Décidément, les nomades avaient le chic pour voyager dans les endroits les plus incongrus. Ou alors était-ce parce qu’à force de voyager il fallait forcément en passer par ce genre de lieu ? Oui, c’était sûrement plutôt quelque chose dans ce style. Mais en attendant, Marika était bel et bien en train de se demander où elles s’étaient encore fourrées. Ses yeux étaient encore plus figés à l’affut du moindre mouvement que d’ordinaire et Gala, qui avait pourtant jusqu’ici gardé le plus grand des sang-froid et cela même lors de leur passage au royaume de Malificium, montrait clairement la peur sur son visage. Les bras crispés autour du corps de sœur aînée, les jambes serrées contre Arconel, même ce dernier faisait preuve d’une grande agitation.

Autour d’eux, les choses semblaient étrangement en mouvance. Un effet de la brume peut-être ? Marika ne l’avait pas tout de suite remarquée mais depuis la petite demi-heure où elles s’étaient enfoncées dans cette forêt, dure d’en faire désormais abstraction. Et cela encore plus car.. la brume semblait se mouvoir. En soit, rien d’extraordinaire, un peu de vent sûrement. Mais… ce mouvement semblait également faire se tortiller le paysage qui se trouvait derrière lui, soit, partout. Heureusement que c’était vraiment quelque chose d’extrêmement léger sinon ça leur aurait très certainement donné le tour. Cependant, blagues mises à part, Marika était inquiète. Dans cette forêt où tout bougeait et tout disparaissait, impossible de voir venir la moindre chose. Mais comment allaient-elles faire pour sortir de ce lieu ? Avancer tout droit vers le nord semblait idéal mais elle n’arrivait même pas à distinguer s’il faisait jour ou nuit. Tout semblait si.. irréel et fantomatique ici.

Papillonnant des yeux, Marika en avait marre cette fois. Arrêtant Arconel, elle en descendit agilement tout en attrapant son épée qu’elle glissa ensuite à sa taille. Ses pieds sur le sol, elle sentait déjà les choses redevenir un peu plus réelles. Comme si le fait de sentir la terre matérielle la rassurait dans ce lieu changeant. Ou moins le sol ne risquait pas de disparaître lui ; même si elle avait du mal à voir ses pieds, c’était déjà ça. Attrapant la bride de son cheval qu’elle fit passer par-dessus sa tête, elle se mit à avancer précautionneusement pendant que Gala s’agitait là haut. Elle se sentait tellement… à découvert comme ça. Elle n’aimait pas cet endroit. Ses yeux et sa tête se tournaient dans tous les sens à la recherche d’une quelconque menace.

-Je n’aime pas cet endroit.. finit-elle par murmurer en essayant de se recroqueviller un maximum sur elle-même.

-Moi non plus, répliqua fermement Marika malgré la présence de douceur qu’aurait exigé la situation – ce n’était pas dans son genre. Mais il est trop tard pour repartir.

Sa voix s’était finie dans un murmure pendant qu’elle continuait à s’enfoncer toujours plus profondément dans cette brume blanche. Ses yeux étaient brièvement plissés comme pour en forcer la vue, tous ses sens étaient en éveil près à agir avec la plus grande rapidité si besoin était. Et c’était sans parler de ses pas qui progressaient comme si elle s’attendait à se faire attaquer à tout instant. En avant, en arrière, sur les côtés, la jeune femme scrutait tout. Et puis, l’improbable se produisit. Gala sauta brusquement de cheval en pointant un endroit du doigt :

-Regarde, là !

La voix brusquement surexcitée de Gala fit paniquer en une fraction de seconde Marika. A la vitesse la plus ardente qu’elle put, elle se retourna.. mais Gala s’était déjà jetée dans la brume vers ce qu’elle avait vu. Restant impassible devant ce qu’il y avait devant elle, Marika était figée de stupeur et de frayeur. Là devant elle, la brume avait déjà tout englouti. Il ne restait plus aucune trace du passage de Gala.

Quand Marika avait compris l’horreur de la situation – ce qui fut fait en même pas une fraction de seconde – son visage tout entier s’était pétrifié d’horreur. Jamais une telle expression n’était passée dans ses yeux, dans son regard, dans chacune des plus petites fibres de son visage. Jamais elle n’aurait cru que ça arriverait. Bon sang mais qu’est-ce qui était passé par la tête de Gala ! Marika n’en revenait pas. Bien sûr, Gala n’avait que quatorze ans mais quand même, c’était une nomade et elle était très débrouillarde ! Elle n’avait pas vu que ce brouillard était un vrai piège à ne jamais s’y retrouver ? Pour une fois, la colère sourde grondait presque à l’intérieur de la jeune femme. Mais contre sa sœur ou contre elle-même ? En tout cas, ce n’était pas le moment de rester là à tergiverser.

Attrapant avec fermeté Arconel grâce à la bride, elle se jeta dans la brume dans la supposée direction que devait avoir pris Gala. Au moins si le sens de la vue était occulté avec toute cette.. magie illusoire, le son ne devait pas être autant. C’était à espérer, quoique Marika n’y croyait pas trop mais essayait ne coûterait rien. Aussi criait-elle le nom de sa petite sœur, insouciante de tous les dangers qu’elle pouvait par la même occasion amenée vers elle. Même ses pas n’étaient pas prudents. La jeune femme avançait en effet à grande foulée, sa démarche était proche de la course. Arconel n’aimait pas cette allure et hennissait de temps à autre pour manifester son désaccord. Il avait beaucoup de respect pour sa maîtresse mais ce comportement lui ressemblait tellement peu que la nervosité le gagnait. Un peu plus et il commencerait à se cabrer, pas pour s’enfuir mais pour s’arrêter et échapper à cette allure peu commode selon lui.

Pendant ce temps Marika continuait d’avancer, sans même savoir si Gala n’avait pas pu prendre une autre piste, et à crier. Son visage et son regard se tordait dans toutes les directions, tous les sens. Ses yeux affolés semblaient aller de droite à gauche en si peu de secondes qu’ils en feraient peurs. Ses pensées s’entrechoquaient et elle avait du mal à être lucide, à savoir ce qu’elle faisait. Pour la première fois, elle se sentait complètement perdue face à cette forêt. La magie et les tours des mages se n’étaient pas son truc. Même si en tant que chef militaire des siens, on aurait attendu un peu plus de cent froids, quand il s’agissait de Gala, les choses pouvaient vite déraper. Sauf que là, ce fut elle. Elle marchait si vite et si rapidement qu’elle ne regardait même plus devant elle. Et au détour d’une brume ou deux, elle percuta subitement quelque chose ! Ou plutôt quelqu’un.

Car non, ce n’était pas un arbre, mais le choc fut si fort – vu l’élan qu’elle avant – que Mariak dut en fermer les yeux et reculer brutalement de quelques pas pour aller se renverser par terre si Arconel n’avait pas arrêté sa course. A la place, se raccrochant avec maladresse à lui et sa selle, la jeune rouvrit les yeux en se stabilisant dans sa pseudo chute. Et découvrit… quelqu’un ! Elle n’arrivait pas à le croire.

Trop percutée par la situation précédente, Marika n’eut pas le réflexe de se mettre en position défensive. Et aussi parce qu’elle ne ressentait pas de danger immédiat dans cette forêt, surtout pas de la part d’un jeune homme qu’elle analysa d’un coup d’œil comme étant un des siens, ou du moins, un de son peuple du désert. Pourquoi ? Les habits principalement, typiques pour être à l’aise en désert. Mais à part cela, Marika ne fit pas plus signe de vie ou autre. Elle qui gardait tellement souvent une si grande contenance, là voilà.. totalement.. désorientée. Elle n’arrivait même pas à se reprendre, encore un peu chancelante. Mais une seule chose continuait à rester dans son esprit aussi claire et limpide qu’une lumière : la disparition de Gala.

-Avez-vous vu une petite fille passer ? demanda-t-elle d’un ton rapide et transpirant l’inquiétude.

Elle qui était d’habitude si ferme voire dure. Quel changement ! A voir s’il a quelque chose de positif..

La personne qui venait de le percuter n'avait pas demandé son reste mais alors qu'il se remettait à peine de s'être fait bousculé ainsi, une autre personne venait de le prendre à nouveau à revers mais celle-ci s'étant bien faite arrêter par la carrure du Nomade. Ce dernier chancela néanmoins en arrière et tomba sur le sol sur les fesses. Son regard se durcit. Une fois ça allait mais deux fois s'en était de trop. Contrarié, le Nomade se leva, ne faisant pas même attention à la requête de la jeune femme. Il n'avait pas même remarqué qu'elle ressemblait à une de sa caste, à une Nomade. Non quand Cirdan était de mauvais poil, il ne faisait attention à rien d'autre que ce contre quoi il rouspétait.

L'inquiétude pour quelqu'un qui plus était, il ne connaissait pas. Il ne s'était inquiété que pour sa famille mais elle était loin maintenant et hors d'atteinte de toute attaque. Non, il n'avait aucune raison d'avoir de la compassion pour elle. D'autant plus qu'il se dit que surement celle qui l'avait bousculé juste avant sans même s'arrêter devait être la personne que la jeune Nomade qu'il avait devant lui cherchait. Toujours les sourcils froncés, il croisa les bras, faisant la moue. N'importe quel crétin qui passerait par là pourrait affirmer qu'il n'était pas de bonne humeur. Même Daigho évitait de l'ennuyer dans ces moments là... Il répondit alors sèchement à la jeune femme :

« Déjà, on s'excuse quand on bouscule quelqu'un. Parti de là, j'vois pas pourquoi je t'aiderais. Soit tu t'excuses, soit tu bouges de mon chemin. J'ai pas que ça à faire que d'entendre des plaintes surtout en ce moment. »

Il resta planté devant elle, lui laissant quand même le bénéfice du doute ou quelque chose du genre. Il serait peut-être prêt à être indulgent si elle venait à s'excuser et à lui expliquer la situation un peu plus calmement. Mais pour le moment, il ne lui laisserait rien passé. Et si elle voulait passer son chemin, qu'elle le fasse mais elle devrait se débrouiller seule et puis, il avait une information sur la direction qu'avait prise Gala donc elle avait tout intérêt, même si elle ne le savait pas hélas. Cirdan se tenait quand même prêt à une éventuelle riposte musclée en gardant une position facilement modifiable afin de récupérer son arme au plus vite.

Il se passa un long blanc entre les deux Nomades. Sans doute un temps de réflexion ou bien. Dans tout les cas, le Nomade ne quittait pas la jeune femme du regard une seule seconde. Son intensité également ne faiblissait pas d'un poil. En même temps, il avait toujours sut se montrer déterminer en toutes circonstances. C'était en cela aussi sa force de caractère et sa force tout court. Bien que le semi-être était quelqu'un de nuancé comme le sont tout les hommes. Ils sont tous capable de choisir entre bien et mal, c'est un fait...

Dans ces moments là Daigho aurait sifflé mais à ce moment précis, il n'était pas là. Une petite pensée donc du voyageur revint au serpent avant de revenir en définitive sur le cas « La-Nomade qui-m'a-bousculé,-faut-qu'elle-s'excuse » et de ne plus s'en défaire...

[Désolé pour la longueur, je ferais mieux la prochaine fois, je savais pas trop quoi dire/faire dans l'état actuel ^^]

Quoi ? Non, elle avait mal entendu. Les paroles de l’inconnu l’avaient percutée : dans sa folie passagère, la jeune femme n’avait jamais imaginé une seconde qu’il allait lui répondre ça. Cela l’en fit rester… complètement abasourdie, sans voix et sans mouvement pendant bien de très longues secondes. Il lui demandait de s’excuser ? Mais pourquoi elle devrait s’excuser, on ne s’excuse pas quand il y a urgence ! Mais alors qu’elle allait ouvrir la bouche pour lui rendre une belle réplique bien cinglante, l’image de sa petite sœur s’imposa à son esprit. Elle n’avait pas le temps pour les prises de bec, autant s’excuser.

-D’accord, d’accord. Je suis désolée. Je faisais si peu attention à là où j’allais que je ne vous ai pas vu. C’est ma faute.

Marika avait prononcé ces mots avec une telle rapidité que certains en avaient été mangés. Mais dans sa voix, on ne discernait nul empressement, juste de l’inquiétude, comme tout le reste de son attitude d’ailleurs. Si elle prenait le temps de s’excuser, c’est que la situation était définitivement grave. Elle ne prit ensuite même pas la peine de s’agacer de la situation en demandant à son partenaire s’il comptait tergiverser encore longtemps ou s’il allait l’aider… Décidément les nomades de nos jours… ça a perdu le sens de l’entraide ! Il pense plus tous qu’à leur fierté et leur orgueil. Elle pouvait bien parler soit disant…

-Je sais que je n’ai pas très bien démarré mais je vous en pris, avez-vous vu une petite fille qui passait par-là ? Elle n’est pas très grande, a des cheveux bruns plutôt longs, des yeux bleus. C’est une nomade aussi mais son teint est assez claire.

A nouveau des mots prononcés comme une cascade, à se demander si l’étranger avez compris quelque chose. Désespérée, Marika laissa tomber ses épaules en avant. Elle n’allait jamais y arriver. Son pouls était si rapide. Chaque seconde qui passait diminuer les chances de retrouver Gala dans cette fichue forêt ! Elle n’avait pas le temps des civilités : ni des excuses, ni des présentations ni de bien parler. Pourquoi personne ne comprenait l’urgence de la situation ? Elle déraillait totalement.. il n’y avait personne à part ce nomade ici. Passant sa main dans ses cheveux, Marika releva la tête et parla avec un calme beaucoup plus affiné et maîtrisé.

-Je m’appelle Marika Danam. Ma sœur et moi voyagions quand elle s’est… sauvée alors que nous traversions cette forêt. Je vous ai bousculé en essayant de la retrouver. Je ne faisais pas attention à où j’allais de crainte qu’elle ne s’éloigne trop. Cette forêt… mange rapidement les gens.

Sa dernière phrase s’était finie dans un murmure, comme si toute la tension qu’elle avait accumulée en quelques secondes était sortie par ces mots. Maintenant, c’était les couleurs de la défaite qui se lisait sur son visage hâlé lorsque le releva pour le plonger dans les yeux de l’inconnu. Elle venait d’implicitement reconnaître qu’elle avait échoué à la protection de sa sœur. Et quand vous connaissez la fierté des nomades, ça en dit gros.