Il est onze heures, la cloche de la tour me réveille. Hum... je m'étire comme un chat, d'humeur légèrement grognon comme chaque matin, et puis je me souviens : aujourd'hui, je vois Cal....
Un grand sourire vient remplacer ma mine boudeuse, et je bondis hors de mon lit. Je file dans la salle de bains me pomponner, j'enfile mon corset le plus ajusté – histoire de faire fantasmer mon beau mage ténébreux – sur une robe couleur soleil, peigne mes cheveux et enfile mes bijoux préférés : un lourd collier à double rang de mailles en cuivre, avec un pendentif en forme de rose qui tombe pile entre mes seins, une paire d'anneaux assortis et un bracelet. Ah, oui, et je glisse mon poignard dans le lacet de ma botte gauche : Cal dit toujours qu'on doit se tenir prêt. Normal, pour un mage noir d'être méfiant en permanence...
Satisfaite de mon reflet dans le miroir, je maquille mes yeux et mes lèvres, attrape ma besace de cuir et mon livre sur les plantes médicinales, enfile ma cape rouge et je sors. Dans le couloir, quelques autres mages apprentis discutent, je les salue rapidement et descends dans la rue. La journée s'annonce radieuse, le marbre rose de la Tour Naturelle rutile. Oh, je vais être en retard !
Je me dépêche de prendre le chemin vers la forêt où nous avons rendez-vous, pressée de prendre dans mes bras mon démon blond – c'est comme ça que je l'appelle, s'il le savait il m'égorgerait sans aucun doute !
Sur la route, des fleuristes me tentent avec leurs bouquets ; incapable de résister à leur appel, je cède à un joli arrangement de violettes et de roses blanches, et me voilà partie vers les bois.

Dans la forêt, un camaieu de verts dispute aux rayons du soleil l'éclat de leur fraîcheur. Un point écarlate qui se faufile au milieu attire l'oeil d'un merle perché sur une branche de noisetier ; il suit un instant la jeune femme qui marche en chantonnant, cueille ici et là des plantes, puis l'oiseau s'envole. La mage se dirige sans hésitation vers un chêne tricentenaire, bifurque sur la gauche, et va s'asseoir sur une grosse pierre ressemblant à une grenouille. Là, elle pose son sac et ses fleurs, et sort un livre qu'elle semble étudier.

Le mage s'était, quand à lui, levé bien plus tôt. Aux aurores, pour être précis. Dormir peu, c'était bien sa devise. Chaque heure de sommeil supplémentaire est une heure de travail en moins. Et Cal ne supporte pas perdre du temps. Alors pourquoi ce rendez-vous, vous demanderez vous ? Parce que certains sacrifices sont nécessaires. Un homme ne peut vivre en ermite et conserver sa santé mentale. Un homme a besoin d'aimer, de haïr, ou simplement de cotoyer. Et elle l'amuse. Toujours vive, curieuse... Jamais jalouse, elle ne lui demande pas de rester en place, et il ne l'aurait jamais accepté. Peu de femmes auraient pu correspondre à ces exigences. Par chance, elle rentrait dans cette catégorie. Et si la garder impliquait quelques efforts, un peu enfantin parfois, il s'en acquittait avec tellement de bonne volonté que le jeu devenait réalité. Une sorte d'assiduité amoureuse, en somme, loin du grand amour, mais pas trop. Compliqué ? Parce que vous avez déjà connu une histoire simple ? Franchement, restons sérieux...

Le mage était donc dans les bois, depuis tôt ce matin, observant avec une passion non feinte la structure d'une simple toile d'araignée, forme géométrique intéressante, surface efficiente, taux de mortalité assurée. La forme lui faisait réfléchir à un nouveau type de pentagramme, et ce depuis quelques temps. De meilleures connections, pour une plus grande conductivité. Et perdu dans cette étude et ses dessins, il finit par relever la tête, quelques heures plus tard. Le soleil est haut dans le ciel, à son zénith, voir légèrement passé. Il a du retard. Tant mieux, en un sens. Se faire désirer est aussi appréciable chez une femme que chez un homme. Cela demande juste plus de maitrise. Ni trop, ni pas assez. Il range calmement ses parchemins, attrape son bâton et se met en route.

Aucune difficulté pour la repérer. Elle est là, sage comme une image et plongée dans un livre. Un léger sourire se dessine sur le visage du jeune homme. Qui disparait bien vite. Une petite... Surprise. Il s'approche ainsi, parfaitement invisible, de la jeune femme. Une légère fluctuation de la lumière, elle ne peut rien voir, ainsi concentrée. Quelques pas, et il est juste derrière elle. Elle est belle. Magnifique même. Avec cette concentration dans la préparation qu'ont les jeunes filles par trop peu expérimentées. Cette beauté et cette artificialité un peu candide. Il se baisse doucement, effleurant des lèvres le coup nu de la jeune femme, soufflant un :

"On attend quelqu'un ?"

… Et c'est pourquoi la sève de peuplier a des vertus cicatrisantes...

Bethdenn frémit. Un frisson de plaisir parcourt son corps, frisson ayant pour origine le point précis où les lèvres de Cal se sont posées. La jeune femme sourit, répond sans bouger :

« Hum... oui, quelqu'un de dangereux. Vous devriez partir, si vous ne voulez pas risquer d'être blessé... »

Puis elle se retourne, tend son visage juvénile vers le mage noir, et lui adresse un sourire radieux. Sa joie de le voir irradie, presque palpable.

Mon cœur bat toujours aussi vite quand il est là, que je suis bête ! J'espère que je ne rougis pas, il me prend déjà assez pour une gamine...

Elle prend une inspiration, penche la tête sur un côté.

« Tu es là depuis longtemps ? Je ne t'ai pas entendu arriver. »

C'est une chose qui l'étonnait toujours, la capacité de Cal à se fondre dans son environnement, et à avancer si silencieusement, malgré son handicap et sa canne. Sans oublier sa taille, un vrai géant ; comment un homme aussi grand pouvait-il se faire si discret ? Mystère. En tous cas, il était là, fleurant le parchemin plein de secrets et la marche. Si beau, avec son visage pâle, mangé par des prunelles bleu sombre, des yeux qui sondent l'âme et lui donnaient l'impression d'être nue en permanence. Son auréole de cheveux blonds contrastait avec sa tenue de mage noir, comme un pied de nez insolent à son statut maléfique ; une aura de danger flottait incontestablement autour de son corps frêle et puissant à la fois. Bethdenn retient un soupir, elle a une folle envie de se jeter contre sa poitrine, mais elle sait qu'il déteste les effusions. Elle se contente donc de rester là, attendant qu'il parle, mesurant les battements de son cœur pour qu'ils ne la trahissent pas.

Un très léger sourire s'affiche sur les lèvres du jeune homme. C'est presque trop facile. Parfois, celui-ci se demande si elle ne le fait pas exprès. Pour lui faire plaisir, et combler son orgueil masculin, qui, bien que faible, n'est pas complètement éteint. Et d'une voix douce :

"Les gens dangereux sont souvent ceux qui s'en cachent, ma dame. Mais je ne vois personne ici capable de l'être. A moins que ce ne soit vous."

Un petit rire, doux. Non, à cet instant, rien d'un mage noir si ce n'est son teint pâle et air de grand échalas. Son aura, elle la sent car elle le connait. Mais cette situation, ce voile qui le couvrait, cela lui avait déjà sauvé la vie par le passé, lorsqu'il s'approchait des terres des chevaliers. Un air un peu trop sympathique pour être un danger, et une nonchalance face aux luttes de pouvoir entre les blancs et les noirs. Cela le concernait assez peu. L'agaçait, même. Le pouvoir n'est nulle part ailleurs que dans la connaissance. Tuer son prochain n'a aucun autre but que s'approprier ses connaissances, ou en gagner de nouvelles. Parfois, cependant, il était bon que certains fussent en vie. La connaissance que l'on peut accumuler est infinie. La vie que l'on a est finie. Un être ne peut tout trouver, tout chercher, ni le temps, ni les moyens.

Il se calle à coté de la jeune femme, passant une main autour de sa taille. Un geste tout simple, chaleureux parce que naturel.

"Je t'observais un peu pendant que tu lisais. Ca te va bien, cette mine pensive."

Il ouvre une page du livre à coté de la jeune femme, lisant silencieusement quelques lignes. Et sourit.

"Toujours la botanique. Les sciences du vivant sont complexes. Je suis halluciné et impressionné que tu puisses y mettre autant d'entêtement. Je dois être trop "simple" pour ça."

Tu parles... Mais bon... Encore une fois, il sait que chaque mot, chaque compliment, a son importance. Alors il joue, encore et toujours, le jeu.

Bethdenn suit Cal du regard quand il vient s'asseoir à côté d'elle, observe ses doigts qui manipulent le livre. Des doigts fins, longs, pâles, presque caressants quand ils parcourent l'objet.

Son bras autour de moi, je frissonne encore.

Elle serre sa cape contre elle, et feint d'être captivée par les lignes. L'herboristerie, connaître les plantes et leur utilité dans la vie courante, fabriquer des potions qui sauvent la vie au propre ou au figuré. Elle tente de concentrer son attention sur ces faits, pour oublier le trouble qui l'envahit au contact du mage noir, et son envie de se nicher dans ses bras comme un oisillon perdu. Ce qu'elle est, au fond, abandonnée par celle qu'elle aimait le plus, justement à cause de cet homme si proche d'elle, et à la fois si distant... Bethdenn ne sait pas grand chose de lui, finalement ; bien sûr, ils ont évoqué leur passé, leur parcours, mais... les pensées profondes, les aspirations de Cal lui demeurent inconnues. Quoique, elle connaît sa passion pour la connaissance, et son désintérêt de la politique de Nelberaid. Ces deux points leurs sont communs : l'apprentie n'a aucun désir de guerroyer, ou de se mêler des affaires des puissants. Elle souhaite seulement trouver sa place, acquérir de l'expérience, suffisamment pour pouvoir s'affranchir de toute crainte, en tout lieu. Aller n'importe où, sans se soucier de croiser des ennemis ou un quelconque autre danger... Ne plus se sentir comme une enfant au milieu des adultes, ne sachant comment faire ni où aller pour se sortir d'un mauvais pas...

Elle revient à la réalité pour répondre à son ami :

« Toi, simple ? Non, c'est moi la bécasse qui a besoin d'un livre pour se souvenir des choses... Ceci dit, j'ai tellement lu celui-là que je connais le premier chapitre par cœur, je peux te le prêter si tu veux. »

Elle ajoute, malicieuse :

« Tu crois que je risque un blâme national, pour avoir aidé un mage noir à en savoir plus sur l'art des mages rouges ? »

Sourire franc, lumineux. Au-dessus de leurs têtes, un moineau bat des ailes.

Il la regarde, détachant ses yeux de l'ouvrage. Un blâme ? Pour ça ? Ce ne sont là que des connaissances "basiques". Le vrai savoir des mages rouges est bien plus complexe, et secret. Cal a des doutes sur la possibilité pour une si jeune apprentie de pouvoir à son stade communiquer quoi que ce soit ayant une réelle valeur ajoutée. Mais c'est suffisant pour Cal. Toute connaissance, même infime, est bonne à prendre. A son rythme, il n'aura besoin que d'une nuit pour compulser l'ouvrage et en recopier les passages les plus importants. Peu de choses, en bref, mais pourquoi pas ?

"Tu te sous-estimes un peu trop, jeune fille. Tu es jeune. Tu as de longues années devant toi."

Bien plus que moi, pense-t-il amèrement.

"Intellect sans culture est dangereuse. Culture sans intellect est inutile. La culture dont tu pourras te targuer te sera toujours utile, qu'elle soit écrite ou connu. Aucune importance que tu ne connaisses pas un ouvrage par coeur, l'information est là si on sait où la trouver, c'est l'essentiel. Le reste est un plus appréciable."

Puis, avec une mine faussement pensive.

"Je ne penses pas que qui que ce soit de ton ordre apprendra que cet ouvrage est entre mes mains. Ce sera notre petit secret. Et je te le rendrai très vite."

Ça, par contre, c'est vrai. Il n'aura pas besoin du livre longtemps.

"Et puis tu sais, mages noirs, mages rouges... Nous ne cultivons pas les mêmes connaissances, mais n'avons nous pas le même but ?"

Nouveau grand sourire. Oui, encore et toujours. Et parce qu'il en a envie. Elle lui donne envie de sourire. Un peu pour ça, aussi, qu'il fait un bout de chemin avec elle. Il referme le livre d'un coup, et, sans prévenir, ramène la jeune femme vers lui, lui volant un baiser. Ca aussi, il sait faire. Un plus long suit, ensuite. Puis :

"Et dis moi, ton apprentissage ? Toujours aussi bien ? Tu ne m'en parles plus depuis quelques temps."

Nouveau réflexe en branle : toujours s'intéresser à son partenaire. Encore pplus quand on ne veut pas qu'il s'intéresse à nous. Qu'elle le considère simplement comme un amant, un homme à qui elle pouvait se confier, qu'elle le laisse dans cette visualisation quasiment "divine", sans se soucier de ce qu'il était, sans vouloir briser le mystère entourant le mage noir.

Tu es jeune, dit-il. Encore et toujours cette rengaine. Le temps est-il un si grand ennemi ? Bethdenn regarde ses mains, légèrement potelées, comme le reste de son corps. Des mains qui commencent à subir les effets de la pratique de l'alchimie et de la cueillette de plantes sauvages, le bout de ses doigts est d'ailleurs couleur absinthe – sans doute, ces orties ramassées sur le chemin.
Elle a pris l'habitude d'écouter à moitié les digressions philosophiques de son amant ; lorsqu'il lui parlait de la sorte, elle se sentait comme une élève devant son professeur et si cette sensation était agréable au chaud dans un lit, elle était nettement moins valorisante dans ce genre de circonstances. Ce rendez-vous a-t-il pour but une leçon de vie ? L'impatience la gagne, mais elle se tempère, se force à écouter ce qu'il dit. Au moment où elle se tourne pour le regarder à nouveau, il l'embrasse, baiser papillon, rapide mais doux, comme il sait si bien le faire. À nouveau, cette sensation de vertige ; l'amour est une lente descente vers la stupidité, songe-t-elle un brin acerbe. Mais le plaisir qui l'envahit chasse ses idées noires, et elle s'abandonne à l'instant, nouant ses bras autour du cou de Cal. Les yeux noirs sondent les iris bleus une minute, puis elle répond tranquillement :

 « Mon apprentissage se passe toujours aussi bien, merci. Mais j'aimerais rencontrer quelqu'un qui puisse m'enseigner autre chose que le soin, les boucliers... Ne dit-on pas que la meilleure défense, c'est l'attaque ? n'est-on pas plus fort quand on est le premier à frapper ? »

Cette maxime populaire devrait plaire à Cal ; la rhétorique fait partie de lui, comme cette canne d'ébène. Tiens, d'ailleurs...

« Au fait, tu ne m'as jamais raconté d'où te vient cette canne. Pourquoi est-elle en forme de serpent ? »

Trois ans pour une question aussi évidente. Oui, mais il y a trois ans, elle n'en avait pas vingt... elle était une adolescente naïve, émerveillée par le monde d'adultes auquel Cal lui donnait accès via leur relation, et elle ne s'y risquait que sur la pointe des pieds par peur de tout perdre subitement.
Aujourd'hui elle était plus sûre d'elle, mais son caractère affirmé avait toujours tendance à régresser en présence de l'homme ; sans doute par réminiscence du début de leur aventure...

La jeune femme soupire, et laisse sa tête pendre vers l'arrière, offrant une vue imprenable sur le galbe de sa poitrine au mage. Au moins, la séduction est un domaine dans lequel elle n'a pas d'hésitations.
Elle ajoute tout de même:

"Au fait, je plaisantais, à propos du blâme."

Encore et toujours une rengaine pourtant bien vraie. Elle était jeune, fragile, et encore perdue dans le monde qui l'entourait. Il fallait avouer que Cal appréciait cette situation, se sentant... Plus expérimenté, plus à même de répondre à ses questions qu'elle même ne l'était vraiment. Être à la place du professeur avait quelque chose d'assez... Intéressant, pour le mage, d'assez attirant. Ce pouvoir dont l'autorité intellectuelle nous pare. Oui, c'était assez excitant même, ce sentiment de domination. On a beau se défendre de ses origines, on est mage noir ou on ne l'est pas.

"Suivre l'enseignement de ta robe est essentiel. Changer de voie et papillonner à droite à gauche ne ferait que ralentir ton éducation. Tu dois te concentrer sur ce qu'on t'offre. Et lorsqu'ils n'auront plus rien à t'offrir, alors tu sauras que c'est le moment de passer à autre chose."

Effectivement, c'est là un coté paradoxal chez Cal. S'il apprécie faire trente-six choses à la fois, aller toujours plus vite, faire toujours plus de choses, il est également conscient qu'une connaissance offerte ne doit jamais être refusée, et qu'il faut l'explorer à fond pour espérer pouvoir s'en servir. Sans cela, c'est parfaitement vain d'apprendre.

Sa main passe derrière le cou de la jeune femme, l'attirant légèrement vers lui pour un baiser plus long, plus passionné. Reflétant bien son état d'esprit changeant. Avoir une si belle femme près de lui ne le laisse pas de marbre. Avec toute la nonchalance afférente à l'individu, mais des émotions bien humaines.

Mais elle lui parle maintenant de son bâton. Pas d'émotion visible sur le visage du jeune homme. Sa version est toute faite. Et honnête.

"C'était le bâton de mon oncle. J'en ai hérité après sa mort, comme il n'avait aucun descendant. La fin de notre lignée, en quelque sorte."

Un sourire amer sur son visage, qui ne reste pas. Il ne ressasse pas ce dont il n'a aucune envie de se souvenir. C'était un sacrifice négligeable. Un cadeau offert par le destin. Rien d'autre.

"Alors je la garde. Un jour, peut-être qu'elle ira à mes propres descendants. En attendant..."

Un nouveau baiser, toujours aussi "motivé". Du doigt, il caresse la peau nue offerte de la poitrine de la jeune femme, un doigt fin, doux.

"Je profite de ce que le temps m'a donné..."

Et encore une leçon. Tu n'es pas mon professeur, Cal, tu es.... je n'en sais rien. Je ne sais pas ce que tu crois être pour moi, tu ignores ce que je vos et ressens...
Et c'est très bien comme ça.

Elle réprime une moue, et se focalise sur leurs baisers. Voilà un domaine où ils sont, pour une fois, à égalité. Presser ses lèvres contre les siennes, aller chercher sa langue, mêler leurs souffles, elle connaît. Et apprécie, comme chacun de ses gestes tendres, cette fragile opportunité d'êtrte plus proche du mage, de ses émotions.
J'en viens à me demander si c'est une caractéristique de mage noir, cette froideur permanente... Sans doute pas.

Quand il mentionne d'éventuels descendants, Bethdenn rit.

« Serait-ce une invitation à t'offrir une progéniture, monsieur le mage noir ? »

Elle plaisante, mais l'idée trotte dans sa jolie tête. Un enfant avec lui... un lien indestructible, durable, mais tellement illusoire. Aurait-il les yeux noirs comme elle, ou bleus comme lui ? Bethdenn songe qu'il ne s'est jamais inquiété de ce risque, prenant pour acquis qu'elle savait gérer la situation afin qu'aucun « problème » du genre ne vienne le perturber. Il avait évidemment raison, une herboriste sait comment éviter une grossesse non désirée ; mais la question était ailleurs.
Est-ce que je désire avoir ce genre de relation avec lui ? Légère, insouciante, sans contraintes ni conséquences ? D'ailleurs, existe-t-il un autre type de relation possible entre nous ?

La jeune femme aimerait partager ses questions avec l'homme qui la hante, mais elle craint sa réaction ; il joue avec elle, elle le sait, mais ignore à quel point il feint. Le désir physique est bien réel, mais le reste ? À propos de quoi d'autre est-il vraiment sincère, avec elle ? C'est comme cette canne. Bethdenn sait bien qu'il vient de lui mentir, l'expression d'amertume sur son visage, même fugace, elle l'a vue. Une pointe de regret, ou quelque chose d'approchant, un dégoût ; cette canne n'est pas un héritage familiale, plutôt une acquisition personnelle...
Ce genre de détail lui rappelle qu'elle doit rester sur ses gardes, ne pas trop se dévoiler à celui qui ne lui montre que ce qu'il décide qu'elle doit voir, réel ou non. Elle décide donc de mettre brutalement fin à leur étreinte, bondit sur ses pieds.

« J'ai progressé en magie élémentaire. Je te montre ? »

Et sans attendre, la voilà qui tend le bras vers une touffe d'herbe innocente, juste devant la canne.
Au premier mot qu'il dira, elle s'embrasera.

Le mage noir savoure ces instants purement charnels, sans aucun autre souci que son propre pplaisir, et celui de sa partenaire. Professeur ou pas, c'est un moment privilégié pour deux amants, n'est ce pas ? Et il compte bien en faire un moment unique comme les autres. Un brin cliché, mais tellement vrai. Il s'en détache, doucement, posant une dernière fois ses lèvres dans le cou de la jeune femme, avant de répondre, manifestement amusé, à la question de la jeune femme.

"Nous n'en sommes pas là, douce. Moi, en tout cas, je n'y suis pas. Trop de choses à faire, trop de choses à voir, pour envisager élever qui que ce soit."

Il aurait mieux fait de se taire, se rend-il compte. Pour l'instant, elle le prend avec humour. Mais cette idée lui trottera toujours dans la tête, d'autant plus dangereuse qu'elle est portée par des instincts plus féminins, plus maternels. Et puis, après tout, ils ne sont pas du même monde. Une relation comme la leur ne peut se développer que cachée, et rien n'est plus dur à cacher qu'un enfant.

Puis elle se détache de lui. Une seconde, la crainte de l'avoir vexée. Mais en réalité, elle est là, cherchant son regard et son approbation, lui montrer ses progrès et ses avancées, lui montrer qu'elle est grande, qu'elle grandit, qu'elle le mérite. Sans doute ainsi qu'il doit le prendre. Alors il lui sourit à nouveau, ramenant une jambe à lui, la tenant au genou.

Un simple geste de la main, amusé, pour lui intimer de lui montrer. Il se prête à cet exercice de bon coeur, encore une fois. Il aime la voir ainsi progresser. D'une enfant, devenir femme. D'une apprentie devenir mage. Et lorsque la flammèche s'allume, le mage retire avec vivacité son baton du point d'impact, une lueur dans le regard. Une lueur de fierté, à vrai dire. Il ne peut qu'être fier de celle que, dans un sens, il aime. Elle ne le comprendra jamais, pas plus que quiconque, mais au moins, elle accepte. Il applaudit doucement, hochant la tête.

"Toutes mes félicitations... Que sais-tu faire d'autre ? Le feu n'a-t-il pour vocation qque la destruction ?"

Concentrée sur son art, Bethdenn a à peine entendu la réponse de Cal au sujet d'un enfant. Peu importe, rien de ce qu'il a dit ne la surprend, elle avait anticipé ses réflexions – et partage son opinion, en fait. Du moins sur le plan purement technique.
Donc, la flamme s'allume, et le mage noir a juste le temps de récupérer son bien. Le feu est contagieux : les prunelles bleues luisent un instant, l'apprentie croit y lire de la fierté. Heureuse, elle se prête totalement au jeu, replie les doigts pour atténuer la vivacité du petit brasier qu'elle a créé.

« Merci, merci ! Mais ce n'est rien, ça, j'ai beaucoup mieux pour toi ! Et peut-être un bonus surprise... »

ajoute-t-elle avec un clin d’œil. En effet, le feu n'est plus le seul élément qu'elle peut manipuler - plus ou moins – à sa guise...
Bethdenn recule d'un pas, fixe les flammes, le bras tendu, le poing fermé. Brusquement elle ouvre sa main, et le feu jaillit tel un geyser, dégoulinant d'étincelles qui étrangement, se brûlent pas une fois au sol mais s'évaporent purement et simplement.

« La fontaine de monsieur ! »

déclare-t-elle, monsieur Loyal qui présente ses numéros. Un tour de poignet et le feu semble s'enrouler sur lui-même, jusqu'à devenir un cercle incandescent que Bethdenn, d'un léger mouvement du bras, fait s'élever dans l'air. Au sol, une petite trace sombre témoigne de son passage, mais pas de réels dégâts. La jeune femme fait remarquer ce fait à son ami :

« Tu vois, ce n'est pas si destructeur... Et je peux créer de jolies choses, pouvant s'avérer utiles. Imagine un tel cercle entourant une personne, ce serait une protection efficace non ? »

Elle sourit, et reporte son regard sur le cercle. Sans le quitter des yeux elle abaisse lentement son bras droit, respire profondément. La magie perdure, crépitante, stable. Confiante, la rouquine lève alors les deux mains, mimant le geste d'un archer ; soudain, un flèche enflammée s'en va traverser le cercle lumineux, le faisant exploser en une gerbe de flammèches. Bethdenn éclate de rire, savourant cette pluie de feu qui lui tombe dessus.

« Regarde ça ! Elles sont froides, c'est magique ! »

Son enchantement enfantin est un charmant tableau.
Je sais que tu es content de voir mes progrès, même si la démonstration est un peu puérile, les résultats sont là. Et je vais te surprendre, pour une fois...

Elle s'avance vers lui, le regard intense, se penche pour s'appuyer sur son genou libre.

« Et en cas de danger, maintenant, je peux faire ça. »

Au mot « ça », son poignard glisse en chuintant de sa botte, et vient se placer en face de la pomme d'adam du mage noir. Bethdenn sourit, fière et amusée.
Ça te plaît ?

"Surprise..."

Le mage suit, intéressé, la petite scène se dérouler devant ses yeux. Lui-même montre toujours peu ses capacités sans intérêt. Et il n'y en a aucun pour l'instant, il laisse la jeune fille se concentrer pleinement sur ses capacités. Elle semble fière, elle aussi, de ce qu'elle sait faire. Fierté légitime, qui ira en grandissant. Une fierté qui, chez certains, se mut en un désir de pouvoir, toujours plus important. Mais pour l'instant, impossible de dire si la jeune femme tombera un jour dans ce travers.

"Je n'en doute pas, mais je préfère le voir de mes propres yeux. On a trop souvent affaire à des vantards. Je suis sur que tu n'en es pas une, mais bon... D'autres ne le seront pas. Montre moi."

Et c'est maintenant au tour d'un geyser de flamme de s'écraser au sol, dans un "pfcht" assez peu effrayant. Mais cela reste néanmoins impressionnant, celle-ci semble capable de contrôler à la perfection son jet, signe, si pas d'une maitrise, trop jeune encore, en tout cas d'une grande affinité avec sa magie. Parvenir à concentrer une éruption magique est une chose. La conserver ainsi en est une autre. Et une sacrée autre. Et mieux que tout, imaginer une manière de s'en servir, ce qui reste encore le plus grand défi pour un mage. Il hoche donc la tête.

"Une excellente protection en cas d'agression physique ou d'un corps à corps, oui. "

Et c'est la suite de la démonstration. Une flèche de feu, un classique offensif, mais néanmoins efficace, pour briser une protection encore trop faible. Mais cela reste quelque chose de très concluant pour la jeune apprentie. Et lui aussi se permet un doux sourire devant son amusement. Nouvelle chose qu'il trouve belle. Il ne comprend pas, là, maintenant, cet attachement qu'ont les mages de sa robe pour la douleur, la peur... Elles n'ont rien de beau. Rien de répugnant, bien sûr, et certains actes nécessaires les provoquent, mais on n'a aucun plaisir à voir une femme souffrir pour le principe. En revanche, quelle grâce dans le sourire de la jeune femme, dans son attitude.

Lorsqu'elle s'appuie sur sa jambe, il la laisse faire. Et lorsque le métal froid touche sa gorge, son sourire disparait. Ce geste n'a rien d'amusant. Il est conscient qu'elle ne le prend pas ainsi. Mais dans un monde hostile, il faut se méfier de tous. Et, étonnamment, ce geste pourtant si innocent lui rappelle de mauvais souvenirs. Il n'en montre rien, et sourit à nouveau.

"Il me semble t'avoir conseillé de t'armer pour affronter une personne te mettant en danger. Je te promets que je ne te ferais jamais de mal. Mais si tu ne me crois pas, dis moi ce que je peux faire pour, je tiens trop à la vie pour terminer ainsi."

Un ton amusé pour une situation sérieuse, mais impossible pour la jeune femme de le savoir.

Eh, eh... elle l'a surpris, pour preuve la disparition du sourire du mage. Bethdenn jouit de cet instant de pouvoir, encore qu'il puisse retourner la situation en un éclair, à n'en pas douter, mais il fait celui qui ne peut se défendre. Pour lui complaire.
La jeune femme se recule, attrape son poignard et joue un instant avec.

« Tu tiens à la vie, nécromancien ? Voilà qui est surprenant. »

Un regard rieur pour s'assurer qu'il comprenne la plaisanterie cette fois, et elle poursuit, la lame tournant entre ses doigts.

« J'ai suivi ton conseil, et grâce au pouvoir élémentaire du métal, je peux aussi apprendre à me défendre même les mains liées. Ça peut être très utile, n'est-ce pas ? Bien que je ne cherche pas à me mettre dans une telle situation.... quoique... »

Nouveau coup d'oeil, coquin cette fois. Allusion à peine voilée à leurs jeux nocturnes.
Le poignard va retrouver sa place dans la botte, Bethdenn s'assoit aux pieds de Cal, en tailleur. Ses vêtements écarlates forment une tache rouge, rappelant la nuance de ses cheveux, mettant en valeur l'ivoire de sa peau. Elle le contemple un instant, semblant hésiter ; puis elle se lance :

« Tu veux que je croie en toi ? Alors dis-moi.... pourquoi me mens-tu, parfois ? »

La question, abrupte et subite, creuse un silence épais entre les deux mages. La jeune femme sait qu'elle prend un risque, mais après tout, il lui a tendu la perche. Une preuve de bonne foi, pour souder la confiance.
Est-ce que je peux vraiment avoir confiance en toi, Cal ?
Peut-on croire un démon ?

Une remarque pertinente, mais la réponse est toute trouvée.

"La nécromancie est un art qui consiste à détruire la barrière entre la vie et la mort. Si je ne trouvais aucun intérêt à la vie, pourquoi cultiverai-je cet art ? Ce serait un non-sens. Mais lié ces deux états, le mouvement de la vie et l'infini de la mort, c'est un art des plus... fins, je n'aime pas ce mot, mais là, tout de suite, je n'en trouve aucun autre. Toujours est-il que pratiquer l'art des nécromants ne me pousse pas à vouloir détruire tout ce qui vit autour de moi. Je veux apprendre, rien de plus, découvrir. Et je ne laisse pas une stupide barrière m'en empêcher."

Il passe sa langue sur ses lèvres légèrement asséchées. Oui, c'est bien cela, cette fascination de l'inconnu, ce passage d'un monde à l'autre. L'un sans l'autre, plus rien n'a de sens. Plus rien.

Cependant, la suite est moins... Alléchante que le début. Encore des questions. Elle ne pense qu'à ça, aujourd'hui... Ce qui agace le mage, notez le. Mais encore une fois, on subit et on ne montre rien d'autre qu'une surface aimable.

"Oui, je veux que tu me fasses confiance. Je ne te mens pas, jamais. Et je n'ai jamais rien fait qui puisses te faire croire ça. Ce que je ressens pour toi, tu le sais. Lorsque tu me poses une question, je t'apporte la réponse que je peux te donner. Je ne peux pas tout te dire, et tout n'a pas d'intéret. Mais je te jure que le moindre mot sortant de ma bouche n'est que pure vérité."

Parfois à moitié occultée, parfois carrément oubliée. Mais il ne lui ment, effectivement, jamais. Il tend une main devant lui, comme une invitation charmante pour la jeune femme, vrillant son regard bleu dans le sien, et son sourire angélique collé sur son visage.

'Je ne te mens pas, jamais.'
Oh que si, tu viens de le faire, à propos de ta stupide canne. Et maintenant encore, tu mens. Ce que tu ressens, je n'en ai pas la moindre idée. Tu n'as jamais rien fait qui puisse nourrir mes soupçons, oh non, tu es bien trop doué pour ça.... Je ne suis pas si bête, Cal, je ne suis plus aussi naïve qu'avant. J'ai appris à lire entre les lignes, toutes ces années. À te lire, au travers des façades que tu me montrais.
Ce sourire charmeur et innocent, je le connais aussi. Tu me l'as offert le premier jour, à la boutique d'Aria, et les jours d'après, quand tu as remarqué mon intérêt pour toi. Ce sourire m'a fait fondre, il le fait encore, mais je reste lucide. J'ignore pourquoi tu joues à ce jeu, je ne t'ai jamais demandé cela, jamais rien demandé d'ailleurs.... Je ne sais pas pourquoi tu restes avec moi, hormis pour mon corps, peut-être mon âge te fait-il te sentir plus vivant... Mais au fond, qu'y a-t-il ? Au fond de ton âme ?

Les yeux noirs de Bethdenn se figent, insondables. Elle soutient le regard bleu avec flegme, prend la main tendue, s'approche. L'embrasse avec une douceur mêlée de tristesse, un baiser qui veut dire tant pis. J'abandonne. Puis, elle se fait plus passionnée, brûlante, comme ce feu qui vit en elle, cohabitant avec le froid métal qu'elle utilise pour se protéger.
Je mettrai une armure de métal autour de mon cœur, mon angélique démon, comme cela tu n'auras plus à t'en soucier.
Son corps se presse contre le tissu sombre, ses mains attrapent le visage de l'homme, elle l'embrasse, l'engloutit, le dévore. Oublions les pensées, seul le corps ne ment pas. Cette vérité-là suffira, pour l'instant.
Elle s'assoit à califourchon sur lui, continuant de poser ses lèvres partout sur son visage, dans son cou. Quelle meilleure réponse que celle-là ! C'est ainsi qu'ils fonctionnent depuis toujours, pourquoi changer. Le changement apporte les ennuis... Bethdenn ne veut rien que du bonheur, de la sérénité, du plaisir. Alors soit.
Elle s'arrête, le souffle légèrement accéléré.

« Heureusement que tu ne veux pas tout détruire, je serai déjà de l'autre côté de cette barrière que tu étudies... Viendrais-tu me chercher si j'étais six pieds sous terre, Cal ? »

Sourire presque douloureux, la plaisanterie est peu drôle à vrai dire, mais les mots ne sont plus importants en cet instant.

Jamais. Jamais il ne lui mentirait. Lorsqu'il a parlé du bâton, il n'a pas menti. Même si l'histoire est plus complexe, il s'agit bien d'un cadeau. Et l'incident qui avait eu lieu était dans la droite lignée familiale. Héritage toujours. Il lui disait qu'il tenait à elle, pure vérité. Il n'y avait ppas là amour chevaleresque, pur et exclusif. Mais il tenait sincèrement à elle, voir plus qu'à quiconque sur ces terres. Et pourtant, elle semble si triste, d'un coup, si pensive, si... Mature. Elle a changé, sa petite chose. Il le savait, il s'y attendait. Elle resterait toujours sa petite chose. Et le geste qu'elle accomplit avec sa main en est la preuve. Tellement d'amour dans ce geste, un amour immodéré. Pour lui, pour sa personne, pour nul autre en ce monde. Elle avait quitté sa soeur pour lui, sa vie d'avant, il ne lui donnait pas tout ce qu'elle attendait, et pourtant elle le suivait toujours. Une petite chose fragile. Sa petite chose.

Sans un mot, il lui fait une place sur ses jambes, bien faibles, mais pourtant solides en cet instant. Savourer l'amour qu'une personne vous donne, la vie qu'elle vous offre, et le pouvoir qu'elle vous abandonne. Qu'on le veuille ou non, on est mage noir, ou on ne l'est pas. Et il répond avec une passion croissante à ses avances, dévorant lui aussi la jeune femme, parcourant le dos, les flancs et la chute des reins de ses mains.

Mais encore une question. Un sourire du jeune homme. Au moins, il peut y répondre sincèrement, parfaitement.

"J'irai te chercher où que tu sois. Si tu es de l'autre coté, je trouverai comment t'en faire revenir. J'y consacrerai chaque minute..."

Parce que c'est le but ultime de tous les nécromanciens. Franchir le passage non plus dans un sens, mais dans les deux. C'est une promesse qu'il s'est déjà faite. Il n'a même pas besoin de la refaire à la jeune femme. Sans lui laisser le temps de répondre, le mage repart à l'assaut, plus bouillant encore.

Bethdenn sourit, voilà une réponse qui lui plaît tout à fait. Elle frotte son visage contre le sien, à la manière d'un chat, susurre :

« Hum... ne me tente pas, j'ai presque envie de mourir pour te voir venir me chercher... »

Elle lui mord tendrement le cou, et le fixe avec des yeux rieurs. Ses blagues sont de mauvais goût, certes, mais l'humour même pourri vaut mieux que la tristesse !
Ses mains sur son corps lui procurent des frissons délicieux auxquels elle s'abandonne, pour une fois. Sentant le désir de son compagnon monter, s'échauffer à son contact. Bien, bien... au fond, il y a tout de même quelque chose... de tangible, de fiable. Au moins cela.
J'avais raison, les corps ne mentent jamais. Cherchez l'amour.... cherchez le désir, l'amour ne sera pas loin.
Pendant qu'elle poursuit ses chatteries, câlinant, mordillant, embrassant, picorant, son esprit – une zone sombre développée au contact du mage noir – suit un cheminement bien particulier. La question de l'immortalité, la victoire contre la Mort... la nécromancie est-elle le moyen d'y parvenir ? Outre l'option de se damner bien sûr, un peu trop risquée – et puis, des yeux rouges en plus de ses cheveux, ça ferait trop. Mais pourquoi pas explorer cette piste... allier les vertus curatives de certaines plantes exceptionnelles, à la manipulation des âmes au-delà des limites de la tombe... il y a quelque chose d'intensément excitant dans la perspective de travailler dans ce sens, et le corps de Bethdenn en vibre presque. Elle doit vite réprimer les flammèches qui menacent de sortir de ses pores, si elle ne veut pas brûler vif son tortionnaire adoré ; dans ce but, elle tente de s'écarter un peu de lui, histoire de reprendre son souffle. Ses yeux brillent, des mèches rousses s'évadent de sa savante coiffure, ses taches de rousseur se fondent dans le vermeille de ses joues, ses lèvres sont gonflées et rougies.

« Tu... Si on se mettait plus à l'aise ? Tu n'as pas chaud, dans ces vêtements ? »

Joignant le geste à la parole, elle se libère prestement de sa cape, et entreprend de dénuder son compagnon.

Effectivement, la nécromancie, le meilleur lien entre la vie, la mort, et la manière de passer la barrière. En dire plus nous obligerait à passer par des détails que même vous, amis lecteurs curieux, ne voulez pas entendre, car tels sont les secrets de... Oh mon dieu, cette narration fait penser à un mauvais argumentaire de vendeur de foire, votre narrateur a honte... Mais enchaine !

Or donc -oui, je sais, je m'enfonce- c'est bel et bien dans la forêt que les deux amants mêlent leur sens. Se laissant faire, sans trop de résistance, le jeune homme se laisse dévêtir et... et... Et laissons ça à l'ellipse. Il ne serait pas convenable pour nous de nous mêler des affaires entre deux amants.

Nous ne nous étendrons pas sur l'art de l'ellipse, maitrisé ici à merveille par votre narrateur tentant tant bien que mal de remonter la pente sur laquelle sa narration s'enfonce misérablement depuis quelques lignes.

Toujours est-il que nous retrouvons les deux mages, étendus à même le sol dans le plus simple appareil, avec pour simple matelas la cape du sieur Keran. Tenant la jeune femme contre lui, il attendait, sans un mot dans la fraicheur naissante de l'après-midi -plus UNE remarque sur la narration, mauvaise langue !-. Puis, brisant le silence, dans ces moments un peu stupide où l'on ne sait que dire :

"Pas besoin de mourir pour venir te chercher..."

Ah. Ah ouais, quand même, je savais qu'il n'allait pas demander une clope, mais tout de même. Il se penche sur le coté, embrassant la jeune femme. Avant de se serrer un peu contre elle, et de tâtonner pour ramener la cape rouge sur eux. Oui, commence à faire frisquet, vous suivez un peu ? Enfin bref. Il caresse doucement la chevelure de la jeune femme.

"J'espère que tu ne m'en veux pas, notre vie si... instable. Je ne peux rien te donner d'autres. Mais je te donnerai tout ce que j'aurai."

Un sourire, comme implorant un "ne t'en fais pas mon amour" ? Oui, ce doit être ça, à peu prêt... Difficile, si difficile à dire.

Après les ébats amoureux, en pleine nature, sous le chant des oiseaux.... bon, disons le regard pervers des blaireaux, on a du mal à avoir les idées claires. Et encore plus à dire quelque chose de cohérent, quand votre amant sait particulièrement bien affoler vos sens.
Allongée aux côtés de Cal, Bethdenn savoure l'instant. Le silence est brisé par les mots maladroits du mage noir, si maladroits qu'ils en paraissent étrangement sincères. Étonnée de cette déclaration inhabituellement romantique, la jeune femme se soulève sur un coude, observe le visage de celui qu'elle aime. Il a l'air épuisé mais serein, comme apaisé. Elle lui sourit tendrement, avant de répondre :

« Merci, Cal, mais tu sais que je ne te demande rien. Ce que tu es me suffit. »

Elle se niche contre lui, bien serrée entre leurs deux capes, partage sa chaleur. Bien, si bien, en cette minute bénie d'éternité.... Bon, cette minute de plénitude. Voilà.
Mais le temps étant ce qu'il est – un fichu lapin courant après une tortue qui de toutes façons arrivera avant lui – il file même lors de ces instants ; la fraîcheur persistante qui descend sur la forêt à cette heure rappelle à nos deux amants que s'ils ne veulent pas mourir de froid ici, ils feraient mieux de se rhabiller. Ce que fait, à regret, la rouquine, désireuse de profiter de quelques années de plus avant de donner l'occasion à son ami de partir à sa recherche outre-tombe. Bref.
Elle achève de lacer ses bottes, et se lève.

« Où vas-tu, maintenant ? »

Pas de la simple curiosité, plutôt une entrée en matière. 

Le regard pervers des blaireaux... Il faut avouer que je n'aurai même pas osé la faire celle-là, mais qu'elle a le mérite d'être amusante. Enfin bref, passons. Peu de passages à part les quelques bestiaux du coin, ce n'est pas lus mal. Un mage noir n'a pas besoin d'un outrage aux bonnes moeurs pour avoir une mauvaise réputation. Enfin, de la part de la rousse, une phrase un peu plus rassurante. Ne pas la perdre bêtement, c'est la seule chose qu'il pourrait regretter dans cette relation. Il est là pour elle, et elle est là pour lui.

"Tant mieux. Je n'ai rien d'autre à t'offrir et surtout pas envie de te le promettre. Ne t'ai-je pas promis de ne jamais te mentir ?"

Il laisse la jeune femme se coller à lui. Et se permet de sourire et savourer. Légèrement claqué quand même. La jeunesse a du bon, mais la vigueur déployée par la jeune femme était dure à tenir pour le mage. Il était faible physiquement, et, même s'il compensait en attention ce qu'il perdait en vigueur, son souffle, son coeur avaient du mal à encaisser. Nouvelle question. Encore. Et encore. Et encore.

"Je vais retourner dans le Maleficium, quelques temps. Quelques semaines, sans doute. Besoin de m'isoler. C'est le meilleur endroit pour une robe noire, tu le sais."

Il avait besoin de continuer son "oeuvre". Poser des mots sur du papier, donner consistance à une connaissance fuyante. Là était le vrai défi. Et il avait besoin de se reposer, loin de tout, et surtout des persécutions que les blancs ou les chevaliers lui tombant dessus risqueraient de lui faire.

"Je te retrouverai, comme d'habitude. Je ne t'emmène pas avec moi. Tu ne serais pas bien accueilli là-bas, je n'ai aucune envie de prendre ce risque. Moi-même je n'y vais pas l'esprit tranquille, c'est dire. Alors attends moi."

Encore. Encore et toujours.

Quelques semaines.... besoin de s'isoler.... Bethdenn commenterait bien ce désir de solitude, mais déjà il enchaîne, lui coupant comme toujours l'herbe sous le pied. Pourtant, elle pourrait tellement apprendre là-bas, c'est sûr ! Hélas, une fois la chose déclarée, impossible de faire Cal changer d'avis – et elle ne veut pas risquer de le mettre en colère. La jeune femme ravale donc son amertume, et continue de récupérer ses affaire éparpillées autour d'eux dans la clairière en silence.
… Et puis, non.

« Je pourrais faire comme toi, ne pas me faire remarquer. Qui dit qu'on saura que je suis une mage rouge ? Je ne porterai pas ma cape ! Et puis, si je suis avec toi, je ne cours aucun risque... 


Elle n'a pas arrêté de marcher pendant sa diatribe, ni levé les yeux du sol. Pas envie de voir sa tête, quand elle la lui tient.

Imagine tout ce que je pourrais apprendre, découvrir qu'on me cache ici ! C'est idiot de s'en priver, d'autant que les guerres ont fait assez de dégâts pour calmer tout le monde... Je pourrais me faire passer pour, je ne sais pas, une simple marchande ? Ou une muette ?»

Ça y est, elle recommence les blagues vaseuses, c'est plus fort qu'elle. De toutes façons, perdu pour perdu...
Et quoi qu'il dise – il dira non, tu n'y connais espèce de gamine écervelée, tais-toi tu m'agaces – j'irai. Seule. Et puis si je me fais égorger.... mon âme viendra le hanter.
Tu as promis de venir me chercher...
Elle a terminé, se plante devant lui.

« Écoute, je ne veux pas t'ennuyer avec ça, je dis juste que... ça n'est pas si terrible, tu t'aventures bien dans les pattes des chevaliers, toi. Et ne me dis pas que je suis faible, tu as bien vu que je commence à savoir me défendre. Maintenant, tu dis avoir besoin d'être seul.... Très bien, je ne te suivrai pas. Soit. J'attendrai d'avoir de tes nouvelles. »

Un éclat violet attire son regard, elle l'avait oublié. Bethdenn se penche, ramasse son bouquet un peu fané, et le tend à Cal avec un sourire.

« C'était un cadeau pour toi, j'ai oublié... Tiens, elles sentent encore bon. Un souvenir de moi ! »

Pour que tu ne m'oublies pas.

Prévisible, tellement prévisible. Elle était devenue plus mature, mais restait quelque part la gamine capricieuse et trop curieuse. On avait beau dire qu’il appréciait cela, dans une situation aussi sérieuse, ça n’avait plus rien de divertissant. Et effectivement, il n’allait pas changer d’avis, quelles que soient les chatteries dont seraient capables la jeune rousse. Il ne se départit néanmoins pas de son sourire. Pas question, non, pas question de lui montrer son agacement.

« Tout le monde est en danger dans le Maleficium, Bethdenn. Remarquée ou non. Et je ne pourrai pas te protéger en permanence une fois là-bas. »

Ne pouvant s’empêcher d’observer la plastique généreuse, soit dit en passant, de sa compagne ramassant ses vêtements et se rhabillant. Y’a pas de petits profits, comme on dit.

« Tu ne te prives de rien du tout ici. L’apprentissage que tu as ici est différent en tout point du nôtre, ni plus, ni moins. Et si tu crois que venir en Maleficium va te permettre de toucher les connaissances des mages noirs, nous savons toi et moi que c’est impossible. Tout autant que moi de maitriser le feu que tu domines à merveille. »

Il se redresse légèrement, se rapprochant de la jeune femme, et l’enlaçant, se tenant dans son dos, mains sur le ventre.

« Ce que je fais, ça a failli me couter la vie plus d’une fois. Et je n’ai pas envie que ça te coute la tienne. Compris ? »

Un ton doux, mais ferme. Celui de l’amant, mais aussi celui du maitre. Un maitre bienveillant, aimant, tendre, mais désirant plus que tout le respect. Parce qu’on ne joue pas avec un Keran. Une de ses mains va redresser la chevelure rousse, libérant la place pour les lèvres du mage, nouveau baiser volé au creux du cou –ce qui, vu sa taille, demande une certaine maîtrise du sujet…

« Je reviendrai te voir dès que possible. Les royaumes qui nous séparent ne sont pas si grands que ça. Je resterai peut-être même plus longtemps. Qui sait ? »

Si son amante est sage, oui, qui sait ? La voir débarquer en loosdé chez lui, ce serait… Extrêmement ennuyeux. Il la laisse se détacher de lui, pour lui tendre un petit bouquet. Un sourire du jeune homme.

« Un souvenir ? Mais, Beth, c’est ton image, mon plus beau souvenir. »

Il prend cependant les fleurs, et, une fois rhabillé lui aussi, rangera le bouquet à sa ceinture, en espérant qu’il tienne le voyage. Une main passe, doucement, sur la joue de la jeune femme.

« Et moi, j’espère que tu ne m’oublieras pas… »

On dit toujours que ceux qui pensent sans parler sont ceux qui le désirent plus fort que ceux qui le disent. Difficile à dire si c’est vrai.

Tout est prêt, tout est dit. Bethdenn apprécie les caresses de son amant, et se retourne contre lui pour lui adresse un doux sourire.

« J'attendrai ton retour avec impatience. Ne t'épuise pas à la tâche, il faut que tu sois en forme quand tu reviendras... »

Retroussement mutin des lèvres pulpeuses. Elle l'embrasse tendrement, et chuchote :

« Je ne pourrai jamais t'oublier, tu le sais bien... »

Nouveau baiser, plus langoureux, ses bras noués autour du cou de Cal. Une minute passe, une brise aussi, soulevant la chevelure de feu de la demoiselle. Hélas, toutes les bonnes choses ont une fin, et la mage rouge finit par mettre fin, à regret, à leur étreinte. Elle contemple un instant le visage fin et pâle tendu vers elle, retient un soupir de frustration, sonde les yeux bleus. Indéchiffrables. Il a vite repris la maîtrise de son corps, après leurs ébats passionnés...
Elle se détache lentement de lui, s'enroule dans sa cape rouge. Quelques pas en direction de Naturalia, elle se retourne une dernière fois vers lui. Un regard qui en dit long, tout ce que leur relation lui interdit de dire à haute voix, tout ce qu'elle ne lui dira pas, les mensonges en suspens, les omissions nécessaires. Puis elle part.

J'ai marché sans vraiment regarder où j'allais, je ne sais même pas combien de temps... Mes pensées m'absorbaient trop. Vais-je suivre le conseil – un peu imposé – par Cal ? Ou vais-je lui mentir ?
Malgré moi, je connais déjà la réponse, et des frissons me parcourent à l'idée de sa réaction à venir si jamais...
Je manque de percuter quelqu'un, m'excuse en vitesse et réalise soudain que je suis revenue dans Naturalia. Je regarde autour de moi pour me repérer, et retrouve ma route vers la tour naturelle. Il faut maintenant que je me dépêche, le crépuscule pointe le bout de son nez et j'ai rendez-vous pour dîner avec une autre apprentie.
Demain, j'irai faire un tour à la bibliothèque.