Je n’avais pas élu domicile à Naturalia. Pas encore. Toutefois, j’avais réussi à trouver un endroit décent où dormir. On ne me posait pas de question gênante. Je payai ce que je devais au propriétaire de l’immeuble. Comme je n’avais rien sur moi de flamboyant ou ostentatoire, on me laissait tranquille. Et puisque la chambre se situait non loin du Chardon Ardant, je m’y rendis tous les jours pour prendre mes repas, si bien que l’aubergiste avait fini par connaître mon visage par cœur. Sachant que j’évitai toujours de manger deux fois la même chose, il me gardait toujours dans un coin de sa cuisine un petit plat du jour. Il savait aussi que j’avais un faible pour les desserts et me réservaient toujours une part de gâteau ou de tarte. Ses petites attentions finirent presque par me rendre comme les habitants naïfs et stupides que les habitants de Naturalia. Il ne fallait pas non oublier que les parts de gâteau qu’il me servait faisait parti des desserts les plus coûteux de l’auberge. Apparemment, cet homme avait bien remarqué que je n’hésitais pas à allonger la monnaie pour manger des plats convenables.

Assise comme à mon habitude à une table située contre une fenêtre, je regardai les passants faire leurs courses à travers les vitres en attendant que l’on me serve. Comment pouvait-on supporter d’avoir le même train de vie tous les jours ? Je ne me voyais pas me lever tous les jours à l’aube pour emmener mon linge sale à laver. J’avais du mal à concevoir certaines choses comme le ménage ou la cuisine. Tout cela me dépassait et j’étais persuadée que jamais je ne ressemblerai à une de ces femmes que je voyais défiler tous les jours sous mes yeux. Chargées comme des mules, elles portaient de gros paniers. Des fois, certaines d’entre elles en avait même un sur la tête. Leurs enfants s’accrochaient aux pans de leur robe. Bref, je me demandais comment la plupart d’entre elles pouvaient se contenter d’une vie pareille, bien que j’aie ma petite idée. Certaines d’entre elles répondraient sans doute que le destin est ainsi et qu’elle n’avait pas choisit leur sort. Mais moi, j’étais persuadée que, dans la vie, tout n’était qu’une question de choix et de volonté.

« Merci. »

Autrefois, il m’arrivait rarement de dire merci. Mais depuis que je m’étais « réincarnée » et que j’errai dans les ruelles de Naturalia, je m’étais mise à sortir des « bonjour » et des « merci » à tout bout de champ. Des fois, je m’exaspérai moi-même mais au moins, avec le temps, je serais devenue polie. Et cela, on ne pouvait pas me le reprocher.

Prenant ma fourchette dans une main et mon couteau dans l’eau, j’entamai mon déjeuner. Pommes de terre, cèpes et cuisse de poulet… Depuis plusieurs jours, je m’empiffrai de plats tout aussi succulents les uns que les autres. Néanmoins, je dus bien admettre que je passais plus mon temps à me goinfrer qu’à m’exercer à mes fonctions de rôdeuses. Quelques fois, il m’arrivait de chiper un objet ou deux mais je m’attaquais toujours à des proies faciles. Je n’étais pas capable de m’accaparer des choses qui ne m’appartenaient pas avec la même aisance que jadis.
Et puis, j’avais pris du poids. A force de manger et rester assise toute la journée, j’étais en train de devenir comme ces nobles que je détestais tant. Heureusement pour moi, je n’avais pas encore atteint le stade de la graisse dégoulinante. Squelettique, j’avais fini par atteindre un poids normal pour un gabarit comme le mien. Mais la vitesse avec laquelle j’avais retrouvé de la graisse avait été assez surprenante, si bien que je me dis qu’il fallait que je songe réellement à me remettre au travail.

Mais malgré ces pensées, cela ne m’empêcha nullement de déguster mon plat avec un appétit d’ogre. Arya, ma mygale, se régalait aussi avec le criquet que je lui avais trouvé la veille. Posée sur la table près de la fenêtre, mon animal de compagnie avait le don de faire fuir les gens. Depuis que je prenais mes repas au Chardon Ardent, j’avais toujours eu une petite table pour moi toute seule. Et cela me convenait merveilleusement bien.

C’est toujours lorsqu’on s’y attend le moins qu’il se passe quelque chose.
Lorsque je vis une crinière blanche entrer dans la taverne en compagnie d’une petite fée, je n’en crus pas mes yeux. Puis, après avoir battit des paupières pendant quelques secondes, j’eus la certitude que ma vision allait parfaitement bien. Et pourtant, je n’arrivais toujours pas à croire ce que je voyais devant moi.
L’homme, je ne voyais que son dos. En revanche, la fée, dont je distinguais nettement le visage, me fit écarquiller les yeux. Alors comme ça, ils étaient toujours vivants ? Même s’ils n’avaient pas beaucoup de place dans mon cœur, je dus admettre que j’étais, sur le coup, très contente de revoir des visages familiers. Depuis la dernière guerre, je me sentais bien seule. Tout le monde avait disparu, sauf moi.

Lâchant mes couverts sur mon assiette, je m’approchai de ce que je pensais être l’artiste et sa fée que j’avais rencontré jadis dans les égouts de Malificium. Pointant mon index vers l’homme, je l’avançai vers lui comme s’il s’agissait d’un fantôme. Je lui tapotai alors doucement l’épaule.

« Deici… truc ? »

Je me souvenais à quel point son prénom était compliqué. Il était composé de plusieurs syllabes étranges alignées les uns à côtés des autres, si bien que ma mémoire ne put en retenir que les deux premiers : Deici. Le temps n’arrangea pas beaucoup les choses car je ne me rappelais même plus de son nom de famille. Et pourtant, je l’avais sur le bout de la langue… Oh et puis, il ne m’en voudrait pas. Et même si j’avais oublié une partie de son identité, je me souvins qu’il avait une dette envers moi.

« Je pensais que les artistes comme toi avaient disparu de la surface de ce monde mais je dois bien admettre que je suis contente de te voir ici, surtout que tu m’avais promis de me rendre service le jour où j’en aurais besoin. »

Je tournai ensuite la tête vers la fée. Je me souvenais à quel point mon furet détestait cette garce qui tournait toujours au-dessus de la tête de son maître comme s’il était son prince charmant. Mais le temps s’était écoulé, mon furet n’était plus de ce monde et mon animosité envers cette créature s’était quelque peu estompée.

« Bonjour Dunamys. » lui dis-je alors tout simplement.

Je restai ensuite là, à attendre qu’ils daignent tous les deux me répondre. Je les regardai comme s’ils étaient des êtres venus d’un autre univers. Cela me paru tellement étrange de les voir ici que je me demandai pendant quelques instants si je n’étais pas en train d’avoir une hallucination. Après tout, je ne connaissais que trop bien les capacités que l’œuf d’entropie m’avait légué.

Par rapport à la dernière fois que j’avais croisé la route de Deici et Dunamys, je n’avais pas réellement changé. Certes, j’avais quelques peu grandi. D’apparence, j’avais pris quelques années de maturité. Mes cheveux s’étaient allongés et par rapport à jadis, j’étais beaucoup plus propre. Toutefois, mon visage n’avait pas beaucoup changé. Et puis, de toute façon, comment pouvait-on oublié quelqu’un qui était capable de faire apparaître n’importe quoi, à n’importe quel moment ?
En effet, un collier de fleurs miniatures venait d’apparaître autour du cou de la petite fée. Je haussai légèrement les épaules, désolée de ne pas pouvoir mieux contrôler ce pouvoir après toutes ces décennies. Quoi qu’il en soit, elle pouvait s’estimer heureuse car j’étais capable de faire bien pire et elle devait être bien placée pour le savoir. Un collier de fleurs, c’était plutôt inoffensif. Ce n’était pas comme si je lui avais explosé le bras.

Cet homme, je ne l’avais qu’une seule fois et deux siècles avaient suffi à estomper ma mémoire, si bien que j’aurais été incapable de me remémorer la couleur de ses yeux. En revanche, je me souvenais de sa longue chevelure – mais peut-être que je la confondais avec une autre de mes vieilles connaissances ? – et de sa petite peste volante.
Mais voilà, ce n’était pas le disciple d’Hélios qui faisait face à moi et l’inconnu m’envoya royalement balader. Quant à Dunamys, ce fut avec une pointe de regret que je m’aperçus qu’elle était toujours restée fidèle à elle-même.
Jadis, je n’aurais certainement pas été capable de garder mon sang-froid et sa tête aurait été tranché avant même qu’elle n’aurait pu crier à l’aide. Mais là, debout devant elle, je me contentais simplement de la regarder sans une aucune once de sentiment dans le regard. Elle aurait pu me traiter de tous les noms injurieux que son vocabulaire le lui permettait, je n’aurais pas bronché d’un seul pouce.

« Oui. » répondis-je simplement à sa dernière question.

Mais si je gardais mon calme devant cette impertinente, il n’en fut pas de même pour l’œuf d’entropie – mais puisqu’il faisait désormais parti de moi, pouvait-on réellement l’accuser ? La petite fée put sentir son cou se resserrer, comme si deux mains invisibles tentaient de l’étrangler. Cela ne dura que quelques secondes mais ce temps aura été largement suffisant pour lui faire comprendre qu’elle n’était qu’à deux doigts d’accéder l’au-delà.

« Il ne vaut mieux pas le provoquer. »

Un mince sourire fleurit sur mon visage sans qu’il ne trahisse mes émotions. Et à vrai dire, si quelqu’un avait eu la possibilité de lire dans mes pensées, il n’y aurait alors vu qu’un immense désert aride car je ne pensais à rien en particulier.
Mais après avoir vu la gorge de la fée se resserrer, je me dis que l’œuf d’entropie possédait peut-être une conscience. Cela ne m’aurait pas étonné car lorsque je voulu m’en débarrasser, il avait lancé plusieurs grands sortilèges contre moi.

« Il me semble que ma présence vous déplaît. Dans ce cas, je m’en vais et vous souhaite bon appétit.»

N’ayant pas envie de perdre mon temps avec des personnes qui ne désiraient point discuter avec moi, je me rassis donc à ma table. J’aperçus ma mygale festoyer autour de sa nourriture. Cela m’écœura un peu mais ne m’empêcha pas pour autant de manger.
Après avoir lancé un bref regard au fil de Deici, je reportai mon attention sur mon assiette. Même si le père était un grand idiot, je le préférais tout de même à son fils qui, apparemment, possédait le même caractère trempé que sa fée. Au final, peut-être que ce crétin d’artiste avec fini par se reproduire avec cette peste. Cela ne m’aurait pas étonné. Quoi qu’il en soit, tout ceci ne me concernait en rien.

Pour l’instant, mon seul problème était de me débarrasser de l’héritage que l’œuf d’entropie m’avait laissé (je parlais d’héritage mais peut-être était-il toujours là et avait simplement changé de réceptacle). Et, à défaut de m’en défaire, j’aurais bien aimé trouver un moyen pour brider ces effets magiques aléatoires qui me pourrissaient tant la vie. Naturalia ne m’ayant pas aidé, peut-être devrais-je retourner à Malificum, ne serait-ce que pour vois si mes effets personnels avaient survécu après deux siècles.

Rares étaient les fois où l’agitation régnait au sein du Chardon Ardent. Bien entendu, cet endroit n’était pas exclu d’échanges douteux ou de quelques disputes mais en venir aux mains restait tout de même exceptionnel. A Naturalia, il n’était pas coutume de voir des tables fracassées et les propriétaires des bâtiments étaient des maniaques du bon ordre et de la propreté.
Alors, lorsque deux clients en vinrent aux mains, le gérant sorti de sa cuisine et leur ordonna de cesser immédiatement. S’ils voulaient se battre, qu’ils ne le fassent ailleurs ! Et puisqu’ils venaient de casser un meuble, ils allaient devoir donner de l’argent afin d’en racheter un autre.

« Le père avait une dette envers moi et voilà que le fils s’y met aussi. »

Venant de saccager mon repas, je trouvais cela tout à fait normal – surtout dans une cité comme Naturalia ! - qu’il devait m’en repayer un autre.
Mais tandis que mes propos laissaient à penser que j’étais en colère, ma voix, quant à elle, était restée vide de toute émotion donnant ainsi l’impression que phrase n’avait été qu’une simple remarque. Un peu irritée de me voir déranger pendant mon repas, je préférai tout de même ne pas le montrer ouvertement. Je ne connaissais rien du fils de Deici mais je préférai m’en méfier. Son père possédait de grands pouvoirs. A l’époque, j’étais capable de lui faire face mais à présent, il en était tout autre et mieux valait me tenir à carreaux devant son fils, qui, peut-être avait les même capacités que son géniteur.
Et puis, je ne tenais pas à ce que le gérant du Chardon Ardent ne vienne à penser que j’envenimai les choses. Je n’avais nullement l’intention de me voir rallonger ma facture.

La pauvre Arya, qui venait de se faire écraser une patte par le crâne de Cirdan, tentait lamentablement de se trainer sur le côté. Ne lui accordant pas beaucoup d’attention, je savais qu’elle s’en remettrait. Déjà, je voyais sa patte se cicatriser doucement d’elle-même. Il ne lui faudrait peu de temps avant de se retrouver à nouveau en pleine forme.
Pendant ce temps là, deux gardes venaient d’entrer dans le bâtiment, alerté probablement par une de ces vieilles mégères apeurées. Immédiatement, ils repérèrent les perturbateurs.

« Que se passe-t-il ici ?
_ Il m’a traité de bonne femme et m’a accusé de l’avoir bousculé alors que ce n’est pas vrai.
_ De bonne femme dis-tu ? Pourquoi donc ? »

Songeant que cela allait sans doute durer pendant une petite éternité, je crus bon d’intervenir pour mettre fin à toute cette agitation.

« A ce moment-là, il ne voyait que votre dos et sans doute vous a-t-il pris pour une femme à cause de vos longs cheveux…
_ Ai-je l’air d’une femme ?! »

Les deux gardes attrapèrent le gros par les bras et l’entrainèrent dehors. Colérique comme il était, les agents de sécurité préférèrent le sortir d’ici afin de le calmer un peu. Mais avant de sortir, l’un tourna la tête vers le fils de Deici :

« Vous devriez faire attention la prochaine fois. »

Puis, après s’être excusé pour la « gêne occasionnée », il sortit du Chardon Ardent en compagnie de son collègue et du client qui clamait à voix haute sa virilité.
Clignant plusieurs fois des yeux, c’était la première fois que je voyais quelqu’un aussi complexé par sa personne.

La façon avec laquelle le fils de Deici s’adressa à moi me surprit. Il parlait avec tant de familiarités que je finis par me demander si je n’avais pas quelques troubles de la mémoire. L’avais-je donc déjà rencontré quelque part ?
Mais en fin de compte, cette question ne me perturba pas plus l’esprit que les mots du jeune homme. En effet, celui-ci me proposait de me repayer un déjeuner « à l’occasion ». Les sourcils froncés, je n’étais pas du tout d’accord avec cette façon de faire. Je ne connaissais que trop bien ce genre de personnes. Repoussant toujours les choses dans le futur, cette démarche consistait simplement à repousser un acte qu’on ne voulait pas exécuter.

Mais alors que j’allais protester et réclamer mon du, j’eus la surprise de me voir inviter à m’asseoir à une nouvelle table. Les gestes du fils de Deici étaient maladroits et je m’empressai bien vite de le soulager du protocole avec un :

« Merci, je vois très bien la table où nous allons nous asseoir. Je peux me débrouiller. »

Passant devant lui, je me dirigeai vers le nouvel emplacement où j’allais déjeuner. D’un geste vif, je tirai la chaise et m’assit dessus. Je n’avais jamais compris pourquoi la galanterie voulait que les hommes aident les femmes à s’asseoir. Ces manières étaient puériles et ne visaient qu’à rabaisser les femmes au rang de bonnes à rien. Sommes-nous si stupides au point de ne pas savoir ouvrir une porte ou poser notre séant sur une chaise ?

« Hé bien, je veux bien te dire ce que je sais de ton père mais tu devrais tenir ta fée en laisse. »

Contrairement à Dunamys, je n’avais pas la rancune tenace. En revanche, son regard insistant ne m’échappa pas. Lorsque je me tournai vers elle, j’eus l’impression qu’elle voulait me réduire en cendre. Pourtant, je ne voyais pas réellement ce qu’elle me reprochait. Au fond, pourquoi me haïssait-elle tant ? Cela faisait deux siècles que je l’avais perdu de vue et ce temps avait permis à estomper chez moi la rancœur que j’avais pour cette peste. Mais peut-être était-ce dû à mon côté humain qu’elle ne possédait pas.

Quoi qu’il en soit, je détournai bien vite mon regard d’elle comme si ce n’était qu’un pot de fleurs et demanda à ce qu’on me serve la même chose que tout à l’heure.
Puis, en attendant que mon nouveau repas arrive, je me décidai à raconter dans quelles circonstances j’avais rencontré son père.

« A vrai dire, je ne l’ai vu qu’une seule fois, je crois… Après toutes ces années, je dois bien avouer que je ne me souviens plus de grand-chose… Il me semble que nous nous étions rencontré dans les égouts de Malificium. Il cherchait quelqu’un pour le guider à travers ce labyrinthe pour récupérer un puissant artefact. A l’époque, Dunamys l’accompagnait… »

En évoquant la fée, une question vînt perturber mon esprit.

« Mais pourquoi ne demandes-tu pas à ta fée de tout te raconter ? Elle avait connu ton père, elle est en mesure de te raconter plus de choses que moi à son sujet, non ? »

D’une certaine manière, avec son caractère puéril, il ne m’aurait pas étonné d’entendre dire que Dunamys ne voulait rien révéler à propos de son ancien maître qu’elle vénérait tant. Mais tout comme moi, peut-être que les années avaient fini par ravager sa mémoire et qu’elle n’était plus en mesure de se souvenir du grand disciple d’Hélios. Néanmoins, chez elle, cela aurait signifié que les désastres aurait été bien considérables que chez moi...

« Et que faisais-tu donc pendant la dernière guerre ? »

Alors que je pensais que Dunamys avait épuisé tout son vocabulaire d’insultes, elle me surprit avec un nouveau mot. Pour je-ne-sais-quelle-raison, elle me traita de « nunuche ». A ses yeux, la question que je venais de poser était tout à fait puérile. Étais-je donc censée savoir que la petite fée ne se trouvait pas aux côtés de son cher protecteur durant la dernière guerre ? J’avais lu beaucoup de livres et nul ouvrage ne faisait référence à un humanoïde doté d’une paire d’ailes et d’une langue acide. Sans doute avait-on estimé que ce détail de l’histoire n’avait aucune importance et que seul le disciple d’Hélios comptait… Mais en y repensant bien, je me souvins d’une petite note sur elle, griffonné en tout petit en bas d’une page. Quant au contenu, il ne disait rien d’intéressant, mis à part qu’elle avait la capacité de faire apparaître un bouclier pour protéger le disciple… Bref, à première vue, selon cet ouvrage, on aurait presque pu croire que Dunamys ne s’agissait que d’un familier ou d’un artefact magique...

La petite fée finit par me tourner le dos, apparemment décidée à ne plus sortir un seul mot de sa bouche, ce qui était plutôt bien puisque converser avec elle revenait à discuter avec un chien enragé.
Le fils de Deici profita de cet instant pour m’expliquer précisément ce qu’il attendait de moi. J’aperçu ensuite la serveuse arrivée avec nos repas et préférai donc patienter un peu avant de lui répondre, d’autant plus que mon point de vue sur Deici était diamétralement opposé à celui de Dunamys. D’ailleurs, je me demandai si cela aurait été une bonne chose que de parler de son ancien maître devant elle. A coup sûr, elle allait encore s’énerver et crier à travers tout le Chardon Ardent que je n’étais qu’une pauvre hypocrite incapable de reconnaître la valeur de chacun.
Seulement, je n’eus pas le loisir de tester mes hypothèses lorsque la serveuse déposa les assiettes sur notre table.

« Ce n’est pas ce que nous avons commandé. » laissai-je échapper.

Gênée de s’être trompée, elle reprit les assiettes et les reposa sur son plateau. Après s’être excusée, la serveuse se dirigea à une autre table, s’étant aperçue qu’elle s’était trompée de client. D’une certaine manière, cela m’aurait plutôt étonné si ces assiettes avaient été réellement pour le fils de Deici et moi. Après tout, nous venions tout juste de passer commande…

« Ton père et moi n’étions pas du même camp. Il me sera donc impossible de donner un avis élogieux sur lui, contrairement à ta petite fée.
Pour moi, c’était quelqu’un de pas très futé. Se rendre dans les égouts de Malificium pour quémander de l’aide auprès des ombres est assez suicidaire. Mais bon, peut-être qu’à cette époque, il était en mesure de pouvoir se défendre comme toute une horde de voleurs armée jusqu’aux dents. Cela dit, j’en doute fort car c’était un artiste et non un combattant… Et je ne vois pas trop comment il aurait pu s’en sortir avec un simple crayon. J’admets que ton père savait très bien dessiner et avec une vitesse remarquable… mais les ombres aussi sont très rapides… »

Je fis une petite pause, histoire que le fils de Deici puisse avoir le temps d’assimiler tout ce que je venais de lui dire. Je m’attendais aussi à ce Dunamys me sauta au visage, furieuse des mots profanes que j’avais employé au sujet de son maître. Mais elle aurait beau me lacérer la peau, cela ne suffirait pas à me faire changer d’avis.