Jenifaël marchait, le regard fixe, dans les allées marchandes. Elle était pensive comme jamais. Du coup, elle perdait toute vigilance, ce qui était loin de lui ressembler. A vrai dire, elle était habituellement toujours sur ses gardes, où qu'elle aille, ayant appris à se méfier de tout. Mais voilà, les récents événements l'avaient plus que chamboulée. Elle était à la fois bouleversée et remplie d'émotion d'avoir enfin retrouvé sa mère, et surtout, de n'avoir pas été rejetée par elle, bien au contraire. L'aigrefine revoyait les yeux de sa mère quand elle la regardait. Malgré ces longues années d'absence, elle l'avait observée comme une mère normale observerait sa fille, si ce n'est plus. Un lien intense s'était créé, d'un coup, comme si c'était une évidence. La sidhe n'avait pas l'habitude de vivre ce genre d'émotions, et surtout de s'y attarder, mais là, il faut dire que c'était une des plus belles choses qui ait pu lui arriver, si ce n'était la plus belle. Mais après cette merveilleuse journée passé avec sa mère, il fallait bien retourner à la réalité, et déjà être confrontée aux ennuis.

Vêtue de noir de la tête au pieds, son armure sous sa cape, les cheveux foncés de l'aigrefine lui donnaient un air sauvage et dur. Elle marchait droit devant, et, si prise dans ses pensées, ne remarqua même pas que les gens s'écartaient par méfiance. Et oui, nous étions à Naturalia et, vêtue comme elle l'était, la rose noire visible sur l'armure, il était évident que beaucoup fuyaient face à ces signes. Jenifaël le remarqua seulement lorsqu'elle entra au chardon ardent, pour se poser un peu et mettre les choses au clair dans sa tête. En effet, une fois entrée, elle alla s'installer à une table. Même si, pour une fois, ce n'était pas voulu, son regard était assez terrifiant. Fixe et droit, les gens la regardaient avec méfiance. Les deux personnes les plus proches de sa table quittèrent même les lieux. Ainsi, un homme du personnel s'approcha, armé d'un couteau. Il ne voulait pas forcément le rendre visible face aux clients, mais en revanche, il comptait bien à ce que l'aigrefine le voit. Erreur fatale, car elle allait de ce fait se sentir agressée...

Une fois à ses côtés, il affirma d'une voix grave qui se voulait ferme :

« On veut pas d'hostilité ici, donc pas de gens comme vous. Partez et je ne vous ferais rien. »

Dans la tête de Jenifael, cela sonna comme un appel à l'hostilité justement. Non mais pour qui il se prenait lui ! Sous prétexte qu'on avait une mauvaise apparence, on a pas le droit de manger dans une auberge comme tout le monde. Ainsi, elle ne comptait pas partir « pour qu'il ne lui fasse rien ». Ce n'était pas un homme comme ça qui lui ferait peur. Mais il y avait du monde, et ils ne se rangeraient certainement pas de son côté une fois la menace lancée. Mais voilà, elle avait son code de l'honneur, et elle ne comptait pas se soumettre à ses ordres comme ça. Et oui, s'il fallait bien retenir une chose à propos de l'aigrefine, c'était qu'elle refusait absolument de se soumettre aux ordres. Elle se leva alors, et sortit sa dague avec un air de défi, alors qu'un brouhaha commença à s'élever dans la pièce.

« Les hostilités, c'est vous qui les créez. »

Il était temps de partir. Si Neelahn tardait trop, elle risquerait de ne pas arriver à temps à la « Fourche du Temps ». Mais avant de reprendre la route, la druidesse décida de passer par le Chardon Ardent. Elle était sur le point de vivre une aventure palpitante et il était hors de question de partir à la découverte du monde sans avoir bien rempli son estomac ! Elle était à Naturalia, une des cités où la nourriture coulait à flot. Il suffisait de s’asseoir à une table, échanger quelques pièces contre les plus fabuleux mets de toute la Création. La druidesse n’allait donc pas tourner le dos à une bonne soupe ou à une succulente tourte à la viande !

Après avoir regardé pour la énième fois l’insigne que lui avait offert Edalion, Neelahn le rangea dans la poche intérieure de sa cape de voyage et tourna à l’angle d’une rue. D’un pas vif et déterminé, il ne lui restait plus que quelques minutes de marche pour atteindre le Chardon Ardent. Sur le chemin, la druidesse adressa un sourire éclatant à tous ceux et celles qui croisaient sa route. Certains lui répondirent de la même manière et d’autres, plus pessimistes, resserrèrent leurs achats contre eux et pressèrent le pas après lui avoir lancé un regard soupçonneux. Loin de se sentir vexée, Neelahn se contenta de tourner la tête et d’avancer fièrement. Ses bras balançaient dans les airs et sans sa tenue de voyage, on aurait sans doute pu la confondre avec une paysanne naïve et insouciante.

Quand Neelahn arriva comme une fleur au le Chardent Ardent, plusieurs regards étaient tournés vers une table. Intriguée, la druidesse les imita et tourna la tête. Elle aperçut alors une jeune femme au visage sévère. En se penchant légèrement sur le côté, elle aperçut le symbole dessiné sur son armure et se sentit pétrifiée sur place.
La druidesse avait déjà eu l’occasion d’en rencontrer. Elle avait même mis les pieds dans leur château avec Xadr et soupçonnait maintenant qu’elle devait être dans leur liste noire. Pendant un bref instant, elle pensa donc que cette femme était venue pour l’éliminer. Cependant, quelque chose ne collait pas. Il était rare pour un soldat de se promener seul. Si cette inconnue avait été en mission, elle aurait eu à ses côtés des collègues. Or, elle était toute seule et dehors, Neelahn n’avait aperçu aucun homme portant une rose sur son armure. L’aigrefine était donc de repos. Mais que faisait-elle à Naturalia ? Voilà qui était bien étrange.

En s’approchant d’elle, Neelahn sentit que cette femme n’était pas réellement à craindre. Ou plutôt, l’elfe devina que durant d’un combat singulier, elle aurait sûrement l’avantage sur la guerrière ; ceci dit, si l’aigrefine se montrait plus intelligente qu’elle, il lui serait malgré tout possible de remporter la victoire.
Depuis quelques temps et pour une raison inconnue, Neelahn était capable de déterminer la puissance de ses adversaires et pouvait estimer ainsi s’il était préférable de se battre ou de fuir. Et cette guerrière qui se tenait devant elle, n’avait, à première vue, rien de bien terrifiant. La druidesse pensa même qu’elle ne devait pas être bien gradée. Malgré tout, l’elfe préféra ne pas trop se reposer sur son instinct. Sous-estimer une personne n’était pas forcément judicieux, d’autant plus que cette inconnue était une femme. Si elle était parvenue à intégrer l’ordre des aigrefins malgré son sexe, cela signifiait forcément qu’elle devait avoir plus d’un tour dans son sac. D’ailleurs, elle devait avoir un sacré culot d’être venue à Naturalia seule en exposant fièrement sa rose.

« Si elle voulait vraiment vous nuire, je crois qu’elle n’aurait pas pris la délicatesse de s’asseoir à cette table. » dit Neelahn lorsqu’elle arriva près du propriétaire et qu’elle aperçu le couteau qu’il tenait dans sa main.

La druidesse s’installa en face de l’aigrefine et, après lui avoir adressé un sourire en guise de salut, elle demanda à l’homme.

« Je voudrais le plat du jour, s’il vous plaît. »

Puis, après avoir hésitée un instant, elle ajouta.

« Vous devriez tous les deux ranger vos armes. Vous faîtes peur à tout le monde. »

Jenifaël soutenait le regard du patron des lieux, en lui renvoyant cet air de défi. S'il voulait procéder de cette manière pour qu'elle s'en aille, alors qu'il en soit ainsi ! Il n'avait de toute façon pas à la virer de son auberge simplement par pur prévention, puisqu'elle n'avait rien fait. Et surtout, elle ne comptait rien faire tant qu'on ne la dérangeait pas ! Pour une fois, elle s'était présentée ici de manière purement pacifiste puisqu'elle souhaitait simplement s'alimenter pour réfléchir de manière posée.

L'aigrefine ne tremblait pas. Certes, elle n'était pas encore bien puissante puisque peu gradée, mais son caractère ne s'affirmerait pas au fil du temps. Et, une de ses forces, qui demeurait aussi être une de ses faiblesses par la même occasion, était qu'elle n'avait pas peur de se lancer dans ce genre d'entreprise, même alors qu'elle n'avait pas le niveau, ou que celle-ci était vaine. Foncer quoi qu'il en coûte, à ses risques et périls évidemment...

Les clients évitaient de croiser son regard en tournant rapidement la tête, comme si elle était capable de les tuer en un coup d'oeil. Pauvres idiots... Croyant donc que tous les individus de cette salle partageaient la position de l'aubergiste, vus les regards qu'ils lui lançaient, la jeune sidhe toute de noir vêtue fut étonnée de voir une elfe blonde contredire l'homme qui la défiait de son couteau. La belle aigrefine se tourna légèrement pour mettre désormais sa dague à mi-distance entre l'aubergiste et la femme qui avait pris la parole. On était jamais trop prudents... Surtout lorsque tout le monde est contre nous. Alors, vues les circonstances, et la prise de position étrange, il vaut mieux se méfier, car ceci peut être un piège. Essayer de gagner sa confiance... Jenifaël ne se laisserait pas berner ainsi. Mais il faut dire que la remarque était néanmoins pertinente. Après, est-ce que ce stupide patron le comprendrait, ça, c'était autre chose... Enfin, voir une femme relevant le niveau intellectuel semblant bien bas et rempli de préjugés de ces pauvres gens était encourageant. Jenifaël le lui fit part, à sa manière...

« Tiens, enfin quelqu'un d'à peu près intelligent. Je croyais qu'ils étaient en voie de disparition ceux là. »

L'aigrefine reçut le sourire avec un plissement des yeux. En gros, cela signifiait *Pourquoi vous mêlez vous de cette affaire ? Vous n'avez pas peur des conséquences, ça va vous retomber dessus tout ça !* Pas qu'elle rejetait son interruption, mais plutôt qu'elle ne comprenait pas en quoi elle méritait d'être défendue en ces lieux, où tout était contre elle. Il fallait avoir un certain courage pour se ranger de son côté et s'opposer à la majorité.
Celle-ci s'installa en face d'elle et demanda à manger. Bon, elle ne pourrait peut-être pas réfléchir tranquillement, mais elle saurait peut-être pourquoi cette femme avait pris la décision de s'opposer un peu à l'opinion générale... Et, si elle l'avait fait, c'était peut être que c'était quelqu'un de bien, aussi. Et ces gens, Jenifaël ne les repoussait pas, puisque de toute manière ils étaient bien rares...

L'aigrefine attendit que l'aubergiste range le premier son arme pour qu'elle fasse de même. Celui-ci fila alors chercher le repas de l'elfe, bafouillant quelques mots inaudibles avec un air renfrogné. Il n'eut d'ailleurs pas la délicatesse de demander si Jenifaël voulait elle aussi manger mais bon, elle pouvait s'asseoir, c'était déjà ça. Elle se rassit alors et laissa apparaître un léger sourire, à l'adresse de l'inconnue...

« De toute façon je n'ai pas un rond. »

L'homme revint rapidement. Il avait gardé son couteau accroché à son pantalon '' au cas où '', et servait le repas à la femme blonde, lui glissant un petit...

« S'il y a un problème, vous serez jugée comme complice... »

Jenifaël l'ayant entendit, elle lui lança un regard noir et, une fois qu'il fut partit, s'adressa à l'inconnue :

« Je ne m’attarderai pas ici, ne vous inquiétez pas. Vous n'aurez pas de problèmes à cause de moi. Ou du moins, s'il y en avait, j'essaierais d’éviter que vous y soyez impliquée dans tous les cas. »

Clairs, précis, sans émotion apparente... Voilà comment les mots de Jenifaël s'évadaient de sa bouche. Celle-ci demeura muette un instant, puis de son regard sombre et froid, elle fixa la demoiselle.

« Vous avez du courage pour une femme d'ici... Pourquoi m'avoir défendue alors que cet acte, je suis certaine que vous le savez, est une source de problème ? »

La guerrière n’avait aucune mauvaise intention. En revanche, ses paroles grinçantes finiraient par en vexer plus d’un si elle ne consentait pas à se taire. Après tout, elle venait de sous-entendre qu’elle était entourée par une majorité d’incapables dont l’intellect’ était aussi élevé que celui d’un poisson frit.
L’aigrefine paraissait sûre d’elle au point que Neelahn se demanda s’il n’y avait pas anguille sous roche. Elle était seule face à une vingtaine de personnes prêtes à défendre leur chère contrée s’il le fallait. Avait-elle donc des collègues, cachés quelque part ? Le fait qu’elle n’avait en plus pas d’argent sur elle renforça le scepticisme de la druidesse. Aux premiers abords, elle l’avait cru inoffensive. Mais la façon de parler de cette guerrière comme si rien ne pouvait lui arriver la forçait à la méfiance.
Et évidemment, en voulant jouer les héroïnes en se mêlant d’affaire qui ne la concernait pas, Neelahn s’attira bien vite des ennuis. L’aubergiste venait de lui souffler à l’oreille quelques mots qui la fit bondir sur sa chaise. Elle ? Une potentielle complice ? Mais avait-il perdu la tête ? Avait-elle l’air d’être un bandit, un être sans vergogne et doté d’une cruauté sans limite ? Outrée par un tel comportement, l’elfe ne sut même pas quoi répondre et s’était contentée de regarder l’homme avec de grands yeux étonnés.

Sans rien ajouter de plus, l’aubergiste lui tourna le dos pour aller s’occuper des autres clients. Pendant ce temps là, l’agrefine tenta de rassurer la druidesse. Elle lui assura qu’elle se tiendrait à carreaux – ou du moins, elle essayerai de faire un effort, ce qui, au vu de son caractère trempé, serait déjà très bien ! Pas très convaincue par ses paroles, Neelahn esquissa tout de même un faible sourire.
Au pire, la druidesse avait quelques connaissances bien placées dans Naturalia. Ces personnes la connaissaient bien et savaient quelles étaient ses vraies intentions. Si jamais elle devait avoir des problèmes au Chardon Ardent, elle irait faire appel à eux.
Contrairement à certaines personnes, Neelahn n’était pas dévouée aux autres. Elle ne passait pas son temps à aider son prochain et à donner des dons à tous ceux qui en avait besoin. La druidesse savait pertinemment qu’elle était loin d’être aussi philanthrope qu’Harmonie ou Edalion. Cependant, il fallait être le dernier des idiots pour penser qu’elle aimait semer le chaos autour d’elle.

Mais alors, pourquoi être venu en aide à l’aigrefine ? Celle-ci, bien curieuse de le savoir, finit par lui poser la question.

« J’avais envie de manger. En laissant l’aubergiste s’occuper de votre cas, j’aurais été dans l’obligation de patienter pendant un moment ou d’aller ailleurs. Or, je suis un peu pressée par le temps. » répondit Neelahn.

Cette réponse ne satisferait peut-être pas l’aigrefine qui y verrait là quelque chose de suspect. Pourtant, l’elfe avait été sincère.
Ne se préoccupant pas vraiment de ce que pouvait penser la guerrière, la druidesse entama son repas avec avidité. Après quelques bouchers, elle releva la tête et proposa.

« Vous voulez que je vous paye quelque chose à manger ? »

Manger devant quelqu’un qui vous observait avait quelque chose de très gênant, d’autant plus qu’on savait que cette personne ne pouvait pas se payer un repas.
Neelahn n’était pas fortunée mais elle pouvait bien se permettre d’offrir un déjeuner une fois de temps en temps. Et puis, il était bien plus agréable de manger avec quelqu’un que tout seul.
Se sentant d’humeur joyeuse, l’elfe tenta d’entamer la conversation avec la guerrière. D’une certaine manière, elle était très admirative devant cette femme guerrière qui avait réussi à se percer un chemin dans un milieu d’hommes armés jusqu’aux dents.

« Et sinon, que faîtes-vous ici ? »

La réponse de l'inconnue surprit l'aigrefine, mais cette dernière ne le laissa nullement paraître. En effet, il s'agissait bien là du genre de prétexte qu'elle aurait elle-même pu donner suite à ce genre de situation. Cela apparaissaient donc pour elle comme une manière de détourner le sujet. Face à cette réponse, elle était donc loin de se douter de la sincérité de l'elfe blonde. Cependant, elle ne lui en demanderait pas plus, respectant le fait qu'elle réponde bien comme elle le voulait. Elle hocha donc simplement la tête en guise d'approbation.

La demoiselle fut ensuite servie, et entama son repas telle une affamée. Cela aurait presque pu faire sourire Jenifaël, qui constata que le fait qu'elle ne voulait pas attendre plus longtemps était finalement peut être vrai. Une fois qu'elle eut calmé un peu sa faim, l'inconnue lui proposa tout de même à manger. Mais la sidhe n'allait sûrement pas lui demander cette faveur, elle en avait fait suffisamment déjà. Et puis, elle pouvait bien tenir encore. Parfois, elle ne mangeait pas pendant plusieurs jours. Sa faim était finalement guidée par le fait que quelque chose était à disposition, sinon, elle s'en passait. Et avec tous les rebondissements qu'elle avait vécus, elle n'avait pas faim.

« Non, je vous remercie, ça ira. »

Songeant à ce qu'elle puisse être gênée de se sentir observée, la jeune sidhe tourna la tête et observa les alentours avec un regard vide et ailleurs, lorsque vint une question.

« Et bien... Je pensais venir ici pour être au calme et réfléchir posément, mais j'ai été bien idiote. Et vous alors ? Qu'est ce qui vous a amené ici ? »

Il est vrai que si l'aigrefine avait su qu'il en serait ainsi, elle ne serait pas venue ici... Surtout qu'elle était de bonne humeur pour une fois, suite aux heureux événements précédents. C'était d'ailleurs certainement pour cela qu'elle avait voulu se fondre dans la société. Mais c'était clairement un échec... Enfin...

« Je m'appelle Jenifaël. Et vous ? »

Se présenter, après tout, elle lui devait bien cela.

Étrange. Pourquoi une aigrefine se rendrait-elle seule dans une auberge si elle n’avait même pas faim ? Ne serait-ce donc, en fin de compte, que de la pure provocation ? Ne comprenant pas son geste, Neelahn l’observa un instant, attendant que celle-ci s’explique. Cependant, la réponse à sa question muette n’arriva pas et la druidesse finit par retourner au contenu de son assiette.
La druidesse mangea avec avidité, comme si cela faisait trois jours qu’elle n’avait pas eu l’occasion d’avaler quoi que ce soit. En y regardant de plus près, on pouvait cependant constater qu’il ne s’agissait là que de la pure gourmandise. Ceci dit, même si l’elfe s’extasiait devant l’onctuosité de sa sauce et le fin découpage de ses légumes, il ne fallait pas oublier qu’elle se remplissait le ventre car elle savait que dans les jours à venir, la nourriture viendrait peut-être à lui manquer et ne serait certainement pas aussi goûteuse qu’au Chardon Ardent.
Tout en mangeant, Neelahn n’oublia cependant pas l’aigrefine qui donnait l’air de vouloir se faire oublier. Prise par la curiosité, la druidesse finit par lui demander ce qu’une femme de son statut pouvait bien faire à Naturalia. D’une voix posée, la guerrière lui expliqua qu’elle recherchait un endroit où méditer, ce qui surprit Neelahn. N’y avait-il donc aucun endroit où elle pouvait être tranquille là où elle venait ? On disait que le chaos régnait en Malificium mais l’elfe avait du mal à concevoir qu’il était impossible de trouver un lieu calme et propice à la réflexion.

« Je traverse cet endroit pour me rendre à Eternia. » expliqua-t-elle lorsque l’aigrefin lui retourna sa question.

La druidesse n’en dit pas plus, pas parce qu’elle avait peur que l’aigrefine se mette à comploter contre elle mais tout simplement parce qu’elle ne voulait pas s’attarder dans les détails, se disant que cela finirait sans doute par ennuyer son interlocutrice.Et puis, il aurait fallu que Neelahn se mette à discourir pendant des heures et des heures pour faire comprendre à la guerrière son envie d’aller s’aventurer dans les Montagnes Interdites et au bout du compte, on aurait sûrement fini par la considérer comme folle.
En même temps, de l’aigrefine et Neelahn, l’histoire de la guerrière semblait être la plus atypique. Ce n’était pas tous les jours qu’une personne se rendait dans le camp ennemi afin de pouvoir méditer au calme. Du coup, la druidesse aurait bien aimé en savoir davantage sur les motivations de sa nouvelle rencontre. Qu’espérait-elle réellement trouver à Naturalia ?
Mais tandis qu’elle s’apprêtait à poser la question qui lui brulait les lèvres, l’aigrefine crut bon de changer de conversation. D’une certaine manière, elle avait eu bien raison car cela lui éviterait ainsi les mille et une questions de la druidesse. Ou pas.

« Je m’appelle Neelahn, enchantée de vous connaître. »

Lorsque Jenifaël s’était présentée, Neelahn avait levé le nez de son assiette pour la jauger un instant. Pour une aigrefine, Jenifaël était plus tôt un joli prénom. Difficile de croire avec un nom pareil que cette femme était une redoutable guerrière…
Toutefois, la druidesse décida de ne pas dévier du sujet initial et finit par demander :

« Que pensez-vous faire maintenant que vous êtes ici ? Vous comptez vous promener un peu ? »

Neelahn se montrait curieuse mais le ton qu’elle avait employé était loin d’être celui d’une commère. Elle aurait pu s’adresser à un touriste venu visiter Naturalia, on n’en aurait pas vu la différence. D’ailleurs, la druidesse voyait mal Jenifaël retourner là d’où elle venait si « vite ». Après tout, elle avait dû faire un long chemin pour arriver jusqu’à la cité des mages rouges. Pour l’elfe, il aurait été dommage de faire demi-tour sans avoir pu profiter de tout ce que Naturalia pouvait offrir.

Eternia. Un nom qui ne voulait strictement rien dire pour Jenifaël. A vrai dire, la sidhe avait passé la majeure partie de sa vie dans un autre monde, un ailleurs si lointain et différent de Nel Beraid... Elle avait pu voir Bénécius... Un peu. Le château plus particulièrement, vis à vis de son passé. Aussi, Malificium était devenu son habitat en quelque sorte, même si elle ne s'y plaisait pas spécialement. Au moins, là-bas, on la laissait tranquille, mais elle préférait tout de même les lieux moins peuplés, plus naturels, où elle avait passé la majeure partie de son enfance. Enfin, Tout ça pour dire qu'elle ne connaissait pas Eternia. Et non, elle ne voulut, dans un premier temps, pas passer pour une inculte, et ne pas s'éterniser sur le sujet. Cependant, son regard insignifiant montrait qu'elle ne pouvait pas s'imaginer une seconde à quoi ressemblait cet endroit. Et, même avec le léger « Hum. » qu'elle lâcha, on pouvait comprendre qu'elle n'était de ce monde que depuis peu. Mais la belle aigrefine n'était pas de nature curieuse. Et, même si elle aurait bien eut besoin d'une tutrice pour connaître ce monde, elle ne le dirait pas... Puisque pour d'autres choses, comme l'art de la guerre par exemple, elle était son propre modèle, et c'en était bien suffisant.

Neelahn était aussi un joli nom, et la demoiselle le portait certainement mieux que Jenifaël portait le sien en terme de personnalité. Ou alors, il fallait creuser très profond pour capter la belle âme de l'aigrefine. Et cela était réservé à un nombre très restreint de personne. Pour le moment, il n'y en avait qu'une qui pouvait le déceler clairement : Sa mère.


« De même. Vous êtes... druide ? »

Jenifaël n'en avait jamais rencontré, mais celle-ci lui semblait bien en avoir les traits. Et, même si les statuts ne révélaient pas le fond de la personne, l'aigrefine s’intéressait à l'idéologie de chacun. Même si la sienne restait la meilleure, évidemment. Et puis, ayant longuement vécu dans la forêt, celle-ci ne se sentait pas bien loin de la leur à ce niveau là. Bon, le pacifisme de ces gens, en revanche, c'était une autre affaire.

La femme blonde lui demanda ensuite ce qu'elle comptait faire. A vrai dire, elle n'en avait aucune idée dans l'immédiat. Elle disposait d'un peu de temps avant de revoir sa mère, mais ne savait absolument pas comment l'occuper pour le moment, surtout ici. Elle ne connaissait pas Naturalia, et à part s'attirer des ennuis, elle ne savait pas comment les prochains jours allaient se goupiller pour elle. Enfin, vivre au jour le jour faisait parti de son idéologie, entre autre.

« Hum... Je ne sais pas. Mais je crains ne pas être la bienvenue à Naturalia. Je devrais cependant y rester, étant donné que j'ai à faire ici dans quelques jours. Par hasard, connaissez vous des endroits où je ne serais pas dérangée ? »

A voir son air sceptique, Neelahn doutait que l’aigrefine connaisse Eternia. Et visiblement, elle n’avait pas envie de s’attarder sur le sujet. Hé bien soit. Elles parleraient donc d’autres choses. Ceci dit, la druidesse ne savait pas quels étaient les sujets de conversation favoris des aigrefins. Quoi que. En réalité, elle avait bien sa petite idée mais préférait ne pas y penser puisqu’elle aurait eu bien du mal à suivre cette pente-là.
Et tandis qu’elle se tracassait l’esprit à se demander quoi elle pourrait parler avec Jenifaël, celle-ci abrégea naturellement ses souffrances en lui demandant si elle était une druidesse. Les yeux écarquillés, Neelahn se demandait comment l’aigrefine avait fait pour le deviner en un clin d’œil. Cette femme était décidément impressionnante !

« Vous cernez très vite les gens. Vous êtes remarquable. »

L’ordre des aigrefins avait dû être très fier d’avoir recruté cette perle rare. Ça, l’elfe en était certaine. Dommage qu’elle n’ait pas plutôt préféré le camp des chevaliers. Leurs aspirations étaient plus nobles que celles des aigrefins. Ceci dit, Jenifaël avait fait son choix et Neelahn ne tenait pas à lui faire changer d’avis. De plus, la druidesse était contente d’avoir pu mettre la main sur un aigrefin qui cassait ce mythe du grand barbu alcoolique qui aimait fracasser tout sur son passage avec sa grosse hache. Au moins, l’elfe avait désormais la preuve qu’ils n’étaient pas tous à mettre dans le même panier ! Comme dans tous les statuts, il y avait des personnes correctes et moins correctes. En somme, l’habit ne faisait pas le moine…

Curieuse de savoir ce que Jenifaël comptait faire à Naturalia, Neelahn lui posa la question. L’aigrefine lui répondit alors qu’elle n’en savait rien. Sa réponse avait l’air d’être honnête et la druidesse acquiesça une fois de la tête.

« Hé bien, pour être tout à fait franche avec vous, nous sommes dans une cité et je pense qu’avec votre armure, vous ne passerez pas inaperçue, où que vous irez. Mais sinon, je pense que les termes et la cascade enchantée doivent être des lieux assez paisibles… Cela dit, je n’y suis jamais allée. La plupart du temps, lorsque je me rends à Naturalia, c’est pour faire du commerce. »

Désolée de ne pas pouvoir la renseigner davantage, Neelahn haussa les épaules en signe d’excuse et plongea une nouvelle fois sa fourchette dans son assiette. Elle n’avait fait que de le sous-entendre mais si Jenifäel voulait qu’on la laisse en paix, il vaudrait mieux pour elle qu’elle ne se change. Avec tous les marchands qui trainaient dans le coin, Neelahn était certaine que la guerrière trouverait quelque chose à son goût et qui la rendrait, par la même occasion, plus discrète. Cependant, elle paraissait si fière de son ordre que la druidesse se demandait réellement si elle accepterait de revêtir autre chose que sa précieuse armure.

« Vous êtes venue ici pour le travail ou c’est strictement personnel ? »

Maintenant que Jenifaël lui en avait dit un peu plus sur elle, Neelahn avait bien envie de connaître tous les détails de sa venue. Évidemment, la façon évasive avec laquelle la guerrière avait répondu à sa question précédente laissait deviner qu’elle ne comptait pas raconter à la première inconnue toute son histoire et ça, l’elfe pouvait bien le comprendre. Cependant, mieux valait essayer que d’avoir des remords. Qui sait, peut-être qu’en demandant gentiment, Jenifaël accepterait de lui répondre…

La demoiselle était en effet une druide. Il faut dire qu'une elfe portant une fleur dans les cheveux était rarement assimilée à une guerrière ou à une autre caste que celle des druides. Cependant, Jenifaël capta une pointe d'ironie dans les paroles de Neelahn. Peut-être était-ce son surplus de susceptibilité qui l'avait captée, mais quoi qu'il en soit, elle n'aima pas son ton, ce qui justifia son regard noir. Cependant, elle se contint, tout d'abord pour ne pas s'attirer de nouveau des ennuis ici, mais aussi parce que cette femme l'avait « aidée » juste avant, et que ses intentions étaient peut-être purement naïves... Ou alors elle se payait sa tête depuis le début. Et si l'aigrefine en venait à cette conclusion... Non, il ne valait mieux pas y penser.

« Hum. »

Heureusement, sa réponse suivante lui parut bien plus sincère que la remarque précédente.
Son armure... Oui, ça y jouait certainement, l'aigrefine le concevait. Néanmoins, elle ne la quitterait pour rien au monde. Celle-ci était une protection considérable, surtout lorsqu'elle traînait en terrain hostile. Or, tout terrain était hostile tant qu'il y avait des Hommes qui y passaient. Donc, elle garderait tout le temps son armure. C'était un fait inchangeable.

« Bien. Les thermes... j'en viens. Je me dirigerais donc certainement vers la cascade enchantée pour être au calme. »

Elle hocha la tête en guise de remerciement pour sa suggestion pertinente. Elle ajouta ensuite, instinctivement :

« Qu'est ce qu'une druide peut bien chercher à acheter dans une cité ? La nature devrait vous suffire, à vous et à nous tous d'ailleurs. »

Puis Neelahn lui posa une question plus personnelle, qui lui rappela instantanément la merveilleuse « rencontre » qu'elle avait vécue quelques heures plus tôt. Son regard évasif en disait long.

« Personnel... Mais où que j'aille, je travaille tout de même, en quelque sorte, à servir mon code, quelque soit ma motivation première. »


Jenifaël se surprit à dire cela. Pourtant, c'était très sincère et vrai, mais elle le gardait généralement pour elle. Mais bon, elle n'avait pas peur de le dire, comme elle n'avait pas peur de cette druide, même si cette dernière la battrait presque à coup sûr en combat. La belle fit un mouvement de tête pour écarter ses longs cheveux noirs de son visage, geste purement caractéristique de la sidhe qu'elle était par sa coquetterie, mais loin de l'idéologie que l'on se faisait des aigrefins. C'était donc assez intriguant et amusant à regarder. Puis, elle fixa l'elfe blonde et demanda froidement, mais pas d'un ton provocateur cependant :

« Et vous ? »

« C’est vrai mais, par exemple, là où j’habite, personne ne sait forger le fer ni concocter des potions de soins puissants donc si nous voulons des armes ou soigner un de nos congénères, il faut nous rendre à Naturalia. Et puis, vendre à la cité une partie de nos ressources nous permet d’avoir un peu d’argent… Lorsqu’on sort de la forêt, il vaut mieux avoir quelques pièces sur soi… »

De manière générale, faire du commerce à Naturalia permettait également aux druides d’avoir un contact avec la « civilisation ». C’était un moyen pour eux de connaître les dernières nouvelles de Nel Beraid et de ne pas rester trop isolé du reste du monde. Néanmoins, Jenifaël avait raison de dire que la nature offrait déjà l’essentiel pour vivre... Ceci dit, il était toujours intéressant de voir ce que possédaient les cités qui débordaient souvent d’imagination et d’inventivité. En somme, il y avait toujours quelque chose d’intéressant à apprendre partout où on allait, à condition bien sûr de se montrer un peu curieux.

Et en parlant de curiosité, Neelahn s’était peut-être montrée trop indiscrète envers l’aigrefine lorsqu’elle lui demanda pour quelle raison elle était venue à Naturalia. La réponse de la femme fut d’ailleurs évasive, ce qui fit comprendre à l’elfe qu’elle n’avait pas envie de révéler les détails de sa venue à une « inconnue ». D’ailleurs, elle finit même par lui retourner la question. Cependant, n’ayant rien à cacher, cela ne gênait pas Neelahn d’expliquer ce qu’elle pouvait bien fabriquer dans un endroit comme Naturalia.

« Comme je vous l’ai dit, je me rends à Eternia. En fait, j’habite dans la forêt et pour atteindre les montagnes, je suis un peu obligée de passer par la cité des mages rouges. Puis, j’en ai également profité pour acheter une carte. Mes amis ne voyagent pas beaucoup donc si je veux une carte, il vaut mieux que je me rende dans une cité comme Naturalia. Vous voulez voir ? »

Fière de sa nouvelle acquisition, Neelahn n’attendit pas réellement la réponse de l’aigrefine et sortit de son sac la fameuse carte. C’était la première fois qu’elle avait entre les mains un plan aussi détaillé de Nel Beraid. Sur toutes les anciennes que l’elfe possédait, il existait toujours un endroit vierge avec un grand point d’interrogation. Des fois, un cercle était tracé autour le territoire inconnu et un nom était griffonné à la va-vite à l’intérieur. Mais là, avec sa nouvelle carte, Neelahn avait tout. Bien entendu, elle se doutait bien que plusieurs détails n’y avaient pas été inscrits. Cependant, pour quelqu’un qui voulait avoir une vue globale de Nel Beraid, c’était très bien (ou du moins, cela restait toujours mieux que les cartes à trous que Neelahn avait en sa possession).

« Elle est jolie, hein ? Nous, nous sommes là et moi, je vais dans le Sud, ici. »

Pointant son doigt sur un point de la carte, elle le fit glisser jusqu’à un autre. Neelahn se doutait bien que Jenifaël savait lire un plan. Après tout, elle avait bien dû ça pour arriver à Naturalia, n’est-ce pas ? D’ailleurs, l’elfe n’avait aucunement l’intention de froisser l’aigrefine et cette dernière put constater qu’elle désirait simplement lui montrer le chemin qu’elle comptait suivre… En volant… car oui, pour pouvoir emprunter le tracé qu’elle effectuait, il était clair qu’il valait mieux avoir des ailes.

« Par contre, je me demande si je ne devrai pas contourner ici parce que j’ai l’impression que les pics de montagnes sont vraiment hautes… »

Jenifaël hocha la tête suite à la justification de la druide. Elle comprenait ce besoin de se rattacher à la civilisation pour accéder à des besoins secondaires, néanmoins, elle n'était pas convaincue que ce soit primordial. Celle-ci était persuadée que les Hommes ne se contentaient pas du nécessaire, mais avaient besoin de futilités. Bref, cela la renvoyait à son mépris pour les humanoïdes. Et ce n'était pas par rapport à un cas particulier, ou à la druide suite à sa remarque. Non, elle s'adressa là à tous les êtres humains.

Naturalia était donc un passage obligé pour Neelahn. Ainsi, elle en avait profité pour faire ses achats. Dans ce cas, elle avait eu raison. Cette dernière s'emballa d'ailleurs en parlant de l'acquisition d'une carte. La sidhe, un peu lente à la détente quand il s'agit de discuter, ne prit pas le temps de placer sa réponse, car l'elfe semblait absolument vouloir montrer son objet en effectuant les premières actions pour la récupérer. Jenifaël la laissa faire, donc, et laissa naître en elle un ébahissement exagéré pour une personne d'ici. En effet, cette carte la bluffait et l’intéressait au plus haut point. Elle qui venait d'un autre monde, elle n'avait jamais pu comprendre la disposition des contrées de ces terres car elle n'était là que depuis peu. Ravie, elle explora les quatre coins de la carte avec un regard énormément curieux, telle un enfant. Tellement prise dans son observation, elle n'écoutait plus vraiment les paroles de la druide. Seule le mot « jolie » résonna à ses oreilles, suite auquel elle pu donc acquiescer, penchée sur le parchemin. Avec un air évasif, elle suivit les doigts de Neelahn et lui répondit :

« Oui, je crois que ce serait préférable... »

Jenifaël était fascinée de découvrir enfin le monde dans lequel elle vivait, il était inhumain de ne pas s'en rendre compte.

« Je... Je n'ai jamais su dans quel monde je vivais... »

Cette phrase pleine de mystères était pourtant bien vraie... Toujours fixant la carte, elle poursuivit :

«  Le désert est immense ! Tu y es déjà allée ? »

Et, comme si la druide avait trouvé, grâce à cette carte, de quoi satisfaire la sidhe en attirant son attention positivement, Jenifaël était d'un coup passée au tutoiement.

Un énorme sourire fleurit sur les lèvres de Neelahn lorsque l’aigrefine approuva ses dires. Pourtant, en y regardant de plus près, l’elfe s’aperçut rapidement que la femme n’écoutait pas réellement ce qu’elle lui racontait. En fait, elle avait l’air de prêter une attention toute particulière à la carte, ce que Neelahn trouva étrange. De là où elle venait, n’avait-elle donc jamais eu l’occasion de se pencher sur un plan ?
La druidesse fut encore plus étonnée lorsque Jenifaël lui révéla qu’elle n’avait jamais su dans quel monde elle vivait… Quelle étrange personne ! Comment avait-elle fait pour arriver jusqu’à Naturalia si elle ne s’était pas penchée sur une carte ? S’était-elle laissée indiquée par le chemin par ses confrères ? Même les druides qui ne sortaient pas beaucoup de chez eux savaient à quoi ressemblaient plus ou moins à quoi ressemblait Nel Beraid…
Du coup, lorsque l’aigrefine demanda si Neelahn avait déjà mis les pieds dans le désert, celle-ci sursauta.

« Hein ? Quoi ? Non laisse tomber cet endroit, il n’y a rien à voir, je t’assure. Du sable, du sable et encore du sable. Le paysage est à mourir d’ennui. Les animaux sont quasi inexistants. D’ailleurs, je me demande même comment le peu qui y vit parvient à survivre. Il doit y avoir à peine trois points d’eau dans cet endroit. Le jour, il fait une chaleur étouffante. Si tu n’as pas de chaussure, le sable te brûle les pieds. La nuit, tu as des tempêtes et aucun endroit pour t’abriter. Comme je te l’ai dit, là-bas, il y a du sable, du sable et que du sable… Je me demande comment les nomades font… Moi, j’te dis, ces gens-là, ils ne sont pas comme nous. Ils ne sont pas normaux. »

Une fois son monologue terminé, la druidesse piqua rageusement sa fourchette dans son assiette. Et dire que le désert menaçait d’engloutir tout Nel Beraid ! Si au moins, le désert possédait une végétation luxuriante avec de jolis arbres et de mignons petits animaux, Neelahn se dit qu’elle se serait adaptée. Mais là, comment pouvait-on survivre dans un endroit où il n’y avait rien ? Bien entendu, avec sa capacité à faire pousser des plantes, l’elfe aurait toujours un moyen pour se nourrir mais rien n’était mieux que de cueillir une fraise qui avait grandi naturellement.

« Et puis bon, à coup sûr, ça doit être un nomade qui a dû dessiner cette carte. Je n’arrive pas à croire que le désert soit si grand et la forêt si minuscule. Maintenant que tu me le fais remarquer, je pense que j’ai dû me faire arnaquer… »

Tout comme Jenifaël, Neelahn était passé du vouvoiement au tutoiement sans s’en rendre compte. Emportée dans ses convictions, la druidesse ne faisait plus attention à ce genre de détail.

« Je comprends pas pourquoi les mages restent tranquillement dans leur tour à bouquiner. Ils devraient plutôt chercher à stopper l’avancée du désert… Si ça continue, on va tous se transformer en nomade... Pfff »