Lorsque j’entrouvris mes yeux, des petites taches sombres brouillaient ma vue sur un fond bleu teinté de blanc. Me pensant plongée dans un rêve sans queue ni tête, je n’y accordai aucune importance et continuai paisiblement à voguer à travers le pays des songes.
Le temps qui s’écoula depuis, je l’ignorai.

Des bruits de pas me réveillèrent. Tournant la tête vers la droite, j’aperçu une biche, en train de me lorgner du regard. Sans doute était-elle en train de se demander si j’étais bel et bien morte et je m’y rapidement un terme à ses interrogations en lui balançant la première chose qui fût à ma portée ; c’est-à-dire, une motte de terre. Cela réussit néanmoins à la faire déguerpir à toute vitesse pendant que je me relevai sur mon séant. Les sourcils froncés, je regardai le paysage qui m’entourait. Ce n’était pas là que je m’étais endormi la veille.

La dernière fois que j’avais eu les yeux pleinement ouverts et conscients de ce qui m’arrivait, je me trouvais dans une auberge à Malificium. Il faisait nuit et comme n’importe quel être censé qui n’avait rien d’autre à faire à une heure aussi tardive, je me suis allongée dans un lit pour me reposer.
Et me voilà tout d’un coup entourée de feuilles, branches et autres éléments végétal. A première vue, cela me semblait être une forêt. Mais le monde est vaste. J’aurais très bien pu me trouver près de Naturalia ou au plein cœur de ce milieu hostile. A cet instant précis de mon réveil, j’aurais été incapable de me situer.

« Maudit pouvoir. »

Il ne faisait nul doute qu’il s’agissait encore de lui. Profitant d’un instant d’égarement, il m’avait téléporté dans un endroit dont j’étais présentement incapable d’identifier et j’étais persuadée, qu’il devait à présent bien se moquer de moi.

A présent debout, je regardai tout autour de moi. Évidemment, il n’avait pas prit soin de téléporter toutes mes affaires en même temps que moi. J’espérai alors que Arya, ma mygale, aurait eu la présence d’esprit de veiller sur mes bagages. Je ne possédai pas grand-chose et mon argent se trouvait dans une poche cachée de ma robe. Cependant, mon sac contenait une tenue dont j’affectionnai tout particulièrement et j’aurais été bien peinée de la voir se retrouver ailleurs qu’avec moi.
Mais pour l’instant, l’essentiel était de sortir de cet endroit. Je n’aimais pas la nature. Il n’y avait pas de panneau pour se repérer, nul endroit où se restaurer facilement et dormir au chaud. Il ne fallait pas non plus penser que j’exécrai les endroits dénués de toute civilisation. Disons que je trouvais les cités plus confortables.
Soulevant les pans de ma robe, j’avançai tant bien que mal à travers les branches tombées à terre, les racines et les cailloux… Cela faisait bien longtemps que je ne m’étais pas trouvée dans pareille situation. Ces dernières décennies, j’avais eu pour habitude de marcher sur des routes pavées, si bien que mes jambes étaient devenues fainéantes. Heureusement, mon voyage vers Malificium m’avait remis un peu en forme.

« Il y a quelqu’un ? »

Levant la tête, il me semblait avoir entendu quelqu’un mais peut-être n’était-ce qu’un lapin. Après m’être penchée vers la gauche puis vers la droite, je maudissais les arbres. Il m’était impossible de distinguer quoi que ce soit et d’une certaine manière, cela ne m’aurait pas étonné de voir quelques brigands ou malfaiteurs trainer dans les parages…

L’œuf d’entropie ne faisait jamais les choses à moitié. Ça, je le savais mais il m’arrivait parfois de l’oublier, comme en cet instant précis, par exemple.
Mon sixième sens détecta un danger imminent mais mes réflexes, salement amochés par mes décennies de sommeil ne purent pas réagir en temps et en heure. Heureusement pour moi, quelque chose me poussa sur le côté. Je n’avais pas pu distinguer sa silhouette car j’étais bien trop occupée à chercher d’où venait la menace.

« Pardon ? »

Un peu sonnée, je regardai l’inconnu qui se tenait face à moi sans savoir quoi penser. Il me fallait un temps de répits afin que je ne puisse me remettre les idées en place. Tout ceci avait été si soudain. Bien qu’ayant plus de deux siècles, mon esprit humain avait besoin de quelques secondes pour comprendre ce brusque changement de décors.
Tournant la tête de gauche à droite, j’étais complètement perdue. Après tout, je venais d’être téléportée malgré moi dans un endroit qui m’était inconnu ! Certes, je devinais vaguement de l’endroit d’où je venais d’atterrir mais il fallait que mon cerveau prenne le temps d’encaisser toutes ces informations qui avaient surgit si vite et sans crier gare.

Lorsque le chevalier déclina son identité, je le jaugeai de la tête aux pieds et celui-ci, s’il n’était pas un sombre crétin, aurait pu tout de suite comprendre que je me méfiai de ses paroles et que je n’étais pas prête de lui accorder ma confiance aussi facilement. En même temps, avec un peu de jugeote, c’était compréhensible. Je venais subitement d’atterrir au beau milieu des arbres et quelqu’un voulait déjà ma peau. Il y avait là de quoi être complètement déboussolé.

« Mais que se passe-t-il donc ? »

A ses yeux, je devais certainement passer pour la pire des idiotes et j’en étais bien consciente. Après tout, je portais une robe et malgré sa couleur sombre, elle n’était pas faite pour se promener sur des territoires hostiles. C’était plutôt le genre d’accoutrement dont revêtaient ces nombreuses femmes sur les routes pavés de Naturalia. Longue jusqu’aux pieds avec de la dentelle sur les bords, c’était le genre de vêtement fragile qui ne pouvait pas tenir la route dans un endroit comme celui où je venais d’atterrir. Propre comme si je venais de sortir du bain alors que je me trouvais en plein cœur d’une végétation dense, j’étais en totale contradiction avec le décor, si bien qu’on aurait pu croire à une farce. Moi-même je pensais que cela en était une et que j’allais bientôt me réveiller dans mon lit, entourée de mages noirs riant aux éclats.

Néanmoins, consciente qu’il n’en serait pas ainsi, je me forçai à réagir.

« Où sommes-nous ? »

Nouvelle question qui pouvait paraître absurde. Cette fois-ci, j’en étais certaine, Édalion allait me prendre pour une folle. Mais qu’importe. Ce n’était pas en priant des êtres transcendants que j’allais pouvoir me situer dans ce monde.

Que son esprit soit en paix car je n’avais nulle l’intention de bouger. Quelqu’un était là pour faire le sal travail, et cela me convenait parfaitement que de rester sagement à ma place. Et puis, de toute manière, j’étais bien trop sonnée pour agir promptement face à la situation. Puisque Edalion avait l’air de maîtriser merveilleusement la situation, autant le laisser faire. J’entendis quelques branches craquer et quelques autres sons. Levant la tête, j’aperçus un aigle me lorgner. Je fronçai les sourcils.

« Quoi ? »

Mais pourquoi me reluquait-il donc ainsi ? Avais-je quelque chose dans les cheveux ?
J’avais horreur des animaux et ces derniers me le rendaient bien.
Quoi qu’il en soit, je n’eus pas l’occasion de me battre avec le volatile car Edalion devait déjà de réapparaître avec un corps entre les mains. Il s’agissait apparemment de celui avait voulu me tirer une flèche en plein cœur.

« Si la magie est considérée comme de la sorcellerie alors oui, je suis une sorcière. Mais cela s’appliquerait à vous aussi ! »

Mais d’où venait-il, cet impertinent, pour me traiter de sorcière ? D’un mauvais œil, je regardai l’homme bâillonné. Des pissenlits se mirent alors à fleurir sur sa tête et des moustaches de chat firent leur apparition sur son nez. J’aperçu l’homme loucher et se demander ce que j’étais en train de lui faire. Haussant les épaules, je lui montrai par ce geste que c’était bien fait pour lui mais qu’en revanche, je ne l’avais pas fait exprès. Des petits sorts comme je venais de faire, j’étais persuadée que les mages étaient capables de produire la même chose. Et pourtant, cela ne faisait pas d’eux des sorciers, bien au contraire !

« Dans quelle partie de la forêt sommes-nous exactement ? »

Grâce au chevalier, je savais où je me situai. Cependant, la forêt de Nel Beraid était bien grande et je pouvais tout aussi bien être près de Bénécius que de Naturalia. Rien autour de moi ne pouvait m’indiquer ma position exacte. Peut-être que si j’avais passé plus de temps dans la forêt, j’aurais pu apprendre à m’y repérer à travers tous ces arbres. Malheureusement, ce ne fut pas le cas et je ne tenais pas à tourner en rond pendant plusieurs jours avant d’atteindre l’orée de la forêt.

« Arrêter de loucher, vous allez finir par voir double jusqu’à la fin de vos jours. »

Aussi rapidement qu’ils étaient apparus, les fleurs et l’herbe disparurent de la tête du prisonnier d’Edalion. Pour une fois, je trouvai cela bien dommage. Ça aurait pu être amusant que de le voir se promener sur les pavés de Malificium avec ses pissenlits sur la tête ! J’imaginai déjà les fous rires qu’il pourrait susciter.

Après avoir relevé les pans de ma robe, je me risquai à pencher la tête vers la droite, me demandant si d’autres idiots trainaient dans les parages. Ayant été informée qu’un camp se trouvait un peu plus au sud, cela ne m’aurait pas étonné de voir d’autres balourds. Cependant, j’espérai qu’ils n’étaient pas nombreux car Edalion était seul. Quant à moi, à tout le monde savait que je ne servais pas à grand-chose et que je n’étais d’aucune utilité dans ce monde.

A Bénécius ? Mais quelle horreur ! Cette maudite malédiction m’avait transporté à l’autre bout de Nel Beraid ! Que voulait-elle donc que je fasse dans une cité pareille ? Ce n’était pas là-bas qu’étaient stockées toutes mes affaires !
Complètement sidérée par cette révélation, je regardai le chevalier avec des yeux ronds. A cet instant précis, il aurait pu me dire qu’il plaisantait, j’aurais volontiers bien voulu le croire. Cependant, il n’avait pas l’air d’être de ceux qui appréciaient faire des farces toute la journée. Ce fut donc avec consternation que je me résignai à accepter la vérité.

« Vous ne pouvez pas m’aider ! Je ne sais même pas comment j’ai atterri ici ! »

C’était un demi-mensonge. Je savais très bien que ce fut mon pouvoir incontrôlable qui m’avait téléporté jusqu’ici. En revanche, je dormais paisiblement dans une auberge à Malificium lors les faits s’étaient produits. Je n’avais rien demandé, ni même espéré. Et même pendant le sommeil, je me rendais compte que mon pouvoir continuait à répandre le chaos autour de lui.

« Et puis, vous êtes en mission ! Que vont vous dire vos supérieurs si vous n’exterminez pas toutes ces vermines et que vous rentrez bredouille avec une blonde à votre bras ? »

Il ne fallait pas croire là que je me souciai de son pauvre sort ! Seulement, je ne me sentais pas apte à supporter toutes les questions qu’il serait potentiellement capable de me poser. J’aurais très bien pu filer d’ici à toute vitesse mais d’après ce que j’avais aperçu de lui, il semblait tout aussi capable que moi de courir à une folle allure. Et vu son expérience, il ne m’aurait pas étonné de le voir filer encore plus vite que moi…

« Vous devriez plutôt terminer ce que vous avez à faire. Avec un peu de chance, il y aura de la nourriture dans ce foutu camp de vauriens. »

Ces derniers mots avaient été plus prononcés pour ma personne que pour Edalion. Si je me trouvai bien à Bénécius, il me faudrait donc de quoi faire – de nouveau – le voyage jusqu’à Malificium et je comptais bien faire au plus vite. En soi, je n’avais rien contre Bénécius. Mais voilà, je n’avais rien à y faire je n’appréciai pas cet air béat qu’affichaient la plupart des citoyens. L’atmosphère avait quelque chose de déplaisante à mes yeux. Avec un peu de recul, je compris que durant mon enfance, je n’avais pas été habituée à ce genre de chose. Cependant, il ne fallait pas croire que j’étais comme les mages noirs et que je haïssais Bénécius parce « c’est dans nos mœurs et nos coutumes ».

« Auriez-vous une dague pour que je puisse me sentir à mon aise ? »

Je n’étais peut-être pas habituée à faire de la randonnée dans les forêts mais en tant que rôdeuse et voyageuse, j’avais un grand sens de la pratique. Bien consciente que ma robe n’allait pas du tout avec le terrain, j’espérai pour y remédier. Pour cela, il me fallait de quoi la découper. Contrairement à certaines femmes, cela ne me dérangeait pas de montrer mes jambes, d’autant plus qu’en dessous de mes jupons, je possédais un genre de pantalon marron moulant en cuir qui me protégerai des ronces et des orties.

Les personnes pourvues de bonnes intentions étaient toutes les mêmes. Des personnes incapables d’assumer pleinement leur responsabilité, voilà ce qu’ils étaient ! Arrogants et narcissiques, elles pensaient faire le bien autour d’elles pour une cause idéaliste. Ces gens là n’avaient pas les pieds sur terre. Ils pensaient pouvoir sauver le monde et exterminer tous les vices de notre monde. Ce n’étaient que des rêveurs, des crétins à deux pattes !

« Certes, je viens de vous demander un petit service qui consiste à me prêter votre dague. Mais avant cela, c’est vous qui êtes venu vers moi pour me secourir de votre plein gré. N’oubliez pas que je ne vous avais rien demandé à ce moment là et que nous n’avons conclu aucun pacte. Je ne vous dois rien. Si vous étiez aussi bienveillant que vous voulez le montrer, vous m’auriez aidé sans strictement rien attendre en retour. »

Sur ce, puisqu’il regrettait d’avoir sauvé une si mauvaise âme, je décida de me débrouiller moi-même. Habituée à ce qu’il en soit ainsi, cela ne me fit pas grand effet lorsqu’il pointa son index sur le cadavre.
D’un regard neutre, je jaugeai un instant le corps inanimé et finit par m’agenouiller près de lui. Telle une voleuse sans vergogne, je le détroussai sans me soucier des bonnes mœurs et coutumes que pouvaient posséder la plupart des gens. Pour moi, cet homme était mort et ses affaires ne lui serviraient pas dans l’au-delà. Laisser ses effets personnels dans cette forêt, reviendrait à balancer de l’argent par les fenêtres. Pour moi, ça aurait été tout simplement un véritable gâchis !

Après avoir pris sa veste et sa bourse d’argent – qui ne contenait que quelques malheureuses petites pièces d’argent -, j’entrepris de taille mes jupons et suivit Edalion. Celui-ci mit un peu de distance entre nous, sûrement parce qu’il était agacé par ma personne. Cela ne m’avait pas étonné. Au contraire, je trouvais même cela tout à fait logique.
Rapidement, nous arrivâmes près du camp indiqué près du camp que le chasseur nous avait indiqué. Droite comme un i, j’attendais que le chevalier ne se décide à faire son travail. Cependant, je lus dans son regard qu’il n’avait pas l’air d’avoir trouvé ce qu’il souhaitait. Allait-il donc s’en aller et laisser ce camp tel qu’il était ?

Penchant la tête sur le côté, j’aperçu qu’ils n’étaient pas très nombreux. A deux, nous aurions pu facilement tous les éliminer. D’ailleurs, même tout seul, Edalion aurait été tout à fait capable de les tuer. Ça, j’en étais certaine.

« Alors ? Qu’attendez-vous ? » lui soufflai-je.

Je n’avais pas envie de faire le sale boulot à sa place. Ceci ne me concernait en rien !
Cependant, je commençai à avoir faim et ce camp me semblait contenir tout ce dont j’avais besoin.
Les hommes que je voyais dans le camp, je ne les connaissais pas. De plus, rien ne me laissait croire qu’il s’agissait de rôdeurs – donc, de potentiels collègues -. Mais même au sein de l’ordre, il fallait bien admettre que nous nous méfions tous les uns et des autres.
A bout de patience, je décidai de sortir de ma cachette. Filant comme une flèche, j’égorgeai deux rôdeurs sur mon passage. Pris par surprise, ils n’avaient pas eu le temps de réagir. Quant aux restes qui venaient de m’apercevoir, cela allait sans doute être plus compliqué…

Alors qu’Edalion prenait toute les peines du monde pour ne tuer personne, moi, contrairement à lui, je préférai ma faciliter la vie. Cela faisait une petite éternité que je ne m’étais pas servie de mon adresse pour vaincre mes adversaires et je n’avais nullement l’intention de me rajouter des obstacles.

« Merci. » soufflai-je au chevalier.

Cette fois-ci, je voulais bien admettre mes torts. J’avais foncé tête baissée dans le tas et si Edalion n’avait pas été là pour me donner un petit coup de pouce, je me serai retrouvé bien embarrassé au milieu de ces bons à rien. En surnombre comparé à moi, ils ne m’auraient accordé aucune faveur.

Pendant qu’une partie d’entre eux s’était détachée pour venir s’occuper du preux chevalier, je fus confrontée au reste du groupe. Et tandis qu’Edalion esquivait avec agilité les attaques de ses adversaires pour ensuite leur donner des coups bien placés, moi, j’eus l’impression d’avoir eu plus de fil à retordre que lui, sans doute parce que j’avais perdu mes réflexes. Mais ce fut un bon exercice qui participa à mon bon rétablissement.
Le premier qui s’avança vers moi n’avait pas plus de souplesse qu’un escargot. J’en fus grandement étonnée car il paraissait jeune et en pleine forme. Un croche-pied ainsi qu’un coup de poignard me permirent de m’en débarrasser assez rapidement. Le deuxième qui vînt m’attaquer fut d’un niveau bien plus élevé et ne manquait pas d’entrainement. Ces gestes, rapides et bien précis, faillirent m’atteindre à plusieurs reprises. Il était largement en mesure de me vaincre mais un lapin rose venu du ciel atterri de plein fouet sur tête et je profitai de son bref moment d’inattention pour lui porter le coup fatal.

« Hé bien, je pense que je vais retourner d’où je viens. »

Après m’être emparée d’un sac de voyage, j’entrepris de le fourrer de tout le nécessaire dont j’aurais besoin pour effectuer mon trajet jusqu’à Malificium. Couvertures, nourriture, couteaux, … Je pris aussi tout l’argent que je trouvai mais laissait en revanche tous les objets de valeurs. Cela aurait pu paraître surprenant mais à mes yeux, ce n’étaient que des babioles inutiles et encombrantes. Peut-être qu’en d’autres circonstances, je m’y serai intéressée mais ici, en plein cœur de la forêt de Nel Beraid, ce n’était pas le cas.

L’argent récupéré n’étant pas suffisant pour entreprendre un voyage correct jusqu’à Malificium, je décidai de me joindre à Edalion pour dénicher le nomade et l’aigrefin. Peut-être auraient-ils sur eux quelques pièces d’argent supplémentaires, ce qui me permettrait ainsi d’acheter une monture. Même si je n’aimais pas les animaux, j’avais beaucoup de mal à m’imaginer faire tout le trajet à pieds.

« Il me manque de l’argent. Il m’en faut davantage pour revenir là d’où je viens. Dépêchons nous de trouver les deux personnes que vous recherchez. »

Ce n’était pas un ordre que je venais de lancer. Lancée sans une aucune once d’autorité ni de méchanceté, ce fut plutôt une réplique destinée à moi-même. Néanmoins, je n’avais nullement envie de m’attarder dans cet endroit et attendit qu’Edalion ne se décide à avancer.

Les mains derrière le dos, je trainais derrière Edalion comme une touriste suivant son guide. D’un pas nonchalant, j’avançais tranquillement derrière le chevalier – mais sans pour autant trainasser - et nous arrivâmes bien vite devant l’entrée de la grotte décrite par le chasseur. L’ennui, ce fut que cette entrée était gardée par deux blocs de pierre. Me tenant sagement à côté d’Edalion, mon instinct m’indiqua que je n’avais nulle inquiétude à me faire. Et il eût bien raison.
D’un simple geste fluide de la main, le preux chevalier parvînt à déplacer les gros rochers bloquant l’accès à la grotte. Surprise, je ne pus m’empêcher de sortir un « Oh ! » de ma bouche. Derrière son épée et son armure, Edalion cachait également quelques dons de mage et je trouvais cela tout à fait impressionnant.
Certes, ce n’était pas de la grande magie mais pour quelqu’un qui n’y connaissait rien comme moi – bien que j’y sois totalement imprégnée et que j’avais lu de nombreux ouvrages -, cela suffisait largement à forcer l’admiration. Moi, je ne parvenais pas à faire ce que je voulais, je ne contrôlais pas mon don et il en serait sûrement ainsi jusqu’à la fin de mes jours.

Mais je n’eux pas le temps de m’extasier davantage qu’une vingtaine de bandits firent leur apparition. Armés jusqu’aux dents, ils nous encerclèrent comme si nous n’étions que des porcs près à être abattu… Ce fut à ce moment là qu’Edalion choisit son moment pour placer une petite note humoristique. Mais moi, loin de vouloir rire dans pareille situation, je lui fis part d’une remarque bien pessimiste :

« Vous croyez vraiment que cette bandes de crétins possèdent plus de quelques pièces de cuivre sur eux ? »

… et ce fut comme cela que sonna l’heure du combat. Je venais ouvertement de les insulter et ces chasseurs tenaient à me le faire regretter amèrement. Regards noirs et sourires malveillants, je n’avais pas besoin de pouvoir pour deviner leur pensée.
Cependant, ils ne pouvaient pas tous attaquer en même temps. Avec Edalion, nous n’étions que deux face à une vingtaine de bandits. Au mieux, ils ne pouvaient qu’être que trois à m’attaquer simultanément sauf s’ils voulaient se tuer entre eux. Néanmoins, le nombre jouait en leur faveur car même s’ils ne pouvaient pas tous attaqué en même temps, le chevalier et moi finiront par nous fatiguer. Bien consciente de cela, je tentai de trouver une parade.

Jusqu’à présent, j’avais toujours tenté de retenir en vain les flux magiques qui circulaient dans tout mon être mais que pouvait-il se passer si je la libérai pour faire ce qu’elle voulait ? N’ayant rien à perdre, je me décidai à tenter l’expérience mais lorsque je vis un tapis de coquelicots fleurir à mes pieds, je pensai une nouvelle fois de plus que mon don était une malédiction… et une humiliation… Déjà, les chasseurs se moquaient de moi, ce qui m’irrita un peu, moi, à qui d’habitude tout me laissait de marbre. Mais ce n’était pas vraiment leurs rires et leurs remarques qui me mirent en colère. Non, ce fut simplement le fait que, une fois de plus, je me rendis compte que le pouvoir que je possédais était incontrôlable.

Finalement, la main sur la garde de ma dague volée, je me résolu à affronter au corps à corps toutes ces crapules. Sans crier gare, j’esquissai des mouvements fluides et rapides. Surpris deux des bandits succombèrent mais ils furent rapidement remplacer par d’autres qui parvinrent à parer mes coups.
Une vingtaine d’hommes à éliminer, partagés avec Edalion, c’était assez faisable… n’est-ce pas ?

Dos à dos, mon allié et moi luttions pour notre survie. Nos assaillants nous laissèrent aucun moment de répit si bien qu’il fallait ménager nos forces et ne pas esquisser de mouvements inutiles pour pouvoir tenir le plus longtemps possible. Et finalement, le preux chevalier renonça à ses valeurs. Face à tant d’adversaires, il était impossible de mesurer suffisamment ses coups pour les mettre hors d’état de nuire sans les tuer. D’ailleurs, ferrailler sans commettre de meurtre était un concept qui m’échappait. Si le but d’un chevalier était de protéger la veuve et l’orphelin, pourquoi refuser de supprimer les vermines qui peuplaient ce monde ? Certains parlèrent de laisser une seconde chance mais je trouvais cela complètement inutile. J’avais bien vécu assez longtemps à Malificium pour savoir que la rédemption était une perte de temps pour la plupart des âmes souillées.

D’un hochement de tête, je remerciai Edalion lorsqu’un des assaillants arriva derrière moi pour m’attraper les cheveux. Et, en dépit du nombre d’adversaires que nous avions eu face à nous, le combat s’acheva rapidement bien que j’eus l’impression qu’une décennie s’était passée depuis que le départ fut donné.
Il resta trois hommes qui, effrayés, reculèrent vers la grotte. Je pensais m’accorder une petite pause, histoire de reprendre mon souffle mais le chevalier en décida autrement et fila à la poursuite des fuyards. Malgré mon épuisement, je le suivi et je fus contente de voir qu’il n’utilisa pas sa capacité à courir plus vite que la moyenne pour rattraper nos adversaires.

Sur le chemin, Edalion tomba dans un piège et malgré tout le respect que j’avais pour lui, je ne pus m’empêcher de penser que, pour une fois, j’avais bien de la chance.
Passant la tête au-dessus du puits, je plissai les yeux pour y voir quelque chose. De là où je me trouvai, il me sembla que le chevalier allait bien. Fatiguée et n’étant pas capable de me débrouiller seule face aux brigands qui restaient, je me décidai donc de le faire sortir de son trou.

« Je vais aller chercher une corde, tâchez de rester vivant. »

Filant vers le camp, je me souvins que d’avoir vu ce dont j’avais besoin lorsque j’étais partie en quête de nourriture. Puisque tout le monde se terrait dans la grotte, je n’eus aucun mal à me servir comme bon me semblait. Mais comme la situation pressait, je ne m’attardai pas et prit seulement une corde que je me hâtai à nouer solidement autour d’une pierre une fois que je fus revenus près du puits.

« Tenez ! »

Mais alors que j’aidais Edalion à sortir de son piège, les autres, ayant vu que l’un de nous avait des difficultés, profitèrent de se moment de faiblesse pour se ruer sur nous.
Espérant que le chevalier puisse se débrouiller seul, je dus faire face aux trois chasseurs. Epuisée, mes mouvements devenaient maladroits et même si je parvenais à esquiver les attaques de mes adversaires, je peinais à frapper. Fuir ne servirait à rien puisque j’étais certaine qu’ils étaient capables de courir aussi vite que de moi. De plus, dans mon état actuel, il ne leur aurait pas été bien difficile de me rattraper.

Heureusement pour moi, mon pouvoir inutile vînt à ma rescousse. Une pluie de crottins de cheval déferla sur la tête d’un des chasseurs. Profitant d’un moment d’inattention, je parvins à en éliminer deux de mes assaillants. Il n’en restait plus qu’un mais déjà, sortant de l’ombre, je voyai deux autres personnes arrivées…

Effondrer la grotte… Mais pourquoi n’y avait-il pas pensé plus tôt ? Au lieu d’entrer dans l’antre des brigands, il aurait pu simplement demander à la terre de s’écrouler sur la tête de ces imbéciles et nous aurions été tranquilles depuis bien longtemps. Certes, il m’aurait été alors impossible d’aller récupérer l’argent potentiel que ces malfaiteurs détenaient en leur possession mais cela m’aurait cependant épargné quelques désagréments.
Debout aux côtés du chevalier, je le regardai utiliser son contrôle de la terre pour créer un éboulement. Fasciné par son pouvoir, je contemplai la faille tracer un chemin jusqu’à la grotte. Mais alors que je pensais en avoir terminé avec ces brigands, l’un d’eux passa son bras autour de mon cou et plus je me débattais, plus je me faisais étrangler. Ah maudit soit ce vaurien ! Je ne l’avais pas entendu arriver et je devinai qu’il devait être l’un des hommes que recherchait Edalion.

D’ailleurs, celui-ci semblait éprouver des difficultés face à un aigrefin. Il se fit soulever et jeter à terre comme une poupée de chiffon.
Marre de me voir gesticuler comme un asticot, le nomade empêcha l’air d’atteindre mon visage pour m’empêcher de respirer. Peu enclin à mourir dans pareille circonstance, je lui envoyai un coup de coude au ventre, ce qui me permit de me libérer de son étreinte et d’avaler un bol d’air un peu plus loin.
Mon allié, qui se trouvait à quelques mètres de moi, venait d’être quelque peu étourdi par son ennemi. Ne voulant pas qu’il m’abandonne maintenant, je lançai la seule arme que j’avais en direction de l’aigrefin. Il possédait une force supérieure à la moyenne mais sa chair restait comme le commun des mortels. Il s’écroula comme une masse près du chevalier.

« Allé, on se réveille ! »

Mais je n’eus pas le temps de faire ma fière car le nomade s’était rué vers moi. Me plaquant au sol, j’étais à la merci de mon adversaire. Ne pouvant plus bouger, je jurai et insultai l’homme de tous les pires noms que mon vocabulaire permettait. Sachant que je ne pouvais plus rien faire contre lui, il éclata de rire et attrapa mes cheveux pour me relever la tête. Allongée sur le ventre, j’essayai de me relever mais l’homme qui était assis sur moi était trop lourd et je savais qu’il n’allait pas tarder à exploser mon crâne si je ne trouvai pas rapidement une solution.
Désespérée, mes doigts s’agrippèrent aux mains du nomade et mes ongles s’enfoncèrent dans sa chair. Surpris par la douleur, il relâcha légèrement ma tête et je profitai de l’occasion pour ramasser tout ce qui était à ma portée pour le balancer ensuite sur lui. Herbes, terres, petits cailloux, … la scène pouvait paraître bien grotesque mais je devinai que j’avais du lui lancer quelque chose dans l’œil car lorsque je tournai la tête, je le vis en train de s’essuyer les yeux. Lui donnant des coups de coude aux jambes et dans les cottes, j’essayai de le faire tomber le côté mais rien à faire. Lorsqu’il pencha son visage vers moi, je saisi le moment pour lui balancer un nouveau coup de coude dans son joli minois et même s’il jura, cela ne parvînt pas à le faire dégager de là.

« Hey chevalier ! Fais ton boulot et viens m’aider ! »

J’étais énervée et ça se voyait. Pourtant, le chevalier pouvait néanmoins remarquer que je n’avais rien contre lui. C’était juste ma façon bien spéciale d’appeler à l’aide.
J’aurais voulu que dans un moment pareil, mon pouvoir ne me vienne en aide mais apparemment, il s’était tut et ne semblait avoir nullement envie de venir me secourir. En réalité, il venait de faire apparaître des papillons au-dessus de la tête du nomade mais comme j’étais face au sol, je ne m’aperçus de rien et d’une certaine manière, il valait mieux qu’il en soit ainsi.

Je venais à peine de réussir à me remettre sur mes pieds lorsqu’Edalion me donna ses instructions. En tant normal, je les aurai probablement contesté mais, puisque le nomade s’échinait à vouloir me tuer et qu’il me tapait sur les nerfs, je me contentai d’esquisser un énorme sourire. Rien ne me faisait plus plaisir que d’avoir la bénédiction de mon acolyte, d’autant plus qu’il était chevalier.

Une nouvelle fois, le nomade tentait de m’asphyxier en supprimant l’air tout autour de moi. Évidemment, je ne me laissais pas faire et un bâton fût envoyé dans sa figure, ce qui suffit à éteindre le sort qu’il venait d’entamer. A force de lui balancer toutes les choses qui se trouvaient à ma portée, je finis par penser que je devais ressembler à ces bonnes femmes qui passaient leur journée dans les cuisines. L’image d’une marmite effleura mes pensées et je m’imaginai bien balancer cet ustensile de cuisine dans la face de ce nomade et l’harceler ensuite de plusieurs coups de rouleau à pâtisserie. Mais comme je n’avais rien de tout ceci en ma possession, je me contentai donc d’utiliser seulement mes pieds et mes coups de poing.

Étant orpheline et ayant vécue dans la rue, j’avais appris à me battre au corps à corps. Bien entendu, je n’avais pas reçu le même entrainement qu’un noble ou qu’un chevalier aurait pu avoir. Cela se voyait mais qu’importe puisque seul le résultat comptait.
Cependant, mes coups ne parvinrent pas à lui faire mal – ou du moins, il ne me laissa pas croire qu’il souffrait -. A quelques mètres de moi, la dague que j’avais lancée sur l’aigrefin gisait à terre. Le nomade, devinant mes pensées, se rua en même temps que moi sur l’arme. Malheureusement pour lui, j’étais plus rapide. L’arme se retrouva dans mes mains et la lame vu immédiatement plantée dans le cœur du nomade.

Épuisée d’avoir fourni tant d’effort, je me laissai écrouler sur le sol. Tournant la tête vers le chevalier, j’aperçu que celui-ci en avait fini avec son adversaire. Depuis combien de temps, l’aigrefin était-il mort ? Occupée avec le nomade, je n’avais eu pas l’occasion de voir comment Edalion s’y était pris avec ce colosse.

« Et maintenant, que vas-tu faire ? »

Essoufflée, j’éprouvais quelques difficultés à articuler correctement ma question mais elle laissait bien sous-entendre que j’aurais bien voulu faire un petit bout de chemin avec le chevalier. Cette partie de la forêt où je venais d’atterrir, je ne la connaissais pas très bien. N’ayant pas de carte, ni de boussole, j’avais besoin d’un guide pour me conduire jusqu’à Bénécius (une escorte jusqu’à Malificium aurait été aussi la bienvenue mais je doutais fort que le chevalier aurait accepté de me conduire jusqu’à la cité des mages noirs). De là, il me serait plus facile de retrouver le chemin après avoir acheté tout ce dont j’avais besoin.

« Par contre, si ça ne t’ennuie pas, ce serait bien qu’on fasse une petite pause avant de faire quoi que ce soit. »

Edalion m’avait donné des instructions et maintenant, c’était à mon tour d’en donner. Et puis, je me disais qu’après le combat qu’il avait mené, un peu de repos avant de reprendre la route ne lui ferait pas de mal.

Soudain, une hache tomba du ciel et vînt se planter dans le crâne du nomade mort… Les yeux écarquillée, je cherchai qui avait lancé cette arme. Ne voyant personne, j’en déduisis qu’il s’agissait sans doute de mon pouvoir qui avait choisi de se manifester lorsqu’il n’y avait rien plus à faire…
Je soupirai et m’allongeai sur le sol. Qui sait. Peut-être que si je fermai les yeux, mon pouvoir me téléporterait dans l’auberge dans laquelle je m’étais endormie…

La voix d’Edalion me fit comprendre que ma tentative fut vaine. Cependant, en ouvrant les yeux, j’eus droit en contrepartie à une bourse d’or ainsi qu’à un collier d’où pendait un rubis. Le chevalier me tendait le tout, ce qui me surprit.

« Tu ne prends rien ? »

Quelle étrange personne. C’était la première fois que je rencontrai quelqu’un aussi peu intéressé par l’argent.
Faisant rouler le pendentif entre mes doigts, je finis par le tendre à Edalion.

« Ça, ça ne me servira qu’à m’attirer des ennuis. Garde-le ou donne-le à ta belle. »

Un chevalier comme lui devait certainement avoir conquis le cœur d’une femme. J’avais lu bien trop de livres pour comprendre que les demoiselles raffolaient de ce genre de personnage. Moi, j’étais arrivée à un âge où ce genre de chose ne m’intéressait plus.
Quant au rubis, je préférai ne pas m’en encombrer. S’exhiber à Malificium avec un tel objet ne me paraissait pas très judicieux et tenter de le revendre à Bénécius éveillerait des soupçons. J’imaginais déjà le marchand me demander où est-ce que je l’avais trouvé et pourquoi je tenais tant à m’en débarrasser.
Posant donc le collier près du feu qu’Edalion venait d’allumer, je me demandai comment il avait pu deviner que je désirai me rentre à Malificium. Dégageai-je donc une aura si maléfique ? Mais qu’importe, l’essentiel pour moi, ce fut de retourner dans la cité des mages noirs car j’avais des affaires à récupérer.

« Tu n’as qu’à dire que tu étais seul. »

J’avais déjà assez d’ennuis comme cela et me retrouver dans un rapport de Bénécius ne me disait rien. Après tout, j’étais une rôdeuse et je n’avais aucunement envie de me retrouver ficher dans les archives.
Néanmoins, j’avais conscience qu’avec mon pouvoir, il serait difficile de passer inaperçu. A un moment donné ou à un autre, je finirai par être connu de tous. Jugée dangereuse, on viendrait peut-être me traquer. Tout ceci n’était qu’une question de temps et mon espoir de parvenir un jour à contrôler ce maudit pouvoir s’atténuait de plus en plus. Peut-être devrai-je envisager de changer de caste. Après tout, une rôdeuse qui est incapable de passer inaperçu dans la foule ne peut décemment pas être une rôdeuse…

Et tandis que je réfléchissais à mon avenir, je m’étais levée et dirigée machinalement vers le sac à provisions que je m’étais fait. Comme je le trouvais un peu lourd, je tentai de voir si je ne pouvais pas jeter quelque chose. Jadis, j’avais en ma possession un sac sans fin capable de contenir autant de babioles que je le voulais sans jamais peser plus lourd qu’une pomme. Avec le temps, je m’étais habituée à voyager léger si bien que maintenant, j’avais beaucoup de mal à accepter d’avoir une quelconque charge sur le dos. De plus, il ne fallait pas oublier que j’avais désormais plus de deux cent ans…

« Je ne compte pas effectuer mon grand voyage tout de suite. Il me faut d’abord une monture. Indique-moi seulement la direction vers un endroit proche d’ici où je pourrai me procurer ce qu’il me faut. » lançai-je alors à Edalion

Le bijou, Edalion pouvait en faire ce qu’il voulait. Haussant les épaules, je n’avais que faire des projets qu’il avait pour le rubis. Cela dit, je compris grâce à sa réponse pourquoi il avait bien voulu me donner tout l’argent qu’il avait trouvé sur le cadavre. Au final, le chevalier n’était pas plus altruiste que n’importe quelle autre personne. Puisqu’il avait tout ce qu’il lui fallait, un peu plus ou un peu moins ne changeait pas grand-chose. Il pouvait donc se permettre de donner tout ce qu’il trouvait aux plus démunis. Mais qu’en aurait-il donc de sa générosité s’il avait été sans un rond et qu’il était obligé de dormir sur les rues pavées de Bénécius ?

Tournant la tête sur le côté, j’observais la direction que m’indiquait le chevalier. Il m’était rarement donné l’occasion de mettre les pieds de ce côté de Nel Beraid. C’était une partie que je ne connaissais pas très bien. Heureusement, le camp de bucheron pourrait me fournir une carte et une boussole pour pouvoir me repérer au milieu de toute cette végétation florissante.

« Dans le mauvais camp ? C’est ce que tu penses ? »

Quelle étrange façon de raisonner… Mais pourquoi pas.
A vrai dire, je n’appartenais à aucun camp et agissais seulement pour mon propre compte. Mon pouvoir qui pouvait être à la fois totalement inutile et destructeur n’aurait été accepté nulle part. Les mages blancs l’auraient trouvé trop maléfique tandis que les mages rouges l’auraient pensé dangereux à cause de son côté aléatoire ; quant aux mages noirs, ils l’auraient pensé inutiles. Mais d’un côté comme dans l’autre, j’aurais été soumis à des tests soit, pour guérir de « cette maladie », soit pour être transformé en « arme vivante ».

« Tu as raison de dire que je suis étrangement unique. Et c’est pour ça que tu ne dois pas me signaler dans ton rapport. »

Expliquer le pourquoi et le comment aurait été bien trop long et je n’aurais moi-même pas pu lui expliquer les différentes facettes de mon pouvoir. Mais le chevalier semblait intelligent et peut-être finirait-il par comprendre un jour.

Sur ce, je hissai mon sac à provisions sur mon dos. Les jours qui m’attendaient allaient être longs et fastidieux.
Après avoir soupiré, j’entamai ma route vers le camp de bûcheron que m’avait indiqué Edalion. Cependant, après avoir fait quelques mètres, je me retournai pour dire.

« Bon courage pour la suite, chevalier. Et n’oublie pas, n’écris rien sur moi ! Tu me rendrais un grand service en faisant cela. »

Peut-être bien qu’il allait m’écouter ; peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Après tout, je ne pouvais pas me permettre de le suivre jusqu’à Bénécius pour m’assurer qu’il n’écrirait rien à mon sujet…
Marchant promptement vers le camp de bûcheron, je fus tout d’un coup suivi par un petit groupe de chèvres bêlant plaintivement derrière moi. Sachant que ce fut une nouvelle œuvre de mon pouvoir, je n’y fis pas attention. Tôt tard, ces bestioles finiraient par disparaître comme elles étaient apparues…
… j’espérai seulement que la présence de ces animaux n’attireraient pas d’autres brigands sur ma route…