaient pas s'entendre. Dans les marais, une femme avait compagnon un lion blanc, là, il s'agissait d'un tigre blanc. Finalement, il retournerait bien dans le désert dans une autre tribu de nomade. Les femmes à l'extérieur ont toutes des habitudes trop... exotique à son gout. Feindre l'indifférence et répondre d'un sourire également. Ah non, il ne devait pas sourire, il devait avoir les dents un peu jaunies et de la viande coincée dans des interstices.

"Du même endroit et j'espère ne plus jamais y mettre les pieds."

Jamais Masaku n'avait été aussi sincère. On pourrait presque parler d'une peur développée contre les marécages. En soi, il n'y a que très peu d'endroits potables dans Malificium ou pas du tout, au choix. Bientôt, il lui faudrait rejoindre Naturalia ou Bénécius, ce serait mieux pour sa santé mentale et physique. Il se sentait mieux lorsqu'il y avait des arbres verts plutôt que des arbres qui ressemblaient à des corps fossilisés en pleine action. Pour ne pas paraitre trop débile à rester là sans dire un mot et à fixer le vide en fronçant régulièrement les sourcils lorsqu'une pensée l'ennuyait, le vagabond en herbe s'enquit auprès de la personne qu'il avait en face de lui:

"Est-ce qu'il serait indiscret de vous demander vers où vous allez? Je suis personnellement en train de me diriger vers Bénécius, je crois..."

A peine si il était certain d'être encore dans les plaines dévastées. Si ça se trouve, il les avait quitté depuis belle lurette. Tout se ressemblait ici, vraiment désolant... Sans point de repère, il allait se retrouver dans un des ravins du canyon. L'espoir fait vivre, qui sait, cette femme était peut-être la sauveuse tant espérée qui lui apporterait la lumière dans sa journée, la lumière salvatrice qui tracerait un chemin vers son salut?

L’elfe éclata de rire. « Un peu » était un doux euphémisme pour décrire l’état dans lequel il était. Avec ses mains immaculées de sang, il ressemblait à un assassin enfui d’une prison. Mais comme d’habitude, Neelahn n’avait pas peur d’aborder des inconnus. On lui avait pourtant prévenu que certaines personnes étaient malveillantes et qu’elle devait faire attention mais, trop optimiste, elle pensait que ce genre de chose n’arrivait « qu’aux autres ». Et pourtant, elle en avait fait des mauvaises rencontres… à croire que sa mémoire était très sélective.
Quoi qu’il en soit, Neelahn ne put s’empêcher de plisser le nez. L’homme en face d’elle puait et les effluves nauséabonds qu’ils dégageaient tout les deux en même temps lui donnaient la nausée. Elle sourit une nouvelle fois lorsque l’inconnu lui avoua qu’il venait du même endroit qu’elle. Elle aussi détestait les marécages. Il n’y avait rien de beau à voir. Même les bestioles étaient immondes. Et d’ailleurs, en parlant de bestioles…

« Dites, vous voulez pas regarder mon dos pour voir si j’ai une de ces bête qui vous suce de sang ? »

Aussitôt après avoir fait sa demande, elle se retourna et tenta de regarder si un petit ver noir se baladait sur ses vêtements. Normalement, l’elfe avait bien fait attention aux endroits où elle avait mis les pieds. Mais de temps à autre, il lui était arrivé de glissé et c’était d’ailleurs pour cette raison qu’elle était aussi sale. Se grattant les cheveux, elle pria pour ne pas avoir de poux. Elle détestait ça.

« Alors, j’en ai ou pas ? C’est horrible ces bêtes. Sinon, Bénécius, je connais. Je viens d’en sortir il y a quelques jours, c’est très sympa. Là, je rentre chez moi, dans la forêt, pas loin du lac. D’ailleurs, j’étais censée le voir depuis un bout de temps mais j’ai l’impression qu’on m’a indiqué le mauvais chemin… »

A plusieurs reprises, Neelahn avait voulu se déshabiller pour regarder le dos de ses vêtements. En même temps, elle avait peur d’attirer les petites créatures sur sa peau. Alors, finalement, ne sachant pas quoi faire, elle avait décidé de ne toucher à rien. « Quand on ne sait pas, on ne fait pas. » lui avait-on répéter à mainte reprises.

« C’est tellement moche ces bêtes… Et là ? Y’en a une là, non ? Ohlala ! Vous pouvez me l’enlever ? Ah non, c’est juste une feuille morte. »

D’une pichenette, elle réussit à enlever la feuille qui était collée derrière son épaule. Elle était vraiment gênée par ces bêtes qu’elle avait vues. D’habitude, elle trouvait que toutes les créatures étaient mignonnes, même les vers de terre et les moustiques mais là… Pouah ! Quel était le dieu qui avait crée ces choses ? Il avait du être bourré quand il avait fait ou alors, il avait du être sacrément en colère.

Et pendant que Neelahn se tordait le coup, Tigrou arriva auprès d’elle et s’assit. Il dévisagea quelques instants l’homme d’un air hautain. Puis, il leva la tête vers son amie et la contempla de la même manière. Des trois, c’était lui le plus « propre » et apparemment, l’odeur des marécages le révulsait.

« Vous regardez bien, hein ? Elles sont assez petites et on peut parfois les confondre avec une brindille si on ne fait pas attention. Dans le doute, enlevez tous ce qui traîne mais essayez d’éviter de trouver mes vêtements, ça m’arrangerait. C’est sympa en tout cas de voir quelqu’un par ici. D’une certaine manière, on se croirait dans le désert. Sauf que c’est plus moche.»

Qu'avait-elle à le critiquer sur son apparence? Il était un type bien malgré la misère qui se dégageait de tous les pores de sa personne. Certainement qu'en temps normal il aurait été lui-même méfiant en croisant un type à l'état si désastreux. Ce qui l'avait vexé ne semblait pas gêné pour un sous la femme qui se montrait d'humeur joyeuse. Sur le coup, le nomade décida de ne pas s'attarder sur un vulgaire détail. Après, on dirait qu'il faisait du mauvais esprit, aucun effort de sociabilité, alors non! Les traits du nomade se détendaient un peu, pas entièrement à cause de l'autre bête, juste assez pour apprécier la bourrasque de fraicheur que lui apportait l'inconnu et son rire. De son côté, elle avait également des senteurs particulières mélangées à son propre parfum ce qui donnait un mix infâme des deux misérables bipèdes qu'ils étaient. Finalement, on comprenait pourquoi l'animal prenait son temps pour arriver. Leur présence était détectable à des kilomètres à la ronde, apportant avec eux un peu des marécages pour en faire profiter tout le monde. Le point positif: même les charognards commençaient à les fuir comme la peste. A ce point là, ça en devenait presque vexant.

Masaku écarquillait les yeux en regardant la blonde se tourner en lui demandant de retirer les sangsues de son dos si il y avait. Concrètement, le vagabond venait à se demander si il avait une tête de serviteur puis plissa les yeux pour essayer de distinguer quelque chose de sombre en train de se trainer sur le dos de l'incarnation humaine de la vivacité même.

"Une seconde je regarde ça…"

Encore fallait-il qu'elle arrête de s'agiter. Vérification brève pour savoir si elle n'était pas montée sur des ressorts. Visiblement pas. Et est-ce qu'il lui arrivait d'arrêter de parler? C'est qu'elle en lâchait du verbe. Par intermittence, Masaku se faisait fouetter par les cheveux gras et légèrement rugueux qui en temps normal auraient en tout point suscités l'admiration. Lavés, ils devaient être resplendissant. Par contre, il n'était pas particulièrement accro à leur couleur présente. Son imagination lui jouait des tours ou bien des petits points noirs étaient en train de gravir une des mèches dorées. Celle qui aurait pu être son guide s'avéra toute aussi perdue que lui et presque… simple d'esprit? Si elle retournait à la forêt et qu'entre temps elle était passée par les marécages, c'est qu'elle faisait un sacré détour. Fort bien, impossible de compter sur cette personne non plus… D'un air désolé il murmura:

"J'aimerai bien la voir moi la forêt…"

Et un nouveau sursaut lorsqu'elle pensait voir une bête suceuse de sang et qu'il ne s'agissait qu'une des multiples feuilles qui parsemaient son accoutrement. Au départ, Masaku pensait que l'ensemble faisait parti de la panoplie avant de voir les liens filamenteux qui les reliaient au tissu. Au passage elle lui avait administré un coup de coude sur la tempe puisqu'il était penché en avant en train de scruter son dos. Légèrement sonné, le nomade balbutia des mots sans queue ni tête et tomba nez à nez sur le tigre sans réaliser à qui il s'adressait avec un sourire niais.

"Je regarde bien oui. Vous… vous êtes vraiment pâle et… douce? Euh… hein?!"

Un record de saut en hauteur venait d'être réalisé. Le bond titanesque qu'avait effectué Masaku pour s'éloigner était digne d'un numéro de cirque. Sans prendre d'avantage la peine de regarder, il lança précipitamment:

"Vous n'avez rien c'est bon, rien qui ne soit en train de vous vider de votre flux vital à part… euh, ce petit truc là."

D'un geste nonchalant, son doigt appuya sur la sangsue qui s'écrasa sur elle en laissant une tâche rouge sombre sur le vêtement. Voilà, mission accomplie. Toutefois, Masaku voulait s'assurer d'autre chose avant de continuer à fréquenter cette personne:

"Le tigre qui me dévisage d'un air malveillant. Il est inoffensif n'est-ce pas?"

D'après la taille de ses crocs et leur finesse pointue, le nomade serait tenté de répondre que non, mais la "maitresse" saurait d'avantage le renseigner quant à la probabilité qu'il se retrouve avalé. Espérer que les effluves qu'il dégageait repousserait l'animal était sa seule option.

« Oh il faut absolument que vous voyez la forêt ! Je suis sûre que vous allez aimer ! »

Trop occupée à regarder si le devant de sa robe était envahi par une sangsue, Neelahn ne se rendit même pas compte qu’elle avait fait mal à l’inconnu.

« Pâle ? Vous croyez ? Peut-être que c’est le fait d’être resté trop longtemps dans des espaces clos. »

Et pendant que le tigre blanc dévisageait l’homme comme s’il était le plus grand de tous les idiots de la terre que Nel Beraid eût connu depuis sa création, Neelahn contempla ses mains et ses bras. Elle n’avait pas vraiment l’impression d’être plus blanche que d’habitude. Elle savait bien qu’elle n’était pas très bronzée, même si elle passait son temps dehors. En même temps, dans la forêt, le feuillage des arbres avait tendance à camoufler le ciel, filtrant ainsi les rayons du soleil. Cela n’avait donc rien de très étonnant, si elle n’avait pas la peau basanée.

« Hein ? J’en ai un ? Oh enlevez-moi ! Vite ! Vite ! »

Neelahn essayait de ne pas trop bouger pour que l’homme puisse facilement lui enlever ce qu’elle avait dans le dos. Mais elle eut du mal, beaucoup de mal à rester tranquille. Par un grand miracle, il réussit tout de même à lui enlever cette sale créature et la druidesse se sentit soulagée.

« Merci. Vous êtes vraiment aimable. »

Maintenant qu’elle n’avait plus ces petites bêtes sur le corps, Neelahn se sentait plus tranquille et légère.

« Qui ça ? Tigrou ? Mais c’est un tigre voyons ! Ce n’est jamais inoffensif un tigre ! Mais ne vous en faîtes pas. Il ne vous fera pas de mal, sauf si vous l’agressez ou s’il a très faim. Tiens, d’ailleurs, en parlant de ça, vous ne trouvez pas qu’il a un peu maigre pour un tigre ? Je crois que c’est à cause de ces derniers jours. On n’a pas eu l’occasion de bien manger. »

Penchant la tête sur le côté, Neelahn contemplait Tigrou d’un air désolée. Sur le chemin, elle avait tenté de lui trouver quelque chose à se mettre dans le ventre. A chaque fois qu’ils trouvaient de la viande fraîche, elle partait directement dans le gosier du félin. Cependant, la plupart du temps, ils n’avaient trouvé que de tous petits gibiers et visiblement, cela ne suffisait pas à remplir l’estomac de Tigrou. Mais bon, au moins, ça lui évitait de mourir de faim et des fois, Neelahn lui donnait de la viande séchée. Il n’aimait pas beaucoup ça mais conscient qu’il n’y avait pas autre chose à manger, il avalait ce que l’elfe lui donnait sans trop faire d’histoire.

« Tigrou, sois sympa, arrête de faire cette tête. Il va avoir peur de toi après. »

La plupart du temps, Neelahn s’adressa à Tigrou comme s’il était un enfant. A bien des moments, elle oubliait qu’il était un prédateur.
Le félin, qui venait de s’asseoir, était en train de contempler l’inconnu, ayant l’air de se demander s’il était comestible malgré les effluves nauséabonds qu’il dégageait. Il sembla réfléchir intensément durant plusieurs longues secondes. Finalement, lorsqu’il finit d’examiner le « bipède » de la tête aux pieds, il se releva et, après avoir fait quelques mètres, il donna un violent coup de pattes à un oiseau qui volait trop bas. Peut-être avait-il voulu atterrir sur le sol pour attraper un vers. Penchant la tête sur le cadavre, le félin s’en détourna bien vite. Malheureusement pour lui, le volatile était trop petit et bourrer de poil. Tant pis. Au pire, s’il avait vraiment trop faim, il lui resterait toujours le nouvel ami de son amie.

« Bon bah on va pas rester ici. Je ne sais pas ce que vous en pensez mais je trouve que ça manque de verdure. »

Masaku avait eu le malheur de dire qu'il voulait voir la forêt. Comment savoir que ce sujet allait la faire s'agiter d'avantage? Oui il aimerait la voir mais avant ça, il devait voir si elle avait des sangsues dans le dos. Résultat, ils faisaient des dialogues sans queue ni tête, alors que lui parlait d'un pelage blanc, elle se pensait centre d'intérêt. Dialogue de sourd et nomade sonné, tout revint en ordre quelques secondes après. Une fois les distances prises avec l'animal, le vagabond reprenait hâtivement une inspection à laquelle il n'apportait pas énormément de motivation. Quoi, s'approcher d'un autre corps qui ne sentait pas la rose, tout ça pour voir si elle n'avait pas une bestiole répugnante dessus? Quand il en aperçut une, au lieu de la détacher il s'était contenté de l'écraser directement sur l'elfe qui achevait d'observer la couleur de ses bras qui étaient plus dans les tons sombres que clairs vu la saleté qui les recouvrait. Masaku s'était mis en tête que si il se pliait à ces quelques demandes, elle allait être contente rapidement et ils pourraient partir, soit chacun de leur côté, soit ensemble, mais pas rester comme des pleutres au milieu de la plaine à dévisager le dos de chacun.

"Ce n'est rien… Vous auriez fait pareil pour moi si j'en avais sur le dos."

D'ailleurs, était-ce le cas? Toutes ces démangeaisons, ces sensations de piqûre qu'il ressentait, est-ce qu'elles étaient réelles? La psychologie humaine nous fait ressentir des choses qu'on ne ressentirait même pas si personne n'y avait fait allusion. Du coup, le voilà bien moins certain de sa sécurité personnelle. Tiraillé entre l'envie de déguerpir de là et l'envie d'en avoir le coeur net sur ces parasites infâmes, le nomade regardait la druidesse parler au tigre comme on parle à un gamin. Etonnant qu'elle ne se soit pas encore fait dévorer. En y repensant mieux, elle était en train de le réprimander à cause du nomade. De cette manière, le fauve allait d'autant plus l'apprécier, fantastique!

"Je ne vois pas de quoi vous voulez parler, il semble avoir bonne mine."

Si il lui était resté un bout d'oiseau, il l'aurait échangé contre l'assurance de rester en un morceau. Hélas, tous les pigeons étaient dans son ventre. Il commençait à avoir mal au ventre aussi, surement à cause des boules de plume mal cuisinées? Tous étaient dans la même situation. Bien manger était un luxe qu'on ne pouvait s'offrir tant qu'on resterait, encore une fois, planté au milieu des plaines dévastées! Mais ça, elle n'avait pas l'air de le comprendre, plus occupée à convaincre le tigre de faire bonne mine. Un tigre qui sourit, ce serait encore plus effrayant à voir. Un examen minutieux avait été fait du nomade. Par chance, l'animal finissait par jeter son dévolu sur un volatile.

"Et par le plus grand des hasard, vous ne sauriez pas comment y aller, à la forêt justement? Mon petit doigt me disait que ce serait par là, mais il a tendance à me dire des sottises."

Indiquant la direction qu'il fixait depuis le début, Masaku se confortait dans son jugement. Cela semblait un peu moins mort par là-bas, alors il en déduisait que peut-être ce serait la bonne direction? Seulement, ce qu'il qualifiait de "moins mort" se trouvait à permette les oies. Ses yeux n'étaient pas ceux d'un faucon, il n'y voyait pas plus que n'importe quel humain alors le mirage ou son imagination ne suffiraient pas pour les sortir de ce pétrin. Car il devinait aussi que la jeune femme n'allait pas le laisser partir comme ça. Elle lui proposerait gentiment de voyager ensemble, ayant probablement marre de discuter avec un tigre muet, de la compagnie lui ferait bien plaisir. Résigné, le vagabond n'irait pas à l'encontre de cette décision avant même qu'elle ne soit prise.

"Sinon, appelez moi Masaku, si nous devons trouver la forêt ensemble, autant se mettre à notre aise."

Le nomade décida d'ouvrir la marche. A la longue il allait s'enraciner ce qui était contraire à tout principe nomade. Et au bout du compte, ce qu'il avait pris pour un arbre n'était qu'un grand rocher et ils s'étaient retrouvés devant une espèce de cratère, le fameux cratère qu'avaient formés les lames jumelles en se cognant sauvagement dessus. Si en temps normal, Masaku aurait manifesté son enthousiasme face à la manifestation concrète de ses héros, sur le coup, il se montra particulièrement contrarié.

"Jamais je n'ai autant voulu voir des arbres…"

Si il était malchanceux, la femme voudrait descendre au fond du cratère histoire de "visiter". Si il avait de la chance, ce qui était exclu dans tous les cas, ils devraient contourner l'endroit et s'épuiser en marchant encore vers l'infini et au delà.

Hum. C’était une question très intéressante. Puisqu’elle sortait des marécages et qu’elle avait marché à peu près dans la même direction (pour une fois), elle en conclut que la forêt ne devait sûrement pas être dans son dos. C’était une déduction logique que n’importe quel être doué d’un tant soit peu d’intelligence aurait pu trouver. Mais Neelahn, elle, avait été très contente d’avoir trouvé toute seule cette conclusion.
Elle se remémora alors le chemin qu’elle avait fait de la forêt jusqu’à Bénécius et tenta de visualiser mentalement le trajet qu’elle avait fait pour atteindre le marécage. Affichant un air perplexe sur le visage, son intellect’ tournait à plein régime et fournissait un effort dont, apparemment, il n’en était pas habitué.

« Hum par là ! J’en suis sûre ! »

Elle était persuadée de sa réponse et en aurait mis sa main au feu. Pourtant, même si elle venait la réponse à la question de Masaku, elle réalisa qu’il ne suffirait peut-être pas de marcher tout droit devant elle pour rentrer chez elle. Même si elle savait par où il fallait aller, elle ne savait en revanche pas du tout ce qui l’attendrait sur le chemin. Peut-être arriverait-t-elle au pied d’une montagne infranchissable et serait dans l’obligation de faire un grand détour ?

« Mais bon, j’dis ça, j’dis rien. » s’empressa-t-elle alors de dire.

L’elfe ne voulait pas lui donner de faux espoirs. Et puis, elle avait tout de même montrée du doigt une direction un peu différente que celle que l’homme lui avait montrée. Si elle se trompait, elle aurait l’air bien bête. Mais bon, elle était sûre que la forêt se trouvait là où elle la supposait être. Par contre, elle ne savait juste pas si elle rencontrerait un obstacle sur sa route.
Ah ! Ce qu’elle était bête ! On voyait bien qu’elle n’était pas une vraie aventurière. Un vrai aventurier sort toujours de chez lui avec une carte ! C’était fondamental ! Ah ! Mais pourquoi n’avait-elle pas écouté les druides ? Ils le lui avaient pourtant pour conseillé d’en amener une et elle leur avait répondu que ce n’était pas la peine car elle connaissait son trajet par cœur. Mais lorsqu’elle avait dit ça, elle ne s’était pas dit une seule seconde qu’il lui aurait été possible de se perdre en acceptant de suivre des gens pour voir de « nouveaux paysages »! Ah ! Comme elle se sentait maligne maintenant !
Mais bon. Neelahn décida de n’en pas faire tout un fromage. Il fallait voir le bon côté des choses. Elle avait découvert de nouveaux endroits. Ses connaissances sur le monde s’étaient agrandies et elle avait même murie.

« Moi, c’est Neelahn. Enchantée de faire votre connaissance et que vous ayez changé d’avis sur votre destination. Bénécius, c’est très bien mais si vous êtes un habitué des villes, il vaut mieux vous rendre dans la forêt ! C’est vraiment un autre paysage ! Vous allez adorez. J’en suis sûre.»

Et voilà, Neelahn s’était trouvé un nouveau compagnon de route et il avait l’air plus sociable que Cirdan. Mais bon, d’une certaine manière, le nomade aussi était très sympathique mais il fallait apprendre à le connaître et être – très – patient pour le comprendre, chose qui n’avait pas été forcément très évidente pour l’elfe… Et d’ailleurs, pourquoi pensait-elle à lui ? Elle avait pourtant d’autres belles rencontres : Ambrosia, Xadr, … Grâce à eux, elle avait pu apprendre pleins de choses utiles et fascinantes.

Marchant aux côtés de Masaku, ils ne tardèrent pas bien longtemps à tomber sur une espèce de cratère qui prouva que le pessimisme de Neelahn avait raison. Mais bon, ce « petit volcan mort » n’avait pas l’air d’être bien méchant. Penchant la tête par-dessus, l’elfe se dit que cela faisait bien longtemps qu’elle n’avait pas vu quelque chose d’aussi intéressant. Certes, les marécages avaient aussi été très intéressants. Ils lui avaient permis de comprendre que tous les paysages n’étaient pas aussi beaux que dans ses pensées. Mais en dehors de ça, il fallait bien admettre que, les marécages, c’est moche. Bon. Le cratère n’avait rien d’extraordinaire non plus mais il l’intriguait.

« Ça vous dit de descendre dedans histoire de voir ce qu’il y a ? Promis, on n’y reste pas longtemps. »

Neelahn avait bien entendu les paroles de Masaku. Apparemment, il en avait marre de voir de la terre et des cailloux. Et elle le comprenait parfaitement. En même temps, ce n’était pas tous les jours que l’on voyait un cratère se dresser devant soi !

Chacun était définitivement incertain de sa direction, quand bien même la femme faisait mine d'être sure. Le petit doigt du nomade lui chuchotait que son avis n'était pas le plus sûr qui soit. Un pressentiment, rien de plus. Peut-être qu'il se trompait et qu'elle avait une boussole implantée dans la tête, on ne sait jamais! Le temps qu'elle avait pris pour réfléchir et son expression faciale n'inspirait par contre pas confiance. Il est bien connu que les gens trop enthousiastes dissimulent un inconfort ou une insuretée, du moins, était-ce la règle que venait de fixer Masaku spécialement pour cette bonne femme. D'ailleurs, pour signifier et souligner qu'elle n'en savait finalement pas tant que ça, elle se permettait d'ajouter un petit bout de phrase qui affermissait les positions du vagabond. En gros, ils n'étaient pas plus avancés que ça. Quitte à se perdre, autant se perdre à plusieurs de toute façon. Rester immobile ne leur offrirait pas le salut. Du moment qu'ils savaient comment ne pas se diriger vers la forêt, tout irait bien.

"Allons par là, ça nous mènera toujours plus loin que de rester à en discuter. Comme on dit, deux nomades qui marchent iront plus loin qu'un elfe assis."

Alors que la personne se disait qu'elle aurait dû avoir une carte sur elle, Masaku repensait au prochain achat qu'il devrait faire. Définitivement, ce genre de bout de parchemin n'est pas donné, mais il lui éviterait ce genre de situation par la suite. Avec une carte, il pourrait traverser le monde sans crainte de tomber dans des bourbiers. L'idée d'une vie sereine était une pure utopie. Inconsciemment, le vagabond aimait se perdre et retrouver par la suite son chemin. Chaque égarement était sujet à une nouvelle rencontre et ce sont ces rencontres qui égayaient ses journées même si il ne l'admettait pas toujours ouvertement. Même cette femme montée sur des ressorts était un vent de fraicheur comparé à la monotonie des chemins poussiéreux. Attention les yeux, même ce Tigre était sympa à voir bien qu'il n'inspirait aucunement confiance au nomade. Les présentations faites, les compagnons de route pouvaient s'occuper de leurs objectifs communs. Pas de forêt en vue, mais un cratère, un fossé, appelez ça comme vous voulez, un trou géant au milieu de la plaine créé par l'impact de deux magies un peu violentes quoi.

A le voir, Masaku était déjà embêté de devoir le contourner, quand bien même ce lieu historique datant de plusieurs centenaires méritait le coup d'oeil. Dans ce genre de circonstances, ses modèles, Nori Helkar et Integral n'étaient que fumée, il n'en avait cure. Un coup d'oeil à sa droite et le nomade soupirait déjà face à l'expression qu'affichait Neelahn. Le pire était en train de se produire, il l'avait vu venir à des kilomètres. Surtout que gentil comme il était, il allait se contenter de sourire en disant gaiment "Allons-y!" ce qui ne prit que quelques secondes:

"Allons-y!"
*Looooong! De cette manière je serai en extase au milieu des arbres.*

D'accord, ils allaient donc prendre le petit chemin sinueux qui faisait office de passage pour la descente. Ils iraient tout en bas pour ne rien voir puis remonterait tout ça. Avec un peu de chance, des bêtes se seraient installées en bas et ils pourraient faire un bon festin après en avoir occis quelques unes. Trouver une motivation pour avancer, c'est la seule chose qui permet aux humains de tenir debout alors le vagabond s'imaginait festoyer avec la femme et le tigre, festoyer au milieu du trou béant puis trouver miraculeusement un passage qui mènerait tout droit vers la forêt. Il se laissait transporter bien loin alors que physiquement et géographiquement, il n'était descendu que de trois mètres depuis le début.

"Après la forêt, je rejoindrais Bénécius. Je prendrai un bon repas, puis un lit moelleux dans lequel je m'enfoncerai en m'allongeant. Ensuite, je me laverai avec de l'eau chaude et je mangerai à nouveau! Et vous, qu'est-ce qui vous attend dans la forêt?"

Parler du futur pour oublier le présent. Masaku ne pouvait se rattacher qu'à ça pour pouvoir survivre. Faisant beaucoup d'effort pour améliorer sa propre humeur plutôt que de rager intérieurement contre ces compagnons qui n'avaient pas un mauvais fond, Masaku continuait à essayer de discuter:

"Je suis nomade donc il est normal pour moi de voyager de la sorte mais vous, qu'est-ce que vous faisiez par ici?"

[Arf, désolée, je viens de relire mon RP précédent et je me suis rendue compte que j’avais bouffé pleins de mots et que je les ai recraché un peu n’importe où. Vraiment, vraiment désolée ><]

Ah tiens donc ! Encore un nomade ! Bon, au moins, celui-ci avait le mérite d’être plus sociable que le précédent que Neelahn avait rencontré.
Ensemble, ils marchèrent en direction de la forêt, bien qu’à vrai dire, ils semblaient plus qu’errer qu’autre chose. Après tous, ni l’un ni l’autre ne savait avec certitude quel chemin il fallait prendre. Mais comme le disait Masaku, il valait mieux essayer de faire quelque chose plutôt que de rester assis au beau milieu de nulle part, attendant naïvement qu’un guide viendrait les sortir de la misère dans laquelle ils s’étaient enfoncé tous seuls.
Et alors qu’elle hochait ridiculement de la tête face aux propos du nomade, elle réalisa tout d’un coup une chose :

« Deux nomades qui marchent iront plus loin qu’un elfe assis ? »

Ah voilà pourquoi Cirdan s’était montré aussi abject envers elle ! Les nomades étaient racistes ! Tout simplement ! Ils n’aimaient pas les elfes ou plutôt, peut-être leur avait-on appris à détester les elfes lorsqu’ils sont nés au monde. C’étaient comme les parents elfes qui inculquaient à leurs enfants qu’il fallait se méfier des gens dont on ne voyait pas le visage et qu’il ne fallait surtout pas faire confiance aux nains.
Et maintenant qu’elle venait de comprendre cela, Neelahn se sentit vexée. Mais qu’avaient donc fait les elfes aux nomades pour que ces derniers ne se mettent à les détester et avoir des idées préconçues sur eux ? En ce qui concernait les nains, c‘étaient différents. Les nains les détestaient et les elfes le leur rendaient bien. Mais les nomades… Non vraiment, Neelahn ne comprenait pas. Son père ne lui avait jamais appris à détester les nomades. Bien au contraire ! Il lui avait dit que c’était des êtres fiers et libres qui voyageaient sans cesse.

Mais bon, même si Masaku semblait avoir eu un bourrage de crâne, il semblait être un peu plus intelligent que Cirdan, même s’il lui restait quelques manies comme cette expression débile qu’il lui avait sorti précédemment. Et d’ailleurs, intérieurement, Neelahn se disait qu’il était vraiment temps pour elle d’arrêter d’insulter le pauvre nomade de tous les noms. Après tous, même si à bien des moments, il s’était montré désagréable avec elle, il l’avait en revanche bien aidé lorsqu’elle en avait eu besoin.

« Ah ça fait plaisir de voir des gens sourire ! »

Elle était ravie de voir que Masaku était aussi enthousiaste qu’elle (à voir son sourire et sa voix enjouée, elle en était persuadée) à l’idée de descendre dans ce cratère.
Et pendant qu’ils empruntaient un chemin sinueux pour descendre dans ce grand vide, le nomade lui fit part de ses projets et lui demanda quels étaient les siens :

« En fait, j’habite dans la forêt. Je rentre chez moi là. Et puis, comme je vous l’ai déjà dit tout à l’heure, je suis sortie de Bénécius il y a quelques jours. Après, j’ai rencontré des gens qui m’ont proposé de venir avec eux, histoire de voir de nouveaux paysages. J’ai accepté puis à un moment donné, je me suis endormie dans leur caravane et à mon réveil, j’étais toute seule dans les marécages. »

C’était une histoire un peu tordue mais ce fut réellement ce qui c’était passé. Et même si Neelahn avait été écœurée d’avoir découvert à quoi ressemblaient les marécages, elle avait été ravie d’avoir pu contempler quelque chose qu’elle n’avait jamais vu auparavant (mais cet état d’esprit ne vînt que lorsqu’elle parvînt seulement à sortir de cet endroit boueux et nauséabond).

« Il fait un petit peu sombre. »

Ils descendaient peu à peu dans ce cratère. Heureusement pour eux, il faisait assez jour pour y voir quelque chose mais sans doute pas assez pour voir ce qui se trouvait tout en bas.
Et après plusieurs secondes et après avoir regardé tout autour d’elle, Neelahn se sentit un peu déçue par ce qu’elle pouvait voir.

« C’est comme à la surface mais en plus noir. »

[J'ai rien noté qui m'ait particulièrement choqué donc y a pas de mal ^^]

En apparence sociable oui mais tous comprendrait la réticence que les nomades avaient face à un tel énergumène. Habitué à la solitude ces derniers temps, Masaku avait été soulagé de sortir de son traintrain habituel. Sauf qu'à forte dose hyper concentrée, la femme était bien trop d'émotion pour trop peu de temps. Elle n'avait rien de méchant il en était certain, pas non plus aller jusqu'à dire qu'elle était agaçante. Disons que Neelahn était… unique? Pour rester parfaitement neutre et n'insulter personne vulgairement, il se contenterait de cette façon de voir. Mine de rien, une fois fixé, le nomade avait cette réflexion de moins à faire alors il se concentrait sur d'autres pensées désagréables parce qu'au fond, il aime broyer du noir tout en pensant qu'il déteste broyer du noir.

Et puisqu'il n'avait pas vu les oreilles pointues de Neelahn, le nomade ne s'était pas aperçu de la mine choquée qu'elle avait affichée. A la place "d'elfe" ça aurait pu être n'importe quoi mais la seule chose qui lui était passée par la tête était le mot "elfe" à ce moment là. Avec ce malentendu en bagage de voyage supplémentaire, les deux pouvaient sourire au monde, sourire à la vie et aux nuages gris qui faisaient de petites feintes, tantôt en se fonçant, tantôt en s'éclaircissant, sans jamais éclater une bonne fois pour toute. Même la nature se moquait de lui. Du coup, Masaku le prenait comme une attaque personnelle, toutes les circonstances qui le conduisaient dans des marécages ou bien au fond d'un gouffre. Qui sait, peut-être qu'une bête gigantesque sommeillait à l'intérieur et qu'ils allaient la réveiller, provoquant ainsi la fin définitive de Nel Beraid?

"Vous ne vous fatiguez jamais de sourire d'après ce que je vois"

Pas un reproche, ou peut-être que si mais tête en l'air comme elle était, elle ne noterait probablement rien. Masaku se demandait si il lui arrivait d'être épuisé. Lorsqu'elle dormait est-ce qu'elle parlait dans son sommeil ou est-ce qu'elle était calme comme un ange? Ce n'est pas pour autant qu'ils restaient muets. Ecouter avec attention, ne pas louper les mots sortis trop vite de sa bouche. Alors elle s'est retrouvée dans des marécages parce qu'on l'avait jeté d'une caravane. La pauvre… Le nomade n'alla pas jusqu'à raconter sa propre histoire parce qu'il se sentirait tout aussi idiot. Se perdre dans des marécages, en ressortir avec beaucoup de chance, se reperdre dans les plaines dévastées, se retrouver dans un trou avec une elfe…

"Nous avons fait une bonne descente en effet et le temps n'a jamais grandement contribué à nous éclairer je dois dire."

Que venaient-ils chercher? Curiosité, soif de voir mais quoi? Là était la question. Dans le fond, Masaku mourrait également d'envie de voir le lieu qui avait séparé les héros de son enfance avant qu'ils ne se retrouvent plus tard. Ici, Nori Helkar avait tué Integral Neiphereum une fois si sa mémoire était bonne. Mais après les siècles, il serait étonnant qu'il en reste une quelconque trace de toute façon. Lorsque Neelahn fit remarquer qu'il n'y avait pas grand chose, le vagabond s'étonna de se mettre à la motiver.

"D'apparence probablement. Mais puisqu'on a fait un bout de chemin, autant terminer!"

Déjà, une caverne se dessinait dans les profondeurs. La roche n'est pas restée sagement à attendre leur arrivée. Au cours du temps, elle s'était effritée et avec les intempéries, le vent qu'on entendait résonner en permanent, et aussi grâce au coup de pouce d'on ne sait quelle entité, un passage était clairement présent, lieu plein d'hostilité en toute logique. Avec un sourire moqueur, Masaku ajouta à l'adresse de l'incarnation même de la joie de vivre.

"Vous ne seriez pas en train d'abandonner de toute façon, n'est-ce pas Neelahn?"

Il ne dit rien. Peut-être n’avait-il tout simplement pas entendu. Oui, ça se pourrait. C’était certainement ça. C’était sûrement un abus de langage ; pas de quoi en faire toute une montagne. Mais bon. Son expression était quand même un peu vexante.
Clémente, Neelahn ne dit rien. S’il avait vraiment voulu l’offenser, il se serait mis à se moquer d’elle.
Dans sa tête, elle s’amusa à remplacer quelques mots, ce qui finit par donner « deux druides qui marchent iront plus lion qu’un Cirdan assis ». Et comme ça, c’était mille fois plus amusant. Tigrou leva la tête vers elle, la questionnant du regard mais son stupide sourire le fit vite détourner la tête. Une nouvelle fois, elle avait l’air d’être tombée dans un de ses délires dont seule elle pouvait comprendre.

« Jamais ! Et puis, il vaut mieux sourire que faire la tête, n’est-ce pas ? C’est tout de même plus joyeux ! »

Même si elle avait du mal à distinguer ce qu’il y avait au fond de ce cratère, Neelahn avançait joyeusement, comme si elle était persuadée qu’elle ne pouvait qu’y trouver que des choses intéressantes. Allongeant ses pas, on ne pouvait pas dire qu’elle ralentissait le petit groupe, bien au contraire.
Ses yeux s’agrandirent lorsqu’elle aperçu une caverne se dessiner devant elle. Avec le vent qui y résonnait à l’intérieur, l’elfe se demanda s’il aurait été possible d’allumer une torche sans que celle-ci ne s’éteigne au bout de trois respirations. Mais comme le lui disait si justement Masaku, puisqu’ils avaient fait le détour pour en arriver jusqu’ici, autant terminer leur expédition ! Et puis, Neelahn ne voulait pas manquer une telle occasion. Dans ce genre de caverne, il y avait toujours quelque chose à découvrir. C’était obligé !

« Ah non, non, non ! Pour qui me prenez-vous ? C’était mon idée de descendre jusqu’ici. Je n’ai pas l’intention de remonter si vite à la surface, surtout qu’il n’y a rien d’intéressant là-haut… »

Passant devant le nomade, elle tourna régulièrement la tête de gauche à droite à l’affut de la moindre petite chose qui pourrait attirer son attention. Tigrou, lui, avançait de la même manière mais on pouvait constater que ce n’étaient pas pour les mêmes raisons que son amie. Alors que la druidesse visitait l’endroit, lui, s’assurait qu’il n’y avait rien de malveillant qui rôdait dans les parages. Il avança donc prudemment derrière elle (il aurait préféré être devant mais l’elfe avançait trop vite et il était loin d’être une tête brûlée comme elle).
A un moment donné, Neelahn posa sa main sur la paroi effritée. Elle fit rouler entre ses doigts la terre qu’elle avait récupérée comme une experte bien qu’en réalité, elle n’y connaissait absolument rien. Le vent faisait virevolter ses mèches rebelles et, régulièrement, Neelahn tentait machinalement de les remettre derrière ses longues oreilles.

Soudainement, elle sursauta. Quelque chose venait de tomber sur sa tête.
Levant les yeux au plafond, elle aperçut quelques gouttes d’eau lui tomber sur le nez. Elle les essuya rapidement avec le revers de sa main et plus elle avançait, plus les petits « plop ! plop ! plop ! » résonnaient forts. La druidesse émit alors l’hypothèse qu’il devait y avoir une étendue d’eau non loin d’ici. Elle s’imagina alors propre et non puante. Ah ! Elle le savait bien que cette caverne contenait quelque chose de merveilleuse !
Avançant un peu plus vite, ses doigts rencontrèrent de la terre mouillée. Les frottant contre les pans de sa robe, elle finit rapidement par s’en moquer. De toute façon, elle était déjà sale. Alors un peu plus ou un moins ne changerait rien à sa condition d’hygiène actuelle.

« Vous la voyez vous ? » demanda-t-elle en pensant à l’étendue d’eau qui, selon elle, devait désormais être non loin d’eux.

L'expression qu'il avait utilisé avait chamboulé l'elfe sans qu'il ne le remarque. Après tout, depuis le début il n'avait même pas encore remarqué ses oreilles pointues. L'observation détaillé d'autrui n'était pas son point fort, ce n'est pas pour rien qu'il était vagabond solitaire la plus part du temps. Ensuite, avec la masse de cheveux un peu grasse, il avait vite fait de ne pas entrapercevoir une de ces pointes parmi ces mèches blondes sauvages. La jeune femme ne cacha pas son enthousiasme, que ce soit pour explorer le trou, ou bien pour bien signifier qu'elle aimait sourire. Et bien ce n'était pas désagréable au fond. Masaku ne s'imaginait pas aller vers une destination inconnue avec un type muet comme une carpe. On est en bien meilleure compagnie avec une personne qui pue mais qui a le verbe qui coule à flot, plutôt qu'avec une personne qui sent bon mais qui ne pipe mot. En voilà une nouvelle expression qu'il pourrait instaurer!

"Je suis bien d'accord! Comme on dit, nomade qui parle est bien mieux qu'elfe muet!"

Un pur hasard que ce soit de nouveaux les elfes qui en prennent pour leur grade. D'ailleurs, dans ce cas là, il n'y avait pas grand chose de dégradant pour qui que ce soit. A force de descendre, ils s'approchaient dangereusement du fond vide. Calme plat, Masaku ne ressentait pas de frisson de danger bien que la situation était propice à une embuscade soudaine. Qui vivra verra, ils en auraient le coeur net une fois la destination atteinte. Plus les profondeurs s'approchaient, plus le besoin imminent de lumière se faisait sentir. Les yeux encore habitués à la luminosité extérieure étaient totalement aveugles. En scrutant assez longtemps le bas, le nomade commençait malgré tout à distinguer quelques formes isolées.

"Disons simplement que la forêt se situe en surface et que nous sommes donc plus susceptible de la trouver en haut qu'en bas."

L'elfe survoltée finissait par le dépasser et ouvrait la marche. Il ne l'empêchait pas en se disant simplement que le tigre serait assez agile pour la rattraper en un bond si jamais besoin était. Lui se contentait de faire son touriste approximatif. Coup d'oeil à droite à gauche, en bas, puis en haut pour constater qu'ils étaient vraiment bas et que remonter ne serait pas une partie de plaisir. Non, ce serait un bel enfer alors il serait préférable qu'il y ait une ouverture en bas plutôt que de devoir rebrousser chemin.

"N'avancez pas trop vite! On ne sait pas ce qu'il y a devant!"

Prudence est mère de sureté. Les années lui avaient apporté cet enseignement. A lui maintenant de le transmettre à qui veut, surtout à cette Neelahn qui en aurait sérieusement besoin si elle se mettait à flâner à tout bout de champ dans n'importe quel endroit. Masaku commençait à se faire une idée de la manière dont elle s'était retrouvée autant crottée dans les marécages. Oh un champignon ici. Pouf, coincé dans un bourbier. Oh, un oiseau décharné! Ah non, c'est une branche morte. La voix de la femme résonnait dans sa tête aussi vrai que nature, si bien que quand elle lui demanda si il "la" voyait, il répondait:

"Oui, je vois, je vois.", en faisant allusion à la branche à laquelle il était en train de penser.

Revenant à la réalité, il ne pensa pas à rectifier ses dires et se contentait d'avancer dans les profondeurs de la grotte. Ayant touchés le fond, ils ne pouvaient que remonter n'est-ce pas? Cette science n'était pas exacte car si le sort voulait s'acharner sur lui, il y aurait un lac souterrain. Encore une fois, rester sur place à faire des pronostiques n'arrangerait rien alors il avança à tatou, glissant à moitié sur un sol humide, une véritable patinoire souterraine.

"Attention si vous voulez garder vos dents intactes, marchez lentement, c'est particulièrement glissant par ici."

Et l'hypothèse de l'elfe s'avéra juste puisqu'en descendant un peu, ils s'échouaient sur une petite étendue d'eau intérieure, baignée par une étrange lueur bleutée provenant des profondeurs. Un lac intérieur qui le faisait vraiment rêver. Ses pas se stoppèrent soudain en voyant une bête s'avancer à pas de loup pour venir laper l'eau de sa langue. Encore un fauve, noir celui-ci. Si il y avait toute une petite famille, ils n'allaient pas pouvoir boire ou se laver tranquillement. Tournant la tête, il murmura à l'adresse de l'elfe:

"Pas un bruit, nous ne sommes pas seul…"

Est-ce qu'elle entendait sa recommandation? Il la voyait déjà débarquer et taper la discute avec l'animal sauvage avant de se faire gober la tête...

C’était bizarre tout de même. Cirdan, lui, avait de longues oreilles et était nomade. Alors pourquoi Masaku sortait-il tant d’expressions étranges sur les elfes ?
Haussant les épaules, Neelahn finit par se dire que cette question n’avait que peu d’importance. Après tout, son ton n’avait pas été méchant. Et puis, il y avait tellement de choses à voir que l’elfe n’y prêta plus attention. Et en fait, on pouvait même dire qu’elle ne faisait plus du tout attention à ce que pouvait lui dire Masaku, même lorsqu’il lui recommanda de ne pas avancer trop vite.

Certes. En soit, la caverne n’avait rien de spectaculaire. Faîtes de pierre, elle n’était même pas très éclairée, si bien qu’on ne pouvait pas distinguer grand-chose. Et de toute manière, même si elle avait été, il n’y aurait rien eu de miraculeux à voir.
Mais bon. Pour Neelahn, ce décor quelconque réussit à lui taper dans l’œil. Elle n’était jamais entrée dans une aussi grande caverne. Dans la forêt, elle en avait dénichée des petites et la plupart du temps, elles se trouvaient cachées parmi de grands feuillages resplendissants. Inutile de dire qu’à côté de cette belle verdure, une petite caverne devenait très vite obsolète (sauf en des circonstances exceptionnelles, bien sûr)…

Avançant stupidement comme un papillon de nuit attiré vers la lumière, Neelahn glissa à plusieurs reprises sur le sol humide. Mais pourtant, à chaque fois, ses mains réussirent toujours à trouver une prise in extremis.
Telle une folle, elle avança vers le lac. Elle n’entendit pas l’avertissement de Masaku. Heureusement pour elle, Tigrou bondit en avant et la stoppa dans son élan. D’un signe de tête, il invita son amie à regarder avec attention ce qu’il y avait devant elle avant de continuer à avancer bêtement.
Les yeux de Neelahn se mirent à pétiller lorsqu’elle distingua le fauve à la robe noire. Loin d’avoir les mêmes pensées que Masaku et Tigrou, l’elfe essaya d’avancer en direction de la jolie boule de poil. Cependant, son ami se tenait fermement devant elle et n’avait pas l’air de vouloir la laisser passer. D’un petit coup de pied gentil, elle essaya de pousser le tigre blanc sur le côté mais rien à faire. Celui-ci semblait borné. Il ne voulait pas qu’elle s’approche de l’inconnu.

« Bah allé quoi ! Il ne va pas nous manger, n’est-ce pas Masaku ? »

Soudainement, le fauve noir leva la tête. Le regard qu’il portait en leur direction ne présageait rien de bon. Et tandis que n’importe quel être censé aurait cherché un moyen de se défendre ou fuir, Neelahn, quant à elle, ne tenta à aucun moment d’esquisser le moindre geste prouvant ainsi qu’elle était comme les autres. L’elfe considérait que les crocs qu’il venait de lui révéler était un sourire. On aurait pu alors se demander pourquoi elle pensait ainsi, surtout qu’elle avait un félin comme compagnon de route. Lorsque Tigrou montrait ses crocs, ce n’était jamais parce qu’il était content…

« Bonjour ! Moi, c’est Neelahn et eux ce sont mes amis. Lui, c’est Masaku et lui, c’est Tigrou.
_ Grrrrrr…
_ Ah oui, c’est un très joli nom ça. Je suis enchantée de faire ta connaissance. »

En soi, on ne pouvait pas dire que Neelahn avait un intellect’ en-dessous de la moyenne mais il fallait bien admettre que son bon sens laissait quelquefois à désirer.
Fléchissant ses pattes, le fauve se prépara à attaquer. Là encore, Neelahn pensa que c’était bon signe. Enjambant Tigrou, elle voulu aller saluer l’animal comme il se devait. Toutefois, le tigre blanc fut plus rapide qu’elle. Il bondit avant.
Le choc fut brutal, surtout pour la bête au pelage foncé. Il recula, secoua la tête et sortit ses griffes. Avec sa force accrue, Tigrou n’eût pas trop de mal à donner des coups de pattes bien placés. Cela n’empêcha pas son adversaire de riposter, ne donnant à aucun moment l’impression de vouloir battre en retraite.

« Ils sont mignons, hein ? Regardez comme ils apprennent à se connaître. Je trouve ça fascinant. »

Puis, un grand « Oh ! » sortit de sa bouche suite à cette profonde réplique. Neelahn aperçut d’autres fauves arriver. Elle pencha la tête sur le côté et sourit. Ça devait être sûrement la famille… et peut-être aussi les amis… à moins que ce genre de mammifère était capable d’avoir une grosse portée à chaque fois qu’il mettait bas…
Ah ! Ce qu'elle en avait de la chance d'être là !

En terrain inconnu et possiblement dangereux, les règles de sécurité sont simples: ne pas toucher à tout et n'importe quoi, avancer lentement pour avoir le temps de tout observer. Dans le cas où on n'a pas de lumière, on attend d'avoir les yeux à peu près accoutumés à la pénombre pour distinguer les formes, puis on continue à avancer, toujours avec la même prudence. Ces règles, Neelahn ne les suivait pour ainsi dire, pas à la lettre, voire pas du tout. Cela pouvait exaspérer, et c'était le cas pour le nomade. A plusieurs reprises, il se serait saisi du col de l'elfe pour la rappeler à l'ordre, si il n'y avait pas le tigre à côté de lui, prêt à lui mordre la main si il posait un doigt sur sa maitresse. En opposition avec l'émerveillement de la femme, le vagabond redoublait d'attention. Puisqu'il devait être attentif pour deux, il allait s'épuiser d'autant plus rapidement, fantastique.

Avec la lumière un peu plus loin, le summum de l'imprudence était atteint. Qui dit lumière dit être vivant dans les parages, c'était une évidence, que ce soit des humanoïdes ou des créatures. Dans les deux cas, ils se retrouveraient nez à nez avec une menace qui elle-même, les considérait comme une menace. Alors en voyant une panthère s'abreuver dans ce petit coin paradisiaque, le nomade se dissimula en intimant à la simple d'esprit de faire de même. Peine perdue. C'était comme parler à un enfant qui découvre un jouet. Parole dans le vent, la main sur le visage pour cacher son exaspération. Elle allait se faire bouffer. Il était déjà étonnant qu'elle s'en soit sorti depuis le temps, si elle avait toujours agi avec autant d'imprudence. Même lorsque l'ami tigre venait lui dire d'arrêter ses bêtises, Neelahn s'entêtait à aller dire bonjour à la panthère noire qui découvrait ses crocs acérés.

*Si tu veux te faire manger tant mieux, mais ne dévoile pas ma présence pauvre folle!*

Bon sang, elle était sérieusement en train de taper la discute avec l'animal? Bonjour, je suis Neelahn et il me manque un gros carreau dans le ciboulot! D'habitude, Lui était celui qui manquait de prudence et s'attirait les ennuis. Mais là, la femme démontrait que la bêtise humaine n'avait pas de limite. Et si il s'avère qu'elle n'était même pas humaine, et bien honte sur elle malgré tout! Comment rattraper le coup. Tigrou était plus rapide à agir que Masaku au final puisqu'il défendait sa maitresse contre les premières attaques de la panthère. Pendant ce temps, le nomade avait fini par la rejoindre à contre coeur, non, à double contre coeur puisqu'il voyait d'autres têtes noires pointer le bout de leur nez humide. Là il aurait sérieusement dû rester à l'écart, remonter à la surface et trouver SEUL la forêt. Puisqu'il était inutile de faire entendre raison à la femme, même pas la peine d'essayer, le vétéran de la survie lui proposa rapidement:

"Désolé Neelahn, je suis assez pressé alors il vaut mieux qu'on ne dérange pas plus longtemps d'accord? Même Tigrou est d'accord, il n'a plus trop envie de jouer. Ca se voit qu'il le fait à contre coeur, non?"

Une issue, une issue... Oui! Enfin non, pas vraiment. Un trou assez grand pour qu'ils s'y glissent, un trou juste derrière les fesses de la panthère qui tapait la discute avec Tigrou. Ce n'est pas avec plaisir qu'il parlait avec cette sotte comme on parlait à une sotte, mais elle l'y obligeait!

"Ton nouvel ami Grrrrr nous propose même de passer par le chemin derrière lui! Allez, on se dépèche!"

Masaku avait fait un signe au tigre blanc pour qu'il tienne encore un peu le temps qu'ils passent à côté. Ensuite, allez savoir si il comprenait les gestes de la main du nomade ou bien si il pensait qu'il était en train de lui dire de se sacrifier pour que eux survive, c'était une autre histoire. A pas lent, il se risqua malgré tout à avancer, tandis que les autres refermaient le cercles qu'ils dessinaient parfaitement autour d'eux. Quelle bonne idée que de visiter ce trou! Et encore merci à ses deux idoles pour avoir créer ce trou dans la plaine.

Ah ! Comme c’était merveilleux ! Ils avaient l’air de s’entendre tellement bien !
Neelahn était contente pour Tigrou. Depuis qu’il avait choisi de la suivre (presque) partout où elle allait, il n’avait plus eu l’occasion de faire connaissances avec d’autres fauves. Du coup, il n’avait pas beaucoup d’ami et des fois, la druidesse s’en voulait un peu. En même temps, à aucun moment, elle ne l’avait forcé à l’accompagner dans ses aventures…
Apparemment curieux, les autres fauves s’approchèrent du tigre blanc. Ils devaient sans doute être intrigués par son pelage clair… Ici, dans les alentours, on ne voyait que de sombres couleurs…

« Oh ! Vraiment ? C’est fort dommage. »

Neelahn regarda quelques instants son ami discuter avec le fauve noir. Cela l’enchantait tellement de le voir discuter avec quelqu’un d’autre qu’elle. Mais en même temps, elle ne voulait pas faire perdre du temps à Masaku. Elle comprenait parfaitement ce qu’il pouvait ressentir… Elle aussi avait très envie de sortir d’ici pour voir le soleil. Certes, la caverne était éclairée mais elle se sentait un peu étouffée. Peut-être était-ce dû à cette quantité de présences… Il fallait bien admettre que l’elfe n’était pas très habituée à avoir tant de monde autour d’elle…

« Ça ne te dérange pas trop, Tigrou ? »

Un rugissement lui fit comprendre qu’il était parfaitement d’accord avec Masaku…. Se serait-elle donc trompée ? Décidément, cet animal était vraiment asocial ! Mais bon, soit. Puisqu’il préférait passer le restant de ses jours à parler avec son ombre, ils pouvaient donc partir.
Mais voilà, les autres avaient l’air trop contents d’être tombé sur des inconnus et n’avaient pas l’air de vouloir les laisser partir tout de suite. Neelahn en était vraiment désolée mais elle aussi commençait à être pressée. En effet, elle s’était soudainement rendue compte qu’il était vraiment temps pour elle de rentrer. Les druides devaient l’attendre impatiemment. Maintenant qu’elle y repensait, il lui semblait avoir entendu qu’ils devaient lui remettre un objet si elle parvenait à réussir quelques tests. Quels genres de test ? Ça, Neelahn n’en savait rien mais elle était très intriguée par se mystérieux objet…

« Bon bah… je suis vraiment vraiment navrée mais on va devoir vous laisser… »

Suivant le nomade, la druidesse se rapprocha lentement de l’ouverture située derrière l’interlocuteur de Tigrou. Elle esquissa de jolis sourires en direction des animaux, leur disant qu’elle était ravie de les avoir rencontrés et que s’ils le voulaient, ils pourraient passer voir Tigrou dans la forêt. Elle réprimanda ensuite son ami qui venait de donner un violent coup de patte au fauve, le forçant ainsi à se retourner et s’écarter un peu de la sortie. Ses tapes amicales étaient parfois non contrôlées. Il était pourtant conscient de posséder une force plus élevée que la moyenne mais apparemment, il lui arrivait aussi fréquemment de l’oublier lorsqu’il était en pleine conversation avec quelqu’un.

« Au revoir ! »

A druidesse venait d’arriver devant l’ouverture. Elle ne savait pas où elle menait mais Masaku lui donnait l’air d’être persuadé de son itinéraire. Elle ne pouvait donc que lui faire confiance.
Puis, une nouvelle fois, la druidesse gronda Tigrou qui venait de donner un coup de tête à son nouvel ami. Celui-ci avait tenter de lui mordiller affectueusement le cou, ce qui n’avait apparemment pas plus au tigre blanc.
Les autres animaux, quant à eux, refermèrent le cercle qu’ils avaient formé autour d’eux. Leurs crocs étaient bien visibles…

« Hé bah… On dirait qu’ils sont pas contents… Je crois que nous n’avons pas respecté leurs règles de bienséances… » murmurra-t-elle à Masaku

Est-ce qu'il était mal formé? Est-ce qu'il était le seul à trouver cette situation particulièrement effrayante? Neelahn n'avait pas froid aux yeux, ça, on pouvait le lui accorder. Cependant, il y avait une différence entre le courage, la bêtise et la candeur. En général, les autres se posaient la question à son sujet et c'était bien la première fois qu'il voyait une autre personne partageant le même symptôme d'idiotie à un dégré bien plus élevé. Le nomade en était tout retourné, l'intérieur de son corps chamboulé, à moins que ce ne soit à cause de l'affluence grandissante de félin. Quand l'option la plus facile aurait été de laisser la femme seule avec elle-même et le tigre, il préférait la tirer d'affaire, quitte à ne pas obtenir de remerciement au bout du tunnel puisqu'elle n'aurait pas réalisé de quel bourbier elle venait de se tirer, le genre de bourbier bien profond dans lequel elle venait de se jeter à quatre pattes histoires de s'y enfoncer un peu plus vite.

L'appel de l'eau était tentant, il aurait bien aimé en boire avant de repartir mais déjà que leiur présence était une pure intrusion en territoire félin, prendre de leur eau, de leur breuvage sacré protégé depuis des générations, serait l'équivalent d'une déclaration de guerre ouverte. Masaku faisait donc l'homme, il était l'homme qui disait stop et qui allait ruiner l'ambiance en obligeant des amis à se séparer. Quel mauvais garçon il faisait, un peu comme interrompre une soirée joyeuse histoire de bien pourrir l'ambiance et de s'en aller avant tout le monde en sonnant la fin des festivité. De toute façon, une soirée ici serait l'équivalent d'un joyeux festin. Son petit doigt lui disait que ce n'était pas leur ventre qui risquait de se remplir dans le cas présent de toute façon. Oui en effet, son petit doigt lui disait des tas de choses à ce nomade.

"Ca me fend le coeur aussi mais à toute bonne chose il y a une fin. Allez, courage Neelahn, ce n'est pas comme si vous n'alliez pas vous revoir."

Ou peut-être que si? Elle serait surement capable de revenir jusqu'ici rien que pour leur rendre visite. Cette idée lui glaçait le sang mais il y avait des limites. Le vagabond ne pouvait pas non plus se destiner à la protéger jusqu'à la fin de ses jours, ce ne serait pas juste, pour lui. Déjà sortir de là serait un bon début, alors il y travaillait d'arrache-pied, face aux divers grondements mécontents et menaçants. Au moins, personne n'émettait aucune objection ce qui rendait la retraite plus aisée. Dans le pire des scénarios, Masaku s'attendait à prendre Neelahn sous son bras et à se jeter dans le passage qui menait on ne sait où. Il était assez grand pour que Tigrou passe, et donc pour que le reste de la compagnie suive… Ce qui était étonnant actuellement, c'était qu'ils ne s'étaient pas encore mis à attaquer. Peut-être que chez les animaux, on répondait à la violence par la violence et que lorsqu'il n'y avait pas de raison de se battre, ils se contentaient de marquer leur territoire et de faire fuir les intrus? Masaku s'attachait à cette possibilité, son estomac s'écrasant à chaque fois que le tigre donnait un coup de patte à la panthère noire.

"Oui, c'est ça, à la prochaine, allez, dépêchez-vous Neelahn!"

Se hâter vers le passage n'arrangea finalement pas les choses. Plus ils s'en approchaient, plus les grondements s'intensifiaient. Si ça se trouve, ils se dirigeaient vers le coin où les bébés étaient laissés. En toute honnêteté, Masaku avait une folle envie de partir en courant. Seule sa volonté lui imposait d'afficher un petit sourire et de faire des gestes sans brutalité. Hélas, ces efforts ne portaient pas leur fruit. Ils se faisaient entourer, derrière eux il y avait l'issue, plus moyen de rebrousser chemin. Dans sa folie, Neelahn réussissait encore à penser qu'elle venait de faillir au protocole. Rien que de venir ici bas était une atteinte à leur intimité maintenant il fallait courir, vite, très vite.

"Pour une fois que je suis d'accord avec ce que vous dites… Courez!"

Ce sont les glissements de terrain qui avaient créé tous ces passages. Ainsi, il n'y avait pas forcément un passage toujours abordable pour des bipèdes. Si ils fonçaient vers l'inconnu, toujours éclairés par des pierres brillantes, le vagabond sentait l'haleine des prédateurs sur sa nuque, une sueur froide indescriptible, des frissons le long de son dos. Ce qui n'arrangeait pas les choses, c'était qu'ils avaient l'air de ne pas monter vers la surface, plutôt de stagner sur le même étage, à moins que ce ne soit pour aller plus bas encore. Comme il y avait de la terre à ses pieds, le vagabond avait la vivacité d'esprit de créer de petites bosses pour entraver le passage derrière lui, bien qu'il était certain que ce détail n'allait en rien ralentir les poursuivant. A la longue, ce sprint l'essoufflait considérablement. Sa course ralentissait.

"La chance ne nous sourit vraiment pas aujourd'hui..."

Courir… Hé bien, pourquoi pas. Mais avant de partir comme des voleurs, Neelahn jeta un coup d’œil aux fauves. N’y avait-il vraiment rien à faire pour se faire pardonner ? Après tout, elle ne leur voulait aucun mal. Pourtant, en voyant leur tête agressive, la druidesse se rendit compte que rien de ce qu’elle pourrait leur dire ne leur fera changer d’avis. De plus, ils étaient trop nombreux et dans une meute, l’elfe savait pertinemment qu’il y en avait toujours un qui était plus borné que les autres et, en général, il s’agissait du chef…
D’ailleurs, où était le chef de cette meute de fauves ? Neelahn balaya des yeux les alentours mais pour elle, toutes les bêtes se ressemblaient. Bon, tant pis, elle n’allait pas insister. Elle se retourna et suivit Masaku. Et bien évidemment, elle était moins motivée que lui pour trouver la sortie.

« Ils nous suivent ! »

En le voyant courir à perdre l’haleine, Neelahn pensait que le nomade n’avait peut-être pas remarqué que les fauves les poursuivaient. Après avoir jeté un petit coup d’œil dans leur direction, Neelahn ravala sa salive. Ils avaient l’air terriblement en colère.

« Pardon ! Pardon ! Pardon ! Nous ne l’avons pas fait exprès ! »

Tigrou, qui courrait derrière eux, incita son amie à avancer plus vite en lui donnant un petit coup de tête. L’elfe aurait bien voulu courir plus vite mais elle avait son gros sac sur le dos, son arc et son bâton qu’elle ne pouvait pas abandonner. Comment ferait-elle si elle laissait ses affaires dans ce tunnel ? Après tout, rien ne lui disait que la forêt n’était qu’à quelques mètres d’ici. Il lui faudrait probablement quelques jours encore de marche avant d’arriver chez elle. Comment ferait-elle pour survivre jusqu’à là si elle abandonnait ses affaires ?
Mais quoi qu’il en soit, l’elfe avançait aussi rapidement qu’elle le pouvait. Des fois, son arc ou son bâton se prenait dans la roche. A un moment donné, Neelahn cru voir Tigrou fixer intensément son nouvel artefact. Elle fit alors semblant de ne pas l’avoir remarqué. Non. Il était hors de question de faire du mal à ces pauvres bêtes !

Le temps commençait à s’écouler et les trois malchanceux cherchaient toujours désespérément le chemin vers la sortie. Masaku commençait à être épuisé. Neelahn qui le suivait tant bien que mal commençait aussi à être éreintée mais elle aurait sans doute tenu la cadence un peu plus longtemps si elle n’avait pas eu à porter tant de bagage.
En le voyant faire apparaître des petites bosses de terre afin de ralentir leurs poursuivants, Neelahn eût l’idée de faire apparaître des lianes sur le sol. Certains fauves s’emmêlèrent les pates dedans, bousculant leurs confrères ce qui ralentit un peu leur progression. Mais juste un peu.

L’elfe arriva ensuite devant une bifurcation. D’un côté comme de l’autre, le passage semblait identique et aucun des deux possibilités ne semblait remonter vers l’extérieur.
Alors, Neelahn tourna vers la droite sans consulter Masaku. Ce passage semblait plus éclairé que l’autre et de toute façon, ils n’avaient pas le temps de délibérer sur le meilleur chemin à suivre.
Pourtant, au fur et à mesure qu’ils avançaient, le plafond se rétrécissait, forçant l’elfe à baisser la tête. Rapidement, elle se retrouva à marcher à quatre pattes comme Tigrou. Celui-ci fut excédé de voir qu’elle ne parvenait plus à avancer aussi rapidement qu’avant. Après tout, c’était bien lui qui se ferait attaquer le premier si les fauves réussissaient à les rattraper.
Mais étrangement, au bout de quelques instants, les bêtes firent demi-tour, laissant les trois malchanceux perdus au beau milieu de nulle part.

« Je sais pas pourquoi mais j’aurais préféré qu’ils continuent à nous courir après… »

Oui parce que maintenant, Neelahn se sentait vraiment seule et elle avait la désagréable sensation qu’elle venait de mettre les pieds dans un endroit qu’il ne fallait pas…

Courir n'était pas une proposition, c'était une nécessité. Masaku avait l'intention de vivre encore longtemps après cette entrevue et ce ne sont pas des gros chats qui allaient l'empêcher de s'agripper comme un forcené à la vie. Il mordrait dedans, il la grifferait, il s'enchainerait à elle pour ne pas disparaitre d'une manière aussi pitoyable. Le temps n'était pas venu. Sa sentence n'était encore achevée, tant qu'il serait faible, il ne s'autoriserait pas à disparaitre, pas même la druidesse qui faisait la folle en essayant de communiquer avec des animaux alors que ces derniers ont tout, sauf envie de taper la discute. L'intérêt qu'ils représentaient était tout autre, comme par exemple, celui d'un repas différent de l'accoutumée. Ainsi, avant que les premières effusions de sang n'aient lieu, le vagabond prenait les devants pour s'éloigner le plus vite possible. Sans avoir besoin du commentaire de l'elfe, il devinait sans problème que les fauves ne les laissaient pas prendre la poudre d'escampette simplement en les zieutant. Des feulements des panthères les poursuivaient, des grognements, des pattes qui grattent le sol à toute allure et des crocs acérés dans la direction du derrière de Tigrou. Pour une fois, avoir un tigre blanc à disposition n'était pas un mauvais point. A un moment ou un autre, on trouve toujours l'utilité à quelque chose d'inutile. Pour Neelahn par contre, il était encore en train de chercher la vraie utilité de cette femme qui était dans une naïveté affligeante. Encore en train d'essayer de raisonner des animaux sauvages, mais quelle…

"Courez, sinon ils vont nous rattraper!"

Qu'elle économise sa salive et que lui sauvegarde la sienne, il ne s'en porterait que mieux. Jusqu'à présent, elle n'avait jamais sorti quoique ce soit de particulièrement utile à l'arrivée à l'orée de la forêt. Ils étaient encore plus bas que leur destination qu'est-ce qu'ils espéraient accomplir comme ça? Ouvrant la marche, Masaku fonçait tout droit à l'aveuglette en espérant qu'il n'y ait pas de cul de sac invisible car il risquait de se casser des dents et de se faire percuter par deux poids dans son dos.

"Ca ne finit jamais! Y a un véritable tunnel à travers le monde dans ce trou ou quoi?"

Combien de temps avaient-ils couru? Quelle distance? Masaku ne saurait le dire précisément ni approximativement. Autant est-il qu'il s'épuisait à la longue. Un sprint de plusieurs heures? N'importe qui serait épuisé au bout d'une dizaine de minutes. Sans notion du temps, impossible de savoir si la course avait débuté il y a cinq minutes ou bien il y a cinq jours. Malgré les efforts communs pour freiner la progression des prédateurs, les bipèdes accompagnés d'un tigre s'en sortaient à peine. Lorsqu'ils tombaient sur une bifurcation, le vagabond était déjà prêt à abandonner. Neelahn ne le voyait pas sous cet oeil, au contraire. Elle fonçait vers le chemin de droite, l'obligeant lui, qui s'était arrêté pour se reposer un instant, à repartir au triple galop. Chienne de vie, plus jamais les souterrains avec une écervelée en guise de compagnon, il tenait encore à la vie bon sang!

Le choix était judicieux. Il y avait de la lumière, un peu, et de moins en moins de place. Avant même qu'il ne s'en aperçoive, Masaku était déjà en train de ramper à quatre pattes en ruminant de sombres pensées. Son esprit était également focalisé sur le derrière qui était devant lui pour ne pas le perdre de vue, sans pensée perverse aucune. A force, les poursuivants levaient l'éponge, signe de victoire pour les envahisseurs! Ahah, ils s'en étaient sortis! D'ailleurs, le passage s'élargissait de nouveau pour le permettre à terme, de se mettre à marcher debout! Fou de joie d'être arrivé quelque part sans une égratignure, enfin si, un pour après s'être frotté par terre mais vu comme ils étaient sales, cela ne faisait pas grande différence.

"Vous êtes folles! ils sont partis parce qu'ils ont vu qu'on était beaucoup trop rapide."

Pouvoir s'appuyer sur une surface lisse en épongeant la sueur de son fruit. S'exclamer en grimaçant en s'apercevant que la surface est lisse et gluante. Puis lever le visage pour voir un lézard géant sortir de cet oeuf tout aussi géant comparé à eux. Le visage de Masaku exprimait le désespoir.

"Non, je veux plus courir bouhouhou…"

Et tout en se faisant, il tirait le katana de son fourreau avec un visage bien plus sérieux que précédemment. Bébé lézard vient de sortir de son oeuf, il ne connait rien mais risque de leur causer des ennuis si ils ne se débarrassaient pas vite de lui. les bébés ont toujours tendance à jouer avec la nourriture avant de l'avaler, il ne serait le repas de personne et Neelahn, et Tigrou non plus. Brayant comme un dément, il pointa son arme vers le museau d'écaille qui tentait de s'approcher pour les sentir.

"Cette fois, nous passerons par les armes! Tayo!"

Par contre où taper? Méthodiquement, Masaku tranchait à l'aveugle tout ce qui l'approchait, dont, le nez du nouveau né qui revenait une seconde fois avant de se rétracter, les pattes sur la coupure que le petit homme venait d'engendrer. Euh, ils étaient capables de marcher sur leur jambes de derrière aussi?

"Neelahn, vous vous y connaissez en lézard?"

Les mains sur les genoux, Neelahn était essoufflée. Mais, bonne nouvelle, les fauves avait arrêté de la poursuivre. Elle aurait bien voulu croire lorsque Masaku lui dit qu’ils étaient arrivés au bout de leur peine. Pourtant, les problèmes commençaient à s’enchaîner les uns après les autres.
Pour une raison inconnue, la druidesse leva la tête. Tout comme le nomade, elle aperçu un énorme bébé lézard sortir de son œuf. Un liquide visqueux dégoulina sur la tête de l’elfe. Sur le coup, elle failli pleurer. C’était tout simplement répugnant.
Dans un réflexe tout à fait légitime, Neelahn leva un peu plus le nez et ses yeux parcoururent le corps du lézard. En général, ceux qu’elle avait l’habitude de voir étaient mignons mais lui, sans vouloir l’offenser, était effroyablement hideux et il lui fit peur. D’habitude, la druidesse, qui vivait dans la forêt, n’avait pas peur des animaux. Mais là, il fallait quand même avouer le reptile était immense…

« Moi non plus, je n’en peux plus de courir… »

Stupéfaite par la taille du lézard, Neelahn aurait pu avaler une mouche sans s’en rendre compte.
Lorsqu’elle entendit Masaku dégainer son arme, elle réussit finalement à tourner la tête. Il ne comptait tout de même pas abattre cette créature ! Certes, elle était laide, elle prenait de la place et elle n’avait pas une tête très chaleureuse mais tout de même ! Ce n’était pas une raison pour vouloir sa mort.

« Mais c’est un bébé ! »

Juste après avoir crié cela, le lézard lui fit une petite léchouille. Complètement répugnée par ce geste, l’elfe n’osait plus esquisser de grands gestes. Elle sentait toute la bave couler le long de son visage. Son premier réflexe fut alors de lever une de ses manches pour s’essuyer mais elle y renonça très vite. En effet, son vêtement aussi était imbibé de salive.

« Les lézards sont des petits reptiles de l'ordre des Squamates. Ils partagent le fait d'avoir quatre pattes, des oreilles à tympan apparent sans conduit auditif externe, le corps recouvert d'écailles et la mue. Toutes les espèces ne perdent pas leur queue en cas d'agression et toutes n'ont pas des paupières mobiles comme c'est le cas pour les Gekkonidae et les Xantusiidae. » (Wikipédia)

Finalement, peut-être qu’abattre cette créature était la meilleure des choses à faire. Sortant une flèche de son carquois, elle eût beaucoup de mal à la positionner sur son arc. Ses mains trempées et tremblantes ne parvenaient plus à reproduire les gestes précis qu’elles avaient l’habitude d’exécuter…
… mais… mais… Qu’était-elle en train de faire ? C’était un lézard ! Un bébé lézard ! Et même si ces cris menaçaient de la rendre sourde, il ne fallait pas oublier que ce n’était qu’un bébé !

« On ne peut pas faire ça. Si sa mère se trouve dans les parages, elle va être furieuse ! »

A bien y penser, Neelahn préférait se faire poursuivre par un bébé géant lézard qui, sans doute, ne devait pas encore savoir réellement tenir sur ses jambes. Si elle le tuait, sa mère risquerait probablement de la poursuivre jusqu’aux confins de l’univers pour lui faire payer ce qu’elle aura fait à son enfant. Et puis, ce n’était qu’un bébé ! Ce n’était pas correct !
Posant une main poisseuse sur le bras de Masaku, elle l’incita à baisser son arme. Par la pensée, elle fit ensuite pousser des lianes. Elles vinrent retenir le lézard à sa place, l’empêchant ainsi sa progression maladroite vers sa potentielle nourriture. Cependant, le lézard était tellement gros que l’entrave que l’elfe avait fait apparaître commença à se briser. Du mieux qu’elle put, Neelahn fit germer d’autres lianes. Elle ne voulait pas l’étouffer, elle voulait juste l’emprisonner, le temps que Tigrou, Masaku et elle ne parviennent à trouver le chemin jusqu’à la sortie.
Mais alors qu’elle s’acharnait à clouer le lézard sur place, l’éclosion d’autres œufs se fit entendre…

« Peut-être qu’il vaut mieux se contenter de courir… Par là, c’est encore mieux éclairé. Peut-être que la sortie se trouve dans cette direction. »

Après les ennuis viennent… les ennuis. Dans un monde impitoyable face aux malheureux, deux ou plutôt, trois chanceux faisaient la rencontre d'un nouveau spécimen de lézard géant. La dernière fois qu'il avait entendu parler de lézard, il s'agissait d'une histoire avec un dragon. Ce n'est pas sans crainte que le nomade avait jeté des regards furtifs sous ses longues pattes pour vérifier si une membrane n'était pas visible. Franchement, ils avaient tant de possibilités d'actions que ça en devenait affligeant. Derrière, ils étaient poursuivis par des fauves, mécontent d'avoir des intrus sur leur territoire. Et pour avoir couru, ils avaient fait un bon bout de chemin ensemble! On raconte d'ailleurs qu'en faisant beaucoup de chemin avec quelqu'un, on finit à un moment ou à un autre par le comprendre et l'apprécier. Hélas, ils n'avaient pas pris le temps de discuter pendant le trajet, trop occupés à sauver leurs miches et à se concentrer sur les jambes qui ne devaient pas lâcher, sous peine de se recevoir un Tigrou dans le derrière. Et Masaku devinait qu'il n'aurait pas hésité à lui croquer une fesse si ça le faisait redémarrer au quart de tour.

Ce qui aurait dû mettre la puce à l'oreille aux aventuriers, c'était le repli des panthères. Une menace assez importante pour les faire retourner la queue entre les jambes et la tête basse? En quoi est-ce que eux, bipèdes, pouvaient prétendre s'en sortir mieux que ces agiles prédateurs? Avec son katana qui ressemblait à un cure dent pour le reptile? Masaku n'avait pas l'intention d'abandonner aussi facilement, quitte à mourir, il mourrait la tête haute et l'arme à la main! Déjà, il apprenait au bébé que cette arme était tranchante. Encore heureux que ses écailles étaient encore molles comparées à des écailles matures. Ce qui lui échappait totalement, c'était la remarque de Neelahn.

"Bah oui, il vient de sortir de l'oeuf et alors? C'est une raison suffisante pour vouloir le nourrir avec vot' corps? Si c'est le cas, je vous laisse l'appâter et moi j'en profite pour sortir d'ici."

Non mais je vous jure! Un bébé! Elle faisait passer sa vie avant ou quoi? N'empêche, réussir à penser aux autres avant son propre bien-être, c'était une noble qualité qu'il ne pouvait que respecter. L'attention était détournée par l'elfe aux cheveux blonds, gras, sales. En guise de bonjour, elle recevait donc une belle léchouille. Sur le qui-vive, le vagabond s'était préparé à couper la langue si elle venait ligoter la femme et l'embarquer pour un petit mets de naissance.

"D'accord, alors quelle est votre merveilleuse idée? On ne tue pas le bébé, on le laisse nous suivre et on l'adopte comme animal de compagnie? Ca se trouve il vous prendra pour sa mère?"

La main dégueulasse de l'elfe se posa sur son bras, l'obligeant définitivement à ranger son katana si il ne voulait pas prolonger le contact poisseux. Les bras croisés, le nomade observa le remue ménage engendré par la poussée de lianes. Et avec le temps qu'ils avaient perdus, d'autres frères venaient de voir le jour. Du coup, il était hors de question de les combattre tous un par un. Les solutions s'amenuisaient. Finalement, il avait bien fait de ne pas tuer le premier bébé, ça en ferait toujours un de plus pour les courser. De plus, les autres bébés poussaient des petits cris pathétiques pour appeler leur génitrice. Sale journée.

"Bon, on ne va pas attendre que la môman débarque. Allez, par ici!"

La caverne ressemblait vraiment à une fourmilière, des embranchements à tout bout de champ, des trous creusés à l'improviste et des habitants peu amicaux. Accompagné de sa petite troupe, le vagabond y allait à l'instinct. La seule idée en tête était de s'éloigner de ce qu'il y avait derrière eux. Et maintenant, ils avaient tout un troupeau de jeunes lézards à leur trousse et vu leur taille, ils étaient bien plus impressionnant et effrayant que les panthères. Moins habiles également. En tournant la tête pour mieux viser, Masaku avait réussi à en faire trébucher un, ce qui avait déclenché une réaction en chaine. Un détail que le nomade n'avait pas relevé: ils étaient en train de se taper une douce montée vers de la lumière. Vu le temps qu'ils avaient pris pour descendre, il était improbable d'être déjà au de la surface mais tout de même, il y avait beaucoup de progrès. Justement, une issue était juste en face d'eux, l'air libre, la sortie, le vide!

"Ouah, stooooop!"

Un peu plus et ils retombaient tout en bas et leurs corps venaient décorer de deux tâches vermeilles le sol. Un bref coup d'oeil suffisait à comprendre qu'ils étaient sur une autre paroi du cratère. La plaine était tellement proche et tellement distante à la fois! Analyser la situation le plus vite possible avant de se faire pousser de là. Regarder, chercher un chemin, un chemin en bas ou en haut… Il y avait bien une fine corniche mais Tigrou allait avoir des difficultés pour l'emprunter. Ou sinon, il pourrait grimper la haut et aider les deux autres à monter avec sa faucille à chaine, sauf qu'il doutait avoir assez de force pour soulever le tigre seul.

"Tant pis, je vais grimper puis vous faire tomber une chaine pour vous remonter, puis à deux, on va essayer de monter Tigrou, est-ce que vous pensez que c'est faisable?"

Coup d'oeil inquiet par-dessus son épaule en entendant les couinements des nouveau-nés.

Non, bien sûr que non. Neelahn ne voulait pas se sacrifier pour nourrir ce bébé lézard. Mais ils n’étaient pas non plus obligés de le tuer !
Une mine boudeuse apparue sur son visage lorsqu’elle se fit réprimander. Elle n’avait pas de meilleure idée à proposer mais elle ne se voyait pas ôter la vie d’un nouveau né, sous prétexte qu’il lui faisait peur. Même si le reptile lui avait donné une léchouille, rien ne prouvait que l’elfe fût comestible et qu’il avait l’intention de l’avaler toute crue.
Et même si Masaku ne pensait pas ce qu’il disait, Neelahn sourit en pensant que ce bébé lézard aurait pu être son nouvel ami. Elle se voyait déjà partir en voyage avec la bête et le gronder pour avoir mis de la bave partout. Toutefois, il fallait être réaliste. Une créature de telle envergure ne pouvait vivre qu’avec les siens. Même avec toute la bonne volonté du monde, il ne parviendrait pas à s’adapter à la vie que Neelahn aurait souhaité lui donner.
A regret, elle tourna donc le dos au bébé lézard.

Encore une fois, il fallu courir. L’elfe, qui était pourtant habituée à courir après du gibier pendant un temps relativement long, commençait à fatiguée. Heureusement pour elle, le nomade réussit à faire trébucher un des lézards. La bête fit tomber les autres. Même si cela l’arrangeait, Neelahn espéra tout de même qu’ils ne s’étaient pas fait trop mal. Ce n’étaient que des nouveaux nés fragiles !
Suivant Masaku de près, la druidesse ne voyait pas réellement ce qui pouvait y avoir devant elle. Dans son champ de vision, elle n’avait que le dos crasseux du nomade à contempler. Et puis, d’une certaine manière, à cet instant de son périple, elle ne réfléchissait plus tellement. Tel un mouton, elle se contentait de suivre Masaku. Il avait l’air de savoir où il allait. Elle lui faisait confiance.

Lorsqu’il lui hurla de s’arrêter, l’elfe le percuta de pleins fouet mais sans doute pas assez pour le faire tomber. Tête la première, son nez avait atterri brutalement contre le nomade et à présent, elle sentait ses yeux pleurer. Mine de rien, ça faisait vraiment mal de se cogner le nez.

« Oui, pas de soucis. Je grimpe avec vous. »

Pour Neelahn, grimper n’était pas un problème, d’autant plus qu’elle avait la capacité de faire apparaître des prises. Les parois étaient en terre, il lui serait donc facile de faire pousser des lianes solides auxquelles elle pourrait se tenir. Une fois arrivé en haut, elle ferait surgir une plante grimpante qui viendrait s’enrouler autour de Tigrou puis le remonterait avec l’aide du nomade. L’elfe n’était pas sûre qu’une plante pouvait hisser un aussi gros animal que le tigre vers l’extérieur mais avec la chaîne du nomade, elle se dit que tout irait pour le mieux.
En attendant, elle ne pouvait pas permettre d’attendre que le nomade atteigne l’extérieur pour l’aider à remonter à la surface. Tigrou attendrait trop longtemps son tour et elle ne voyait déjà mécontent de devoir atteindre que quelqu’un n’arrive à sortir d’ici pour l’aider.

Sans attendre une réponse de Masaku, Neelahn se dirigea vers la fine corniche. Avec son poids et son sac, elle ne savait pas si elle s’écroulerait mais qui ne tente rien n’a rien. Enfonçant ses ongles dans les prises naturelles de la paroi, l’elfe commença donc à grimper. De temps en temps, elle fit apparaître de solides racines auxquelles elle s’accrocha pour ne pas tomber. Et, à un moment donné de sa progression vers la sortie, elle réalisa une chose…
Mais ce qu’elle était stupide ! Pourquoi s’embêtait-elle donc à gravir la paroi ainsi ? Elle avait pourtant la possibilité d’aller mille fois plus vite !
S’arrêtant à mi-hauteur, Neelahn ôta avec précaution son sac. Une liane ferme vînt s’enrouler autour de son bagage et la druidesse la regarda hisser avec une lenteur infinie vers l’extérieur. Elle sentit la plante craquer un peu sous le poids du sac mais de justesse, le paquet arriva bien en haut.
Neelahn soupira de soulagement puis, elle se transforma en colibri. Telles des feuilles mortes, ses vêtements tombèrent au sol. Le petit oiseau fila à la surface. En quelques secondes seulement, la tête de l’elfe apparu à la surface et se pencha au-dessus du grand vide.

« Je vous attends ! »

Que la jeune femme se mette à jouer défenseuse des animaux était assez énorme sachant qu'ils avaient un beau spécimen tout droit sorti de son oeuf et qui posait ses nouveaux yeux sur le monde avec deux petits bipèdes en guise d'amuse-gueule. Masaku ne cacha pas sa surprise et son incompréhension face à cette folle idée. Rester là sans rien faire et attendre que le temps passe? Avec un peu de chance, les lézards mourraient d'ennui et ils pourraient s'enfuir en douce? Avec l'éclosion des autres oeufs, cette option était à radier définitivement de leurs choix. Courir n'aura jamais été aussi éreintant. Après le sprint précédent, les jambes du nomade ressemblaient à de la gélatine solide, des trucs mous sur lesquels il peinait à s'appuyer pour avancer. Pourtant, la survie primait sur la faiblesse physique, ce qui leur donnait bizarrement des ailes. Courir était dans ses habitudes, pour se sauver la peau plutôt que de combattre. Ce n'est pas pour autant qu'il avait l'habitude de faire des séances aussi intensives. Là où il recherchait la forêt, il se retrouvait face à un entrainement solide qui menaçait de le faire tourner de l'oeil à longue durée.

Après une course sans fin durant laquelle Masaku avait eu la sensation d'être observé par d'autres yeux que ceux des lézards, d'autres créatures qui se terraient dans ces sous-sols en attendant que les malheureux passent sous leurs antennes. Cependant, pas de rencontres de la sorte, encore heureux, ils avaient déjà du mal à gérer une sorte d'ennemi, d'autant plus que le chemin se retrouvait quelque peu raccourci, voire carrément coupé. Sous eux, là où ils étaient auparavant, au-dessus d'eux, le salut. Il n'y avait pas trente solutions, grimper serait la seule possibilité. Le vagabond proposait son plan, toujours incertain que sa chaine puisse tenir le poids du tigre, ou bien si le tigre pourrait tenir simplement par la force de sa mâchoire. Neelahn le surprit en se mettant à grimper d'elle-même. Mine de rien, elle avait bien plus de ressources qu'elle ne le laissait paraitre.

Le nomade l'observa faire avec une pointe d'inquiétude. Si elle tombait, il ne pourrait pas la rattraper. Sauter pour la soutenir ne ferait que les propulser tous deux droits vers les abysses. Tout grand homme qu'il était, le suicide n'était pas de mise aujourd'hui. Fort heureusement, l'elfe lui épargna de se jeter à sa rescousse puisqu'elle était parvenue là-haut sans grand effort, en employant une méthode qui avait coupé le souffle au spectateur. Un coup Neelahn est là. Et puis soudain pouf, plus de Neelahn, des habits qui tombent sur la corniche et un oiseau qui s'envole pour ensuite voir la tête de la femme se pointer à destination, probablement toute nue.

"Peut-être que vous devriez ramasser vos vêtements avant que j'arrive à mon tour!"

A son tour donc de grimper. Du coup, il était un peu moins sûr de ses compétences. Ses jambes continuaient de faire des siennes, sans force, il se hissait principalement avec ses bras ainsi qu'avec de grosses gouttes de sueur qui rejoignait le reste des saletés sur lui. A plusieurs reprises, il pensait que son heure de gloire était arrivée, celle durant laquelle il allait glisser et terminer sa courte vie de manière pitoyable. Toutefois, Masaku s'accrochait. Il savait qu'après cette expérience, le repos serait de mise, mais avant ça, il fallait encore faire ces derniers efforts pour parvenir à l'espace sécurisé. Du coup, en vérifiant bien chacune de ses prises, le nomade continuait l'ascension, bien plus longue que celle de l'elfe qui avait utilisé un raccourci inexploitable pour lui.

Quand enfin, sa main se posa sur le chemin en hauteur, il lâcha un long soupir de satisfaction, accompagné d'un sourire soulagé. Ca avait été très juste. Néanmoins, il n'oubliait pas pour autant la présence du tigre blanc plus bas.

"Alors, comment se débrouiller pour remonter un tigre? Vous pouvez faire quelque chose d'assez solide avec des lianes?"

Masaku devinait que ce ne serait chose aisée car le nombre de lianes nécessaires à supporter un tel poids devait être conséquent. Et ce ne serait pas deux ni trois, mais bien une dizaine pour espérer avoir quelque chose d'assez épais. Le nomade repensa soudain à un de ses pouvoirs qui aurait pu les aider très tôt dans cette ascension. Contrôler la terre, la modeler, pourquoi est-ce qu'il n'avait pas fait tout simplement un escalier? Sur le moment, il était trop centré sur ses compétences d'humain et avait oublié l'existence de la magie. Maintenant qu'il avait l'esprit clair, il allait se débrouiller pour faciliter le chemin de Tigrou, quitte à s'épuiser encore d'avantage.

"Une seconde, je sais comment faire…

Tirer de la paroi des marches épaisses, une à une. Des marches qui remontent jusqu'à eux. Les yeux de Masaku avaient rarement exprimés une telle détermination. Il avait fini par s'attacher un tout petit peu à ce duo peu ordinaire. Personne ne disparaitrait aujourd'hui, personne ne se ferait gouter pour des lézards!

"Vas-y le tigre, tu peux y aller!"

Ah oui. Les vêtements. Penchant un peu plus la tête dans le vide, Neelahn tentait d’apercevoir où se trouvaient ses habits. Ne les trouvant pas, elle alla en chercher d’autres dans son sac. Et pendant qu’elle s’habilla, elle admit intérieurement qu’elle n’avait pas fait beaucoup d’effort pour aller repêcher ses haillons qui étaient tombés dans le gouffre.
Lorsqu’elle eût finit, elle alla voir la progression de Masaku. De là où elle était, le nomade donnait l’impression qu’il avait passé toute sa vie à gravir des montagnes. Lorsqu’il arriva en haut, l’elfe l’aida à se hisser vers la sortie. Elle ne put s’empêcher de plisser le nez en sentant les effluves émanant de lui. Avec le temps, elle avait cru qu’elle s’y habituerait mais il semblait plus facile de supporter sa propre sueur plutôt que celle des autres, même si, dans son cas, elle puait autant (et peut-être même plus ?) que l’homme.

Lorsqu’il lui demanda si elle était capable de faire pousser de solides lianes pour remonter Tigrou, Neelahn tourna la tête de gauche à droite comme une enfant. En faire pousser une ou deux lui semblait possible. Toutefois, pour avoir essayer un jour de le porter sur son dos, la druidesse savais qu’l ne suffirait pas de quelques lianes pour faire remonter son bon vieux et gros (même très gros) tigre. Déjà, elle avait eu beaucoup de mal à faire remonter son sac à dos ; et pourtant, il était six fois plus léger que cet énorme félin…

« J’ai toujours dit qu’il fallait qu’il fasse un régime mais il ne veut pas m’écouter ! »

Neelahn aperçut le tigre trépigner d’impatience en bas. Elle le voyait de plus en plus nerveux, sûrement parce que les lézards géants ou autres bestioles étranges s’approchaient à grands pas de lui.
La druidesse commençait à désespérer. Elle se disait qu’il pourrait peut-être à réussir à grimper tout seul et qu’elle l’aiderait dans son ascension en faisant pousser des lianes. Elles ne supporteraient pas son poids mais l’aiderait à avoir des prises et à ne pas glisser. Mais après une brève réflexion, elle réalisa à quel point son idée était stupide. Un tigre ne savait pas grimper et n’avait pas la morphologie pour ce genre de chose.
Mais heureusement pour elle, Masaku trouva une solution efficace. Elle le vît modeler la terre pour en faire un espèce d’escalier. Le tigre ne se fit pas prier et commença à grimper les marches.

« Vous êtes sûr que ça ne va pas vous épuiser ? C’est haut tout de même... A la limite, vous pouvez faire des marches espacées. Ça lui fera faire des exercices… »

Regardant à nouveau en bas, elle aperçut les lézards géants arriver. Et pendant que Masaku aidait Tigrou à remonter à la surface, Neelahn alla chercher des grosses pierres et les balança sur la tête des bébés. Venant de sortir de leur œuf, ils restaient vulnérables et il ne lui fit pas difficile de les assommer. Elle dut tout de même reconnaître qu’il était épuisant de faire des allés/retours pour chercher des gros cailloux et les lancer dans le vide. Le plus difficile, c’était de porter les pierres. Elle avait prit les plus grosses qu’elle avait pu trouver autour d’elle. Mais, très rapidement, elle se retrouva à cours de projectiles. Au final, elle n’avait réussit qu’à assommer deux ou trois lézards et elle voyait les autres se grimper les uns au-dessus des autres pour attraper leur maigre petit-déjeuner qui tentait de remonter à la surface aussi rapidement que possible. Elle ne put alors rien faire d’autre que d’encourager son tigre et Masaku.

Ah bah oui les vêtements! C'était bien beau de se la raconter et de se transformer en oiseau mais si c'est pour se retrouver à voyager nu par la suite, ça ne valait pas vraiment le coup! Masaku soulignait ce petit détail à l'elfe qui ne semblait de toute façon pas tenir à ce qu'elle avait précédemment et ça pouvait se comprendre. Lui-même lorsqu'il se regardait il était dégouté par son accoutrement. Ces loques devaient être brulées si on voulait éviter une épidémie nouvelle, un nouveau virus qui se développerait sur son corps. D'ailleurs, son dos le démangeait quelque peu… Pendant une grimpette, pas des plus évident. Ce fut donc l'une des plus longues montée de toute sa vie. Aidé par quelques prises mais pas par les démangeaisons incessantes qui se répandaient sur son corps sans avoir une réelle origine. Ce pouvait être uniquement son imagination qui lui jouait des tours.

Là-haut, les deux réfléchissaient à la manière de faire grimper Tigrou avant que le génie du nomade ne se manifeste en créant des marches pour que le tigre monte. Il était fatigué, exténué d'avoir sprinté comme un dératé mais faisait des efforts pour maintenir les plateformes solides le temps que l'animal passe. Déjà, on voyait qu'il faisait le strict minimum, deux marches par deux marches. Aussitôt que l'une d'entre elle était passée qu'elle s'effondrait dans le vide.

"C'est bon, ça va aller…"

Faux. Il sentait son rythme cardiaque grimper, son visage était tout rouge et il sentait son coeur battre sur l'ensemble de sa tête. le temps qu'il fasse la moitié du chemin, les bébés lézards à leur trousse étaient arrivés. En voyant ces jolies griffes sur leurs pattes, Masaku craignait le pire. Si ils avaient de l'instinct, ils pourraient grimper sans problème. Espérer qu'ils étaient assez maladroit pour ne pas s'essayer à ce genre de manipulation. Tigrou faisait du mieux qu'il pouvait. Par contre, le vagabond formait de plus en plus lentement ses marches. Hélas, malgré les efforts de la femme, certains réussissaient à les rejoindre, lentement car encore peu habitués à utiliser ce corps, mais l'instinct de la créature lui donnait un sacré coup de pouce. Au moment où le tigre atteignait leur niveau, le nomade fit jaillir une marche en plein milieu du torse d'un des lézards qui alla s'écraser après une longue chute, tout au fond du gouffre. C'était tout ce qu'il pouvait faire, son énergie magique était entièrement épuisée et son état n'était pas à envier.

"Allez… ils ne doivent pas nous rattraper, ce sont des bébés bon sang!"

Mort contre des bébés tout juste sortis de leurs oeufs, l'humiliation serait totale, il ne pourrait pas regarder ses ancêtres dans les yeux dans l'autre monde. Sa volonté l'obligeait à se remettre sur pied, perdant un bout de pantalon pendant le processus, un gros trou béant au niveau de la fesse. Encore heureux qu'il avait des sous-vêtements de tissu. Par rapport au niveau zéro de la plaine, il y avait encore du chemin à parcourir. Cependant, ils étaient à l'extérieur et il n'y avait plus qu'à emprunter le passage en pente douce pour atteindre les sommets de ce monde souterrain. Leur groupe avait mauvaise mine. Même le pelage blanc du tigre s'était assombri avec la poussière.

"Plus jamais je ne revisiterai un gouffre inconnu de la sorte, plus jamais vous m'entendez!? On va devenir la bouffe pour vos animaux de compagnie si on ne bouge pas de là. Allez, un peu de nerf mauvaise troupe!"

Masaku criait principalement pour se donner lui-même du courage. Il n'en avait pas plus que ça contre Neelahn, ni contre Tigrou, enfin, juste un tout petit peu, mais si elle était un peu naïve ce n'était pas pas entièrement de sa faute. D'emblée, la route était longue et avec la fatigue, l'impression qu'elle s'étendait à perte de vue faisait pâlir le jeune homme qui avança à allure modérée, poussant sur ce qui restait de ses jambes qui ne semblaient presque plus pouvoir supporter son propre poids.

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