Le silence. C'était bel et bien ce qu'il cherchait. Rien de plus. Comment un homme comme Markus pouvait-il apprécier le silence, lui, rat des villes, dandy et profiteur universel ? Qui pouvait combattre l'ennui par le pouvoir de la quiétude, qui pouvait trouver en ce lieu l'épanchement des sens ? En réalité, ce n'était pour une fois pas le but réel de Markus. Non, son objectif était tout autre. C'était chercher... Quelque chose. Quelqu'un, pour être plus précis... Ou ce qui fut quelqu'un, si nous voulons chipoter à ce point. C'était donc en marcheur solitaire que le jeune homme, armure de cuir et lame solidement accroché, déambulait. Une armure dans un cimetière ? Une forme d'hommage un peu idiot pour celui à qui, depuis plusieurs mois, et en cachette, il allait rendre visite. Car dans le sens de Walenberg ne coulait pas que le sang de Walenberg, mais également des Valen.

Une autre famille de chevaliers plus ou moins illustre, ayant périclité peu après l'arrivée... De la personne que cherchait le jeune homme. Ou plutôt, qui avait disparu des registres de l'Ordre peu après. La Guerre ? Non, l'ancêtre avait vécu un certain temps. La trahison. Car Elias Valen était l'unique descendant Valen, ayant remisé la chevalerie au placard pour rejoindre le coté obscur de... Heu... Copyright. Le coté sombre de la guerre. Trop indiscipliné. Trop demandeur. Trop envieux. Et, non sans étonnement, c'est en lui que Markus se reconnaissait le plus. Son père lui disait souvent que son sang illustre était tâché par un ancêtre de sa mère, et expliquait les différences entre eux par ce lien. Simpliste ? Sans doute. Mais la corrélation, tellement forte, ne pouvait que parler au jeune homme. Qui, chaque semaine, lui rendait sa petite visite, armé comme l'ancêtre. Le cuir en opposition au fer, la petite arbalète en opposition aux lourdes lames. C'était ainsi que se battaient les deux hommes. L'un dans le passé, l'autre dans le présent.

Enfin, il la trouve. Il s'accroupit légèrement devant elle, dépoussiérant de la main la plaque de marbre. Le dernier honneur accordé à l'homme : son enterrement ici. Dans la vie, il n'avait jamais été réel chevalier. Dans la mort, on lui refusait l'honneur de choisir son destin. Un vague sourire, tandis qu'il s'accroupit ici, sans un mot. Quelques vers, néanmoins, trotinnent dans sa tête... Les mettre en forme, les mettre en forme, tel est le défi...

Le chevalier, entièrement absorbé par ses pensées, n'entendit pas le rôdeur s'approcher. Tout au plus remarquera-t-il qu'on lui parle. Doucement, il relève la tête. Tiens, un visiteur en ces lieux ? Personne d'autre autour ? Un léger sourire apparait sur les lèvres du jeune homme. Une pause salutaire pour ne pas faire sombrer son esprit en vadrouille. Sans un mot, il attrape la main, s'en aidant pour se relever. Une seconde, une pensée, bien sombre... Pensée vite chassée, comme ça son habitude. C'est... Oui, c'est commun, chez lui, ce genre de réflexion... Laquelle ? Trop vague, par trop évasive pour qu'en parler représente un intérêt. Passons.

Enfin, parvenu sur les pieds, le jeune homme pose une main sur son ventre, esquissant une courbette.

"Markus Walenberg, messire. Ravi de faire votre connaissance, malgré le fait que nous nous trouvions dans un endroit si morne et... Dénué d'intérêt..."

Un regard aux alentours ponctue ses dires. Il retourne sur son interlocuteur.

"Et je suis sûr que mon ancêtre aurait approuvé vos dires. Tout comme moi."

Hein ? Pourquoi en parle-t-il ? La prudence aurait complètement déserté son esprit étroit.

"Mais que voulez-vous. Le poids de la tradition et du rigorisme de notre Ordre. Rien d'autre. Nous suivons tous des règles "en général". Cela ne nous oblige pas à les respecter "en particulier". Appelons ça du bon sens paysan."

Une petite pause, il jauge un instant son interlocuteur, et soulève un sourcil interrogateur. Amusant. Cet homme... Lui parait sympathique dès le premier coup d'oeil.

"Et... Que faites-vous dans cette ville... Nuro ? Tourisme ? Auquel cas, je peux vous proposer des endroits bien plus intéressants que la cathédrale, que chaque bigot vous montrera avec plaisir. Quelques bonnes amies, peut-être ? "

Evidemment, quand on connait toutes les maisons de passe du monde connu, ou au moins de la ville, et qu'on tutoie les souteneuses, le tabou devient un sujet de conversation banal.

"Ce sera sans doute plus amusant qu'ici, pas vrai ? En tant qu'habitant, je me sens en partie responsable de votre ennui, qui d'ailleurs pèse aussi sur mes modestes épaules."

Un regard sur la tombe.

"Le plus amusant, c'est qu'il se moquerait sûrement de moi, s'il me voyait ici..."

Un haussement d'épaules.

"On ne choisit pas sa famille. Marchons, vous me raconterez d'où vous venez."

Un grand sourire, et une main l'invitant vers la sortie du cimetière. Merci, rôdeur, pour m'avoir fourni cette excuse fantastique.

Avant l'intervention de la jeune femme. Oui, établissons une chronologie claire, et ne nous dispersons pas. Un grand sourire d'abord. L'homme lui plaisait. A peu près aussi vrai qu'un trompe-l'oeil de mauvaise qualité, mais au moins divertissant. Ce n'était pas à un menteur qu'on allait apprendre à mentir. Et c'est d'un ton affable que le jeune chevalier répond.

"Alors je te la montrerai, mon ami. Les endroits les plus divertissants, et à peu de ffrais, ce qui n'enlève rien. Pour l'auberge, je te conseille le Chaudron Etoilé. J'y ai récemment passé la soirée avec une amie. La nourriture y était excellente, ma compagne plus encore. Il y a quelques chambres pour les voyageurs, idéal pour se délasser. Si tu cherches quelque chose de plus discret, je me ferai une joie de t'aider à trouver également. En revanche, ne compte même pas t'insérer dans la haute société... Dans cet état."

Il écarte les bras, sans cesser de sourire.

"Regarde toi ! Quelle manque de finesse et de classe ! Il faudra améliorer cela. Ensuite, tu devras percer seul. Le mieux sera de commencer par les bals bourgeois de la ville, quelques nobles viennent y cotoyer le bas-peuple... Avec un peu de chance, ils te trouveront amusant... Et..."

Avant qu'arrive la furie. La jolie furie. Et le jeune homme ne peut empêcher un sourire radieux d'apparaitre sur son visage, ce que Nuro ne peut louper, de toute évidence. La femme, focalisée sur sa proie, en revanche... Et le voila qui le regarde... Oui, il va intervenir. Le voila qui se place aux cotés de son "compagnon" de fortune, posant une main sur son épaule, le visage soudain empli de gravité.

"Inutile de t'en cacher, Malkrom... Cela n'a rien de déshonorant, au vu de la situation..."

Une seconde d'attente, il regarde la femme, lui prenant avec vivacité sa main, posant ses lèvres dessus.

"Madame... Markus Walenberg. Enchanté de faire votre connaissance, même en de si... Tragiques circonstances."

Il montre les lieux du bras.

"Mon cousin venait faire un dernier pèlerinage en ces lieux avant d'honorer la mémoire de nos pères !"

Here is Markus, l'acteur.

"Car c'est l'honneur de l'Ordre tout entier qu'il va aujourd'hui défendre. Une expédition dans les sables mouvants, de la plus haute importance. Mon cousin est un homme... Sensible, et discret. Sans doute n'a-t-il pas voulu briser votre coeur de quelque absence trop lourde pour de si belles et fragiles épaules. Comprenez le... La dette que son auguste branche a contracté ne tolère pas d'attachement à la terre. Et il n'aurait pu vous soutenir sur ce chemin ardu qu'est la vie, préférant vous laisser aux bons soins d'un homme qui vous méritera. N'est ce pas cousin ? Quoiqu'il en soit, au nom des Walenberg, je serai heureux de vous soutenir dans ce moment difficile, par hommage pour défunt et regretté oncle... Qu'en dites vous ?"