C’était avec un esprit libre que Luccia marchait paisiblement en bordure de forêt. Cette dernière s’était accordé une pause dans ses objectifs de vie, après les derniers évènements mouvementés qu’elle avait vécus, notamment la découverte des inventeurs dans des conditions un peu particulières. Après un dragon, deux trolls enragés, elle avait bien mérité les quelques jours qui suivirent, vivifiants et à l’écart de tout. Histoire de ne pas perdre de temps, elle avait également essayé de s’entraîner à l’épée, pour être à la hauteur de la protectrice qu’elle était auparavant. Mais elle se dépitait rapidement en voyant la médiocrité de son combat rapproché, et se rabattait généralement vers le tir, même si ce n’était plus nécessaire de s’y entraîner. Il faut dire qu’elle prenait toujours un certain plaisir à effectuer cet entraînement, si bien qu’elle se demandait dernièrement si elle n’était pas trop différente des autres druides et de leur idéologie pacifiste. L’elfe avait, contrairement à ses confrères, le besoin de se sentir compétente pour être à la hauteur quand le moment sera venu. Elle se battait, mais pour le Bien, alors il n’y avait à ses yeux pas de mal à cela. Et puis, il fallait bien aux druides, aussi indépendants qu’ils se proclamaient, quelqu’un capable de les défendre et d’établir une stratégie militaire lorsqu’il y en aurait besoin. Mais bref, petit à petit, même à force de volonté, elle comprenait qu’elle ne pourrait pas performer dans ce domaine seule, sans une personne expérimentée capable de l’aider à progresser. Seulement, elle agissait plutôt en solitaire dans sa tâche quotidienne, et ne souhaitait pas embarquer incessamment quelqu’un avec elle, au risque de l’encombrer mais aussi, parce qu’elle n’avait jamais vu quelqu’un ayant exactement la même idéologie qu’elle, soit de consacrer sa vie entière au bien des autres.

Elle marchait donc calmement en milieu naturel, n’ayant aucune idée de la manière de trouver son bonheur, pour améliorer sa technique. Lentement, elle se rapprocha du château. Elle n’était pas revenue ici depuis qu’elle avait laissé les chevaliers avec un navire dans leur cour, et qu’elle s’était rapidement volatilisée de peur d’être reconnue par certains chevaliers au courant de ce qu’il s’était passé avec Raos quelques mois auparavant. Cependant, elle eut la curiosité de s’approcher un peu plus pour apercevoir discrètement ce qu’il en était de l’évacuation du navire, et si tout était redevenu normal. Elle n’eut d’ailleurs même pas le temps de le voir, car instantanément, elle sentit sur sa nuque une pointe d’épée. Immobile, elle attendit que l’individu qui la tenait en joue prenne la parole. Ce dernier ne se fit pas désirer bien longtemps…

« Vous croyez que vous allez vous en sortir comme ça ? Qu’elle idée de revenir ici après ce qu’il s’est passé ! »

Malheureusement, il s’agissait d’une personne connaissant sa condition. Elle n’avait donc rien à dire pour justifier sa venue et tenter de se libérer de l’emprise de l’homme. Elle ne pouvait donc que le suivre sagement, alors que ce qu’il se permit de dire ensuite la surprit…

« Vous avez de la chance, le supérieur est actuellement… hum… indisposé à vous recevoir. C’est donc moi qui décidera du sort qui vous attend. »

Il se passait quelque chose d’étrange au sein des chevaliers…

La druide fut contrainte de suivre les indications du chevalier sur la direction à prendre. Étrangement, l'homme évita les lieux où la circulation humaine était la plus intense. Il emprunta par exemple un long couloir pour contourner la cour, ce qui les fit faire un grand détour, mais où ils ne croisèrent qu'une seul personne. Celui-ci arrivait en face, assez maigrelet même avec l'armure épaisse qu'il portait. Il eut un sourire envers l'homme qui détenait l'elfe, et l'interpella :

« Helvin ! »
« Noa. »
« Il faut qu'on parle... »
« Bien. Je te rejoins dans cinq petites minutes. »

Luccia sentit alors un lourd regard posé sur elle. Elle allait donc se débarrasser de son emprise, mais de quelle manière ? Elle le saurait bien assez tôt. Au fur et à mesure qu'elle avançait dans les couloirs, l'elfe se perdait petit à petit, malgré sa connaissance du château après y avoir passé quelques temps lorsqu'elle était protectrice sous la direction du chevalier Integral Neiphereum. Elle n'avait donc plus de repères et, justement, ce fut à ce moment même qu'ils arrivèrent à destination. Des murs de pierre, une atmosphère sombre et lugubre, des barreaux, des cellules, voilà où il comptait la déposer. Apparemment, elle n'était pas classée parmi les criminels dangereux, fort heureusement... En effet, l'agitation était plus distinguable au fond du couloir. Luccia n'avait pas lâché un mot au chevalier, impuissante face à ce destin. Elle avait songé plus intéressant d'observer attentivement tout ce qu'il se passait plutôt que de poser des questions qui mettraient le doute au chevalier sur les intentions de l'ancienne gardienne sacrée.

« On se reverra très vite. »

Voilà comment il la laissa, enfermée dans cette cellule vide. Et encore une fois, elle ne décrocha pas un mot à l'individu. Immobile, elle attendit que ce dernier soit parti. Puis elle regarda autour d'elle. A sa droite, il y avait une cellule vide ; à sa gauche également. Elle crut dans un premier temps que la cellule d'en face était vide. Puis, elle vit une sorte de couverture recouvrant probablement un homme plutôt fort. On ne pouvait aucunement discerner le moindre mouvement de l'individu. Cependant, on pouvait facilement entendre une respiration saccadée et difficile. Luccia resta debout près des barreaux pendant les minutes de calme qui suivirent, plongée dans sa réflexion, et toujours aussi observatrice.

Luccia prenait conscience de sa situation, et commençait à se dire qu'à chaque fois qu'elle se rendait au château, c'était pour vivre des expériences pour le moins uniques... Mais surtout risquées. Son ancienne appartenance au rang des protecteurs qui la hantait ? La druide finissait pas se le demander en cherchant les raisons de ces méfaits. Décidément, on ne voulait plus d'elle au château dans ce nouveau monde, et c'était bien regrettable. Elle ne s'était donc pas trompée à rejoindre les druides plutôt que les chevaliers pour sa « deuxième vie ». Comme si elle avait eu le choix...

Bref, hanté ou pas, elle se retrouvait là, enfermée dans ces cellules, et comptait bien s'en sortir, encore une fois, mais aussi découvrir ce qu'il se passait avec le chef des chevaliers. Peut être qu'elle se faisait des films, qu'elle s'affolait pour rien, mais néanmoins, elle comptait bien s'en assurer. Elle devrait alors écouter chaque conversation audible jusqu'à elle. C'était un début du moins. Un premier son se fit d'ailleurs entendre. Luccia se recula de quelques pas dans sa cellule pour ne pas se faire remarquer et émettre encore une fois un doute sur ses intentions. Son air renfermé cachait bien son écoute d'une oreille des plus attentives.

Cependant, elle n'aurait aucun indice pour ce coup ci, car le chevalier qui venait était ici pour déposer une personne dans la cellule adjacente. La druide garda la tête baissée le temps que l'individu soit hors de vision, puis la releva, lorsque la nouvelle prisonnière s'adressa à elle. Avec grand étonnement, l'elfe s'aperçut qu'il s'agissait de l'inventrice avec qui elle avait combattu deux trolls dans les montagnes interdites peu de temps plus tôt. Les yeux écarquillés, elle lui répondit :

« Nettement mieux, merci. Je suis Luccia, et toi c'est... Krystina, c'est ça ? »

Ses souvenirs devaient être bons, en revanche, elle ne se souvint pas avoir énoncé son nom lors de leur précédente rencontre, alors elle le fit dès lors, pour être à égalité si on peut dire. Quelle étrange situation de retrouver cette femme ici, prisonnière tout comme elle, alors qu'elles n'avaient certainement aucunes mauvaises intentions, ni l'une, ni l'autre. En somme, il s'agissait de deux innocentes condamnés sans qu'on ait cherché à comprendre et nuancer la peine généralement injustifiée.

Des bruits de pas se faisaient entendre au loin, mais résonnaient. Ce devait être les gardes qui patrouillaient. C'est pourquoi elle choisit de passer au chuchotement pour s'adresser à Krystina...

« Qu'est ce que tu fais là ? Les chevaliers d'aujourd'hui ne sont vraiment pas dignes de leurs rangs... »

En effet, elle se doutait que Krystina ne méritait pas non plus d'être enfermée ici. Elle qui avait vécu plusieurs années sous terre, sans jamais voir ce monde, là voilà qui devait avoir une image bien pessimiste de la civilisation d'ici...

Peut-être que l'enfermement de Krystina était un peu justifié, puisque ses actions pouvaient être jugées de dangereuses, mais tout de même, les chevaliers, et plus généralement les gens bons de ce monde, devaient être tolérants vis à vis de ce (plus ou moins) nouveau peuple. Et oui, car comme elle le disait si bien, c'était la routine pour elle. Ce genre d'actions devaient être courantes à l'endroit où ils vivaient. Leurs inventions et expériences devaient bien déraper quelques fois... Et puis, c'est sur les échecs qu'on avance et qu'on créé des merveilles, n'est-ce pas ?

Toujours est-il que c'était pour cette raison que l'inventrice avait été punie. Et, elle méritait tout autant d'être libérée. Dans un autre langage, si Luccia parvenait à se libérer, elle ne comptait pas partir seule. Et si ça se trouve, l'inventrice parviendrait d'ailleurs avant elle à trouver un moyen de s'en sortir, même si elle ne semblait pas pressée vu son air décontracté. L'elfe ne l'était pas non plus, mais elle n'en demeurait pas moins déterminée de sortir de ce pétrin.

Luccia écoutait la démone avec un regard compréhensif. Bien, il y avait des raisons, mais encore une fois, le jugement était mauvais. En effet, elle n'avait pas pour projet de faire un attentat... Ce dérapage était involontaire ; elle devait donc être jugée en conséquence !

« Disproportionnée comme peine, en effet... Ils ne t'ont rien dit sur ce qu'ils comptaient faire de toi ? »

Avant, on méritait quand même une audience pour être jugé à sa juste valeur. Du moins, le passage vers les supérieurs était obligé. Les chevaliers n'avaient pas à infliger une peine ainsi, sauf si c'était provisoire. Si ça ne l'était pas, encore une fois il faudrait s'interroger sur le sort du chef des chevaliers.

La question de Krystina replongea l'elfe dans ses souvenirs. Quelle aventure elle avait vécue ici... Epique. Dangereuse, certes, mais probablement la plus belle de toutes. Pourquoi ? Parce ce qu'elle n'avait pas traversé tous ces obstacles seules. Elle l'avait fait en compagnie d'une personne qui demeure être probablement la plus belle rencontre qu'elle ait faite. Pour le lien d'entraide qui s'était créé entre eux, Luccia ne regrettait rien de ce qu'il s'était passé, même si ce même passé lui jouait des tours encore aujourd'hui.

« Et bien... C'est une longue histoire, qui manifestement ne s'est pas effacée dans l'esprit des chevaliers. On m'a reconnue pour une peine ancienne et manifestement, on a déclaré qu'il était encore temps de me le faire payer. »

La tête haute, elle poursuivit d'une voix pleine de malice :

« Je n'ai nullement l'intention de rester cloîtrée ici, en effet. »

Luccia remarqua que Krystina observait attentivement la serrure. Un soupçon d'espoir anticipé survint alors dans ses prunelles...

« Tu penses pouvoir faire quelque chose pour déverrouiller la serrure ? »

Au même moment, la druide constata qu'elle n'avait pas d'outils sur elle, probablement parce qu' on les lui avait confisqué. Elle ne se découragea néanmoins pas pour autant, car l'inventrice semblait en avoir sous le pied.