Les années d'errance de Seraph l'avait poussé à se tenir à l'écart des villes et à n'y pénétrer qu'à de rares occasions, lorsque la chasse était maigre ou que peu de proies faciles que constituaient les voyageurs isolés se risquaient sur les sentiers. Ce jour là, Seraph n'était ni dans un cas ni dans l'autre, seulement, il y avait bien longtemps qu'il n'avait pas exercé ses talents en milieu urbain. S'il voulait être opérationnel pour coopérer avec les Rôdeurs et ce dans son propre intérêt, il devait s'entraîner.


Sa position géographique le poussa à choisir Naturalia. Cette grande ville était plutôt abondamment fréquentée et, plus jeune, Seraph avait pu s'y aventurer sans connaitre trop de mésaventures grâce à son physique particulier rendant son identification en tant que Drow peu aisée. L'occasion de vérifier si ce trait fonctionnait toujours où si l'âge avait accentué ses différences avec les Elfes se présentait.


L'allée des marchands était une zone de choix et particulièrement aux jours où le marcher ne battait pas son plein : Quelques passants flânaient en regardant les divers étalages, se laissant parfois tenter par quelques marchandises sans que personne n'y fasse véritablement attention sans compter que les voleurs à la tire étaient particulièrement attendus par les gardes lorsque la populace se réunissait en masse dans l'allée.


La rareté relative des passants joua donc en faveur de Seraph ce jour là. Après avoir observé la plèbe de Naturalia quelques instants sans attirer l'attention, l'homme qui ne s'était délibérément pas revêtu de son foulard adoptait une attitude commode, faisant semblant de se pencher avec intérêt au dessus de quelques étalages.


Le Rôdeur venait de repérer un couple d'Elfes qui discutait à la discrétion d'un marchand. Quelques mètres plus loin, un homme se promenait en jetant un œil aux divers étalages en compagnie de son supposé fils, assis sur ses épaules.


En passant à côté du couple, le Drow laissa sa main libre à hauteur de sa ceinture pendant qu'il sectionna d'un coup sec de sa dague rendue discrète par sa cape les liens de bourse dépassant du veston de l'Elfe.


En continuant sa route sans marquer d'irrégularité dans son pas, l'homme rangea son butin dans une poche de sa tenue avant de changer son arme de main tout en se rapprochant du père et de son enfant.


En passant derrière l'homme, Seraph répéta le même processus et s'en tira sans difficulté. Il avait quasiment atteint l'autre bout de la ruelle avec les poches pleines d'or qu'une sensation étrange l'envahit.


Après avoir froncé les sourcils, le Rôdeur se retourna pour constater qu'au bout de la ruelle, l'un des passants présent depuis le début discutait à voix basse avec un garde. Une nouvelle fois, sa concentration et son sens de l'Eveil ne lui avaient pas fait défaut.


D'un pas à peine plus pressé mais en rien paniqué, le voleur changea de direction pour emprunter une ruelle. Au bout de celle-ci se trouvaient d'autres gardes qui faisaient mine de ne pas l'avoir vu mais dont le placement semblait indiquer leur volonté de lui barrer la route. De là où il été arrivé, l'ombre d'un autre garde se profila. Depuis le début, il était observé et semblait cerné.


Sans perdre son sang froid, Seraph poussa la porte d'un petit commerce pour la refermer derrière lui. Il était arrivé dans la boutique d'un tailleur modeste. Sans lui adresser un mot, le Rôdeur se dirigea vers la réserve pour atteindre la porte de derrière.


"Vous ne pouvez pas !" Fit le commerçant en s'interposant.


D'un geste rapide, Flèchecendre se saisit du bras de l'homme posé sur son épaule et lui appliqua une torsion propre à le soumettre. Dans le même temps, la porte principale s'ouvrit pour cracher les trois gardes à la poursuite de Seraph.


Le Drow pivota pour que le commerçant soit entre les gardes et lui et l'éjecta sur les soldats de l'ordre d'un coup de pied dans le dos.


Fort des quelques secondes qu'il venait de gagner, le Rôdeur s'empressa d'enfoncer la porte de la dite réserve et emprunta une échelle pour se retrouver sur le toit plutôt qu'au sol, à l'extérieur de la boutique. Seraph jeta alors un œil à la rue : comme il l'avait pressenti, un autre garde l'attendait de pied ferme juste devant la porte de l'arrière-boutique.


"Piège grotesque." Murmura le Rôdeur avant de bondir vers le toit le plus proche et de rejoindre une autre rue en descendant par les fenêtres des bâtiments.


Afin de s'assurer une plus grande sécurité, l'homme escalada avec adresse le muret devant lui séparant deux propriétés. Il alla ensuite s'adosser derrière l'habitation qu'il venait de trouver. Dans les ombres, il s'offrit un instant de répit et contempla son butin. C'était plutôt maigre mais néanmoins suffisant.


C'est alors que Seraph fut de nouveau interpellé par une étrange sensation : quelqu'un d'autre l'observait.


"Vous êtes plus doué que ces idiots de gardes, je dois bien l'admettre. Montrez-vous donc." Lança t-il sans savoir à qui il s'adressait.

Il n'était pas toujours facile de répondre aux requêtes des esprits. Même s'il on avait vraiment envie de les aider... Lorsque Lucile était venue la voir pour trouver un peu de repos, la jeune femme s'était retrouvée fort impuissante et n'avait pas vraiment apprécié ce sentiment... Bien qu'elle se soit désormais habituée à ce monde, les réactions de certaines personnes l'étonnaient encore. Il n'était pas rare que certains membres de son peuple se montrent un peu possessifs parfois, profitant de certaines de leurs capacités pour garder auprès d'eux les créatures qu'ils affectionnent. Mais cet ascendant pouvait être brisé, même dans la mort... Une fois conscients d'être passés de vie à trépas, les esprits jouissaient souvent d'une liberté qu'ils n'avaient jamais pu rêver de leur vivant. C'était parfois leur seule consolation d'avoir trouvé la mort. Découvrir que cette femme, morte dans la fleur de l'âge, ne pouvait même pas trouver un semblant de liberté ainsi était tout simplement insoutenable à ses yeux...

Dès que son charme et sa beauté avaient éclot, Lucile avait attiré l'attention des hommes. Surtout, et avant tout, de la mauvaise personne. Baltazar Kerl était un homme riche, assez puissant et en vogue. Le genre de personne à qui 'il fallait plaire si l'on voulait profiter un tant soit peu de son aura de prestige. Lorsque la famille de Lucile avait apprit que Kerl appréciait sa fille suffisamment pour envisager de la courtiser, la joie fut à son comble. Et même si la principale intéressée ne semblait partager cette joie, le maître mot était de plaire au potentiel gendre. Sans qu'elle ait son mot à dire, la pauvre femme se retrouva piégée, devenant l'épouse d'un home possessif, jaloux, violent... Elle ne put bientôt plus sortir de leur demeure, ne fut autorisée à voir que quelques amies qu'il avait soigneusement sélectionnées... Lucile fut bientôt prisonnière d'une cage dorée. Et finit par se laisser dépérir... Persistant dans son isolationnisme et la considérant comme un autre objet de collection et non comme un être vivant, Baltazar précipita sa fin. Et même alors, il persista... En gardant l'urne funéraire comme un trophée, une chose rappelant qu'il était parvenu à posséder l'une des plus belles femmes de la ville. En cela, il empêchait la pauvre Lucile de retrouver un semblant de liberté car elle avait demandé à ce que ses cendres soient dispersées aux quatre vents...

Le premier contact qu'elle avait eu avec Kerl lui avait laissé une très désagréable sensation. Elle s'était sentie observée, jaugée, évaluée, comme une autre potentielle pièce de collection. L'esprit, qui l'avait accompagnée, s'était alors affolée de l'intérêt qu'il avait porté sur elle. En tant que femme, de sidhe et de shaman, elle était un spécimen rare qu'il aurait apprécié de posséder. Aucun dialogue raisonnable n'était envisageable avec lui... Et Miranda avait donc du battre en retraite. Si elle tombait dans le piège de ce bourgeois, elle ne parviendrait jamais à aider l'esprit. Et Edalion apprécierait fort peu que quelqu'un d'autre en fasse sa possession. Il fallait maintenant qu'elle envisage d'autres solutions pour récupérer cette urne. Lui forcer la main lui était rapidement apparu comme une folie, elle n'avait ni la puissance ni la poigne nécessaire. Restait le vol... Mais elle n'était absolument pas compétente en la matière, même guidée dans la demeure par l'ancienne femme du propriétaire. Elle avait donc besoin d'aide...

Et cette aide, elle avait mis un certain temps avant de déterminer où la trouver. Il n'était pas difficile de savoir que les personnes les mieux placées pour cambrioler une maison étaient les rôdeurs. Il était par contre bien plus difficile de les rencontrer pour leur proposer un contrat... La jeune femme n'était pas assez connue dans ce milieu, et ne le connaissait pas non plus suffisamment, pour pouvoir savoir à qui s'adresser. Alors, une fois n'était pas coutume, elle avait demandé assistance à certains de ses « amis » si particuliers. Afin qu'ils gardent à l'oeil l’artère commerçante de Naturalia, là où elle savait qu'elle trouverait un voleur à coup sûr. Si elle ne pourrait jamais le déceler à l'oeil nu, elle savait que les esprits pouvaient remarquer bien plus de choses qu'elle...

Miranda eut peut-être à attendre plusieurs jours mais elle finit par trouver ce qu'elle désirait. Un voleur semblait être poursuivit par les gardes... Par un astucieux système de chaîne, il ne lui fut pas difficile de savoir vers où se diriger pour l'attendre là où il fallait. Bien entendu, n'étant pas rôdeuse, elle arriva après lui... Et les regards qu'il sentait posait sur lui étaient ceux de pas moins de cinq esprits qui s'étaient reliés afin de le suivre. Lorsqu'ils sentirent que Miranda était là, ils s'éclipsèrent discrètement, lui laissant les cartes en mains. Sachant que les personnes acculées pouvaient se révéler encore plus dangereuses que la normale, la jeune femme préféra se montrer sans s'approcher plus. Elle rabaissa la capuche de sa cape et leva les mains pour montrer qu'elle était désarmée.

-Bonjour à vous... Je suis désolée de m'adresser à vous de manière aussi cavalière mais j'aurai besoin de vos services...

Et la sidhe lui offrit un sourire tout ce qu'il y avait de plus innocent...

La présence proche de Seraph s'évanouit soudain. Intrigué, l'homme tourna lentement sur lui même en regardant partout autour de lui. Sous sa cape, sa main se resserrait sur le pommeau de son poignard. Cette sensation était étrange, un subtil mélange de curiosité et d'inquiétude. Quoiqu'il en fut, le Rôdeur était persuadé d'avoir assisté à un phénomène qui le dépassait. Soudain, une silhouette apparue au bout de l'accès. Une femme se présenta à lui, les mains en évidence. Elle ne semblait pas lui vouloir de mal.


L'inconnue qui se tenait à une distance respectable de lui s'adressa au Drow. Apparemment, elle désirait son aide. L'homme eut un rictus gêné tandis qu'il lâchait son arme sous ses grands habits, prenant une posture plus décontractée.


"Mes services ? Navré Mademoiselle mais je crois qu'il y a erreur sur la personne. Jusqu'ici je n'ai encore jamais rendu service à qui que ce soit et je serais étonné que cela change maintenant." Répliqua le Rôdeur, vexé sans l'admettre d'avoir été suivi sans qu'il ne le remarque.


Seraph tourna le dos à l'anonyme et s'apprêtait à sortir de sa cachette pour quitter Naturalia au plus vite quand il lui vint une idée. Il se figea donc avant de se retourner pour de nouveau faire face à son interlocutrice.


"D'un autre côté, un arrangement est toujours possible, du moins à condition que vous ayez une contre partie honorable à me proposer et que vos arguments tiennent la route. Dites toujours." Fit-il méfiant mais toutefois disposé à entendre la requête de la jeune femme.

La jeune femme fut soulager de constater que le rôdeur n'avait pas de réaction « violente » à son approche. Elle n'était pas certaine de faire le poids contre ces hommes de l'ombre, habitués à chasser leurs proies sans que celles-ci ne s'en rendent compte. Le premier contact était établi, pacifiquement, c'était à elle maintenant de faire le reste du travail. Convaincre cet inconnu de travailler pour elle alors qu'il ne la connaissait pas et qu'il sortait tout juste d'une course poursuite avec la garde ne serait pas vraiment chose aisée. Elle espérait juste que la rumeur sur leur appât du gain était suffisamment basée sur la vérité pour qu'elle ait une chance d'exposer ce qu'elle attendait de lui...

Aussi ne fut-elle pas surprise de le voir tourner le dos avant de revenir. Là aussi elle fut soulagée de voir qu'il lui offrait de lui-même une chance de s'expliquer. La sidhe se permit donc de rentrer un peu plus dans la ruelle pour se rapprocher de lui. Ce qu'elle avait à dire n'avait pas besoin d'une multitude de témoins et elle risquait de trop attirer l'attention si elle restait ainsi plantée à l'entrée du passage. Elle garda tout de même une attitude modérée afin qu'il n'y ait aucun malentendu à son sujet. Elle ressemblait à une frêle femme, elle l'était effectivement...

-Je vous remercie de me donner une chance de vous exposer en quoi consiste ce service...

La jeune femme eut un sourire doux mais qui semblait masquer quelque chose d'un peu plus froid. Un peu comme celui qu'aurait pu avoir une femme d'affaire. Passer un contrat avec quelqu'un avait le don de réveiller son sang de sidhe comme jamais elle ne l'aurait pensé...

-Il va sans dire que lorsque je parle de vos services j'y associe le terme de rémunération. Rémunération qui se traduit en pièces d'or dont vous aurez une première moitié en acceptant ce « contrat », la seconde lorsque tout sera terminé. Et ce sans compter les possibles bonus que vous pourriez obtenir au cours de cette mission.

Pour l'instant les gardes faisaient chou blanc dans leurs recherches. Elle avait fait en sorte que certains esprits les gardent à l'oeil pour qu'elle soit prévenue si jamais ils se rapprochaient trop d'eux. Aussi avaient-ils le temps de parler un peu... Mais cela ne durerait peut-être pas des années...

-Si vous vous inquiétez de la possible proximité des gardes, votre évasion les a suffisamment dérouté pour qu'ils ne sachent correctement où chercher. Je peux aussi vous aider à les éviter jusqu'à la sortie de la ville si vous me laissez vous « embaucher »...

Restait à voir quelle serait sa décision. De là...

Visiblement bien élevée, la jeune femme maniait l'art du verbe si bien que même le plus rustre des Aigrefins l'aurait écouté pour sembler plus intelligent. Elle s'approchait de Seraph sans animosité pour se permettre de discuter plus discrètement, il fit donc de même. L'inconnue exposa alors ses arguments au Rôdeur. Bien évidemment, la rémunération intéressait le Drow ainsi que la perspective de relever un défi. Les vagabonds comme lui, sans argent et sans attache, vivant au jour le jour, ne pouvaient se permettre de faire l'impasse sur une somme d'argent qui pourrait leur permettre de subsister plusieurs jours sans se soucier de la faim. Son intérêt était donc double.


Afin d'appuyer l'assentiment de Seraph, la jeune femme lui promit également de l'aider à quitter la ville en évitant les patrouilles de gardes. Le Rôdeur hésita un instant sur l'évaluation de la pertinence de cet argument. Il y avait quelques minutes, il était parvenu à échapper à la vigilance des gardes avec brio notamment grâce à son sens de l'Eveil. Néanmoins, si cette capacité lui permettait d'anticiper des faits et des actes quelques secondes à l'avance, elle serait inutile en cas de meilleure organisation des rondes des gardes. Lorsqu'il était plus jeune, il lui était arrivé d'avoir quelques sueurs froides avant de finir par s'en tirer. De plus, il retenait que si son don lui avait permis d'échapper aux gardes, il n'était pas parvenu à tromper l'astuce de cette mystérieuse commanditaire. Son aide serait donc précieuse et coopérer avec elle lui permettrait de comprendre comment elle avait fait pour le retrouver. Son dernier argument était donc convainquant, peut-être même plus que les précédents au final.


"Appelez moi Flèchecendre." Répondit-il en exposant implicitement son approbation.


L'homme tendit ensuite la main à son interlocutrice pour conclure leur pacte. Quelques secondes plus tard, le Drow fut interpellé. A quelques mètres d'eux, de l'autre côté du bâtiment, des gardes patrouillaient sans paraitre vouloir vérifier l'arrière de l'habitation. Ils étaient restés suffisamment longtemps au même endroit que cela devienne dangereux. A chaque seconde, la zone de recherche des gardes s'étendait bien qu'il serait surprenant qu'ils poursuivent une journée durant un simple voleur à la tire.


"Pour que vous puissiez m'expliquer les détails de votre projet, il faut d'abord trouver un autre endroit. Nous ne sommes pas en sécurité ici." Dit Seraph à voix basse.


Enfin, l'homme se positionna dos au mur séparant deux propriétés et plia les genoux pour se mettre en position de porteur dans le but de faire la courte échelle à sa commanditaire, histoire de se déplacer dans passer en plein milieu de la rue.


"Ne vous en faites pas, j'arriverai à passer par dessus seul."

Miranda ne savait pas si l'inconnu allait accepter. Elle prenait beaucoup de risques en agissant ainsi mais elle n'avait pas eu beaucoup d'autres possibilités. Elle sentait les derniers espoirs de Lucile peser sur ses épaules et restait suspendue aux lèvres de Seraph. En réalité, le rôdeur ne mit pas tant de temps que cela pour prendre sa décision... Mais pour la shaman, le délais lui sembla bien plus long, proportionnel à l'importance que cela aurait pour elle et l'esprit... Si jamais il n'acceptait pas, elle serait obligée d'agir seule et elle n'avait certainement pas les compétences nécessaires à sa réussite. La sidhe avait donc vraiment besoin de lui...

Elle ne put s'empêcher d'afficher un sourire ravi en entendant son nom, qu'il soit réel ou non. C'était signe qu'il envisageait sérieusement d’accepter son offre. Le plus dur, à ses yeux, était donc fait. Même si l'infiltration de la maison de leur cible ne serait pas non plus chose aisée, elle savait qu'elle aurait quelqu'un de compétent à ses cotés, quelqu'un qui avait l'habitude de ce genre d’excursion nocturne... Elle s'empara donc de la main tendue pour la serrer vigoureusement, ce qui ne devait pas représenter grand chose pour la poigne ferme d'un homme.

-Et vous pouvez m'appeler Miranda...

Ne restaient que les détails, le plus important étant sa présence à ses cotés. Elle n'était pas sûre qu'il s'attendait à ce qu'elle s'impose en coéquipière... Il y avait d'ailleurs une bonne raison à cela, en temps normal elle aurait pu laisser la simple consigne de lui rapporter l'urne funéraire en parfait état, avec son contenu intact. Mais Lucile n'avait pas eu une vie facile et son expérience désastreuse avec son ancien mari avait laissé des traces indélébiles sur sa façon d'appréhender la gens masculine. Elle ne supporterait donc pas de t »tomber entre les mans d'un second mâles ». Il fallait donc qu'elle manipule l'urne en personne pour éviter que l'esprit ne soit encore plus blessé...

Les esprits commencèrent à s'agiter. Ils ne seraient plus en sécurité bien longtemps dans cette ruelle, la garde s'en rapprochant dangereusement même s'ils avaient perdu leur énergie première dans leurs recherches infructueuses. Elle accueillit donc la proposition de Seraph d'un hochement de tête entendu. Ses amis si particuliers étaient déjà en train de voir où ils pourraient s'installer pour parler le plus tranquillement possible... Et, visiblement, ils allaient être obligés de passer par les toits. L'idée ne l'enchantait guère car elle n'était pas habituée à passer par là. Elle aurait fort bien pu continuer dans la rue pour retrouver le rôdeur à un point précis mais elle pressentait qu'elle ne devait pas le laisser seul maintenant. C'était aussi un moyen de montrer qu'elle ne serait pas non plus complètement inutile. La jeune femme se rapprocha donc de lui, décidée à passer par le chemin qu'il avait décidé.

-Je n'en doute pas un seul instant...

La sidhe lui sourit avant de purement et simplement disparaître. D'habitude elle évitait ce genre de petite démonstration de téléportation mais présentement elle avait des choses à prouver, cela ne lui coûtait guère d'énergie et, surtout, cela lui évitait de se prendre les pieds dans ses jupons, même si sa tenue était spécialement pensée pour qu'elle ne soit pas entravée sur l'avant...

-Où préférez-vous aller pour que nous puissions discuter des détails...?

Cette capacité à se téléporter était vraiment quelque chose d'utile pour la sidhe. Bien qu'elle ne soit pas complètement dénuée de moyens de défense, elle évitait soigneusement les combats. Pouvoir s'en éclipser était un véritable cadeau du ciel… Elle n'était pas lâche pour autant mais elle avait pleinement conscience de ses limites et préférer laisser ce genre de soucis purement physiques loin derrière elle. En cela ce pouvoir restait un atour important qu'elle avait tendance à garder dans sa manche. La situation était un peu différente dans le cas présent. Non seulement elle n'était douée en rien pour jouer les funambules mais elle devait casser cette image lissée de grande dame qui ne savait rien faire. Lorsqu'elle annoncerait au rôdeur qu'elle participerait au cambriolage, il ne devait pas complètement douter d'elle. Elle estimait que savoir qu'elle pouvait fuir à tous moments serait un atout.

Tendant l'oreille, elle comprit qu'elle allait devoir passer par les rues. Si les esprits ne le perdraient pas de vue et lui permettraient de savoir où il était, le rejoindre risquait de prendre un peu plus de temps puisqu'elle serait tributaire des rues et de leurs populations… Ce serait à elle de ne pas prendre trop de retard sous peine qu'il pense qu'elle ait abandonné son projet. Sa remarque concernant sa curiosité ne manqua pas de la faire sourie. Il finirait bien par comprendre qu'elle disposait d'espions d'un genre un peu particulier…

-Fort bien, je vais passer par les rues pour ma part. je vous fais confiance pour ne pas vous faire prendre…

Sur ces mots elle le laissa continuer, prenant sa propre route alors que les esprits prenaient en charge sa "filature". Ne pouvant anticiper réellement ses déplacements comme lui le faisait avec la garde, elle dut lui laisser une certaine avance pour pouvoir déterminer quelle route elle pouvait prendre. Au final, elle se retrouva elle aussi dans le quartier pauvre de Naturalia, se sentant aussi à l'aise qu'un canari invité à un colloque de chats… Entre sa tenue et son allure, elle était plus voyante que si elle s'était habillée de rouge vif. Seule la présence des esprits proches, ainsi que celle de Seraph, la rassurait quelque peu. Si elle ne croisa que quelques mendiants, elle sentit le poids de nombreux regards peser sur son dos et elle fut certaine que certaines personnes la prirent en chasse. C'est donc d'un pas pressé qu'elle rejoignit finalement le rôdeur dans la ruelle…

-Nous devrions être tranquilles si certains coupe-gorges ne viennent pas nous déranger…

Seraph devait être assez expérimenté pour sentir que la présence de la sidhe avait attiré l'appétit de certaines personnes aux mains lestes. Elle n'était pas certaine qu'ils resteraient seuls bien longtemps… Et dans tous les cas des oreilles traînaient de trop pour qu'elle se retrouve obligée à se rapprocher au maximum de lui pour parler à voix basse…

-J'ai besoin de quelqu'un d'expérimenté pour récupérer une urne détenue par le seigneur Baltazar Kerl. Et pour qu'il ne comprenne pas que le vol de cette urne était la cible première de ce cambriolage, il est fortement recommandé que vous vous serviez largement dans sa collection d'objets d'art…

Même si elle n'était pas coutumière de ce genre de situation, elle avait parlé de façon clair, posée et froide, ne laissant rien transparaître du malaise qu'elle éprouvait à demander pareille chose, dans pareil endroit à pareille personne… Sentant la détresse de la shaman, les esprits vinrent se presser autour d'elle, la réconfortant et se tenant prêts à la protéger…

-Etes-vous toujours intéressé Messire Flèchecendre?

Dès leur arrivée dans la ruelle, si les deux individus étaient conscients qu'ils étaient hors de portée des gardes il savaient également qu'ils s'exposaient à d'autres dangers. A ce titre, Seraph sortit son arc ainsi qu'une flèche en fixant un bout de la ruelle, par simple souci de prudence, tout en restant dans l'ombre. De toute manière, ils ne resteraient pas très longtemps sur les lieux. Dès que les termes de leur accord auront été éclaircis, ils se remettraient en route.


C'est alors que Miranda expliqua ses motivations au Rôdeur. Même sans la regarder, gardant les yeux rivés sur le bout de la ruelle, Seraph ne l'écoutait pas moins attentivement. Le nom du notable que venait d'annoncer la jeune femme ne disait rien au Rôdeur. Du temps des Protecteurs, il aurait probablement pu réciter par cœur les noms des gros bonnets de la cité. C'était dans ces moments là que le Drow se faisait la réflexion qu'il ne connaissait plus personne.


"Je vois. Vous voulez donc qu'un cambriolage en maquille en un autre. Ça me semble tout à fait faisable, en effet. En revanche, appelez-moi juste Flèchecendre ou Seraph si vous préférez. Je n'ai rien de noble pour être appelé Messire, Madame." Répondit l'homme sans sévérité ni mépris.


"Où se trouve sa demeure ? Il y a t-il autre chose que je dois savoir sur ce Kerl ? A t-il de famille vivant avec lui ?" Demanda t-il ensuite.


Le Rôdeur se moquait pas mal du sort de ce nobliau, seulement, ses questions soulevaient des considérations pratiques. Il était évident qu'il allait devoir déjouer la vigilance de la garde personnelle de Kerl dans un premier temps. Restait à savoir s'il allait devoir se faire discret aux yeux d'autres individus une fois à l'intérieur.

Le fait qu'il brandisse ainsi son arc avec une flèche encoche le rendait particulièrement menaçant aux yeux de la shaman, ce qui ne manquait pas de la rassurer dans un tel endroit. Certains malandrins avaient probablement entendu parler de lui et réfléchiraient donc à deux fois avant de chercher à les dépouiller. Si ce n'était pas forcément le cas, c'était ainsi que pensait la jeune femme et elle put donc légèrement se détendre. Elle aurait préféré savoir Edalion à ses cotés car elle savait pouvoir lui faire confiance mais elle savait pertinemment qu'il n'aurait jamais approuvé sa façon de faire, même si elle n'avait plus d'autres choix. Cela restait un vol qualifié, le genre de crime qu'il faisait en sorte de punir…

La question pourtant fort pertinente du drow lui permit de comprendre combien elle était novice, et naïve, en la matière. Elle aurait du pouvoir lui donner bien plus que les pauvres malheureux détails qu'elle allait lui fournir… Ses esprits pouvaient fort bien faire office d'espions ou de guets… Mais elle n'avait même pas penser à vérifier le nombre de gardes présents dans la maison, si certains systèmes de défense avaient été prévus. Comment la vie s'organisait dans la maison pour faciliter au mieux leur infiltration…

-C'est un collectionneur, je suppose qu'il veille jalousement sur toutes ses acquisitions… Sa maison se trouve un peu à l'écart de l'allée des marchands et donne sur un immense jardin entouré de hauts murs. Sa femme est morte récemment et ils n'ont pas eu d'enfants. Et ce n'est pas le genre de personnage à héberger un membre de sa famille par altruisme…

La sidhe fouilla sa mémoire. Kerl était un homme seul, elle pouvait en être certaine. Son veuvage était relativement récent et il avait trop à cœur sa réputation pour chercher une nouvelle femme aussi rapidement, même si cela ne l'empêchait pas de courir les jupons. Et il était trop orgueilleux et imbu de sa personne pour avoir des enfants dont ils auraient à s'occuper. Sa seule compagnie devait être ses gardes qui patrouillaient sans cesse dans la maison et le jardin. Pourtant elle avait l'impression d'oublier quelque chose. Le genre de détail qui avait son importance par la suite…

-Attendez… Lorsque je me suis entretenue avec lui j'ai remarqué une odeur étrange…

Elle avait remarqué que cette odeur étrange flottait dans un peu toute la demeure, difficilement masquée par l'encens que des domestiques faisaient brûler ou les brassées de fleurs qui venaient orner une multitude de vases… C'était une odeur forte, lourde, légèrement dérangeante. Elle n'en avait encore jamais senti de telle mais cela lui avait fait vaguement penser à celle d'une écurie. Ou d'une étable. Quelque chose de chaud, de vivant, d'animal, qui occupait un espace réduit…

-Je pense qu'il doit avoir une forme de ménagerie chez lui…

C'était à cela que lui faisait penser l'odeur… Et ce n'était pas dénué de logique. S'il s'était permis de collectionner Lucile comme l'une de ses choses, rien ne l'empêchait de faire de même avec des animaux. Restait à savoir quels animaux exactement et s'ils risquaient de représenter une menace pour eux. A moins qu'ils ne se transforment en diversion de dernier recourt? Mais connaissant le nobliau, il y avait à parier que ces animaux étaient étranges, exotiques et dangereux…

Les explications de Miranda ne tardèrent pas arriver. Elle était déjà allée chez Kerl, ce qui lui permis de livrer à Seraph de précieuses informations pour le succès de leur entreprise. L'homme vivait seul, mais cela ne faisait aucun doute qu'il était entouré de mercenaires de la garde. De plus, la jeune femme avait remarqué des présences animales dans l'habitation. . Si le mode de vie des Rôdeurs les forçaient à passer maîtres très rapidement dans l'art de la discrétion, il n'en restait pas moins que les animaux étaient naturellement dotés de facultés incompréhensibles pour les humanoïdes qui leur permettait de détecter les présences les plus discrètes.


"Ça risque de compliquer sérieusement les choses. Vous avez quelque chose contre le meurtre ? Au moins d'animaux. Désolé si cela vous heurte, mais ce pourrait-être une condition de notre réussite." Observa et demanda l'homme.


Les sens à l'affut, Flèchecendre avait remarqué la venue de plusieurs personnes dans le quartier. S'ils ne semblaient manifester aucune intention de pénétrer dans la ruelle pour piéger les deux hors-la-loi, leurs faits et gestes méritaient d'être suivis avec prudence attention.


"Que vous a t-il dit de particulier lorsque vous êtes allé le voir ?" Demanda Seraph dans le souci de recueillir d'autres informations d'une conséquence anodine en apparence mais qui pouvaient dans les faits avoir leur importance.


Le Drow ne souffrait d'aucune anxiété particulière à l'égard de ce contrat. Simplement, il était intrigué par sa difficulté supposée. Même en prenant en considération les éléments connus, leur tache ne serait pas aisée. Or, toute entreprise de ce type comportait également nombre d'imprévus, et souvent en défaveur des initiateurs du projet. Il y avait longtemps que le Rôdeur ne s'était pas livré à ce genre d'exercice et le danger, à défaut de le rebuter, le ragaillardissait dans une raisonnable mesure.


"Je pense qu'il est temps d'y aller, notre objectif est clair et les rues ne sont plus si sûres. Par où allons-nous ?" Demanda Seraph en oubliait presque la contrepartie que Miranda lui avait promis.

La jeune femme déglutit. Si elle avait estimé qu'un cambriolage n'écornerait pas de trop son étique personnelle, il n'en allait pas de même pour le meurtre. Contrairement à lui, la sidhe savait pertinemment ce qui pouvait attendre les victimes de meurtre après leur mort. Et contrairement à elle, il n'aurait pas être hanté par ses victimes jusqu'à ce que ces dernières lui pardonnent. Au sens le plus strict du terme… Ce simple constata avait fait d'elle quelqu'un qui répugnait à donner la mort. Même pour les animaux bien qu'elle ne sache pas vraiment ce qu'il advenait de leur esprit. Peut-être qu'eux aussi venaient à errer? Mais elle en doutait, contrairement à l'homme, l'animal acceptait bien plus prosaïquement sa condition de mortel et ne s'attachait à une personne ou à une cause plus que de raison…

-Je sais que cela n'en rendra notre tâche que plus difficile mais je voudrai que nous évitions autant que possible de donner la mort. Je conçois que nous serons peut-être amenés à affronter gardes ou animaux, mais je vous pries de retenir le coup de grâce…

Elle lui expliquerait peut-être pas la suite pourquoi elle rechignait autant à tuer, au-delà de l'impression de naïveté et de délicatesse qu'elle pouvait donner. Sans compter qu'il n'était pas certain que les animaux représentent une menace directe… Si elle avait senti une odeur de ménagerie, elle n'avait pas remarqué d'animaux dans la partie de la maison qu'elle avait pu voir. Et si Baltazar agissait en collectionneur, il ne devait pas se servir de ses précieuses acquisitions pour sécuriser sa maison. Perdre une pièce de collection était trop cher, trop difficile pour son orgueil… Cela ne l'empêchait pas de songer à libérer les animaux si ils avaient besoin d'une diversion. Ou si elle avait les moyens nécessaires, en mémoire de Lucile.

La jeune femme invita le rôdeur à la suivre, elle lui servirait de guide jusqu'à atteindre la demeure. Ils y arriveraient pas l'arrière, au niveau du mur du jardin… Se mettre ainsi en mouvement la rassura, se sentant ainsi moins vulnérable. Au passage ils éviteraient d'être de trop espionnés et elle pourrait lui fournir les dernières informations qu'il venait de lui demander. Cette discussion avec le noble avait été tellement désagréable qu'elle avait fait en sorte de l'effacer de sa mémoire, il lui fallut donc quelques instants pour réorganiser ses souvenirs et ses pensées…

-Son discours n'avait rien d'intéressant ou de mémorable. Il n'a eu de cesse de vanter la magnificence de sa collection. Il a dilapidé temps et argent pour obtenir chacune des pièces… Cela pourrait être louable si cet homme n'était pas vicié. A titre d'exemple l'une de ses dernières pièces était tout simplement son épouse. Elle a ainsi été privée de sa liberté et de sa vie sociale, cloîtrée chez elle et soumise aux lubies de son mari…

La jeune femme eut un soupir légèrement blasé…

-Derrière une façade tout à fait sophistiquée et lissée se cache un individu misérable et cruel. S'il vient à réaliser que des intrus sont en en train de le piller, je ne doute pas qu'il cherchera en premier lieu à nous capturer pour voir ce qu'il pourra obtenir de nous. Si nous sommes dignes de rejoindre sa collection…

Miranda avait exposé au mercenaire ses conditions avant de dresser le portrait de l'homme dont ils s’apprêtaient à cambrioler la demeure. Seraph avait acquiescé avec un sourire discret. L'interdit absolu du meurtre ne faciliterait sans doute pas leur tâche en cas d'imprévu mais le Rôdeur allait tout de même s'évertuer à composer avec ou plutôt sans. Il comprenait que ce genre de chose puisse révulser les spiritistes ayant été éduqué par des Protecteurs et ayant tiré quelques enseignements des diverses approches de la mort.


L'ensemble des termes du contrat étaient clairs, il était donc temps pour les deux individus de se mettre en route. Prudemment, ils quittèrent les quartiers malfamés de Naturalia pour emprunter les rues menant aux résidences puis à l'allée des marchands pour finir par s'en éloigner jusqu'à trouver la demeure de Kerl.


Plutôt qu'une approche frontale, Seraph préféra conduire Miranda sur une rue voisine pour commencer par s'introduire sans difficulté sur le terrain de la résidence adjacente à celle de Kerl avant de grimper sur le mur séparant les deux propriétés.


Profitant du camouflage offert par l'épais feuillage d'un arbre du jardin de la future victime, Flèchecendre observa les environs. De là où il se tenait, il bénéficiait d'une vue imprenable sur le flanc de la maison ainsi que sur la majeure partie du jardin.
La première chose qui attira l'attention du Rôdeur était qu'aucun garde ne semblait patrouiller dans le secteur, chose étrange étant donné le récit de Miranda.


"Vous êtes sûre à propos des gardes ?" Demanda l'homme à voix basse.


C'est ensuite qu'il remarqua que l'une des fenêtres visibles depuis son perchoir était brisée. C'était la fenêtre de la chambre de Kerl. Elle se trouvait en hauteur et les divers points d'accroche offerts par les ornements la rendait plutôt facile d'accès pour tout acrobate qui se respectait. Quelqu'un les avait doublé.


"Cela ne présage décidément rien de bon. Qui d'autre pourrait vouloir l'urne ?" Demanda Seraph.


Après avoir pris un court instant de réflexion, l'homme dit :


"Il va quand même falloir y aller. Restez derrière moi."


Sans plus attendre, l'homme s'élança pour grimper jusqu'à la fenêtre brisée. Il n'eut pas grand mal à escalader la paroi comme il l'avait prévu. Il rejoint alors Miranda à l'intérieur et surpris une discussion qui se tenait à l'étage inférieur.


"Si vous faites ça, vous signez votre arrêt de mort. Prenez cet argent et j'oublierai tout." Dit un homme, certainement Kerl.


Le son d'une lame pénétrant brusquement la chair se fit entendre suivi d'un cri étouffé. Le cambrioleur qui les avait devancé était toujours sur les lieux. Il n'était donc peut-être pas encore trop tard.


Rapidement, Seraph se dirigea vers la rambarde de l'escalier et trouva au beau milieu du couloir le corps d'un chien de chasse dont la nuque avait été brisée. Flèchecendre chassa cette vision de son esprit pour se reconcentrer sur l'essentiel.
Discrètement, il se pencha par dessus la rambarde pour tenter d'apercevoir le mystérieux malfaiteur. Cependant, il ne put rien voir, contraint de reculer brusquement et par réflexe pour esquiver un carreau d'arbalète qui lui arrivait droit dessus par en bas. En reculant, il bouscula malgré lui Miranda.


"Est-ce que ça va ?" Demanda t-il sans même se rendre compte que son front avait été ouvert par le projectile qui l'avait frôlé et donnait naissance à une rivière de sang le long de son visage.


Un bruit sourd se fit alors entendre. Le cambrioleur manifestement très doué venait d'ouvrir la porte de la cave en essayant de trouver une autre sortie que l'accès principal. L'odeur était discrète depuis le premier étage mais elle agressa l'odorat de Seraph qui ne la connaissait que trop bien. L'odeur des cadavres. Quel genre de chose allaient-ils découvrir dans la cave ?


"Allons-y ! Il ne doit pas filer avec l'urne s'il la prise." Fit Flèchecendre.


Peut-être que Kerl n'avait pas encore succombé à ses blessures.

La jeune femme fut soulager de constater qu'il ne cherchait pas à argumenter indéfiniment les restrictions qu'elle venait de lui imposer. Il lui semblait prêt à tenir ses engagements, aussi difficiles soient ils. Ne restait qu'à franchir la ligne et de devenir un hors-la-loi à son tour. Elle eut un pincement au cœur en songeant à Edalion, il n'aurait certainement pas apprécié une telle initiative et, le connaissant, il serait allé droit chez lui pou récurer l'urne aussi, se risquant à la mort ou à un grave incident diplomatique… Cela ferait partie des petites choses qu'elle ne lui révélerait pas au sujet de sa personne.

La jeune femme rabattit la capuche de sa cape mais remonta aussi un foulard sur le bas de son visage afin de rendre son identification difficile. Après tout Kerl et sa maisonnée l'avait déjà rencontrée une fois, il valait mieux éviter de leur faciliter la tâche s'ils se croisaient à nouveau. Laissant la partie technique, notamment tout ce qui touchait à l'acrobatie, à Flèhecendre, elle s'appropria le rôle de guet, vérifiant à l'aide de ses esprits stratégiquement postés dans la rue, que personne ne viendrait les déranger.

La remarque du rôdeur au sujet des gardes l'inquiéta. Normalement, cet homme ne laissait pas ses biens sans protections, c'était bien la seule chose qui ait une quelconque importance à ses yeux. Il devait y avoir des gardes. Et s'il n'y en avait pas c'est qu'il y avait forcément une autre forme de protection, des enchantements et des maléfices. Probablement des pièges aussi, en grande quantité. Elle releva donc le visage vers lui, ses sourcils légèrement froncés, avant d'apparaître à ses cotés...

-Je suis certaine pour les gardes…

La sidhe remarqua la vitre à son tour et ne put qu'acquiescer aux propos de Seraph. Cela n'avait rien de rassurant… S'ils se faisaient doubler, ce ne serait pas une question d'ego froissé, elle n'en avait pas au sujet de la cambriole, mais de devoir inachevé. Si jamais l'urne changeait de mains, cela retarderait d'autant plus la libération de l'esprit… Et ils risquaient de devoir la récupérer dans un endroit encore plus difficile d'accès !!

-Je ne sais pas si quelqu'un d'autre a pu être intéressé par l'urne mais elle n'est qu'une pièce de sa collection. Quelqu'un est peut-être venu pour d'autres éléments…?

Après tout l'espoir était encore permis…? Le voleur pouvait très bien avoir cherché bijoux, artefacts et tableaux et abandonné l'urne derrière lui, peu désireux de s'encombrer avec les cendres de quelqu'un? Elle était tout à fait d'accord avec lui, maintenant qu'ils étaient là, ils devaient aller vérifier. Elle n'eut pas le temps de lui souffler de rester prudent qu'il était déjà parti à l'assaut du mur sous la fenêtre. Elle l'observa grimper quelques instants, admirant sa dextérité, avant de se redresser légèrement. Pour se téléporter à l'intérieur elle eut besoin de l'assistance d'un esprit. Ne pouvant voir l'intérieur de la pièce, elle avait besoin de lui pour être ses yeux et éviter de se retrouver fusionner avec le lit ou un placard. Elle n'arriva que quelques secondes avant Seraph et se tint complètement immobile. Elle aussi pouvait entendre les voix… Visiblement ils n'étaient pas seuls…

Elle n'eut aucun mal à reconnaître la voix de Kerl. Même menacé il semblait gardé sa morgue, incapable de voir que son attitude pourrait très bien lui coûter la vie… Il semblait en train de marchander avec le ou les voleurs, espérant probablement que l'argent résoudrait son problème. C'était quelque chose de constant chez lui… Etant donné qu'il avait de l'argent, il s'imaginait que cela pouvait régler n'importe quel soucis. Si elle n'entendit pas la lame pénétrer la chaire, peu habituée à ce son, le cri de douleur la fit nettement sursauter. Elle avait beau ne pas aimer du tout cet homme et le vouer aux gémonies, elle ne pouvait pas non plus le laisser mourir ainsi… 

La shaman se précipita donc vers la rambarde elle aussi mais fit preuve de bien moins de célérité que Seraph qui la précéda largement. Et cela lui sauva probablement la vie puisqu'elle n'aurait jamais été capable d'esquiver ainsi ce carreau d'arbalète. Le coude du rôdeur qui vint la cueillir dans le ventre alors qu'il la bousculait état donc un bien maigre prix à payer pour avoir la vie sauve. Le souffle court elle acquiesça pour le rassurer sur son état mais ne put s'empêcher de pâlir en voyant son sang couler. Impossible de dire s'il avait été gravement touché, tout s'enchaînait trop vite et il aurait fallut l'immobiliser pour qu'elle puisse vérifier… 

Alors que le rôdeur semblait prêt à s'élancer dans les escaliers pour poursuivre le voleur qui venait de le damer le pion, elle parvint à l'arrêter en bloquant son avant-bras. Extirpant un mouchoir blanc de l'une des poches de sa cape, elle l'appuyant fortement sur la blessure, bénigne certes, mais qui pouvait devenir handicapante s'il avait du sang dans les yeux. Elle prit sa main et la porta au mouchoir pour qu'il puisse continuer à faire pression jusqu'à ce que le flot se tarisse…

-Je crois que c'est bénin…?

C'était plus une question qu'une affirmation alors qu'ils se dirigeaient vers la cave. La jeune femme capta un mouvement vers le hall et secoua doucement la tête. Kerl se tenait au-dessus de son propre corps, visiblement abasourdi que quelqu'un ait osé le poignarder. L'urne semblait avoir disparu… Probablement emportée par le voleur.

-Allons-y, de toute façon il est trop tard pour Kerl…

La cave ne lui paraissait être qu'un gouffre obscure. On entendait encore la course de celui qui les précédait, répercutée par la roche. Mais pas que cela… Il y avait des choses tapies là-dedans et elle sentait qu'elle n'allait pas apprécier ce voyage. Cela ne l'empêcha pas de s'y engouffrer, bien décidée à récupérer l'urne. Elle n'eut pas fait un pas qu'elle sentit quelque chose se faufiler entre ses pieds. L'instant d'après, cela s'enroulait autour de sa cheville, la propulsait au sol et la traînait rapidement vers une flaque d'obscurité.

Miranda n'avait pas l'air d'avoir été blessée par sa bousculade avec Seraph. La jeune femme apposa alors sur le front du Rôdeur un mouchoir. Il ne comprit pas tout de suite pourquoi mais finit naturellement par se rendre compte qu'il avait été blessé par le projectile qu'il croyait avoir évité. Il la remercia d'un bref hochement de tête puis continua à appliquer une pression sur sa plaie pendant quelques secondes, les yeux rivés sur l'étage inférieur à mesure qu'il descendaient les escalier.


"Ça ira." Dit Flèchecendre pour rassurer sa commanditaire et complice.


Arrivés en bas, les deux cambrioleurs constatèrent rapidement le décès de Kerl. Sans perdre une seconde, ils se dirigèrent donc vers la cave pour poursuivre l'inconnu.


"Prudence." Recommanda Seraph machinalement, au cas où cette notion aurait pu être mise de côté par une montée d'adrénaline chez la jeune femme.


A peine la spiritiste entra t-elle dans la pièce qu'elle fut aussitôt attaquée. N'ayant pas anticipé une telle manigance, le Rôdeur ne put que se jeter vers Miranda une fois qu'elle fut emportée en l'appelant pour qu'elle lui tende la main. Leurs doigts s'effleurèrent mais leur contact fut trop bref pour que le Drow ait eu une chance de retenir la jeune femme qui disparut dans l'obscurité.


Flèchecendre se releva aussi rapidement qu'il le put en poussant un juron. Il n'avait qu'une idée en tête : Retrouver Miranda avant qu'il ne soit trop tard. Pour ce faire, il allait falloir qu'il évite à tout prix de se faire attraper également. L'homme tira alors son poignard de sa ceinture en adoptant une posture défensive. Dans son autre main naquit une flamme éclairant les alentours à quelques mètres de lui seulement.


Dans cette première salle ne se trouvaient que des étagères ayant pour but d'entreposer des bouteilles de vin. Miranda avait été emmenée ailleurs.


Les sens en alerte, Seraph se dirigea donc vers la porte ouverte donnant sur l'autre partie de la cave. L'odeur de cadavre qu'il avait décelé à l'étage supérieur était ici insoutenable. En passant la porte, le Rôdeur découvrit l'horreur. Ici étaient entreposés des corps empaillés, principalement de femmes. D'autres corps étaient suspendus par des crochets au dessus de larges bassines servant à récolter leur sang.


Le Rôdeur n'eut guère le temps d'en voire plus, ni même de retrouver la trace de Miranda. Il sentit un bras s'approcher brusquement de lui, à sa gauche. Habilement, il évita le coup horizontal qui lui était adressé et répliqua aussi par un coup de poignard qui fendit l'air à son tour.


Sa main tenant la flamme fut enserrée d'ombres et l'obscurité totale revint reprendre ses droits. A l'aveugle et en se fiant à son instinct de Rôdeur, Seraph parvint à dévier quelques coups et à en rendre un seul. Il était attaqué à mains nues.


Soudain, un choc d'une violence inouïe vint enfoncer son abdomen pour le faire plier. Un nouveau coup fut porté à sa gorge afin de l'immobiliser et un troisième adressé au haut de son dos le mit à terre sans appel.


Une quinte de toux étouffée permit à Flèchecendre de se débarrasser du sang qui avait envahi sa trachée. Il sentit alors le cambrioleur debout devant lui.


"Rendez l'urne." Articula difficilement le Drow.


"J'honore toujours mes contrats." Répliqua l'individu de sa voix grave et posée d'homme mûr.


Une nouvelle flamme apparut dans le creux de la main de Seraph. Il releva alors la tête pour apercevoir l'individu. C'était également un grand Drow au visage plutôt carré dont les oreilles se devinaient sous son capuchon. Les deux hommes ne s'étaient jamais rencontrés. En revanche, le coup que lui avait porté Seraph avait déchiré son vêtement, laissant clairement apparaître sur son torse, barré d'une cicatrice, le tatouage des Rôdeurs : Un loup enserré par un serpent.



"Vous êtes un ancien..." Balbutia Flèchecendre stupéfait.


"Oui, tout comme toi j'étais un Rôdeur. Avant." Répliqua immédiatement l'homme avant de plaquer Seraph au sol d'un puissant coup de pied descendant sur l'épaule.


L'homme s'en alla alors tranquillement et claqua des doigts comme pour relâcher un pouvoir qu'il exerçait.


"Attendez ! Où est-elle ?" Demanda Flèchecendre.


L'individu ne répondit pas et referma toutes les portes de la cave derrière lui, laissant Seraph seul dans l'obscurité à peine troublée par sa flamme. Pour qui ce type pouvait-il bien travailler ? Quelqu'un d'autre désirait récupérer cette urne, c'était certain. Un ami ? Un amant que la jeune femme ignorait ? Peut-être que la spiritiste et le Rôdeur finiraient par le découvrir. Quoiqu'il en fut, ils ne devaient pas perdre la trace de cet homme.


"Miranda ? ... Miranda ?!" Appela le Drow en se relevant difficilement, le corps tanné par la raclée qu'on venait de lui flanquer.


Si le cambrioleur n'avait pas tué Seraph alors qu'il était à sa merci, il n'y avait aucune raison que la jeune femme n'ait pas subi le même traitement de faveur.

Le temps lui sembla ralentit durant quelques secondes. Ce bref instant où les doigts de Seraph et le siens se frôlèrent, espoir d'une solution rapide… Mais elle était trop loin encore pour qu'il puisse la retenir et le temps reprit ses droits avec une puissance à la hauteur de leur frustration. Quoi que cela puisse être, cela traina la jeune femme au sol avec une vitesse tout bonnement impressionnante, faisant bien peu de cas de son précieux chargement qui cherchait d'ailleurs à s'enfuir… 

Si la lumière avait été allumée, on aurait probablement pu voir les traces des ongles de la shaman sur le sol. Elle eut beau essayer de se rattraper à tout ce qu'elle pouvait sentir, sol inclus, la chose qui l'avait attrapée l'entraîna à une vitesse vertigineuse vers les ombres. Plus d'une fois sa tête heurtant durement une surface, accentuant encore la sensation d'être perdue. Il y eut une dernière secousse et la jeune femme se retrouva hissée en hauteur, tête en bas. L'un dans l'autre l'action avait été trop rapide et trop violente pour que la jeune femme puisse espérer s'en protéger et elle se retrouvait maintenant à osciller doucement dans le noir, incapable de dire avec précision où elle se trouvait ni ce qui l'avait attaquée.

Il lui sembla bien percevoir des voix proches et masculines. Flèchecendre, elle le supposait, et leur probable voleur. Mais les sons étaient difficilement identifiables, répercutaient par les parois de pierre. Ils ne devaient pas être très loin, à une ou deux pièces d'elle… En un sens, cela ne fut pas plus mal pour elle puisqu'elle fut épargnée par le spectacle d'horreur que le rôdeur avait découvert. Si elle était inquiète de sa, situation, elle l'était certainement moins que si elle avait su pour ces malheureuses…

Pendant que Seraph découvrait que l'un des siens avait quitté son ordre, la shaman, elle, essayait de se libérer. Il n'y avait pas de parois à portée de main et le lien qui enserrait ses chevilles était tellement serré qu'il entravait sa circulation sanguine. Sa osition était assez gênante car bien que sa tenue soit adaptée pour lui laisser les jambes libres sur l'avant de sa personne, cape et jupons lui descendaient maintenant sur le crâne, rendant ses mouvements malaisés. Après avoir lutté avec sa tenue un certain temps, elle parvint enfin à mettre la main sur son couteau… Restait à atteindre l'entrave…

Alors qu'elle s'apprêtait à faire marcher ses abdominaux avec un sérieux doute sur leur efficacité, il lui sembla entendre une voix. Celle du rôdeur peut-être… Figée en plein mouvement, la jeune femme se concentra sur ce son pour s'assurer qu'il s'agissait bien de lui… Passées une poignée de secondes, elle eut la certitude qu'il ne pouvait que s'agir de lui puisque personne d'autre, ici, ne connaissait son nom. Cela ne l'empêcherait pas d'essayer de se libérer seule mais elle comptait bien lui faire savoir où elle était…

-ICI !!

Sa voix lui parut bizarrement répercutée par les parois. Comme  si la pièce était pleine et… isolée. Voilà, cela faisait à peu près le même son que lorsqu'on criait dans une pièce recouverte de tentures. Ne sachant trop où elle se trouvait, elle espérait vivement que Seraph parviendrait à mettre la main sur elle. Et pour cela, elle comptait bien l'aider du mieux qu'elle le pouvait aussi recommença-t-elle à s'époumoner… Bien qu'elle ne sache pas ce qui l'avait agrippée pour la pendre ici, elle pensait être seule… Elle n'avait pas vraiment pris le temps de réfléchir à la nature de ses liens, pensant plus à un piège magique quelconque… Mais lorsqu'elle commença à crier, ses liens se resserrèrent imperceptiblement…

Ses cris cessèrent brusquement lorsqu'elle sentit un frisson. Non pas de sa part mais de la part de ce qui la retenait. L'instant d'après, elle était violemment secouée en tous sens, sans pour autant heurter quoi que ce soit, dieu merci...  Elle  comprit alors qu'elle ne devait pas être si seule que cela dans cette pièce et que le bruit avait du déranger l'occupant des lieux. Cramponnée à son couteau, elle attendit que l'amplitude des mouvements lui soit utile, l'aidant ainsi à se plier et à atteindre le lien qui enserrait ses chevilles. Se retenir là pendant qu'on était secoué en tous sens et qu'on essayait de couper quelque chose de particulièrement épais se révéla particulièrement difficile… Inutile de dire qu'elle se coupa la main et s'entailla aussi profondément l'une de ses chevilles… 

Pourtant elle parvint à se détacher, sans trop savoir comment. En plein mouvement, elle fut projetée vers le mur contre lequel elle rebondit sans le moindre mal à sa grande surprise. Elle n'attendit pas d'identifier ce qui venait de l'aider, trop pressée de sortir. Elle tâtonna contre la parois, essayant de trouver la poignée de porte. Au lieu de cela elle sentit des excroissances moelleuses, longues… Quelque part sur sa droite la porte finit par s'ouvrir, laissant la lumière entrer dans la pièce… Et quelle pièce !!

Une immense plante violacée avait poussée dans un coin, colonisant murs, plafond et sol. Des lianes recouvraient chaque parcelle de pierre et l'une d'entre elle, pendant du plafond, claquait furieusement, à moitié coupée. Juste en dessous s'ouvrait une gouffre étrange que l'on aurait pu assimiler à une bouche… Ce n'était pas une plante carnivore à proprement parlé, elle se nourrissait du sang récupéré sur les malheureuses que Seraph avait pu voir… N'ayant pas été nourrie aujourd'hui, elle était allée chercher la source la plus proche et la plus fraîche à sa disposition, Miranda… 

La shaman ne s'attarda pas à observer les lieux et entreprit de rejoindre la porte le plus rapidement possible… Sauf que les lianes commençaient à s'agiter pour l'en empêcher…

Faiblement, Seraph entendit la voix de Miranda. Elle se trouvait dans une pièce voisine, plus loin encore dans les profondeurs de la cave. La jeune femme continua à hurler par la suite, le plus fort qu'elle pouvait afin que Flèchecendre puisse déterminer au mieux sa position.
A grands pas, l'homme progressait dans l'obscurité avec le soupçon de prudence qui s'imposait. Soudain, les cris avaient cessé et Seraph ne s'en inquiéta que d'avantage. Soucieux de retrouver la spiritiste avant qu'il ne soit trop tard, le Drow pressa le pas.


Pendant ce temps et comme le craignait le Rôdeur, Miranda était en mauvaise posture, aux prises avec une créature abominable dont il valait mieux ne pas connaitre l'origine. Alors que la demoiselle tentait de s'enfuir, une liane la saisit par la taille et la souleva de terre pour la diriger vers le gouffre.


C'est à cet instant qu'une flèche de feu vint embraser le lien qui retenait Miranda prisonnière. Dans un bruit répugnant, le monstre remua en tous sens, lâchant prise. La liane enflammée virevoltait en hauteur à travers la pièce.


"Allons nous en pendant que nous le pouvons !" S'exclama Seraph en rangeant son arc puis en aidant la jeune femme à se relever.


Pour masquer son horreur et son dégout, le Drow avait préféré se concentrer sur leur fuite tout en restant vigilant. Il ignorait ce que pouvait bien être cette chose et préférait la fuir plutôt que de la combattre notamment à cause de sa taille.


Ayant remarqué les blessures de sa complice, l'homme l'aida à se déplacer en la soutenant à l'aide de son épaule ; mais au moment de franchir la porte, les deux cambrioleurs ne purent qu'être les témoins d'un horrifiant spectacle. Du sang était sorti en abondante quantité de la liane enflammée de la plante afin de l'éteindre et, redoublant d'ardeur, la créature lança de nouveau ses lianes à l'encontre de la spiritiste, attirée par son sang.


Agissant par réflexe comme un Protecteur et non pas comme un Rôdeur, Seraph relâcha délibérément son emprise sur la demoiselle pour s'interposer entre le monstre et elle. Vigoureusement ligoté, il n'eut aucun moyen de répliquer et fut entraîné dans le gouffre.


Au bout de quelques secondes à peine, Flèchecendre réapparut projeté par un geyser de sang tandis qu'une épaisse fumée noire s'échappait du gouffre bientôt accompagnée de flammes dont le Rôdeur était à l'origine à en juger par l'état avancé des brûlures sur ses mains.


Après s'être relevé de sa lourde chute, il épaula de nouveau Miranda pour enfin sortir d'ici.


"Désolé pour l'odeur mais j'ai pas vraiment eu le choix ! Il faut qu'on retrouve celui qui a prit l'urne au plus vite." Fit Seraph en s'engageant dans le couloir le plus rapidement possible.


C'est alors que des bruits assourdissants se firent entendre depuis la salle dans laquelle se trouvait la plante monstrueuse. Des pierres chutèrent du plafond. A l'agonie, la créature déployait toutes ses ressources pour faire s'effondrer l'édifice. Malgré le fait qu'il se sache incapable d'atteindre la sortie à temps tout en aidant la spiritiste, le Drow ne l'abandonna pas, continuant à l'aider à courir. Sans magie, il était impossible pour les deux cambrioleurs d'échapper à la mort.

La shaman faisait peut-être tout pour fuir mais la plante était visiblement d'un autre avis. Alors qu'elle avait sa liberté à portée de main, ou presque, elle ne parvint pas à atteindre la porte. Une liane vint s'enrouler autour de sa taille pour la tirer à nouveau vers ce qu'elle avait identifié comme une bouche. Si la sidhe avait été d'une nature passive et soumise, elle se serait certainement époumonée comme une perdue, en pure perte de temps. Au contraire, la jeune femme restait parfaitement silencieuse, concentrée dans sa tentative, peu fructueuse malheureusement, de retarder l'échéance. Chaque prise était la bienvenue pour la retenir un peu… Il y eut alors un éclat de lumière chaude, la jeune femme sentant passer une vague de chaleur, et la liane desserra brusquement son étreinte, faisant chuter la shaman en avant, déséquilibrée…

Acceptant l'aide du drow pour se relever, elle ne jeta pas même un regard en arrière pour voir comment la plante réagissait. Elle voyait les lianes de la pièce frémir et cela suffisait à lui indiquer qu'il n'était pas prudent de rester à portée de ce monstre végétal… Elle ne put qu'acquiescer en silence, préférant l'action à de longs discours. La jeune femme avait soupçonné Kerl d'être quelqu'un de particulièrement désagréable et peu intéressant mais sa femme avait soit édulcoré son portrait, soit ignoré certains détails… L'homme avait tout simplement été un monstre. Ce n'était pas plus mal qu'il soit mort ce soir… 

Heureusement le rôdeur la soutenait dans leur fuite, elle avait parfois du mal à avancer, à poser le pied au sol… Cela n'aurait jamais du se passer ainsi… Miranda avait pensé à un simple cambriolage, la pire situation aurait simplement impliqué l'intégrité physique de certains gardes ou leur arrestation… Là, ils nageaient tout simplement en plein cauchemar avec des cadavres oublié, le maître de maison assassiné et une créature clairement pervertie qui devenait chaque seconde un peu plus dangereuse… 

Le rôdeur cessa brusquement de la soutenir, s'interposant entre une liane et elle, se faisant capturer à sa place. La shaman ne put s'empêcher de pousser un cri… Elle avait beau chercher du regard, elle ne trouvait rien qui puisse lui servir de projectile pour attaquer la plante de façon efficace et la forcer à libérer Seraph. Ses lames ne l'entaillerait certainement pas assez, il aurait fallu utiliser l'électricité pour lui faire de quelconques dégâts. Or cela revenait à griller le rôdeur au passage… Heureusement il n'était pas dénué de moyens et la plante ne tarda pas à le recracher, alors qu'il avait fait de lourds dégâts de feu.

Ils s'assureraient de leur santé plus tard, en sécurité. Pour l'instant, il l'aida à nouveau et ils prirent purement et simplement leurs jambes à leurs cous. Il n'était même plus question de l'urne dans l'esprit de la shaman… Il valait mieux survivre pour repartir du bon pied que de s'entêter… Pour l'instant, rattraper le voleur revenait à la même chose puisque cela nécessitait de sortir.

-Vous savez par où il est passé?

Sauf que la plante se révéla particulièrement rancunière, dans l'esprit de la sidhe tout du moins. Ses spasmes de douleur commencèrent à avoir des répercutions désastreuses sur le sous-sol et sa structure. Les murs et le sol tremblaient, de la poussière commençait à tomber du plafond, annonçant un effondrement dangereusement proche. Ils avaient beau courir, ils n'allaient pas assez vite pour parvenir à sortir avant que l'édifice de s'effondre sur eux. C'était une certitude grandissante dans l'esprit de la shaman et elle savait son compagnon de misère suffisamment avisé pour en avoir pris conscience bien avant elle. Le fait qu'il reste malgré tout à ses cotés alors qu'il aurait largement eu le temps de s'enfuir sans avoir à la supporter était tout à son honneur.

-Nous n'allons pas y arriver…

Elle avait dit cela dans un souffle, le tout ponctué par l'effondrement d'un énorme bloque à moins d'un bras de leur position. Il n'y avait pas pléthore de solutions s'ils voulaient s'en sortir vivants maintenant… Bien qu'elle ne le fasse pas souvent car cela pouvait se révéler fort dangereux, elle joua la dernière carte qu'elle avait en manche de la seule façon possible. Elle se serra contre le drow, l'enlaçant presque et ferma les yeux…

L'instant suivant ils réapparaissaient au beau milieu du jardin alors qu'un grondement inquiétant provenait de la maison qui semblait trembler sur ses fondations. La tête de Miranda se mit à tourner alors qu'elle finissait à genoux dans l'herbe, haletante. Se téléporter dans un lieu que l'on avait seulement mémorisé était déjà fatigant en soi mais le faire avec un "passager" pouvait se révéler exténuant. Au moins ne risquaient-ils plus d'être ensevelis vivants. Mais la shaman allait être un peu à coté de la plaque pour quelques instants…

Seraph ignorait où son ancien confrère pouvait bien être passé. A ce titre il ne répondit pas à Miranda préférant se concentrer sur sa course sans relâcher l'effort. L'inquiétante vérité était que peu importait l'extraordinaire vélocité du Rôdeur, il était impossible de s'échapper d'un bâtiment en plein effondrement si on se trouvait au point le plus éloigné de toute sortie.


En déployant des trésors de magie, Miranda parvint cependant à faire mentir cette vérité, transportant Flèchecendre comme elle-même à l'extérieur de la demeure. Stupéfait, Seraph eut besoin d'un court instant pour reprendre ses esprits. La seconde précédente, il se trouvait dans les caves d'une maison en train de tomber en ruines et la suivante il était au beau milieu d'un jardin.


Une fois qu'il eut entièrement retrouvé ses esprits, il se concentra sur Miranda, redoublant d'attention pour la soutenir. Elle semblait mal-en-point. Relevant la tête et tournant son regard vers la rue, le Rôdeur retrouva très brièvement la trace du voleur. Deux choix s'offrirent alors à lui : Abandonner Miranda pour poursuivre l'individu où perdre sa trace pour s'occuper de la spiritiste.


Son choix fut rapidement fait. Les gardes n'allaient pas tarder à arriver, attirés par le vacarme et la poussière soulevée par l'effondrement. Il prit Miranda sur son dos et prit la poudre d'escampette.


Quelques instants plus tard consacrés à emprunter les plus sombres couloirs qui s'offrait à lui, Seraph parvint à mettre Miranda en sécurité derrière une autre propriété. Il la fit s'asseoir contre un mur et sortit de sa sacoche une gourde qu'il ouvrit avant de l'approcher de sa commanditaire.


"C'était très impressionnant, je me demande comment vous avez fait ça. En tout cas merci. Buvez, ça vous fera du bien." Fit-il à voix basse pour ne pas gêner la Chamane.


Après quelques instants et lorsqu'il sentit la jeune femme reprendre ses facultés, il lui glissa :


"J'ai perdu la trace de celui qui a volé l'urne, mais je sais comment le retrouver."


Si les Rôdeurs étaient d'ordinaire peu enclin à s'entraider, Seraph restait persuadé qu'au moins l'un d'entre eux devait avoir une dent contre le paria et détenait à son égard des informations qui pourraient permettre aux deux jeunes gens de le retrouver.

La téléportation, telle qu'elle venait de l'utiliser, était particulièrement avide d'énergie. C'était pour cela que la jeune femme se retrouvait maintenant complètement vidée, à genoux, le reste du monde semblant tourner autour d'elle. Malgré cela, elle entendit distinctement l'agonie de la maison et ses derniers instants... Il fallait qu'ils partent rapidement de là. Non seulement le voleur allait leur filer entre les pattes mais la garde ne manquerait pas de venir constater ce qu'il venait de se passer. Et même si elle avait quelques liens avec les chevaliers, elle ne se faisait pas d'illusions quant à leur sort si d'aventure on les trouvait sur place...

La sidhe se sentit soulevée puis maintenue, épaulée. Seraph avait du reprendre ses esprits après la téléportation et essayait de l'aider. Elle avait craint qu'elle ne le déboussole trop en agissant comme elle l'avait fait. La téléportation n'était pas quelque chose de très facile à "digérer" les premières fois où l'on y avait recourt. Un peu comme si le corps ne parvenait pas à s'adapter à un si brusque changement de milieu et vous le faisait payer au centuple. Mais le rôdeur était quelqu'un de solide et de pragmatique, son sens de la survie revint en priorité...

La shaman était bien incapable de déterminer où il était en train de les entraîner mais elle lui faisait confiance. Même si elle n'aurait peut-être pas dû... C'était un rôdeur après tout. Mais dans le cas présent elle n'était pas en mesure de faire la fine bouche, sans compter qu'il avait largement fait ses preuves à ses yeux. Quant à leur course, heureusement qu'il la soutenait, elle n'était pas du tout en état de fuir quoi que ce soit. Elle se laissa glisser le long du mur pour s'assoir avec reconnaissance. Elle ne serait probablement pas parvenue à aller plus loin.

Miranda répondit à Flèchecendre avec un rapide sourire, le souffle encore court. Elle prit la gourde sans s'inquiéter de son contenu. De toute façon, elle avait besoin d'un bon coup de fouet si elle ne voulait pas passer la fin de la nuit ici. Elle ne parvint jamais à identifier clairement le breuvage, juste que l'arrière-goût n'était pas spécialement très agréable. Mais l'effet fut très rapide par contre... Elle eut l'impression que sa fatigue coulait d'elle comme de la cendre, restant au sol et la laissant parfaitement prête à affronter la situation. Peut-être pas à déchaîner des tonnes de magie mais assez pour ne plus être une charge pour Seraph...

-Merci... Qu'est ce que c'était au juste?

Même si elle se sentait mieux, elle préféra tout de même ménager ses forces et rester encore quelques instants assise au sol... Après ce qu'elle venait de traverser dans ce sous-sol, elle n'allait pas s'offusquer d'être ainsi assise dans la rue... La sidhe rendit sa gourde au rôdeur, l'entendant annoncer son semi-échec. Ils n'étaient pas parvenus à retrouver l'urne mais... Cet homme ne ferait plus de mal à personne, même si ce n'était pas vraiment grâce à eux. Quant à ce qui se trouvait dans les sous-sols... Avec un peu de chance, la destruction de la maison aurait eu raison à cette chose.

-Je vous fait confiance pour retrouver sa trace... Avez-vous été blessé par l'effondrement?

Comme prévu, le breuvage fit effet et la jeune femme revenait rapidement à elle. Un peu préoccupé par son état, Seraph l’ausculta rapidement. Elle semblait simplement secouée. Heureusement, l'effondrement de la maison ne l'avait pas blessée non plus.


"Extraits de plantes et d'onguents ainsi qu'un peu d'eau. Je ne saurais pas vraiment vous dire ce que c'est mais l'homme qui vendait ça l'appelait "sérum de vigueur". J'en ai déjà pris un peu. Vous allez vous sentir mieux pendant un moment mais les effets du breuvage seront estompés d'ici une heure ou deux. Je vous conseille de trouver un endroit pour vous reposer." Avertit le Rôdeur.


Jusqu'alors, il ne s'était pas soucié de lui-même. Ce n'est qu'à la question de Miranda que le Drow réalisa qu'une pierre était tombée sur son épaule en lui causant une légère contusion. Cette douleur restait tout du moins bénigne à côté de celle que lui avait fait ressentir le paria ; elle passait donc presque inaperçue.


"Ce n'est rien. Pas d'inquiétude. J'imagine que je vous dois une fière chandelle." Fit-il ensuite, jugeant que la spiritiste méritait bien plus que lui qu'on s'occupe d'elle.


Flèchecendre prit ensuite un moment de réflexion, songeant à ce qu'il allait bien pouvoir dire aux autres Rôdeurs une fois qu'il les aurait retrouvé pour obtenir leur aide car il ne disposait que de trop peu de détails sur sa proie pour que son identité soit établie. Somme toute, peu importait : Il trouverait bien une solution à ce problème le moment venu.


"Une fois que j'aurai trouvé sa trace, où pourrai-je vous rencontrer ?" Demanda t-il à Miranda.


Sur ce il tendit une main à la Chamane pour l'aider à se relever puis se tint à côté d'elle pour qu'elle puisse s'appuyer sur son épaule en cas de besoin, juste au cas où une faiblesse la reprenait.


"Je vous accompagne au moins jusqu'à ce que vous arrêtiez de tourner de l’œil. Le sérum devrait vous permettre de vous déplacer normalement d'ici quelques minutes."

Ainsi, si elle allait plutôt mieux pour l'instant, la fatigue ne manquerait pas de lui retomber sur les épaules d'ici peu. La jeune femme eut plus que jamais conscience que leur petite aventure était finie pour ce soir. Et pas du tout de la façon qu'elle avait prévu. La sidhe avait anticipé bon nombre de scénarii possibles, du vol facile et rapide jusqu'à la trahison de Flèchecendre, le tout poursuivi par la garde. Mais le meurtre du maître de maison sous leurs yeux et l'intervention d'un second voleur… Ca…

-J'ai me mettre en sécurité le temps de récupérer dans  ce cas…

En tous cas elle se promit d'aller se fournir en "sérum de vigueur" pour les prochaines fois. Cela pouvait se révéler vraiment très utile… La shaman eut un mouvement de la main signifiant qu'il n'y avait rien à dire au sujet de sa façon dont ils étaient sortis de ce piège à rats. Elle lui aurait bien demandé d'aller se reposer lui aussi mais non seulement elle n'était que sa commanditaire mais, en plus, elle soupçonnait le rôdeur d'être suffisamment conscient de ses capacités pour savoir quand il devait se ménager.

Visiblement lui aussi semblait avoir fait le deuil de l'urne pour ce soir. Ils allaient devoir changer de stratégie et, pour ne rien cacher, la jeune femme guettait la réaction de Seraph. Initialement elle l'avait embauché pour simplement cambrioler une demeure. Retrouver un potentiel assassin qui s'était emparé de leur "butin" n'était pas vraiment ce qui était prévu dans leur contrat, il était donc tout à fait en droit de refuser ou de demander une rémunération plus importante avant de bouger…

-Le plus sûr moyen de me contacter et de vous rendre au premier cimetière venu et de le demander à l'une ou l'autre stèle. Le message me parviendra fort rapidement et je prendrai mes dispositions pour vous rejoindre… Vous n'aurez qu'à préciser où à ce moment-là…

C'était certes étrange mais terriblement efficace. Les esprits porteraient le message jusqu'à elle à une vitesse qu'aucun autre messager ne pourrait atteindre. Et le temps qu'il retrouve la trace de l'urne, elle aurait le temps de faire quelques économies pour le dédommager de ces contraintes supplémentaires…

-Ne prenez pas de risques inutiles durant vos recherches surtout…

Elle pouvait difficilement lui dire plus… Elle soupçonnait le rôdeur d'être aussi blessé dans son ego par les actions de leur voleur anonyme. Le trajet de retour ne fut pas spécialement long. A quelques rues de son auberge, les deux complices se séparèrent pour plus de prudence, ces rues étant beaucoup plus fréquentées. Juste avant qu'il ne parte, elle lui glissa son dû dans la main. Bien qu'il continue à chercher l'urne, elle préférait agir ainsi plutôt que de rester avec une dette potentiellement éternelle… Seraph n'eut probablement pas conscience de l'excellente impression qu'il avait laissé chez elle…