Ils ont marché, devisant sans réellement y penser tout au long du chemin. Markus a parlé d'un petit coin de verdure approprié à des expériences physiques.... inhabituelles, mais en pénétrant dans le jardin de Bénécius, Finwee a le souffle coupé. Elle est déjà venue, bien sûr, au cours de ses pérégrinations variées dans les villes de NelBeraid; mais en cet instant, crépuscule touchant à sa fin, ciel indigo et chant d'oiseaux nocturnes se préparant à leur parade, le lieu est paré d'un charme, d'un mystère tout à fait mystiques.
La chroniqueuse se tourne vers son ami, pressant son bras contre son corps mince, les yeux brillants.

"C'est exactement ce qu'il fallait, Markus. Encore une fois, excellent choix!"

Parler plus est inutile; il ne faut pas troubler la magie de cet instant. Finwee a un peu dessoûlé en marchant, mais ses idées sont de plus en plus floues; un intérêt tout autre que scientifique naît en elle, pour le jeune chevalier ténébreux et charmeur qui se promène à son bras. Soudain, elle prend conscience de sa chaleur, de cette légère odeur brute de mâle qu'il exhale, du parfum musqué de ses cheveux bruns; elle sent les muscles sous ses doigts, dessinés et fins, sans lourdeur; elle perçoit ses vibrations de son coeur qui bat, dans sa poitrine couverte de cuir. Elle, l'étoile, rayonnante de beauté, découvre à son tour comme on peut être séduit par quelqu'un; était-ce son but en l'amenant ici ? Elle l'ignore. A quoi bon le savoir, d'ailleurs!
Finwee regarde autour d'elle, aperçoit un petit sentier poussiéreux, qui semble s'éloigner du jardin fleuri. Instinctivement, elle guide leurs pas vers ce chemin, pressentant qu'il mène exactement là où elle rêve d'aller.
Elle avait raison. Devant eux, les ruines du temple d'Helios, cette ancienne tribu de saltimbanques en tous genres qui vouaient un culte aux arts et au soleil. Finwee a toujours été intéressée par ces gens, dont tous les représentants ont malheureusement péri au cours des guerres et catastrophes naturelles qui ont frappé leur terre ces derniers siècles. La sidhe a découvert leur existence au détour d'une de ses lectures à la bibliothèque, et depuis elle n'a eu de cesse que de chercher plus d'informations à leur sujet. Malheureusement, peu d'écrits subsistent pour témoigner de leur passage, leur mode de vie.... Une seule chose cependant est récurrente: la mention d'un tatouage en forme de soleil que tous portaient, à un endroit connu d'eux seuls.
Les ruines sont un groupe de roches à moitié détruites, envahies de lierre et d'herbes folles; au centre, une chose attire l'attention de la chroniqueuse. Un soleil, dessiné par une multitude de fleurs sauvages écarlates - des coquelicots ?
Finwee sourit, irradiant de la lumière légèrement rosée, et se penche pour humer leur parfum. Elle s'agenouille sur le sol, sa robe pourpre gracieusement étalée autour d'elle, cueille une fleur, s'abîme dans sa contemplation.
Instant de plénitude.

"Markus.... quelle est donc cette contrepartie que vous exigez de mes lèvres, dites-moi ? "

Elle a furieusement envie de l'embrasser, d'un coup. D'où vient ce désir, aucune idée; peut-être chuchoté par les étoiles restées là-haut, qui commencent à s'allumer les unes après les autres dans le ciel maintenant nocturne. Ou encore, la brise tiède chargée d'odeurs florales et de rires lointains qui vient jouer dans ses cheveux miel.
Allez savoir...

Les mots n'ont parfois pas de réelle importance. On peut considérer, ici ou là, que ceux-ci vont être utiles, destructeurs, beaux, ou tout autre adjectif mélioratifs. Adjectifs qui, ici, n'auraient aucun sens tant la situation se passe de la prononciation de la moindre syllabe. Le lieu est effectivement idéal pour cela. Les sens se satisfont à eux-mêmes, l'ouie, l'odorat, le toucher sont conquis par les différentes sensations de ce lieu... Sensations bien vite occultées par celles produites par la jeune femme à ses cotés. Le léger parfum émanant de sa personne, le doux contact de ses doigts, et cette vision, si belle, si puissante, explosant en une myriade de couleur dans la pupille du jeune homme... Stoppons ici une métaphore par déjà trop poussée.

"Évidemment, mon amie... Je ne me trompe jamais."

La jeune femme est dans un état tout à fait à son gout. En effet, nous devons nous pencher plus attentivement sur le jeune homme. Chevalier servant ? Plutôt loup dans la bergerie. Mais étrange loup, qui ne veut pas dévorer l'agneau, qui lui demande au contraire de s'offrir à lui. La luxure, il en est un adepte, un fidèle, même. En tant que tel, il la vénère, la cultive, la soigne et la respecte. On ne l'impose pas. On persuade son interlocuteur de plonger avec, tout entier. Et cet état entre l'ivresse et la sobriété lui convient parfaitement. Plus, et la jeune femme n'aurait plus réellement conscience de ses actes, diminuant d'autant la portée du geste du chevalier. Moins, la tâche serait plus ardue. La douce ivresse des sens, la légère perte de ses repères, l'effondrement de ses barrières conscientes et inconscientes qui font la personnalité de tout homme, c'est sa meilleure arme physique, au début de tout approche.

Il n'avait encore jamais été aussi près du but avec la jeune femme. Six mois, six longs mois à essayer de piéger son coeur. Et six mois durant lesquels elle était parvenue à l'éviter, lui et sa gouaille, protégée par sa candeur et sa beauté si... Naturelle, renforçant d'autant plus, chez le chevalier, ce désir sourd de domination.

Une clairière. Des ruines. Elle semble fascinée. Markus ne l'est pas. Un groupe, ou une civilisation, ayant pu construire cela, mais n'ayant pu empêcher sa propre destruction n'est pas digne de respect. La jeune femme se dessine dans l'herbe, tâche de pourpre sur un vert désormais bien sombre, la lumière déclinante.

Elle l'appelle. Le questionne. Un sourire. Et le voila qui va s'agenouiller en face d'elle, passant son index sous le menton de la belle, le soulevant légèrement, captant son regard.

"Si peu, ma dame... Je ne demande qu'un baiser. Un simple contact. Je demande, contre mon âme, une si petite partie de vous. C'est le meilleur des échanges que vous puissiez faire, n'est ce pas ?"

La voix est grave. Plus qu'à son habitude. Légèrement échaudé, entre amusement et excitation, le jeune homme laisse un instant son esprit vagabonder ici et là, entre fantasmes et réalité, sans cesser d'admirer le grain de sa peau, la forme de ses lèvres... Que de bonheur...

Le voilà agenouillé devant elle, son menton emprisonné entre les doigts minces mais étonnamment puissants. On sent qu'entre ces doigts-là, mieux vaut éviter de vouloir s'échapper; aussi Finwee se laisse-t-elle faire de bonne grâce, toujours prise par l'euphorie de la soirée. Et ce qu'il lui murmure, les yeux dans les yeux, lui fait bondir le coeur - ou est-ce un peu plus bas ? Ceci dit, qui sait comment est constituée une étoile...
Bref, elle sursaute, à peine un frémissement aux yeux de Markus - elle sait encore se contenir un peu. La voix, douce, si peu craintive, demande tout de même:

"Un... baiser ? Vous êtes sûr ? ..."

Silence gêné. Puis elle se jette à l'eau:

"Mais ce n'est pas ce que font les personnes censées s'aimer ?"

Eh oui, la belle est totalement ignare de ces faits, ces gestes et douces manipulations qui sont le domaine de prédilection du chevalier; son étonnement est réel, et dédoublé par la coïncidence de leurs désirs: n'avait-elle pas elle aussi envie de l'embrasser ? Peut-être lisait-il dans les pensées ?
Une infinité de questions se pressent à l'orée de son esprit, encore trop chamboulé pour parvenir à les trier correctement. Son trouble est visible à son regard, moins limpide qu'à l'accoutumée; elle dérobe son visage à la douce étreinte de son ami, fixe le sol assombri. Tiens, la nuit est tombée. Franchement cette fois, laissant le chevalier dans la lumière seule de la Chroniqueuse, qui rayonne en bleu, semble-t-il. Couleur de doute...
La belle laisse échapper un soupir involontaire. Tant de choses restent à apprendre, certaines si évidentes, comme les relations entre les êtres, de nature autre qu'intellectuelle... Si compliqué, tout ça est si compliqué! Finwee ne sait même pas si elle tient à essayer, tout à coup . Pourquoi sont-ils là, déjà ? Ah oui, c'était sa propre initiative. Le dîner paraît si loin.....
Elle regarde à nouveau Markus. Son visage juvénile paraît plus grave, plus sérieux dans la semi-pénombre; sur ses traits, elle voit le reflet de sa propre lumière, et se rend compte de sa couleur. Pourvu qu'il ne lise pas en elle trop facilement, songe-t-elle avec embarras.

'Est- ce que ça signifie que vous m'aimez ?"

La question se devait d'être posée, après tout.