"Je vais répéter la question. Qu'est-ce que tu sais sur les vols qui sévissent dans Naturalia ces derniers temps?"

Dans un coin de rue, un clochard amoché adossé par terre contre un mur, peinait à garder les yeux ouverts face à un jeune homme impitoyable qui le tenait par la gorge. La pression du gant de cuir laissait déjà des traces rougeâtres sur sa peau pâle et plus la pression augmentait, moins il se sentait capable de fuir. Il ne fuirait pas de toute façon. Une épée décorait sa cuisse et sous lui, une marre de sang s'étalait déjà. Plusieurs fois il avait supplié le jeune homme de le laisser partir mais ce dernier ne lâchait pas l'affaire. Personne ne quittait la rue tant qu'il ne lui aurait tiré les vers du nez. Orpheus l'observait avec un sourire mauvais. Ce n'est pas pour rien qu'il s'acharnait sur ce bougre. C'est en le suivant et en notant bien ses fréquentations qu'il était venu à avoir des soupçons à son propos, soupçons qui s'étaient révélés exactes puisque ce bonhomme était de mèche avec le reste de la bande. Malheureusement pour lui, il n'avait rien pour se suicider car la mort était la seule échappatoire, la mort ou bien l'aveu.

"J'ai pour mission d'obtenir des informations sur ces réseaux, juste des informations, personne ne saura que c'est toi."

Mensonge, pour récupérer d'autres informations, il n'hésiterait pas à sortir le nom de celui-ci, ni à le décrire explicitement pour qu'on puisse le retrouver facilement. Pour arriver à ses fins, Orpheus n'était pas à une vie près. Commençant malgré tout à perdre patience face à un obstiné qui fermait la bouche malgré la douleur qui le traversait, le chevalier finissait par sortir une dague de sa botte en l'examinant pensivement.

"Tu sais… On ne meurt pas d'un oeil crevé. Dernière chance mon petit."

La pointe s'approchait dangereusement de la pupille de la victime qui n'eut d'autre réaction que de lâcher le contenu de sa vessie qui accompagna l'hémoglobine déjà présente par terre. Un millimètre de l'oeil et il craquait enfin.

"Très bien, très bien, je vais tout vous dire! Ils se donnent souvent rendez-vous tard la nuit à la place des héros! Le mot de passe est 'sombre lune'. Un passage souterrain est utilisé pour atteindre le repère. Pitié ne me…"

La dague s'enfonça dans l'oeil de l'individu qui hurla de douleur. Un dernier coup de botte dans le ventre du déchet pour couper sa plainte et le chevalier ôtait ses armes du corps de l'estropié en provoquant de nouveaux cris, nettoyant chaque lame sur le corps agité de convulsions. En effectuant une grimace de dégout pour éviter les mares dégoutantes qui l'entouraient, Orpheus quittait la ruelle. Le voleur ne mourrait pas, il verrait simplement le monde d'un autre oeil. Ah, très drôle ce trait d'esprit…

Très bien, la place des héros. On lui avait attribué la mission de trouver des informations sur des voleurs de Naturalia. Revenir au QG pour faire son rapport et ils aviseraient après. Le jeune homme ne le voyait pas de cet oeil. Il avait commencé, il allait finir le boulot qu'on le veuille ou non. Une petite à ces voleurs s'imposaient. En attendant, il était bien trop tôt pour déjà s'y rendre. Dans les alentours de la fin d'après-midi, le chevalier allait profiter de l'air de Naturalia avant de se remettre au boulot. Cherchant un coin où s'arrêter, il acheva sa recherche à la petite fontaine qu'il y avait en face des porte de la justice. De là, il pouvait voir n'importe qui entrer et sortir, n'importe qui passer, suspect ou innocent. S'allongeant simplement sur le bord de pierre, il croqua pensivement dans une pomme qu'il avait glissé dans sa poche en passant par le quartier marchand. Aucune inquiétude pour l'opération de cette nuit. Il avait beau être contre tous, l'écuyer voulait prouver qu'il n'était pas un incapable, et pour ça, il fallait braver des interdits.

*Encore un peu le vieux, je te retrouverai, ton corps ou ta tombe et je résoudrai l'énigme que tu as laissé à tes ancêtres. Je ne t'oublie jamais, je pense sans arrêt à toi, mais c'est loin d'être de l'admiration. Tu nous as abandonné en nous quittant au moment où nous en avions le plus besoin. Pour ça tu paieras, quelque soit la monnaie disponible dans l'au-delà.*

Une personne s'approchait de la fontaine sans qu'il n'y prête attention, les yeux toujours fixés sur le ciel bleu, les sourcils froncés et les doigts crispés sur le fruit qui s'écrasait doucement dans sa main ganté.

La vie est toujours remplie d'évènements bons ou mauvais, il arrive toujours quelque chose. Et cette belle journée d'automne n'allait pas changer à la règle. Morphée avait envie de grand air. Moi, j'avais surtout envie de quitter un peu les terres maudites. Pourquoi? Parce que ma mère m'avait souvent parlé le soir au moment du coucher des toits de Naturalia. Elle appréciait particulièrement celui d'un certain théâtre. Elle y avait rencontré là bas un ami.

Malheureusement l'homme comme ma mère étaient décédés, enfin, cela semblait logique vu que je ne l'avais jamais croisé durant mon enfance. Donc je ne pouvais pas lui demander à ce qu'il me parle de ma parente. J'aimais en savoir plus sur elle tout comme sur ma grand mère. Sa liberté semblait son étendard. Je lui ressemblais sur ce point. Je faisais ce que je voulais mais je nuisais jamais aux miens.

"Ils t'ont dit de ramener les os d'un chevalier reposant dans le cimetière de Naturalia et toi, tu as envie de faire les boutiques!"

"Ce n'est pas ce que j'ai dit! J'ai juste dit que je voulais voir le théatre et pour les os, j'irais chez nous en récupérer et c'est bon. Je n'ai pas envie de piller... désolée mais jouer dans la terre, cela ne m'amuse pas."

"Tu pourrais t'entrainer ainsi à la nécromancie, nigaude!"

"Les zombies neutres ne sont pas résistants, foi de Mamy Steel! Elle t'embrocherait avec sa dague si elle pouvait t'entendre! Les meilleurs cadavres se trouvent à la plaine dévastée, tout le monde le sait!"

"Tu oublies Alicia Mayfair."

"Mais bien sûr... et après, tu ne veux pas que je meurs!"

Je soupirai à fendre l'âme, certes, mon chat n'avait pas tort. Le corps de la plus puissante mage de Nelberaid reposait dans la cité de la justice mais s'en approcher équivalait à déclarer la guerre... enfin juste si je me faisais chopper et comme le lieu est protégé par de puissants sorts magiques, c'était plus que probable que cela arrive... Donc comme j'en avais marre des ennuis, je resterais tranquille et suivrais mon plan.

"Tu respires un autre air que Malificium donc tais toi et marche!"

Ah qu'on était beau, mon chat était sur ma gauche et avait une expression sur la tête proche de celle d'un martyre entrain de subir mille et un tortures. Moi, j'avais un air faussement courroucé et un sourire radieux sur mes lèvres. Je ne portais pas mon uniforme, non, je portais une jolie robe rouge avec une ceinture carmin foncé pour marquer ma taille. Ma poitrine était très joliment mise en valeur. Mes cheveux blancs étaient libres sur mes épaules. J'étais belle, je le savais et chacun de mes pas indiquait que j'étais une redoutable séductrice et pas juste une écervelée.

La marche jusqu'à ses terres s'était passée paisiblement mais était fatigante. Je décidais de me reposer et de m'approcher de la fontaine. Un peu de toilette serait pas mal surtout pour Morphée. Alors que je me lavais les mains tout en examinant les lieux, j'entendis mon animal s'exclamer :

"Quel gachis! Vous ne savez pas que c'est bon! Pauvre fruit! Tu ne connaitras jamais mon estomac, ni celui de cet abruti!"

"Ferme-la! Tu vas nous attirer des ennuis!"

Un peu confuse, je posais mon regard sur l'étranger. En fille polie, ce qui ne m'arrivait jamais d'ordinaire, je me devais d'excuser mon compagnon.

"Excusez ce sac à puces... il est un goinfre..."

Morphée miaula de mécontentement et s'approcha de lui. Je lui fis des signes de revenir illico vers moi mais ceci ne semblait pas au programme... Pauvre de moi... Je décidais de profiter un peu de sa présence :

"C'est bien ici qu'il y a un théatre? Pouvez-vous m'indiquer son emplacement?"

Avant d'arriver à Naturalia pour sa petite enquête, Orpheus était au château. Auparavant, ce dernier se trouvait également à Naturalia mais après sa destruction, les chevaliers l'avaient reconstruit ailleurs, allez savoir pourquoi. Alors autant dire que la trotte entre les deux territoires n'avaient pas mis de bonne humeur le blondinet, d'autant plus qu'il s'était trainé un caillou invisible dans sa botte, avant de s'apercevoir qu'il s'agissait en fait de sa semelle qui était trouée. Des frais de réparation en vue, comme si il n'avait pas assez de soucis comme ça. La veille, on était allé le chercher dans sa chambre au château puisqu'il préférait y habiter plutôt que de rester dans la petite maisonnette familiale dans laquelle régnait une odeur de vénération pour leur ancêtre. Il détestait ce sourire qu'ils avaient en parlant d'Intégral Neiphereum, il ne comprenait personne et se détachait donc. Son père lui avait dit qu'il comprendrait un jour et qu'il reprendrait le flambeau pour perpétuer les traditions. Sornettes que voilà.
Enfin, il n'avait pas le temps de lancer ses insultes matinales puisqu'on était venu le chercher dans son lit, trainé en chemise de nuit jusqu'à la salle de conférence du chef des chevaliers qui lui donnait sa mission expressément alors qu'il était en train de bailler aux corneilles. A la fin de son discours dans lequel il soulignait l'importance de cette tâche de trouver des renseignements, l'écuyer avait demandé:

"C'était juste pour le plaisir de me trainer en pyjama que vous m'avez fait quérir aussi fait n'est-ce pas? Je retourne me coucher."

Depuis quand traitait-on les gens comme des prisonniers? Orpheus se rappelait soudain que lors d'une soirée il avait versé le contenu de son verre de vin, trop ivre, sur la tête du chef des chevaliers. Ceci explique cela, il n'insista pas plus et retourna à sa chambre sans faire attention aux regards interrogateurs qui se posaient sur le jeune homme qui se promenait pied nu dans les couloirs du château. Ce n'est qu'après plusieurs d'eau froide pour faire sa toilette qu'il se trouvait en meilleure humeur. Cet état d'esprit est éphémère, la preuve, aussitôt prêt et mis les deux pieds sur la route qu'il était déjà en train de rouspéter. Envoyer un écuyer pour récolter des infos, est-ce qu'ils ne pouvaient simplement engager des espions compétents? A moins que le coût leur plaisait bien, après tout, il était chevalier et devait donc se plier aux missions qui lui étaient attribuées. Là étaient les conditions pour rejoindre l'ordre, jurer fidélité vivre pour l'ordre et ne jamais ternir sa réputation. Les chevaliers en avaient des biens bonnes comme ça. Des grandes gueules pour trois fois rien dans les actes.
Toute sa mauvaise humeur, il la transmettait également à celui qu'il avait interrogé. Mine de rien, en une journée il avait trouvé le bon pion. La chance lui avait souri, il n'en était pas plus content que ça et broyait du noir en attendant de pouvoir passer rapidement à l'action et de rentrer au château pour cracher sur la mission du chef. Quelque chose comme "un écuyer était capable de faire ça, alors pourquoi pas un de vos autres chevaliers?". Une voix dérangeante le tira de ses manigances, ses projets futurs pour s'attirer les foudres des supérieurs à croire qu'il adorait les ennuis.

"Tu veux vraiment cette pomme? Et bien tu n'as qu'à te la bouffer!"

Se redressant, il lança de toutes ses forces le fruit du côté de la voix en s'attendant à voir un homme. Au contraire, le fruit percuta un chat, achevant de le faire lever un sourcil. Une femme venait s'excuser expressément. Une seconde, est-ce que c'était si commun que ça de posséder un chat qui parle? Fronçant les sourcils, un peu méfiant, il répondait de manière détachée à une femme qui avait des atouts de choix, un peu trop à son gout parce que la beauté même signifiait souvent des intentions bien dissimulées:

"Il aura eu ce qu'il voulait au final."

Toujours aussi louche, elle venait sans raison lui demander si il y avait un théâtre ici. Et bien oui, n'importe qui sait que le théâtre se trouve dans ce quartier. Puisque la femme semblait vraiment ignorer ce détail, il finit par abandonner sa méfiance pour laisser place à de la lassitude. Pointant du doigt la ruelle dont il arrivait, il expliqua le plus simplement possible:

"Ce chemin est un raccourci, vous n'avez qu'à le suivre, puis de tourner à gauche lorsque vous retombez sur la rue principale."

A moins que ce ne soit à droite? Ce lieu ne l'intéressait pas de toute façon, il n'avait pas à s'en inquiéter. Sans le savoir, l'inconnue détenait un élément important de l'histoire de son ancêtre. Il ne connaissait que très mal les connaissances de son arrière arrière grand père. Ouvert et idiot comme il était, il s'était fait des amis partout et s'était marié à une démone, un grand classique. Il était également ami avec l'ange divin, le chef des ombres, le chef des nomades, le chef des érissiens… Orpheus se fichait totalement de la raison pour laquelle la belle femme voulait connaitre l'emplacement du théâtre, néanmoins, il demanda quand même en s'asseyant sur le rebord de la petite fontaine:

"Une amoureuse de la comédie? Je ne comprendrai jamais l'intérêt de s'asseoir dans une pièce pour voir des personnes jouer des rôles… Enfin, ça ne regarde que moi."

J'esquissai un pas sur le côté pour éviter le projectile. Qu'avais-je fais de si offusquant pour obtenir une telle réponse? Je pensais les naturaliens plus accueillants que cela et dire qu'on critiquait l'hospitalité malificienne... c'était un comble! Bien sûr, ce n'était pas vraiment moi celle qui était visée mais bien mon chat. Néanmoins, je pris une moue offusquée avant de m'excuser. Puff... pour une fois que je suis gentille, on me le fait payer.

"Et surement un bon hématome au passage. Vous êtes une véritable brute. Pourtant, on n'est pas chez les maudits ici."

Morphée miaula tout en se léchant sa fourrure pour récupérer quelques morceaux du précieux fruit. Il ne souffrait de rien. Vivre avec moi l'avait rendu endurant. Il n'était pas rare que je lui lance quelques boules de feu sur lui pour le punir... ou alors il tombait d'une fenêtre... ou se prenait une pile de livres venant d'un bureau sur la tête par maladresse. Néanmoins, j'avais le droit de lui faire du mal mais pas les autres! Il était à MOI! C'était mon puching ball personnel! Et je ne le prêtais pas!

Afin de faire passer un peu ma rage, je lui demandais mon chemin ainsi je gagnais du temps. Je ne comprenais pas à l'heure actuelle pourquoi ma mère aimait cette partie de Nelberaid... il fallait vraiment être fou... quoi que la folie est bien une tare des Steel... donc tout est possible. Il me donna les renseignements mais sur un ton peu engageant. Il était vraiment étrange ce type. Je le fixais pendant quelques secondes et demandai sur un ton naïf :

"Merci. Je ne risque pas de me faire voler au passage? Vous n'êtes pas payé par les rôdeurs pour qu'on tombe dans leurs griffes, nous pauvres touristes?"

Après tout au vu de son comportement, le doute était permis, non? Mais l'atmosphère changea subitement. Je venais de laisser échapper de mes lèvres écarlates un rire cristallin. Moi? Aimer la comédie? Non! Je n'étais pas une fille fleur bleue éprise de grands écrits romantiques. Certes, cela ne se voyait pas comme cela aujourd'hui vu que j'étais déguisée comparée à l'ordinaire mais quand même...

"Si vos sièges sont confortables, oui, alors elle aimera regarder quelques scènettes."

"Tais toi!"

Je fustigeai du regard Morphée. Comme si je roupillais partout où je le pouvais dès que c'était possible... Cela ne m'était arrivée que deux fois... puff... je le hais.

"Je n'ai jamais assisté à une pièce donc je ne peux dire que je les aime. J'aime lire mais ce n'est pas ce genre de livres que je compulse d'ordinaire."

Je lui souris doucement et laissais mon regard caressé ce qui nous entourait. Je repris :

"Non. Je voulais juste voir le théâtre car ma mère aimait s'y balader en compagnie de son meilleur ami. Les deux êtres sont malheureusement décédés mais j'avais envie de lui rendre hommage. Est-ce un problème?"

Si il avait vu la femme en premier, Orpheus n'aurait probablement pas jeté la pomme de cette façon. Mais sachant que le son de voix était… euh, on ne pouvait pas dire que c'était la voix d'un homme ou d'une femme, c'était la voix d'un chat… Bref, le chevalier avait naturellement jeté le fruit en se disant qu'une bagarre de plus ou de moins ne serait qu'un détail sur la longue addition qu'il devait. Pas un tendre, il s'était souvent battu pour un rien, les gens répondaient tellement facilement aux provocations que ça en devenait risible. L'écuyer attendait encore le jour où quelqu'un le remettrait à sa place pour le calmer un bon coup. Il était chevalier, il était Neiphereum, mais ça ne lui donnait pas le droit d'être le roi du monde. Et donc, comme prévu, la personne s'indignait de son comportement et le qualifiait de brute ce qui le faisait bien rire. Des brutes, elle n'en avait pas vu des vraies, lui était un petit joueur à côté. Avec un sourire en coin il ajouta:

"Je ne sais pas vous, mais je réagis très mal lorsqu'on me traite d'abruti dans mon dos simplement parce que je suis en train d'écraser une pomme."

La provocation venait clairement du chat, aucun doute là-dessus, Orpheus s'était contenté de répondre à cette insulte par un lancer de pomme, il n'y avait pas mort d'homme ni de chat dans l'histoire! Heureusement que le débat ne s'éternisait pas et que finalement, la femme passa à autre chose. Le théâtre… Quelques fois il voyait des troupes passer, tous des petits rigolos, des saltimbanques qui font la comédie pour gagner leur vie. Leur distraction avait le mérite de le faire sourire, uniquement lorsqu'ils faisaient des pitreries parce que lorsqu'ils se mettaient à compter des histoires à dormir debout, ça en devenait affligeant. Alors s'asseoir dans un siège, pour écouter des personnes se déclarer leur flamme avec un jeu d'acteur pathétique, ce n'était pas sa tasse de thé. Malgré ses bonnes intentions, l'inconnue émettait un doute sur son information. Une seconde, elle venait le déranger, elle venait lui demander une information pour ensuite soupçonner qu'il l'envoyait dans un piège? Le monde ne tournait plus rond. Haussant les épaules, il conclut:

"De jour, la rue est sure mais il n'est pas exclu qu'une femme seule se fasse aborder. Suffit de passer rapidement sans s'arrêter et vous en sortirez indemne."

Qu'il lui arrive quelque chose ne lui ferait ni chaud ni froid. Enfin, si il était au courant que quelque chose se tramait, il viendrait bien entendu donner un coup de main, il n'était pas encore pourri jusqu'à la moelle. Orpheus affichait une mine surprise, d'autant plus qu'elle se mit à rire juste après, achevant de le décontenancer. Il avait demandé si elle aimait le théâtre, est-ce qu'on pouvait tourner la phrase autrement pour la rendre suspecte? Un humour qui lui échappait en tout cas. Le chat alla se mêler à la conversation pour agacer sa maitresse. Malgré lui, le chevalier passa la main devant la bouche pour cacher son sourire. Ces deux là étaient amusants. Peut-être qu'ils pourraient l'aider à patienter avant le soir… La petite anecdote ne lui faisait ni chaud ni froid. Si ils venaient souvent au théâtre, grand bien leur fasse. Ce qui aurait fait tilter Orpheus, ce serait qu'ils venaient souvent, mais par les toits et non pour regarder des comédies.

"Non, non, absolument, vous allez où bon vous semble pour la raison que vous trouvez bonne."

Les yeux bleus du blondinet se tournèrent vers la ruelle quand soudain, il aperçut une personne y entrer et tourner pile dans le coin où il avait laissé le clochard en sang. Ce n'était pas prévu, il n'allait pas pouvoir rester par ici, dans une place aussi ouverte et publique plus longtemps. Son trouble était intérieur. D'apparence, il fixait sans grand intérêt un point quelconque et finalement, soupira longuement.

"Si le chemin par la ruelle ne vous inspire pas confiance, je peux vous amener au théâtre par une rue plus ouverte. En échange parlez moi de… de n'importe quoi. De vous, de votre chat, de votre mère, peu m'importe."

Coup d'oeil furtif pour voir deux silhouettes, l'une un peu mal au point, se tirer et sortir vers la place qu'il y avait juste devant les portes de Naturalia. Définitivement, ils devaient lever les voiles en vitesse. Particulièrement soucieux, le chevalier se demandait quelle méthode adopter. Soit, il suivait les deux et les faisait taire, soit, il les laissait filer en prenant le risque qu'ils avertissent la bande et qu'elle se prépare à son arrivée ou bien qu'ils changent de QG. Finalement, il se décida à les suivre et attrapa à toute vitesse la main de la femme pour qu'elle le suive, puisqu'elle allait être mêlée à cette histoire malgré elle. Avec un sourire espiègle, il lui murmura:

"Ou bien en échange, vous m'accompagnez un tout petit peu le temps que je règle deux trois petites choses, ensuite, promis je vous y mène. Je ne vous cacherai pas que nous allons droit vers les ennuis."

Et ça l'amusait de se savoir futurement en danger.

"Laissez-moi réfléchir... Oui... En effet, je réagis mal lorsqu'on m'insulte mais pas de cette manière... Non, je préfère crever des yeux ou arracher quelques dents mais je vous pardonne."

Je lui souris doucement. Ma famille était réputée pour ses dons en torture, je ne dérogeais pas à la règle. Quelle douce symphonie que le bruit des cris de mes victimes, j'étais par contre très lasse de leurs pleurs... C'était d'un banal... et grotesque. Le pire c'était ceux qui se pissaient dessus de peur... Cela sentait très mauvais et ce n'était pas très respectueux de moi je trouvais. Mais je divaguais. Je me refixais sur mon interlocuteur, je ne devais pas paraitre trop mal polie, mon chat l'était déjà suffisamment pour deux à mon gout.

"J'ai l'habitude de me faire draguer... et je ne fuis jamais face au danger. Vous m'offusquez!"

Bah oui non mais oh! Depuis quand une Steel fuyait devant les ennuis? Certes, il ne me connaissait pas mais quand même! J'étais une femme mais aussi une redoutable prédatrice! Il ne devait pas en douter une seule seconde sinon, j'allais lui arracher les couilles et il verrait après qui ferait le plus fier! Je le fusillais du regard. Je n'aimais pas du tout son comportement alors que mon chat, lui, s'était allongé sur le sol tel un pacha maudit et se régalait du spectacle. Je voulais passer inaperçue à Naturalia, j'allais mal commencer...

"Ca marche. Soyez mon guide mais attention, pas d'entourloupe!"

Lui parler de moi... par quoi j'allais bien commencer... Je n'avais absolument pas capté son trouble. J'étais bien trop égocentrique pour faire gaffe à une telle chose. Je souris et répondis simplement :

"Ce sac à puces s'appelle Morphée et comme vous avez pu le voir il est très bavard et adore les emmerdes... Je le tiens de ma mère..."

Subitement, il m'attrapa la main. J'étais donc à son gout? Je lui dédicaçais mon plus beau sourire et posai ma main droite sur sa joue puis sur son torse. Je murmurai à son oreille :

"J'adore les ennuis. Soyez mon guide et n'ayez pas peur que je me fasse mal. J'adore la vue du sang. Je ne m'évanouirai pas promis."

Mon chat soupira et se mit en route. Et nous voilà à moitié en courant partis vers les ennuis... Et dire que je voulais juste jouer les touristes... Ma mère avait elle eu toujours ce comportement? Ou arrivait-elle à éviter de trucider du méchant quand elle était sur les toits?

"Vous pouvez m'en dire plus sur les ennuis? De la magie en perspective?"

D'accord. Cette femme était encore plus violente si jamais on l'insultait, alors qu'est-ce qu'elle avait à lui reprocher de lancer une simple pomme? Elle était en elle-même une contradiction alors qu'avait-elle à dire sur sa conduite à lui sérieusement! Le chevalier se garda bien de lui faire savoir le fond de sa pensée. Les femmes sont connues pour entrer dans des colères folles lorsqu'on leur met la vérité en face, quand bien même elles ont tord ou bien sont en faute. Inutile de leur faire entendre raison. Pire que n'importe quel ennemi, la femme vous terrasse le plus dur des guerriers juste par la parole. Le jeune homme laissa filtrer une phrase moqueuse entre ses lèvres.

"C'est trop d'honneur que vous me faites en me pardonnant."

Eh, quoi, il n'allait pas lui baiser les pieds et se mettre à la vénérer parce qu'elle lui avait accordé le pardon! Et là, elle continuait de se vanter. Je suis belle alors j'ai l'habitude de me faire aborder par tous les damoiseaux possibles et imaginables. Je suis une grande aventurière également et je n'ai peur de rien, cela ne se voit pas? Non ça ne se voyait pas. Il ne voyait qu'une femme qui n'avait pas sa langue dans la poche, qui était suivi d'un chat idiot, qui n'avait que pour rattraper l'ensemble un beau physique. En clair, il était indifférent à ses charmes, d'autant plus qu'une barrière s'était dressée dans son esprit. Tant qu'ils se chamailleraient comme chien et chat, ce ne serait pas en faveur d'une bonne entente. De toute façon, Orpheus n'était pas intéressé par les femmes. Bien plus important, la force, l'épée, le combat, son idiot d'ancêtre, tout ça. Alors que l'inconnue le maudissait intérieurement et qu'il lui faisait sa proposition douteuse, les cibles s'éloignaient déjà. Si il perdait plus de temps, ces gars allaient être hors de vue, ce n'est vraiment pas envisageable. Pendant ce temps, la femme s'était mise à parler d'elle et de son chat. Il s'en fichait, il retenait les informations comme elles lui venaient si elles étaient utiles. Le nom du chat était inutile, il appartenait à la mère de la femme qui le lui avait surement légué avant son décès.

*Peu importe…*

Pas le temps de tout lui expliquer, il lui empoignait la main pour aller dans la direction opposée au théâtre. Ca elle l'ignorait pour le moment. Son attention était toute fixée sur les deux individus, mais soudain, elle lui faisait un de ces manèges bizarres en lui caressant la joue et le torse tout en lui assurant qu'elle avait les nerfs solides. Orpheus ne frissonna pas d'un poil à la caresse en décalant la main de la femme du bout de l'index de sa main libre en signe clair d'indifférence sans chercher à savoir si il venait de la blesser dans sa féminité ou quoi.

"Et vous savez surement vous défendre donc je n'aurai pas besoin d'accourir à votre secours c'est ça?"

Si c'était vraiment le cas et qu'elle était assez grande pour se débrouiller seule, cela lui ôtait une épine du pied. Pour l'instant, elle n'était qu'un prétexte pour passer à peu près pour un individu accompagné d'une femme pour ne pas éveiller les soupçons. Sous la forme d'une balade, il gardait quand même bonne allure. Rue après rue, le clochard était presque trainé, à peine soutenu par un autre qui n'était pas plus propre mais en meilleur état tout de même. Le sang avait surement arrêté de couler et la douleur devait lui vriller le corps tout entier. Son devoir étant quand même d'expliquer à la femme dans quoi il la trainait, le chevalier finit par dire en freinant légèrement puisque devant ils faisaient de même.

"Ceux que nous suivons sont ces deux individus. Ils font partis d'un petit groupe qui parcourent les rues en volant tout ce qui n'est pas cloué au sol. J'ai interrogé celui de droite tout à l'heure, il en a perdu un oeil et gagné un trou dans la cuisse. Sur le coup, je me dis que j'aurai dû tout simplement le tuer…"

Crevé un oeil, tiens, cela ressemblait beaucoup à la méthode d'action de l'inconnue lorsqu'elle se faisait insulter. Peut-être qu'ils ne différaient pas tant que ça. La main de la femme était toujours solidement enfermées dans la poigne de son gant, le blondinet était tout entier dans sa filature. Au premier coin discret, il se jetterait sur eux et les ferait taire avant qu'ils n'alertent le reste du groupe. Ce serait du travail gâché si tout était à refaire depuis zéro. Conscient qu'il se montrait un peu trop désagréable depuis le début, le chevalier fit un petit effort pour faire la conversation qu'elle ne se lasse pas, et ajouta très vite avec un sourire en moqueur:

"A par le nom de votre chat, est-ce que vous me ferez l'honneur de m'offrir le votre? Pour ne pas manquer à l'étiquette, je me présente bien sûr avant la dame, Orpheus Neiphereum, pour vous entrainer dans mes problèmes. Un plaisir d'avoir votre compagnie pour une tâche aussi ingrate. J'espère que vous tiendrez le rythme."

Sur le ton du défi, il la regardait déjà autrement. Toujours pas charmé aveuglément par sa beauté, mais content d'avoir quelqu'un qui avait un bon caractère en guise de compagnie, l'écuyer relançait la marche alors que les deux autres accéléraient le pas pour bifurquer vers une ruelle. Dans sa manche, un couteau de lancer attendait déjà de se figer dans la gorge de l'un des deux.

"Vous pouvez toujours me secourir mais évitez de vous mettre entre ma cible et moi sinon, vous risquiez d'avoir quelques ennuis physiques."

Un sourire mi carnassier mi charmeur apparut sur mes lèvres. Cet homme était un défi. Je le sentais au plus profond de mon être. J'avais noté l'absence de frisson à mon contact. Ma fierté en avait pris un petit coup mais elle était suffisamment élevée pour éviter de faire un scandale et puis plus on me résiste, plus je m'intéresse à la personne. Donc ce n'était pas ainsi qu'il allait se débarrasser de moi... loin de là.

Je suivis sa cadence même si avec des talons, ce n'était guère aisé mais je ne me plaignais pas. Morphée restait sur ma gauche prêt à me défendre au cas où. J'écoutais ses dires et souris doucement. Je murmurai suavement tout en fixant le dos de mes prochaines cibles :

"Vous aurez l'occasion de vous rattraper."

Regretter la mort de quelqu'un était la pire des choses. Mais il m'arrivait de marquer juste mes victimes et non de les tuer juste pour qu'ils ne m'oublient pas. Ils étaient par conséquent mon passeport, ma marque de visite. Et dans Malificium, mon prénom commencait à s'inscrire sur pas mal de villageois. Mais mes nerfs parfois craquaient et dans ce cas, la mort venait cueillir mes puching ball d'un soir. En tout cas, je me moquais de la raison pour laquelle le chevalier cherchait à les tuer... j'étais juste excitée à l'idée que j'allais m'amuser un peu.

Je jetais un oeil au chevalier... Je souris. Oui, je pouvais lui donner mon nom... Il risquait juste d'être surpris. Même si pour le moment, ce fut bien moi qui resta stupéfaite pendant de longues secondes qui se transformèrent en minute. J'étais devenue subitement muette. Chose rare il faut le noter. Son nom... Je le connaissais... et pour cause, un de ses ancêtres avait été chef des chevaliers... mais surtout ce fameux dirigeant n'était autre que le meilleur ami de ma mère... La coïncidence était trompeuse disaient les plus peureux, pour moi, elle me charmait.

"Morgane Evans, je suis la fille de Kessler Evans et Halloween Steel. Ce dernier nom ne doit pas vous être inconnu car si j'en juge votre patronyme, un des vôtres, peut-être votre père ou grand père a été très proche de ma mère..."

Voilà... Je ne le gardais pas pour moi. Après tout qu'il soit aussi choqué que moi, cela ne lui ferait pas trop de mal. De la joie... de la terreur... tout se mêlait en moi... J'avais voulu en savoir plus sur le fameux meilleur ami de ma parente... et j'étais tombée sur un de ses descendants dès la première minute dans ce territoire... J'étais éberluée...

Nous tournâmes dans la ruelle. Et avant même qu'il n'ait pu agir, on put entendre très nettement un cri étouffé et un rale bien spécifique. En effet, ayant marre de pourchasser des individus, j'avais invoqué un zombie discrètement, à l'ombre des murs, et lui avait fait enlacé l'un des deux gibiers, celui qui était encore intact. Il ne le mordait pas pour le moment même si la faim le tenaillait. Je murmurai doucement :

"Je vous laisse finir votre travail, je garde l'autre en mains sures. Vous pourrez ainsi l'interroger en cas de défaut de l'autre."

En parlant de celui-ci, il venait de courir en direction d'Orpheus afin de se venger... Ma proie se débattait, j'intimais l'ordre à mon mort vivant par la pensée de lui mordre un peu l'épaule afin de le rendre plus obéissant. Sa main cadavérique recouvrait sa bouche, le cri de douleur fut donc atténué...

Si il avait la sécurité de la femme en moins à prendre en compte, Orpheus pourrait se concentrer un peu plus sur les deux zigotos qui fuyaient rapidement rendre des comptes à un patron. Un inconnu allait attaquer ce soir, se jeter seul dans la gueule du loup, alors juste au cas où, il fallait prévenir les autres voleurs pour qu'ils désertent la place ou se fassent plus discret. Manque de chance, le chevalier était déjà sur leurs talons et n'allait pas laisser passer cette occasion. Son sourire s'agrandit un peu plus face à la menace de la femme. Elle aussi pouvait devenir une source d'ennui si jamais il faisait quelque chose de mal? Bah voyons! Il n'attendait que de voir ça!

"Dans ce cas, je me permettrai de vous rendre la pareille avec des intérêts."

Deux personnes qui s'apprêtent à s'activer pour un même but et qui, pourtant, se lancent des menaces même pas dissimulées. La vitesse de marche remonta d'un cran pour maintenir les cibles en vue. Comme des gibiers en fuite face à des prédateurs, ils faisaient attention, se fondaient dans la foule sans trop se faire remarquer. Cela ne suffisait pas pour semer les deux de derrière de toute façon. Inconsciemment, Orpheus se déplaçait un peu plus vite avec son pouvoir ce qui obligeait le mage à suivre tout aussi vite avec des talons, pas les meilleures chaussures pour courir après quelqu'un, on peut bien l'avouer. De toute façon, le confort de la dame était le dernier de ses soucis. Ce qui serait dommage, c'est que les autres arrivent à bon port, indemne. Ils allaient arranger l'affaire pour qu'ils ne revoient pas non plus le prochain levé de soleil, telle était sa certitude. Agir de la sorte est contraire aux principes de la chevalerie. Qu'est-ce qu'il s'en fichait de ces principes qui n'étaient que des mots sur des parchemins gardés depuis des millénaires? Qui les appliquaient vraiment? Lorsqu'il retournerait au château, on s'étonnera qu'il se soit débrouillé pour détruire un réseau de voleurs, seul armé de son épée.

Au moment où ils obtenaient un temps de battement, le chevaler se présenta brièvement pour ne pas avoir l'étiquette "inconnue" collée sur le visage de celle à qui il n'avait pas encore lâché la main pour ne pas la perdre. Une question se posait, pourquoi la trainer avec lui alors qu'il pouvait tout aussi bien la laisser chercher son théâtre et puis basta? Trop tard pour ce genre de considération, surtout qu'ils semblaient avoir un point en commun. Halloween Steel, ce nom lui disait quelque chose. Et puis elle discuta naturellement d'un arrière grand père ou autre et l'histoire lui revint immédiatement en tête. Integral Neiphereum, encore lui. Son fantôme le poursuivrait partout, même ses connaissances et leurs descendants. La mine du chevalier s'assombrit au lieu d'être agréablement surpris. Contenir la colère pour ne pas qu'elle subisse quelque chose dont elle n'était absolument pas coupable.

"Je vois qui est votre mère alors, on m'en a… parlé. Cela remonte à bien longtemps…"

L'âge d'or du chevalier blanc, du blanc nomade, l'âge d'or de l'ange divin, tout ça. Cette époque il l'avait étudiée, on lui avait raconté tant d'histoires et il les connaissait malgré lui, il connaissait son ancêtre encore mieux que ses propres parents ce qui avait le don de l'énerver d'avantage. Pour le bien de tous, il retiendrait simplement son nom, Morgane. Pas aussi enchanté que la femme de tomber sur la descendance d'autrui, le chevalier s'exclamait de soulagement en voyant les proies fuir dans la ruelle. Enfin ils allaient pouvoir agir. La femme le surprit par contre en agissant plus vite que lui. D'un pouvoir obscur, elle avait tiré une créature pour attraper celui qui aidait le fuyard. Pas le moins du monde secoué par une telle apparition magique, le chevalier se permettait même de faire un petit commentaire en le toisant de bas en haut.

"Il ne m'a pas l'air d'aller très bien votre ami, on dirait presque un cadavre, vous devriez prendre un peu soin de lui."

Prendre soin d'un zombie. Ah, qu'est-ce qu'il était drôle! Ce qui était encore plus amusant, c'était le borgne qui courait vers lui en claudiquant puisque sa jambe était un calvaire à utiliser. Dans sa rage, il courait à moitié aveuglément vers le chevalier qui ne sortait même pas son épée. Avec un seul oeil, on évalue très mal les distances, en particulier lorsqu'on n'y est pas habitué, alors un coup de poing pour lui casser le nez, un coup de genou pour lui couper le souffle, et un dernier coup de poing pour l'envoyer à terre. Sans perdre une seconde, le chevalier envoya un couteau de lancer dans la gorge du clochard qui agonisa dans des gargouillis d'hémoglobine. A l'adresse de Morgane, il expliqua simplement:

"J'avais déjà tiré tout ce que je voulais de lui, mais mieux vaut être prudent, qu'il ne me fasse pas foirer mon plan."

Elle avait été assez gentille de lui tenir le second, probablement un autre voleur qui avait mal à l'épaule à cause du zombie. En guise de cadeau de bien venu, il lui détacha immédiatement une oreille pour le mettre en condition. Le chevalier avait la lame très facile.

"Juste pour vérifier, dis moi où se cachent la bande de voleurs. Si tu dis la même chose que ton ami, je te laisse partir en vie. Sinon, tu le rejoins dans l'au-delà."

Le regard du blond jeune homme indiquait pourtant à tous que dans aucun des cas il ne s'en sortirait en vie. Morgane le nota probablement. En tout cas, le peureux s'accrochait à la seule option qui lui était donnée et cracherait le morceau.

"J'espère que vous ne serez pas trop choquée par ma méthode opératoire, Morgane..."

"Il est beau je trouve. J'en invoque des plus mal lotis par moment. Et il n'y peut rien s'il est mort."

Etait-ce une boutade ou n'avait-il pas reconnu que c'était un zombie? Je ne maitrisais pas les invocations démoniaques donc je restais sur la nécromancie. J'espérais un jour retrouver la dague de ma grand mère qui envoyait de jolis boules noirs attendrissantes mais aux crocs acérés qui déchiquetaient tout sur leur passage. Rien que d'y penser, j'en frissonnais d'excitation.

Mais je me devais de me focaliser sur ce qui se passait actuellement sous mes yeux. Je restais en retrait, mon compagnon morbide faisait tout le travail pour moi. Morphée restait à mes côtés ne ratant pas une miette du spectacle qu'on lui offrait. Orpheus tua proprement et rapidement son adversaire. Je souris doucement à ses dires. Il n'avait agi sans aucun sadisme, c'était là notre différence principale. Moi, je laissais mon zombie manger ce qui engendrait de terribles souffrances chez ma victime. Ses lamentations et ses cris prisonniers de sanglots me ravissaient mon ouie.

Je révisai rapidement mes dires. Le coup de l'oreille arrachée était tout simplement un acte cruel indigne d'un chevalier d'ordinaire mais je m'en moquais. J'aimais la technique. Je m'approchai de mon partenaire et posai ma main dans le bas de son dos tout en susurrant :

"Aucunement. J'ai vu bien pire. Je suis juste étonnée que ce genre de techniques soit accepté ici. Je vous pensais plus trouillard."

Je m'approchai du peureux. Il s'était uriné dessus et depuis quelques secondes baragouinaient des syllabes sans qu'on puisse en tirer quoi que ce soit. Ma dague dans la main, je le fixais droit dans les yeux. La frayeur était lisible. Mon arme vint caresser sa joue, remonta vers son nez, puis descendit le long de ses lèvres pour redescendre jusqu'au cou. Du sang apparaissait sur mon passage.

"Parles correctement et distinctement sinon, je te coupe la langue. Allez, nous sommes tout ouis mais dépêches toi, j'ai tendance à perdre patience et mon zombie a très très faim."

Pour appuyer mes dires, ma créature vint lui saisir la main droite et commenca à grignoter son annulaire. Tout ceci avait été fait sur mon ordre. Le cri fut effroyable. Tout aussi calme, je murmurai :

"Alors?"

"Au fond de la ruelle.... pitié... pitié... j'ai une famille..."

"Tss... Continues et évites de continuer sur cette voie, sinon, je vais leur rendre une petite visite."

"Non... non... *déglutition difficile* *larmes* à gauche... c'est au sous-sol... mais vous y mourrez... c'est bien gardé!"

J'éclatais de rire et me retournai vers mon partenaire :

"Verdict?"

L'activité passive, à savoir invoquer des larbins pour faire le sale boulot, Orpheus n'était pas friand de ce genre d'action parce qu'à son avis, on n'est jamais mieux servi que par soi-même. C'est pour cette raison qu'il n'avait ni compagne, ni animal de compagnie, ni ami de confiance à qui il laissait entendre toutes ses aventures. Qu'on sache trop sur lui deviendrait une faiblesse à exploiter, alors il agissait en solo, à sa manière et obtenait les honneurs avec des regards suspicieux dans le dos. Peu importe la manière de procéder du moment que le résultat est le même non? Toutes les éthiques, les croyances et les codes civils n'étaient là que pour entraver la productivité humaine. Le code des chevaliers par exemple, ne tuer qu'en cas de strict nécessité et ramener la personne à la justice. Simplement pour les lâches qui ont peur de se salir les mains. Ensuite protéger la veuve et l'orphelin? C'est bien qu'ils avaient besoin de se détendre parfois les messieurs alors il est préférable de jeter son dévolu sur une femme qui n'est pas prise.

Bref, Orpheus avait contemplé le zombie avec une pointe d'ironie et de dégout également. La notion de "beau" devait être différente chez Morgane et lui. Pour avoir forcément le dernier mot, il concluait par:

"Vous pouvez faire mourir de peur les âmes sensibles avec des invocations aussi "jolies", c'est un point fort!"

Avant d'interroger le prisonnier qui ne s'en sortirait pas facilement, le chevalier s'occupa de quelques formalités, renvoyer le clochard de là où il venait. Qu'il retourne à la terre, qu'il redevienne poussière personne ne pleurerait sa disparition. Ce devait être amusant de voir un chevalier agir de la sorte. Ah, mais il n'avait jamais dit à Morgane qu'il en était un alors elle ne pouvait même pas s'en douter. Pour patienter l'animation morte dévorait des petits bouts du malheureux. Ce devait être douloureux, c'est certain. Mais au cas où il n'aurait pas compris sa position, Orpheus ne trouva rien de mieux que de lui couper tranquillement une oreille. Il ne faudrait pas qu'il s'endorme au milieu de l'interrogation quand même. Juste par principe il demandait le ressenti de celle qui était à côté de lui. Il l'avait forcé à venir lui donner un coup de main au fond alors autant s'enquérir de sa santé mentale. De toute façon, au vue de sa méthode opératoire, à savoir laisser un mort-vivant manger des bouts d'humain vivant, elle avait surement les nerfs solides. Cette voix doucereuse qu'elle avait dans son dos en laissant trainer sa main, ça l'exaspérait alors il administrait une droite dans le visage d'en face pour se détendre.

"Et moi je vous pensais plus, disons, raffinée. Enfin, il faut bien accepter les gens comme ils sont!"

Puisqu'elle voulait se joindre au jeu, le chevalier la laissa s'amuser un peu avec la proie, du moment qu'elle ne le tuait pas avant qu'il ait donné les informations, tout lui allait, même si cela revenait à lui couper les bras et les jambes. Une dague bien proche du visage, la sadique dessinait avec, des coupures superficielles mais tout de même douloureuses le long de son visage. Venant d'une femme armée, la demande est merveilleusement effrayante. Orpheus se surprit à avoir un petit rictus amusé en regardant Morgane. En temps normal, il ne torturait pas trop longtemps les gens non plus. Il restait chevalier, même si ses tendances étaient quelques peu maléfiques, il ne faisait pas souffrir des longues heures. Au contraire, le blondinet était plutôt du genre à perdre patience et à tuer vite fait bien fait pour passer à quelqu'un d'autre de plus avenant à la discussion. Maintenant, c'est un doigt du gars qui était grignoté. Ses cris déchirant le laissaient de marbre. Et enfin, il donna sa réponse, la réponse qui sonna sa sentence. Orpheus décroisa les bras en soupirant. Sans crier garde, il planta la pointe de son couteau dans son oeil, histoire que cette scène de crime ressemble à l'attaque d'un tueur au mode opératoire bien précis qui crèverait l'oeil droit de toutes ses victimes.

"Je ne t'en veux pas, c'est peut-être ton ami qui mentait. En tout cas, ce n'était pas la bonne réponse. "

A toute allure, le chevalier dégaina en ouvrant le ventre de sa victime, rengainant immédiatement en se tournant déjà vers la ruelle alors que l'intérieur de l'homme se vidait par terre. Du bout de sa botte, il envoya le couteau du clochard dans la direction du futur mort et lui dit sans le regarder:

"Je te laisse la possibilité de mettre fin à tes jours. Chacun doit être libre de sa manière de mourir."

Qu'il agonise longtemps ou bien que sa mort soit rapide, le choix lui revenait. Ensuite, ce que ferait le zombie de Morgane n'était pas non plus ses oignons. Saleté d'informateurs. Maintenant il se retrouvait avec deux endroits à vérifier. Au fond, c'était peut-être un mal pour un bien. SI la cachette était bien dans la ruelle, il n'aurait pas à vérifier au cimetière et à attendre la nuit pour agir. Par contre, si il s'avère que dans la ruelle, il n'y avait qu'une petite planque, ce serait le double du boulot. De longues heures de travail en perspective…

"Si il s'agit bien de la cachette, je vous mènerai au théâtre juste après."

Signifier qu'il n'avait pas oublié ce détail et également que malgré son égoïsme, il pensait par moment aux autres et à leurs objectifs. Bien motivé et le sourire bien clair sur un visage habitué à grogner et à rager contre les autres, le chevalier invita finalement Morgane à l'accompagner. Ils avaient commencé ensemble, autant terminer ensemble et puis, un petit coup de main ne serait pas de refus. Ca, il ne l'admettait par contre pas ouvertement.

"Plus raffinée? Qu'entends-tu par là? Tu veux dire que je n'ai pas d'esthétique? Que je me conduis comme un mec?"

J'étais choquée! Il n'aimait pas ma manière d'agir! Là, c'était bien une première! D'ordinaire, on sifflait d'admiration quand on me voyait à l'oeuvre en disant que j'étais bien une Steel jusqu'au bout des ongles. Dangereuse et fatale comme l'est le meilleur poison sur Nelberaid! Et lui! Il osait me critiquer! J'eus envie de lui griffer le torse ou bien le visage pour faire passer mes nerfs mais c'est sur ma victime que j'agis via mon zombie! Non mais oh! Je n'accepterais jamais les critiques surtout quand celles-ci ne sont nullement constructives!

Ma fierté avait toujours été mal placée, cela ne changerait pas aujourd'hui comme nous pouvions l'observer actuellement. Je bouillais de rage mais je réussis à l'enfouir pour continuer mon travail. Par contre, Orpheus devait faire très attention s'il ne voulait pas être mon quatre heure. Il était certes séduisant mais son cynisme pouvait être en défaveur s'il ne faisait pas un minimum attention quand il s'adressait à moi!

L'interrogatoire se poursuivit et apparemment, ma proie semblait être un fiéffé menteur. J'admirais la technique du chevalier. Priver la vue à autrui avait quelque chose de sensuel pour l'être sadique que j'étais. Il finit son oeuvre en lui ouvrant le bide. Je me retins d'applaudir! Tant de sang... Hum... J'adorais cela... Par contre, son dernier acte me laissa perplexe pourquoi achever quand la souffrance peut durer des heures? Ahlalala, je ne comprendrais jamais les neutres sur ce point.

Je fis disparaitre mon zombie, le voir manger les entrailles du voleur ne me donnait nullement en vie. Je fis une grimace à cette pensée.

"J'ai toute la nuit devant moi, je ne suis pas pressée à moins que ma compagnie t'offusque. Dans ce cas, dépêchons nous."

Je lui fis mon plus beau sourire enjôleur. Il m'avait mis en appétit. J'avais donc hate de poursuivre. Je passais ma main au creux de son coude et nous allâmes en direction de la fameuse planque. Alors qu'on faisait face à la porte, je murmurai :

"J'espère qu'ils sont plus résistants. Laisses moi agir, je vais faire sortir les mauvais rats!"

Je n'avais pas envie de visiter pièces par pièces. J'invoquais donc et fis apparaitre un tremblement de terre. Dans un second temps, j'envoyais deux boules de feu sur le toit en paille. Les fondations n'étaient guère solides, il ne faudrait que quelques minutes avant que tout s'effondre. La fumée gagnait du terrain et deux minutes plus tard, alors qu'un pilier venait de s'écrouler à l'intérieur, une femme apparut...

Combattre avec grâce, avec élégance. Combattre avec des aiguilles, avec des petits instruments, des choses un peu plus féminines qu'un sale zombie, c'est de ça qu'il parlait. La femme comprenait ce qu'elle voulait, il n'avait absolument pas parlé de garçon manqué mais n'allait pas la contredire par simple flemmardise. Orpheus ne mâchait pas ses mots, il ne ferait pas de galanterie parce qu'elle était femme, malgré ce physique chatoyant à ses yeux. Son énervement? Il le remarqua à peine, ou bien l'ignorait complètement. Actuellement, il était bien plus occupé à savoir si ils allaient perdre un peu plus de temps à vérifier deux cachettes ou bien une seule. Sachant qu'on venait de lui donner une autre information, le chevalier était embêté et mettait donc fin aux jours de l'individu, enfin, presque. Avec une once de bonté, il lui permettait de mourir rapidement si l'envie lui passait, en tout cas, il ne survivrait pas à l'heure qui suivrait vu la quantité de sang qui s'échappait de son corps. En avançant, le chevalier donna la suite du programme à Morgane. La chance leur permettrait d'atteindre le théâtre plus vite. Dans le cas contraire, elle serait obligée de le suivre encore un peu plus longtemps. Pas un instant, il n'alla contredire la jeune femme, que sa compagnie soit distrayante ou non. En réalité, si elle avait été un poids, elle serait déjà bien loin de lui. Si il tolérait sa présence, c'est que ce n'était pas si mal au fond. Toutefois, n'importe lequel de ces sourires de mangeuse d'homme le faisait lever les yeux au ciel. Oui, ciel, qu'avait-il fait pour avoir cette femme au bras? Quand certains auraient tué père et mère pour l'avoir rien qu'un sourire de sa part, le Neiphereum maudissait le sort qui lui imposait une telle corvée.

Morgane réussit malgré tout à ôter ce genre de pensée de la tête du blondinet. En effet, elle déclencha une magie déjà bien plus intéressante, différente de l'invocation d'un mort. La planque pour faire court, allait tomber en ruine dans très peu de temps. Et justement, il y avait le feu au toit, la fumée qui s'engouffrait partout où elle avait de l'espace. Enfumer les habitants pour qu'ils s'en sortent, intéressant dans certaines mesures, sauf que si une vingtaine en sortait, Orpheus aurait préféré les tuer un par un plutôt que de faire du deux contre vingt. Elle réfléchissait par moment? Quand il disait qu'elle n'avait aucun raffinement.

Par chance, une femme unique en sortait, à moitié en train d'étouffer, les yeux en pleurs avec la fumée. Juste une femme. Rien qu'une femme avec un visage et des mains sales, des vêtements un peu déchirés, des cheveux négligés. Morgane venait de priver une pauvre femme de son habitat, ou plutôt l'autre qui agonisait venait de priver une femme d'un toit. Les yeux bleus du chevalier virèrent soudain au rouge, le rubis sur son arme brillant d'une lumière inquiétante alors qu'il repoussait brutalement le mage noir, par sécurité pour elle plus que par méchanceté. A pas rapide, il retournait voir le malheureux qui allait connaitre le salut, l'arme à la main. D'un coup de pied, il cassa plusieurs de ses doigts en faisant voltiger le poignard. Par un mensonge il avait causé du mal à une innocente. Impardonnable. Dans cet état, Orpheus n'avait plus rien d'autre en tête que la raison pour laquelle sa colère était venue. A nouveau un de ses couteaux de lancer à la main et il entreprenait de charcuter cette personne. Un nez en moins, l'autre oeil crevé. La rage du chevalier teintait le sol de rouge. Des sillons carmins, des coups de poing qui lui brisent les dents. De tout son être, de tout son corps il lui brisait les os sans jamais briser sa vie.

Quand finalement, les pupilles du chevalier retrouvaient leur couleur d'antan, il observait la chose devant lui, ce qui restait de l'individu pleurnichard. Ensuite il regardait ses gants rouges, son couteau tout aussi coloré. Sans surprise, il savait parfaitement ce qui s'était produit et se relevait épuisé. En fait, il avait du mal à tenir debout et se rattrapait au mur avec difficulté, haletant et suant à grosse goutte.

"C'est pas vrai… je voulais les avoir ce soir…!"

Ses jambes tremblantes ne le tenaient déjà plus et il tomba mollement à genou dans la ruelle. Quand ça lui arrivait, il n'avait plus de force par la suite pour une période aléatoire. Ce qui était sûr, c'est qu'il ne pourrait être disponible pour l'opération de minuit. Quel idiot d'avoir succombé à la colère si facilement! Mais en regardant la pauvre femme sortir de la maison en feu, le peu de justice qu'il avait en lui s'était révolté contre l'unique bouc émissaire disponible. Déglutissant avec difficulté, il formula à basse voix:

"Morgane… Je ne pourrais pas vous guider jusqu'au théâtre aujourd'hui… Je ne pourrais pas non plus mener à bien ma mission alors, simplement… allez au bout de la ruelle, tournez à gauche jusqu'à la grande place… et vous serez à destination…"

Pour lui avoir fait perdre sont temps, il lui devait bien ça. Enfin, c'est bien parce qu'il était en état de faiblesse qu'il était bien plus humain et compatissant. En temps normal, il serait encore en train d'agir comme un rustre à dire sans détour ce qu'il pensait de Morgane en face d'elle. Il éclata doucement de rire pour lui-même.

"Je suis vraiment pathétique…"

La discrétion n'était pas vraiment mon atout au contraire de ma mère. J'avais surtout envie de faire vite afin de voir ce fameux théatre. Du coup, en grande impatiente que j'en étais, j'en devenais très imprudente. Mais ce n'était pas grave, j'avais l'habitude de gérer les problèmes.

Je fus déçue de voir qu'une unique femme sortait seulement de la bicoque. Moi qui espérais jouer, me voilà désappointée surtout qu'elle avait l'air très inoffensive. On nous avait berné c'était certain. De l'agacement fit place à l'amertume puis une colère sourde contre le mort. Mais je ne pouvais passer mes nerfs sur lui... un cadavre n'éprouve aucune douleur donc aucun plaisir à jouer avec...

Alors que je réfléchissais, un drôle de spectacle se déroula devant moi. Orpheus... avait littéralement pété les plombs. Mon chat était tout aussi effaré et pour moi, restait mortellement silencieux. Cela me déstabilisait lui qui était une pipelette d'ordinaire se retrouvait privé de la parole. J'aurais presque applaudit de satisfaction car depuis que je l'avais avec moi, j'espérais qu'une telle chose puisse arriver... mais jusqu'à maintenant, mes espoirs n'avaient été que douces sornettes... le chevalier avait au moins réussi cet exploit.

Quant à son attitude... Celle-ci était incompréhensible... Sa rage était compréhensible mais pourquoi s'en prendre de cette manière à l'agonisant? La barbarie utilisée n'avait aucun art... Il donnait juste des coups et transformait le pauvre corps peu à peu en bouillie sanguine. Mon estomac s'en retrouva bouleversé pourtant d'ordinaire je n'étais pas choquée... mais dans cette action... il y avait quelque chose que je ne voyais jamais d'ordinaire... une sorte de désespoir... oui... c'est bien cela...

Le feu avait fini de terminer la maison. Je ne m'étais pas offusquée de sa bousculade. Je regardais l'innocente. Celle-ci pleurait toutes les larmes de son corps. Aucun mot d'excuse ne traversa mes barrières carmines, je ne connaissais aucun langage à ce sujet. Un bruit me fit comprendre que l'assaut était terminé... Celui d'un bras qui racle un mur... Le paladin était vidé... j'eus peur pour lui... En effet, j'avais l'impression qu'à tout instant, il allait tomber raide mort à cause des émotions qu'il avait subi... Or... même s'il était on ne peut plus désagréable, je commençais à l'apprécier et il m'avait promis de m'emmener au théâtre! Donc il n'avait pas le droit de succomber.

Je m'approchais de lui calmement. Je n'avais pas peur de lui pourtant je devrais au vu du massacre qu'il venait de réaliser. Je fis partir la villageoise. Cela ne servirait à rien de la tuer... Bien sûr, je la menaçais au passage histoire qu'elle ne prévienne pas la garde et nous cause des ennuis. J'écoutais ses indications. Mon regard verdoyant se fixa sur la ruelle à prendre mais revint rapidement à lui. Je ne pouvais pas le laisser comme cela. J'avais trop d'honneur pour cela aussi surprenant que cela puisse paraitre.

"Non. Tu es juste un homme qui n'aime pas qu'on lui mente. Je le comprends. Bon, d'ordinaire, on ne fait pas une telle boucherie d'un corps... à moins d'aimer se salir... mais c'est compréhensible... Et puis, il allait mourir donc de toute façon, tu as juste abrégé ses souffrances."

Enfin, on peut dire les choses comme cela... Je lui souris doucement et repris :

"Je ne partirais pas. Tu m'as promis un truc donc j'attendrais que tu ailles jusqu'au bout. Si tu voulais te débarrasser de moi, c'est raté."

J'émis un petit rire cristallin et regardais de nouveau le pauvre vagabond.

"Tu peux vraiment pas marcher? Parce que ca va commencer à puer... Donc il faudrait mieux qu'on s'assoit un peu plus loin... à moins que tu aimes l'odeur de viande avariée?"

Après tout, tout était possible. Mon babillage n'était là que pour le détendre. Je devins plus sérieuse et murmurai :

"Cela t'arrive très souvent? Tu n'as pas peur d'en mourir?"

Le travail, du moment qu'il était bien fait, en général, Orpheus n'avait pas de problème quant à la méthode employée. Par contre, lorsque quelqu'un de non-concerné était appliqué à cause de l'égoïsme d'un autre, il ne pouvait le pardonner. C'était en partie de la faute de Morgane, quoiqu'au fond, elle ne pouvait pas savoir qu'il ne s'agissait que d'une fausse cache. Par contre, l'agonisant au sol, lui, savait parfaitement à quoi il jouait. Même avec sa vie en jeu il s'était contenté de donner une mauvaise piste. Qu'est-ce qui l'avait poussé à rester muet sur le véritable emplacement? Quelle menace pire que la mort? Et si on avait menacé sa famille? Encore fallait-il qu'elle existe. En tout cas, elle venait de perdre l'un de ses membres. Le chevalier avait été pris de cette folie, cette colère qui le rendait aveugle au point de vouloir réduire en charpie cet individu. Il serait allé jusqu'à le démembrer, le réduire en bouilli si cette phase s'était allongée plus longtemps. Le rubis qui était sur son épée réagissait de manière particulière avec lui et rien qu'avec lui. Les autres de la génération d'avant ayant porté la même arme n'avaient jamais rien ressenti. Il n'y avait qu'Orpheus qui tirait une force mystérieuse de là. D'après les histoires qu'on lui racontait, Integral Neiphereum se serait baladé avec ce rubis coincé dans la paume de sa main dans le passé, surement pas par plaisir. Cependant, il s'en était séparé et l'avait serti dans sa dernière lame et à nouveau, une de ses actions se répercutait sur un des descendants! Cet idiot sans cervelle et nombriliste réussissait à énerver les gens même après sa mort.

Le pouvoir qu'Orpheus avait nommé "âme de rubis" dissipé, le chevalier se retrouvait épuisé. Le pire était lorsqu'il s'activait en combat, dans un moment où la prudence est cruciale. Mais déjà, il n'avait plus de force. Difficile de se trainer jusqu'au mur en suant à grosse goutte et en respirant comme un buffle. L'impression d'avoir sprinté sur trois kilomètres rendait ses membres encore plus lourd mais il avait encore l'esprit clair, dans certaine mesure. Il n'oubliait pas la présence de Morgane, de la femme qui venait de perdre sa maison, ni du cadavre sanguinolent qu'il venait de créer. Il n'oubliait pas qu'il devait amener cette femme gênante au théâtre, ni que des voleurs de bas étage couraient encore les rues. Alors qu'il venait d'offrir à la femme une occasion de se moquer de lui, cette dernière lui répondait le plus sérieusement du monde. Têtue, elle ne voulait pas non plus le laisser là. Quelle plaie sérieusement! Cela le faisait pourtant sourire.

"Je trouverai bien un autre moyen de te fausser compagnie!"

Marcher, se lever… Il essaya de prendre ses appuis et de se mettre sur ses deux pieds, sans succès. Le poids de son corps était incroyable et puis ses jambes ressemblaient à de la pâte à modeler.

"Il faut sortir de cette ruelle tout court. On ne peut pas être trouvé avec deux cadavres sur les bras… Ah, suis-je bête, je suis complètement dégueulasse…"

Du sang maculait sa veste orange ainsi que son haut blanc, un rouge qui se fonçait en séchant. La mort d'un autre sur ses gants également. Dans les rues, il attirerait bien vite l'attention des gardes et serait accusé de meurtre, chevalier ou non. Ca leur ferait bien plaisir de se débarrasser de lui dans un cachot au château, mais ce n'était définitivement pas dans les plans. Les yeux du blondinet glissaient par la suite sur le visage du mage noir. Si il avait peur de mourir? Tout le monde à peur de la mort et la fuit comme la peste. Par contre, mourir de ça…

"Ce n'est surement pas un pouvoir inconnu qui m'achèvera! Je suis plus endurant qu'on ne peut le penser et puis, j'ai encore des projets à réaliser avant de rejoindre la poussière."

Découvrir ce qu'Integral leur avait laissé avec son vieux chiffon sur lequel une carte était dessinée et puis prouver qu'il ne méritait pas les éloges qu'on faisait de lui. Tout le monde l'appréciait à l'époque, ça n'avait pas de sens, c'était un tir au flanc, un incapable qui savait juste se battre pour vivre. Alors pourquoi? Ce qu'il ne comprenait pas l'agaçait. Ce qui l'agaçait le mettait de mauvaise humeur. Il était donc de mauvaise humeur pour un rien, sans pour autant entrer dans des rages folles comme la précédente qui était une pure exception. Seul, Orpheus ne parviendrait pas à se lever alors il demanda bientôt l'aide de Morgane. Et les divinités savaient combien cela lui faisait mal de demander un service à quelqu'un d'autre! Cela signifiait qu'il ne parvenait même plus à se débrouiller seul, à survivre par ses propres moyens. Inacceptable.

"Ta mère était amie avec mon ancêtre mais cela remonte à bien longtemps ce qui signifie que tu n'es pas aussi jeune que tu en as l'air… Mais dis-moi, est-ce qu'elle t'avait dit, pourquoi il était un si bon ami? Pourquoi les gens lui faisaient autant confiance alors qu'il n'était bon qu'à fuir plutôt que de combattre?"

L'amertume transparaissait dans le ton du chevalier. Plus il en parlait, moins son humeur s'arrangeait. Si il s'était montré un poil plus doux à la sortie de sa petite folie, Orpheus retrouvait très vite ses marques et son caractère. Il voulait comprendre de ses oreilles, voir de ses propres yeux, tout ce qui était en rapport avec celui qui avait perpétué le nom de Neiphereum. Celui qui s'était uni à une démone et qui lui avait donc mis dans les veines une pointe diluée démoniaque qui était peut-être responsable de la réaction au rubis. L'hypothèse était plausible après tout.

J'éclatais de rire doucement. Il ne me connaissait pas du tout. Je le voyais clairement, bon pour sa défense, on s'était rencontré qu'il y a quelques minutes mais il me jugeait mal. J'étais bien plus persévérante que cela. Je lui jetai juste un regard amusé. Il apprendrait à mieux me connaitre prochainement. Il fallait juste laisser le temps au temps.

Je le regardais avec une légère inquiétude tenter de se relever. Il était vraiment vidé. C'était incroyable. C'était comme si toute l'adrénaline avait fui dans son corps pour pulvériser le maudit. Du coup, il n'était plus rien. Néanmoins, sa fonction de raisonnement était toujours présente. Par conséquent, je ne pouvais qu’acquiescer à ses dires. Rester près d'un cadavre, en plus de l'odeur, il y avait aussi le risque de se faire repérer par la garde. Et en bonne représentante de la famille Steel que j'étais, je ne souhaitais pas faire un petit tour en prison donc j'approuvais l'idée.

"Lèves toi. Au pire, appuies toi sur moi. Et pour tes vêtements, il suffit juste que tu me dises où se trouve le tailleur. J'achète des vêtements et je te les ramène. Tu auras juste à attendre caché dans une ruelle et prier pour que la déesse interdite soit avec nous."

Mon plan ne semblait pas tiré de la tête d'une folle. C'était même plutôt logique. Cela aurait été plus simple si cela s''était déroulé évidemment à Malificium vu que je connaissais là bas et non ici. Mais Orpheus était là pour arranger ce petit détail. Je devins subitement sérieuse et lui demandai une question bien étrange. Qui n'avait pas peur de la mort? Même moi, des fois, j'en étais effrayée alors que je suis son bras armé.

"Plus endurant, je veux bien mais tu manques d'entrainement au vu de la fatigue que tu ressens actuellement."

Simple logique. Je ne doutais pas de sa force, je faisais juste une contemplation en le regardant calmement. J'acceptais de l'aider et lui tendis la main afin qu'il s'appuie sur mon bras. Sa question me surprit. Je le fixais quelques secondes sans comprendre puis mon cerveau reprit ses fonctions premières. Je lui souris doucement et fis un pas en arrière. Je plongeai mon regard dans le sien et résumai les choses :

"Je suis à moitié drow. Je vis donc plus longtemps, ma mère était aussi une drow. Donc elle est morte il n'y a pas aussi longtemps que cela. Je suis ici pour mieux le comprendre car quand elle en parlait... elle avait toujours ce petit sourire affectueux en soupirant : Integral me manque. Le lien qui les unissait était plus fort que leurs statuts. Ils auraient du être ennemis après tout. Il n'était pas très doué oui mais il était toujours là si on avait besoin de lui. Elle aurait du finir dans un cachot le jour où ils se sont rencontrés... au théatre justement... mais il a préféré combattre la garde que de voir punir une demoiselle en détresse. Comme elle, il était un aimant à poisse. Ils aimaient la vie. Son humour était décapant d'après ce que j'en sais. Mais ne le sous-estime pas trop. Il a sauvé la vie de ma mère lors de quêtes. Je ne serais pas devant toi s'il n'avait pas été là. Je le suis donc reconnaissante et mon père l'était aussi."

Mon sourire était devenu nostalgique, mon regard plus brillant, l'émotion me gagnait. Je posais subitement ma main sur sa joue droite que je caressai doucement :

"Je ne comprends pas ta rancoeur que je peux sentir quand tu parles de lui. Il a été chef, ce n'est pas rien. Il était ami avec la chef des ombres et celle des mages rouges... Il aimait avec son coeur, il voyait au delà des apparences. Ma mère l'aimait beaucoup pour cela. Ma famille est réputée pour de nombreux crimes mais il n'a jamais eu peur avec elle... il savait qu'elle ne le tuerait pas... Nous sommes ici grâce à eux... C'est une bénédiction non?"

Lui fausser compagnie, ah, il avait d'autres priorités en tête actuellement, comme par exemple, sa propre santé ou éventuellement sa sécurité. L'inquiétude qu'il lisait dans les yeux de Morgane le rendait malade. En même temps, il était également responsable de son état alors il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même. Céder à la colère, céder au pouvoir qui l'avait traversé, il était de nouveau furieux. Chaque fois que cela se produisait, il y avait un cadavre dans les parages et il devait se glisser dans un coin le temps de récupérer ses forces. Cette fois-ci, il avait une aide, une femme dont personne ne prendrait la défense si jamais ils la trouvaient à côté d'un cadavre. Lui serait désigné comme responsable puisqu'il était couvert de sang, complice éventuellement. Hors de question de croupir en prison, cela ferait bien trop plaisir aux chevaliers hauts placés. Il ne leur ferait pas plaisir, oh que non. Chacun était d'accord avec l'autre sur plusieurs points. S'éloigner du cadavre, éviter de sortir à la vue de tous couvert de sang, ce genre de détails qui faisaient la différence.

"Ca me fait mal de l'admettre mais je vais devoir demander ton aide."

Un tailleur en Naturalia… Il y avait bien celui que toute sa famille avait fréquenté pendant des générations et des générations, depuis… depuis Integral justement. Ce n'était pas si loin du théâtre en plus et il suffisait simplement de demander une tenue pour Orpheus pour que le type comprenne. Lui et ses ancêtres avaient la fâcheuse habitude à s'habiller souvent de la même façon, si bien qu'on ne pouvait définir si ils étaient propres ou bien si ils ne s'étaient lavés il y a une semaine. Même si Morgane ne faisait que quelques remarques, le chevalier reprenait vite du poil de la bête et riposta:

"Ce dont j'ai besoin ne regarde que moi. Je ne te demande pas de juger mon état mais juste de me donner un coup de main!"

Malgré ce petit ton énervé, la femme acceptait tout de même de lui venir en aide. Après avoir coincé ses gants dans sa ceinture, il saisissait la main qui lui était tendue. Elle était plus douce qu'il ne l'aurait imaginé. Toutefois, le temps de la contemplation n'avait pas lieu, il perdait très vite l'équilibre et s'appuyait en grande partie sur la bonne femme qui devait supporter le poids d'un homme d'une vingtaine d'années. Une question lui venait soudain à l'esprit et il s'empressait de la poser. Son ancêtre était aimé et il ne comprenait pourquoi. Si la fille d'une bonne amie pouvait lui parler de ce qu'avait été le chevalier blanc pour sa mère… Il l'écoutait avec un sourire ironique. Comme toutes les histoires, cela lui ressemblait comme deux gouttes d'eau. Sauver une personne sans savoir de qui il s'agit, devenir ami avec une ombre…

"Un beau poisseux qui n'avait pas la volonté de prendre position, qui devient ami avec tout le monde et qui finit par faire face à des dilemmes en temps de guerre. Je n'arrive toujours pas à comprendre."

Il continuait pourtant de l'écouter, sans comprendre pourquoi Morgane arborait ce sourire ému. Etonnamment, il la laissait faire quand elle posait la main sur sa joue. Ce n'était pas la séductrice qui parlait mais la femme qu'elle était qui s'exprimait cette fois-ci alors il ne la repoussait pas.

"Il nous a donné la vie, il nous a lâchement abandonné en nous laissant trois fois rien. Le nom Neiphereum est à peine connu ou respecté maintenant, simplement parce que ce chef est parti, disparu. Ensuite on se permet de faire des légendes sur ses faits d'arme avec un compagnon nomade. Tu dis qu'il voyait au delà des apparences? Moi je pense qu'il ne faisait pas la différence entre le bien et le mal."

Les sourcils froncés, le chevalier reprenait sa respiration. A nouveau épuisé en s'étant emporté. Il avait le bras autour des épaules de Morgane pour ne pas tomber, son bras se raffermissait sur elle alors que son front se posait sur son épaule.

"Je suis las de discuter de lui. Est-ce que nous ne pourrions pas juste… me trouver des vêtements et aller nous reposer quelque part?"

Cela ne servait à rien de s'emporter d'avantage. Elle n'était en rien responsable des actions d'Integral, elle ne le connaissait pas non plus personnellement. Comment un mort pouvait-il mettre autant quelqu'un en rogne… Orpheus ne demandait pas à ce qu'on comprenne sa colère, juste qu'on accepte qu'il éclate de temps à autre pour cette raison précise.

"Il y a un marchand dans la rue du théâtre. Il nous connait tous personnellement, il aura de quoi m'habiller, même si ce n'est pas exactement la même tenue. Juste un pantalon et un haut suffiront…"

Parler d'un inconnu n'était pas aisé. Je ne fais que répéter ce que ma mère m'avait dit sur son ancêtre. Elle avait toujours eu une voix douce quand elle le citait. Il était entré dans son coeur comme mon père l'avait fait. Je m'étais même demandée pendant un temps s'il n'y avait pas eu plus que de l'amitié entre eux mais ma mère n'avait jamais voulu répondre à cette question. Cela faisait parti de la sphère privée. Puff... n'importe quoi!

En tout cas, mon père avait toujours toléré la présence du chevalier dans notre ancienne demeure. Leurs ordres étaient ennemis mais ma mère n'aurait pas hésité à protéger le paladin des coups de son bien aimé en cas de besoin. Du coup, ils faisaient avec pour éviter tous les deux de blesser une personne qu'ils aimaient énormément.

Je ne comprenais pas pourquoi Orpheus ne semblait pas l'apprécier également. J'étais venue ici pour mieux comprendre le chevalier et je me retrouvais avec un de ses descendants qui ne semblaient pas l'aimer... l'ironie me faisait sourire. J'aimais profondément mes parents et je protégeais leurs mémoires coute que coute. Les histoires de famille sont toujours compliquées apparemment et l'amour idyllique n'est pas toujours présent au sein de celles-ci. Je souriais à mon interlocuteur. Ce n'était pas grave. Le passé fait parti du passé, seul l'avenir compte non?

Mon sourire disparut subitement. Je devins grave. Ma main continuait de lui caresser la joue. J'étais peinée parce qu'était devenu son nom. Les Steel étaient toujours réputés... Les Evans un peu moins... Integral s'était enfui?? J'étais choquée. Un ami nomade? Je ne savais pas de qui il parlait. Ma mère ne trainait pas avec ce peuple.

"Est-ce si mal? Regarde nous. Je suis une habitante de Malificium, tu vis ici... et nous parlons sans nous battre. Ton ancêtre faisait de même. Il n'attaquait pas à tire l'arigot... Pour avoir l'exacte opposé dans ma famille, je peux t'assurer que c'est plaisant! Ma grand mère était une véritable tête brûlée... Elle a failli me faire tuer une multitude de fois tout cela parce qu'on avait osé passer devant elle à la taverne ou parce que le prix de sa robe ne lui allait pas!"

On pouvait lire toute ma désolation à ces souvenirs sur mon visage. Garvera Steel n'était pas facile à vivre surtout dans les derniers mois de sa vie. Je chassais ses pensées et repris :

"Il a vraiment quitté son rôle de chef au lieu de protéger les siens?"

Ce détail me choquait. Je voulais devenir chef et je comptais pas faire une telle aberration une fois en place! Il était à présent debout. Nos corps n'avaient été aussi proches l'un de l'autre. Je le maintenais comme je pouvais. J'acquiessai :

"Viens. On ira ensuite s'asseoir au théatre."

Nous nous mimes en marche. J'écoutai ses indications. Nous allâmes jusqu'à une intersection et je finis par devoir le laisser pour aller jusqu'au fameux tailleur. J'entrais calmement. Ma venue fit sursauter le pauvre commercant.

"Je viens de la part de Sir Neiphereum. J'aurais besoin d'un pantalon et un haut"

Le marchand s'empressa de se mettre en éxécution. Je priais pour qu'aucun garde ne vienne causer des emmerdes à mon partenaire. Au bout de quelques minutes, je pus récupérer la marchandise. Il refusa que je paye. J'en fus surprise. Ses mains tremblaient de peur. J'en étais amusée et dire que j'avais été sage. Ahalala... Ce que je ne savais pas c'était que par le passé, ma mère l'avait rudement engueulé parce qu'il avait osé lui vendre une tunique rose! Or, elle ne m'était jamais de couleur aussi bénéfique. Ma ressemblance avec elle lui rappelait ce souvenir quelque peu désagréable. J'haussai les épaules et revint vers Orpheus. Je lui tendis des vêtements de couleur beige et vert.

"Tiens. Tu te changes ici? Tu as besoin que je tourne le dos?"

Après tout, il était peut-être pudique...

Le chevalier blanc, Integral, toutes les appellations possibles étaient susceptibles de mettre Orpheus dans une colère noire. Tout ce qu'il y avait un rapport avec lui, une colère incontrôlée et pas toujours justifiée. A la longue, il finirait par s'apercevoir qu'il en faisait trop, que ce sentiment s'était amplifié de lui-même sans aucune raison. Avec le temps, il finirait par atteindre son but, comprendre cet ancêtre lointain et lever définitivement un voile sur ce qu'il avait été. Les histoires qu'on lui contait ne l'intéressaient pas. Tout récit peut être fiction, embelli. Le pire, c'est qu'on ne lui avait jamais caché les faiblesses du Neiphereum ce qui le rendait d'autant plus pitoyable. Un chevalier qui a peur des fantômes? Quel genre d'individu avait-il été pour en arriver là?

Tomber sur la descendante d'une personne qui avait été directement liée au sujet de conversation tabou de toujours aurait dû le mettre hors de lui. Toutefois, Orpheus faisait encore la part des choses. Morgane n'était en rien responsable du lien qui avait lié sa mère et le chevalier blanc. Au contraire, par elle, il pouvait en apprendre un peu plus sur le mystère à éclaircir, le seul mystère qui soit capable de lui faire connaitre des nuits blanches autre que des beuveries à la taverne. La raison pour laquelle la femme lui souriait soudainement lui échappait. Les caresses qu'elle lui faisait, et bien, il n'y faisait pas attention ou essayait de ne pas faire y attention ou encore n'avait pas la force de les sentir. Sans s'arrêter, il ne dissimulait aucunement son ressentiment. A son tour d'être amusé. Il n'avait pas fait la connexion jusque là mais c'était évident maintenant qu'elle en parlait.

"Au fond, c'est seulement maintenant que tu m'apprends que tu es de Malificium même si j'aurai dû le deviner d'après tes origines… Mais cela ne change pas ma vision de toi. Je te parle encore parce que je t'ai entrainé dans mon merdier et puis, tu ne m'as pas créé trop d'ennui alors je n'ai aucune raison de t'insulter."

Tant qu'on lui foutait la paix, on pouvait venir de n'importe quel coin du monde, il ne ferait pas un scandale au milieu de la rue. Encore une fois c'était entièrement différent d'Integral! Ce dernier acceptait tout le monde, Orpheus quant à lui acceptait ceux qui ne l'embêtaient pas, nette différence! A quelques détails près, c'est plus ou moins la même chose bien, mais son orgueil l'empêchait de l'admettre ouvertement.

"Exact! Parti! Envolé! Il a confié l'épée des chefs à un chevalier qui a pris sa place, puis il s'est tiré pour faire on ne sait quoi! Niette! Et pourtant, ma famille continue de penser que c'était pour une bonne raison. Jusqu'à présent, je n'ai pas encore mis le doigt sur une raison suffisamment correcte pour abandonner sa propre famille et disparaitre de Nel Beraid."

Enfin, les jeunes gens décidaient de s'en aller, laissant le cadavre à qui voudra bien de lui. Triste fin que celle de cet homme. Dans une autre vie il aurait peut-être plus de chance et ne tomberait pas sur un fou furieux. Orpheus ne se concentrait plus que sur la marche, ses pieds pour ne pas mettre trop de poids sur les épaules de Morgane qui faisait déjà beaucoup d'effort pour l'aider. Il lui en était énormément reconnaissant intérieurement. Elle faisait des choses qui n'étaient pas nécessaires, qui ne lui rapporteraient rien puisqu'il ne la paierait surement pas pour ce service. Est-ce à cause du lien qui les reliait qu'elle faisait tout ça ou bien est-ce qu'elle l'aurait également fait si il n'était pas un Neiphereum? Orpheus eut tout le temps de se poser des questions et se tirer les cheveux alors qu'elle allait dans la boutique en question. Une quinzaine de minutes plus tard, le mage noir revenait avec des vêtements pour lui.

"Pose tes yeux où tu veux, je ne vais pas en faire tout un plat."

Rassemblant ses forces, Orpheus enlevait ceux qu'il avait déjà sur le dos, passant son haut par-dessus sa tête sans chercher à cacher quoique ce soit de lui. Son corps était parfaitement formé, bien entrainé mine de rien, les muscles que l'on retrouvait chez de nombreux épéistes. Des femmes avaient déjà vu son corps et puis, il était humain comme n'importe qui, rien de bien particulier à cacher. Pour le pantalon, il se hissa contre le mur pour se lever et l'enfila comme il le pouvait. Ses muscles le tiraillaient de toute part comme si il avait fait un long exercice physique alors qu'il n'avait cogné que qu'une ou deux minutes.

"Il faut bien admettre qu'avec cet accoutrement, je me sens déjà plus propre. Allez, dame Evans, aidez-moi à marcher et je serai votre guide."

Ce devait être la première fois qu'il souriait franchement à Morgane en passant son bras autour de ses épaules. Pas du genre à se montrer trop amical d'un coup, il rectifia rapidement le tir en diminuant ce sourire. Depuis le début il s'était montré indifférent à ses approches, à toutes ses petites manigances pour le charmer, cette croqueuse d'homme. Il n'avait toujours pas cédé mais on peut interpréter ça comme un signe de remerciement de sa part.

"Vous êtes bon mon seigneur."

J'éclatais de rire joyeusement. Oui, c'est vrai, je n'avais pas mis en avant ma localisation, pourtant, il y avait eu plusieurs indices : ma mère était la chef des ombres, j'avais invoqué des zombies et usé de la magie noire pour détruire une maison... Il y avait plus bénéfiques que cela d'ordinaire à Naturalia. Et puis, accessoirement, ma peau est légèrement grise due à ma nature drow. Mais je ne lui en voulais pas. Au contraire, je le trouvais encore plus attachant suite à cela.

"Je n'ai pas eu besoin de t'en créer. Tu en as suffisamment si on se souvient du cadavre non loin de nous."

Un sourire complice éclaira mon visage. Je n'avais rien fait dans cette histoire ou très peu. Donc quelque part, ce n'était pas moi qui avait agi le plus maléfiquement depuis notre rencontre. Je fus abasourdie par le reste de la conversation et les détails qu'il me confirma m'échappèrent entièrement. Comment pouvait-on avoir si peu d'ambition et abandonner si facilement son devoir? C'était quelque chose qui m'était parfaitement incompréhensible.

"Ma mère m'en a jamais parlé, désolée."

Je ne pourrais pas l'aider sur ce détail, elle me l'avait toujours présenté comme étant le chef des paladins... peut-être ceci s'est-il passé après leur dernière entrevue au château? Je me souviens qu'elle était toujours très triste quand elle évoquait ce passage... surtout qu'elle ne l'avait plus revu après... vu que la guerre avait ensuite été déclarée et ma mère avait eu trop de choses à faire pour passer du bon temps.

Quoi qu'il en était, ce n'était plus notre préoccupation première. Je dus jouer les acheteuses pour mon partenaire. Je me mis en action sans sourciller, sans mauvaise grâce. J'aidais rarement les gens pour pas dire que cela n'arrivait jamais mais avec lui, les choses semblaient bien différentes. Je revins rapidement. Je souris à ses dires. Je l'observerais donc, ainsi, j'en apprendrais un peu plus sur lui. Je pourrais éventuellement repérer des cicatrices par exemple ou juste me rincer l'oeil.

Une fois prêt, je me rapprochais de lui et passai de nouveau mon bras autour de ses hanches. Je fus touchée par son sourire, c'était le premier qui venait de son coeur. Je lui dédiais le même et nous nous mimes en route en direction du théâtre.

"Tu sais le nom de la pièce à la mode?"

Je m'en moquais quelque part, je voulais juste admirer les lieux, me poser dans les sièges que ma mère avait fréquenté pour comprendre ce qu'elle aimait autant là bas...

=> Théatre (je te laisse ouvrir ^^)