Enfin de retour chez soi ! Jamais Neelahn n’avait été aussi heureuse de retrouver sa forêt (à part peut-être lorsqu’elle avait passé un séjour dans le désert). Les arbres, les sangliers, les cerfs, les lapins, les fleurs, les abeilles, … Ils lui avaient tous manqué ! Du coup, lorsque la druidesse arriva chez elle, la première chose qu’elle fit fût d’aller enlacer le tronc du grand arbre qui soutenait sa cabane. Évidemment, quelques-uns de ses amis – c’est-à-dire, tous ceux qui étaient présents à ce moment là- se moquèrent d’elle.

« On voit bien que vous n’avez jamais été éloigné de la végétation très longtemps !
_ Oh arrête, je suis sûr que tu as eu l’occasion de discuter avec quelques racines à Eternia !
_ Il n’y en avait pas autant qu’ici ! »

Après s’être reposée, Neelahn consacra son temps à retaper sa nouvelle cabane. Avec l’aide de plusieurs de ses confrères, ils reconstruisirent la quasi-totalité de l’habitat. Le toit fut remplacer, le plancher fut entièrement refait, … Ils y passèrent des jours et des jours. Évidemment, pendant ce temps-là, Tigrou ronchonnait dans son coin. Avant, son amie dormait déjà à plusieurs mètres au-dessus du sol. Mais là, avec sa nouvelle demeure, elle allait encore se rapprocher un peu plus des étoiles et le tigre avait horreur de ça ! Dès le début, il avait clairement fait comprendre à la druidesse qu’il ne viendrait pas lui tenir compagnie. Déjà, rien que dans son ancien habitat, il avait failli mourir plusieurs fois, surtout lorsque cette sotte de Bellinda avait voulu le faire descendre au sol…

Mais Neelahn, quant à elle, connaissait bien la vérité. Tigrou n’aimait pas la hauteur. Ce n’était pas un oiseau, c’était un tigre grognon qui se faisait vieux. D’ailleurs, cela faisait un petit bout de temps qu’il ne l’avait plus accompagné dans ses aventures. Commencerait-il donc à fatiguer ?
Tout en faisant pousser des plantes grimpantes sur les murs de sa cabane, l’elfe se demandait quel âge avait son ami. Elle le savait âgé mais depuis quelques temps, elle avait l’impression qu’il était vraiment âgé…

Quand le soleil atteignit son zénith, la druidesse décida de faire une pause. Après être descendu de son nid, elle alla prendre son déjeuner aux côtés de Tigrou. Celui-ci avait l’air de toujours lui en vouloir mais apparemment moins que la fois où elle lui avait fait part de son intention d’habiter dans une cabane située encore plus haut que celle qu’elle avait déjà. Au pire, si cela le gênait de grimper si haut, il pourrait toujours trouver refuge chez les druides dont l’animal totem lui ressemblait…

Une fois rassasiée, Neelahn s’apprêta à grimper dans sa future demeure pour y terminer sa construction. Cependant, un loup s’approcha d’elle et lui fit signe de le suivre. De suite, elle devina qu’il s’agissait d’un druide. Après tout, les loups n’avaient pas coutumes de s’approcher des bipèdes justes pour sympathiser…

« Tigrou, tu restes là et tu surveilles ma cabane, ok ? »

Après l’avoir entendu rugir de mécontentement, l’elfe éclata de rire et suivi le canidé…

Docilement, la druidesse suivit le loup qui décida de lui faire emprunter un chemin bien tortueux. Elle se demanda alors s’il s’agissait bien d’un druide ou si ce n’était qu’un simple loup.
Quoi qu’il en soit, l’animal l’emmenait dans une partie de la forêt qui lui était inconnue et pourtant, Neelahn connaissait bien la forêt… Mais la forêt était si grande que nul ne pouvait réellement la connaître par cœur, à part peut-être les anciens…
Et en parlant d’Anciens, l’elfe tomba nez à nez avec le haut conseil et parmi eux se trouvait… le chef ! Ceci dit, maintenant qu’elle le voyait pour de vrai, Neelahn se disait que, finalement, elle aurait préféré ne jamais avoir affaire avec lui. Son regard perçant la dérangeait et la druidesse aurait bien voulu se transformer en colibri avant d’aller se terrer dans un coin de la forêt. Mais cela n’aurait contribué qu’à la discréditer aux yeux du haut conseil. La présence du Vieux Ours contribua à la rassurer un peu…

« Euh… »

Le Vieux Loup venait de poser une question. Une étrange question. Sur l’instant, la druidesse se demanda ce qu’il lui voulait vraiment tant elle trouvait cette question bizarre. Après tout, l’Ours siégeait dans le haut conseil et devait sans doute avoir déjà touché un mot sur elle… à moins qu’il ne l’ait pas trouvé assez intéressante pour le faire ? Après tout, c’était bien possible. Ou alors, il s’agissait tout simplement d’une farce venant de ce stupide canidé. Il l’avait emmené là dans le but de lui jouer un mauvais tour, et maintenant, le haut conseil se demandait qui devait être cette inconnue…

« Hé bien je… euh… »

En même temps, pourquoi un loup s’amuserait-il donc à jouer de sales tours aux autres ? Ce n’était pas dans leur nature… Owin devait y être certainement pour quelque chose. Après tout, on racontait qu’il était capable de contrôler tous les animaux qu’il voulait…
Levant les yeux vers lui, Neelahn se rendit compte qu’elle avait bien du mal à soutenir son regard pendant plus de deux secondes. Elle se sentait comme un gibier en face du chasseur et le moins qu’on puisse dire, ce fut qu’elle était extrêmement intimidée. Ceci dit, il lui avait posé une question et elle n’y avait toujours pas répondu. L’elfe avait l’impression qu’il attendait quelque chose d’elle mais que pouvait-elle dire de plus que son nom ?
Ne sachant pas quoi dire, la druidesse jeta un coup d’œil au Vieux Ours, espérant que celui-ci viendrait à sa rescousse. A ce moment-là, elle se souvînt de ce qu’il lui avait dit à propos d’Owin. Voulant faire bonne impression, Neelahn finit donc par dire :

« Je suis une Ermite. La Nature est ce qu’il y a de meilleur en ce monde et je prêche la bonne parole aux incultes. »

Toute contente de sa réponse, la druidesse finit par esquisser un énorme sourire. Elle avait repris les mots du Vieux Ours et pouvait même se vanter de ne pas avoir menti. Après tout, ce fût bien ce qu’elle avait fait après sa rencontre avec l’ours kodiak.

Pour elle-ne-sait-quelle-raison, Neelahn pensait que sa réponse suffirait à convaincre Owin. Une grave erreur. Au lieu de cela, elle eût l’impression de s’être fait littéralement discrédité aux yeux de son chef. Une vraie calamité ! Son père, qui devait la regarder perché sur son petit nuage, devait bien se moquer d’elle.
Ceci dit, il aurait été plus simple pour Neelahn de répondre si Owin avait cessé de la lorgner comme si elle était un potentiel casse-croute. Intérieurement, la druidesse fulminait et dans le même temps, elle tournait la tête pour suivre le mouvement de son chef. Même si elle savait bien qu’il ne comptait pas la dévorer, elle préférait avoir tout de même un œil sur lui. On ne sait jamais.

Puis il se mit à reposer la question fatidique à la druidesse qui, sur le coup, se sentit agacée. Pour elle, il existait une grande différence entre « qui es-tu ? » et « que veux-tu ? ». N’ayant cependant pas l’âme à polémiquer, l’elfe préféra se taire. Après tout, elle n’était qu’un petit oiseau face à un grand prédateur et son Conseil.
Et finalement, Neelahn finit par comprendre ce qu’on attendait d’elle et se demanda franchement pourquoi ils s’étaient tous sentis obligés de lui faire tout ce cirque. Pourquoi ne pas le lui demander simplement ? Pourquoi Owin avait-il ce besoin de tourner autour d’elle comme un rapace ?

« Évidemment que j’ai envie de faire partie d’un écosystème plus poussé ! Je suis sûre que j’ai voyagé plus que la plupart d’entre vous. J’ai pu voir à quel point le monde est vaste. »

Les mots lui manquaient. Neelahn n’était pas une grande oratrice mais elle savait pertinemment qu’elle pouvait avoir sa place dans le Conseil. Après tout, si on l’avait convoqué jusqu’ici, cela signifiait bien qu’elle en était potentiellement capable, n’est-ce pas ? Du moins, elle espérait qu'il en était ainsi. En fait, elle se plaisait à penser qu'on la pensait digne d'un tel poste. Ceci dit, cela ne signifiait pas forcément qu'elle convoitait le poste de conseillère.

« On dit souvent de moi que je suis un peu trop innocente mais en dépit de cela, j’ai eu l’occasion de voir beaucoup de choses. J’ai pu voir à quoi ressemblait le désert et mesurer l’impact qu’il aurait sur notre environnement s’il continuait à s’étendre. J’ai rencontré plusieurs personnes dans les contrées avoisinantes à la forêt et je me suis fait des amis, des alliés. Certes, je n’ai pas eu affaire aux grands dirigeants des différents royaumes mais j’ai eu l’occasion de faire la connaissance de personnes assez bien placée dans la hiérarchie. J’ai même pu sympathiser avec certains de nos potentiels ennemis. Et bien que j’avoue les avoir rencontrés dans des contextes purement touristiques, je reste malgré tout persuadée que tous ces contacts et tout le savoir que j’ai pu emmagasiner pourraient se révéler utiles en temps voulu. »

Suite à son petit monologue, la druidesse aurait volontiers ajouté un « Et cessez de me regarder comme si je n’étais qu’un poulet ! » mais Owin était son chef et elle lui devait le respect. Cependant, cela ne l’empêchait pas de le penser tout de même.

« Mais ça ne m'intéresse pas trop d'intégrer le Conseil… » lâcha-t-elle quand même…

Neelahn avait sorti un blabla un peu bancal. Pendant un bref instant, elle y avait pourtant cru dur comme fer. Persuadée par ce qu’elle racontait, elle n’avait pas encore mesurée qu’elle était à nouveau en train de commettre une erreur en sous-estimant le conseil. En même temps, elle avait toujours cru qu’il était composé de vieux schnocks barbus qui ne sortaient presque jamais de chez eux. Et en arrivant devant eux, à première vue, elle n’eût pas réellement l’impression que ses préjugés étaient non fondés…
Une nouvelle fois, elle se fit donc démonter comme un élève qui avait mal appris son cours d’histoire. En entendant les ricanements de certains, la druidesse réalisa alors qu’elle n’avait aucun regret à avoir vis-à-vis de ses paroles précédentes. Elle n’avait pas sa place au sein du conseil. Elle n’avait pas les épaules pour cela et puis, d’une certaine manière, devenir conseillère lui aurait ôté cette liberté qu’elle chérissait tant.
Ceci dit, même si Neelahn ne voulait pas faire partie du conseil, elle aurait tout de même voulu recevoir une certaine part d’estime. Elle ne voulait pas devenir conseillère mais cela ne signifiait pas pour autant qu’elle était désintéressée par sa communauté. L’elfe était très fière d’appartenir à l’ordre des druides et était toujours prête à œuvrer pour le bien de son environnement.

Du coup, lorsqu’Owin lui proposa de devenir une émissaire et lui assura qu’elle n’aurait pas grand-chose à changer dans ses habitudes, son visage s’illumina.

« Je serai plus qu’honorée de devenir votre émissaire. Vous ne serez pas déçu ! Et puis, mon animal totem convient très bien pour cette tâche. »

Quoi de mieux qu’un petit oiseau rapide pour répandre la bonne parole ? Voyager ne la dérangeait pas. Au contraire, elle adorait parcourir le monde et faire diverses rencontres. Ouverte d’esprit, elle n’avait pas peur de se heurter à des rites ou coutumes dont elle n’était pas habituée. Certes, parfois, les habitudes de certaines personnes – comme les inventeurs – étaient déconcertants mais jusqu’à présent, l’elfe n’eût jamais de réelle mauvaise surprise. En tant que grande bavarde, Owin avait dû deviner que l’elfe serait plus que ravie de pouvoir raconter tout ce qu’elle avait vu ou entendu.

« Envoyez-moi où vous voulez. Je suis rapide et je peux parcourir de longues distances. »

Une nouvelle fois, Neelahn n’apprenait rien à Owin en lui révélant les caractéristiques de son animal totem. Contrairement à la dernière bourde, elle en était cependant consciente mais ses paroles visaient surtout à sous-entendre qu’elle était prête à accepter le titre d’Émissaire et qu’elle se sentait tout à fait capable d’assumer cette tâche. Elle pouvait même commencer sa mission immédiatement si on le lui demandait. Il lui restait encore une multitude de territoires à explorer et d’innombrables personnes à rencontrer. Si elle parvenait à tomber sur de puissantes personnalités, peut-être même qu’elle réussirait à signer quelques pactes ou à se faire des alliés. Cependant, il lui restait beaucoup de choses à apprendre. Même si elle était sur la bonne voie pour devenir diplomate, la politique restait encore pour elle un monde nébuleux dont elle ne comprenait pas grand-chose. Cela dit, fallait-il vraiment être un expert pour signer un pacte de loyauté ?

« Jusqu’à présent, j’ai eu l’occasion de faire la connaissance de plusieurs personnes venant de différentes castes. Hiérarchiquement, certaines m’ont l’air bien placées et d’autres ont l’air assez puissants. Dans l’ensemble, j’ai réussi à nouer de bonnes relations... Je pense que c’est toujours utile… »