Bleuet n'avait pas fait de nouvelles rencontres au fil d'une sorite depuis... Depuis très longtemps. Autant ne pas rentrer dans les détails, cela pourrait devenir une source de vexation identique à celle qui consiste à demander l'âge d'une demoiselle. C'est le genre de choses qui ne se font pas, point. Alors le fait que, grâce aux hurlements d'Ortie, une personne ait daigné lui parler avait quelque chose d’exceptionnel. Deux heure plus tôt, cette idées l'aurait ennuyé plus qu'autre chose. Mais maintenant, sans trop savoir pourquoi, cela l'excitait. Pas de manière trop visible, naturellement, elle semblait toujours aussi visible, mais elle s'excitait. Ce n'était pas tant la rencontre en soit. Mais elle avait la même impression que quand on retrouve quelque chose qu'on a perdu depuis très longtemps. Elle ne savait pas encore de quoi il s'agissait vraiment, mais elle ne voulait pas que cette impression fugace disparaisse.

C'était donc pour cette raison qu'elle emmenait derrière elle un illustre inconnu sur le chemin de la Tour Céleste. Elle montrait le chemin dans les rues de Bénécius, devant sans faire en sorte d'être à la même auteur que l'homme au masque, tellement elle était pressée de pouvoir trouver une plume et un parchemin pour s'expliquer. Elle se retournait tout de même régulièrement, vérifiant qu'il la suivait toujours et lui adressant des signes pour ne pas le perdre dans la foule. Vu que ses oreilles lui jouaient parfois des tours, elle préférait garder un oeil sur lui le maximum. Pas parce qu'elle ne lui faisait pas confiance, ce n'était absolument pas dans son caractère. Mais parce que si elle le perdait maintenant, cela risquait de la travailler pendant longtemps. Arrivée en bas de la Tour Céleste, l'elfe pénétra à l'intérieur sans hésiter et sans ralentir. Une fois à l'intérieur, elle prit tout de mêmes quelques secondes pour se calmer et pour attendre son invité. Cela serait idiot de le perdre maintenant.

"Allez, plus vite que ça ! On met un pied devant l'autre et on recommence en cadence !"

Ortie se plaignit une nouvelle fois. De toute façon, l'inconnu aurait-il couru plus vite que n'importe qui que le faucon se serait quand même plaint. C'était dans sa nature. Dans les couloirs, les blessés regardèrent passer l'étranger cortège d'un oeil indifférents, mais tous ceux qui connaissaient au moins de réputation Bleuet semblaient étonnés. Ce n'était absolument pas dans ses habitudes de ramenés quelqu'un qui n'avait pas l'air en train de mourir ou qui n'avait pas une maladie exotique qu'elle ne savait pas soigner. Quelqu'un en bonne santé, c'était étrange. Quoique le masque... C'était peut-être une raison, non ? Indifférente aux regards curieux qu'elle attirait, Bleuet continua d'emmener son visiteur vers sa chambre, même si cette fois-ci elle se forçait pour rester à sa hauteur, histoire de prouver que, non non, elle n'essayait pas de la fuir. Ortie, lui, restait prudemment devant. Au bout de quelques minutes, l'elfe ouvrit une porte et invita l'homme au masque à entrer et à faire comme chez lui. Par signe, ce n'était pas forcément simple, mais l'attention y était.

Elle prit ensuite une minute pour réfléchir à l'endroit où elle avait ranger son matériel d'écriture. Elle retrouva rapidement et commença à fouiller dans un coin de sa chambre. Elle était impeccablement rangée, mais partout il y avait quelque chose. Des livres entassés, des plantes en train de sécher, de vieilles pièces d'armure, un perchoir et des paquets de graines, des vêtements... Tout était clairement à sa place. Mais le problème était qu'il n'y avait plus de place nulle part, que tout semblait occupé. Seul le bureau et le lit semblait plus ou moins dégagés. Après avoir déplacé plusieurs paquets d'objets divers, la Mage Blanche finit par dégager une plume, un rouleau de parchemin et une bouteille d'encre. Sans prendre la peine de s’asseoir, elle poussa quelques affaires sur le bureau histoire de pouvoir étaler le parchemin et, l'instant d'après, elle commençait à écrire. Les premiers mots furent hésitant, elle n'avait pas non plus écrit depuis longtemps, mais rapidement, les automatismes revinrent et sa plume vola à toute vitesse, déposant de l'encre au passage.

'Veuillez me pardonner de vous avoir demander de me suivre de manière aussi cavalière, mais je tenais à pouvoir m'expliquer correctement. Si je ne parle pas, ce n'est pas parce que je voulais vous offenser ou à cause d'une maladie, mais parce que j'ai pris l'habitude de parler peu, ce qui peut se révéler fâcheux comme vous avez pu le voir. Je suis réellement navrée pour le dérangement.'

Une fois le mot écrit, elle le tendit vers l'inconnu, contente qu'enfin les choses soient mises au clair. Quoique... Bleuet réalisa avec un temps de retard qu'il allait vraiment la prendre pour une idiote. Non je ne suis pas malade ou méchante, je suis juste assez cruche pour avoir oublié comment parler. Sans compter ses manières... Elle ne l'avait pas simplement invité de manière cavalière, elle l'avait invité tout court ! Elle ne savait même pas son nom et elle l'avait déjà invité dans sa chambre. Selon la grande majorité des livres qu'elle avait lu dans le temps, elle venait de faire un sacré impair aux bonnes moeurs, même si elle ne savait pas pourquoi. Avec un peu de chance, les moeurs avaient évolué en deux cents ans, non ? C'était bien la première fois qu'elle espérait une telle chose. Toute l'excitation de Bleuet était maintenant retombée. Dorénavant, elle ne voyait plus que tout ce qu'elle avait fait de mal et elle se sentait honteuse plus qu'autre chose. A tel point qu'Ortie, occupé à grignoter les trois malheureuses graines sur son perchoirs, ne disaient plus rien. Une belle preuve que les choses allaient mal. Il ne se plaignait même pas de ne plus rien avoir à manger, un première. Décidément, il fallait que le jour où elle décide de se montrer un minimum social, elle ne fasse qu'enchaîner les gaffes ! Elle était peut-être plus tranquille toute seule au final...

Bleuet n'avait jamais été doué avec les autres. Mais alors pas du tout. Avant, soit elle jouait tout sur des impulsions plus ou moins malheureuses et remarquées, soit elle se contentaient sagement de faire ce qu'on lui demandait. Elle avait toujours voulu bien faire sans savoir comment faire. Exactement la même chose se reproduisait, deux cents ans après les premières scènes du genre. Au moins quelque chose qui n'avait pas changé. Malheureusement. Le don de sociabilité n'était pas tombé sur elle comme par magie pendant son sommeil. Au moins une chose qu'elle aurait accepté avec plaisir, mais non. Fallait que le destin s'acharne. D'ailleurs, il n'était pas le seul à s'acharner, c'était aussi le cas d'Ortie. Lassé d'attaquer ses trois pauvres graines qui se battaient en duel, il avait retrouvé dans un tas d'objet un sachet de graines qu'il avait laborieusement traîné sur le sol pour le dégager. Il essayait maintenant de défaire le cordon qui gardait prisonnier sa nourriture, en vain. Et, malheureusement pour lui, Bleuet était tout à son dilemme intérieur et ne voyait rien.

Bleuet qui sursauta quand l'inconnu prit la parole. C'était la source de tous ses questionnements pseudo-philosophique et elle l'avait pratiquement sorti de ses pensées. Un comble. Au moins, il était très bien élevé, assez pour dire qu'elle ne l'embêtait pas. C'était beau de mentir pour la bonne cause -dire qu'elle le forçait à faire une chose pareil !- et elle le remercia mentalement pour cela. Il faisait vraiment tout pour que cela se passe bien et elle ne faisait qu'enchaîner les gaffes. Idiote de Bleuet, idiote ! Elle devait le remercier, quitte à passer pour une illuminée qui n'y connaissait rien aux codes sociaux. Ca paraîtrait peut-être bizarre de dire merci, mais elle se devait de le faire. Pour elle-même, mais aussi pour toutes les personnes qui avaient essayé de lui apprendre à bien se comporter. Elle s'inclina donc en direction de son invité qu'elle avait pratiquement invité de forcé et elle s'excusa :

"...ience."

Humhum... Elle avait juste oublié qu'elle n'arrivait plus à parlé. Plus gênée que jamais, la Mage Blanche reprit le parchemin et se concentra dessus le temps de l'écriture de son message. Au moins, cela lui donnait quelques instant de répit. Elle retendit ensuite le morceau de parchemin, avec un paragraphe supplémentaire de noté en-dessous du premier.

'Je vous remercie beaucoup de la patience dont vous faites preuve à mon égard et de votre bienveillance.'

La Mage Blanche était gênée au point de préférer regarder le sol que de voir la réaction de l'inconnu. De toute façon, outre son masque, elle n'aurait pas vu grand chose, mais cela ne changeait rien à sa gêne. Ce n'était peut-être pas très glorieux, mais cela lui permis de voir la lutte épique d'Ortie pour ses graines. Et cela lui offrait de nouveaux quelques instants de tranquillité où elle savait sans aucun doute que faire. Elle se pencha donc sur le sachet avant d'en verser un peu dans sa main et de la tendre vers le faucon. Celui-ci vint se percher sur son bras et commença à picorer, calmé définitivement par l'appel du ventre. Pour peu, on aurait pu voir la maîtresse et son compagnon comme une mère et son enfant. Avec beaucoup d'imagination et des tendances arc-en-ciel, papillons bleus et petits poneys sautillants. Au bout d'une minute, Bleuet vida sa main dans la mangeoire du perchoir et Ortie changea de position pour une place plus stratégique, au plus près ce de qu'il convoitait.

Lorsque l'homme reprit la parole, Bleuet eut le réflexe de piquer un fard alors même qu'elle ne rougissait pas. La force de l'habitude. Au moins, maintenant elle connaissait le nom de son inconnu mais, visiblement, cela ne se faisait toujours pas d'inviter dans sa chambre des illustres inconnus tout juste rencontrés. Ou comment amplifier encore plus la gêne de la Mage Blanche. mais au lieu de rester plantée là à ne rien faire, elle devait arranger les choses et se présenter ! Impossible de compter sur Ortie, il mangeait. Il ne restait donc plus que la bonne vieille méthode du parchemin. Elle reprit le parchemin qu'elle avait laissé à Vaykat et, dans sa précipitation pour l'étaler sur son bureau pour écrire dessus, elle le déchira en partie et renversa son flacon d'encre. Ayant dépassée tous les stades connus de la panique, Bleuet voulut se précipiter sur la fiole en verre pour la reboucher et empêcher la marée bleue, en vain. Elle ne parvint qu'à se prendre les pieds dans un tas d'affaires qui traînait par terre et à s'écrouler, renversant plusieurs piles. La totale. Ou comment passer pour une illuminée maladroite et légèrement simplette sur les bords. c'était peut-être la vérité mais cela restait vexant.

"Bleuet. Elle ch'appelle Bleuet."

Merci Ortie. L'ancienne Gardienne Sacrée, toujours avachie dans le désastre qui avait été un jour des affaires bien ordonnées, ne savait même plus si elle devait se réjouir ou non de l'intervention de son compagnon. Au moins, maintenant les présentations étaient terminées. Mais pour le reste... C'était plus qu'une catastrophe. Elle devait faire quelque chose pour arranger tout cela, éviter maintenant le massacre de son parchemin et la l'expansion de l'encre sur son bureau était impossible, mais elle pouvait au moins faire quelque chose pour son invité, histoire qu'il n'ait pas totalement l'impression d'avoir perdu son temps. Mais elle ne parvenait toujours pas très bien à parler et la solution était pour le moment indisponible. Il ne restait donc plus qu'Ortie. Ortie qui préférait hurler des insultes que de proposer du thé et des petits gâteaux de manière aimable. Mais il allait se forcer un petit peu s'il voulait avoir des graines dans les jours suivants ! Très à contre coeur, le faucon redressa la tête de sa mangeoire et demanda du bout du bec :

"Est-ce qu'un rafraîchissement ou une collation vous ferait plaisir ?"

Ortie s'était plus que forcé pour prononcer ces quelques mots et il avait eu pendant ce laps de temps la rigidité d'un oiseau empaillé. De mauvaise humeur par ce que Bleuet l'avait forcé à faire, le faucon s'envola et alla se percher un haut d'une armoire pour bouder. Il renversa au passage une pile de vêtements qui s'écrasèrent au sol sans un bruit. Et dire que tout était rangé à peine dix minutes auparavant. Manquerait plus qu'il y ait une alerte à l'épidémie et un confinement à l'intérieur de la Tour Céleste pour des raisons de sûreté et elle aurait vraiment totalement et entièrement gâché la journée de Vaykat. Bleuet se releva comme elle put, laissant tomber certaines affaires qui étaient retombées sur elle. Elle était maintenant plus blasée que gênée, mais cela ne changeait rien à rien. Elle était une catastrophe ambulante.