Plusieurs des confrères de Neelahn s’étaient rendus à Bénécius, afin de réparer les dégâts qu’avaient causés deux mages. Paraît-il qu’il s’agissait d’un affrontement entre une mage mage blanche et une mage noire. Quand Neelahn voulu en savoir davantage sur ce qui s’était passé, ses amis avaient haussé des épaules, signifiant par là qu’ils n’en savaient pas plus qu’elle. Dévoués à la Nature, ils avaient accepté malgré tout de reconstruire le Jardin Paradisiaque. Neelahn n’y avait jamais mis les pieds mais on disait que cet endroit était fabuleux. Là-bas, on pouvait y trouver de multiples espèces de plantes et, finalement prise de curiosité, la druidesse avait décidé de faire un tour là-bas. Qui sait, peut-être resterait-il encore des choses à faire. Puisqu’on ne l’avait pas convoqué, l’elfe avait jugé bon de ne pas s’immiscer dans des histoires qui ne la concernaient pas mais maintenant que presque tout était réparé, elle se disait qu’elle pouvait bien venir voir à quoi ressemblait le fameux Jardin Paradisiaque, même s’il avait récemment perdu un peu de son charme.

Et puisque Tigrou ne voulait pas l’accompagner, ce fut sans ce vieux tigre que Neelahn marcha vers Bénécius. Elle ne pouvait pas lui en vouloir. Cette cité aux rues pavées n’apporterait rien de très intéressant pour un tigre. Puis, ces derniers temps, l’animal avait commencé à se faire vieux et préférait rester dans la forêt.
L’avantage en voyageant seule, ce fut que Neelahn pouvait se transformer en colibri et ne pas se soucier de savoir si oui ou non ses accompagnants parvenaient à la suivre. Ce fut donc sous sa petite forme d’oiseau que la druidesse vola jusqu’à Bénécius. Elle apprécia le gain de temps non négligeable qu’elle avait à voyager ainsi. Et grâce à son sac qui s’ajustait parfaitement à ses transformations, elle n’avait pas à se faire de soucis pour ses bagages.

Arrivée au Jardin Paradisiaque, Neelahn en fit le tour. Les gardes qui patrouillaient dans le coin l’aperçurent. Un colibri portant un sac sur son dos, ça attirait forcément les regards. Mais grâce à cela, on identifia aussi très vite qui se cachait derrière cet étrange animal. Songeant qu’il était sans doute venu pour apporter sa contribution au jardin, les gardes laissèrent donc Neelahn tranquille.
Par endroits, on voyait bien que la végétation était « jeune ». Là où il devait y avoir de grands arbres, on ne trouvait que des petites pousses. Des arbres centenaires avaient survécu mais Neelahn se demandait si cela avait été le cas pour tous les arbres de cet endroit. Personne ne lui avait décrit à quoi ressemblait précisément cet endroit jadis mais elle supposa que les mages et les druides avaient tenté de reproduire le jardin tel qu’il avait été avant l’affrontement de la mage blanche et de la mage noire.

Après avoir repris sa forme elfique derrière un arbre, Neelahn enfila rapidement une robe. Elle poussa des « Oh ! » et des « Ah ! » sur les allées du jardin. La forêt dans laquelle elle vivait offrait une végétation très dense et diverse mais le Jardin Paradisiaque comportait des fleurs qui lui étaient inconnues, elle essaya alors de les mémoriser dans un coin de sa tête afin de les reproduire plus tard.
Sautillant ensuite vers un buisson tout jeune, elle vînt s’asseoir en tailleur devant. Dandinant de gauche à droite, la druidesse examina le petit arbre touffu.

_ « Alors comme ça, tu viens juste d’être planté ?
_ …
_ L’endroit te plaît ?
_ …
_ Non mais tu sais, je pense pas que grandir trop vite soit une bonne chose… Plus on grandit, plus on approche de la mort.
_ …
_ Oui, je sais. Toi, tu vivras sans doute plus longtemps que moi mais ce n’est pas une raison ! »

« Moi aussi quand j’étais petite, je voulais grandir mais avec le temps, j’ai appris à profiter de la vie.
_ …
_ Mais nan, ne t’en fait pas tu vas très bien t’intégrer ! »

A proprement parlé, Neelahn ne discutait pas avec le buisson. Même si elle s’adressait à lui en utilisant la parole, la plante quant à elle lui répondait avec des images, des sensations, … Il en était de même avec toutes les plantes et il fallait bien admettre qu’il était parfois difficile de traduire avec de simples mots ce qu’on avait pu ressentir ou voir. Finalement, le langage avait bien des défauts et même les gestes ne suffisaient parfois pas à combler ses lacunes.
Quoi qu’il en soit, ce fut avec un air enthousiaste que la druidesse conversait avec le buisson. Elle essaya de savoir de ce qui s’était passé exactement au Jardin Paradisiaque mais son le petit arbre touffu fut incapable de lui répondre. Il n’avait pas assisté à l’affrontement entre la mage blanche et la mage noire et ne pouvait donc pas la renseigner. Il lui suggéra cependant d’aller demander à ses confrères mais ajouta qu’ils seraient peut-être trop occupés à récupérer leurs forces pour lui répondre.

« Qui me parle ? »

Neelahn ne s’attendait pas à ce qu’on l’interrompe dans sa conversation avec le buisson. Elle sursauta et mit plusieurs secondes avant de trouver son interlocuteur. Comme elle-même était une druidesse et qu’elle côtoyait souvent ses confrères, elle n’eut donc aucun mal à reconnaître qui se tenait devant elle.

« Mais pourquoi dîtes-vous cela ? Il est très gentil… mais parle comme un enfant… ! »

Abandonnant le buisson avec ses rêves enfantins, Neelahn se tourna vers le druide et s’assit devant lui en tailleur. La forme semi-végétale de l’homme ne permit pas à l’elfe de reconnaître des traits familiers. De plus, la voix avec laquelle il s’était adressé à elle lui paraissait totalement étranger si bien qu’au bout du compte, elle en conclut qu’elle ne l’avait jamais vu auparavant. Cela ne l’empêcha pas pour autant de vouloir converser avec lui. Après tout, ils possédaient tous les deux le même statut et devaient avoir pleins de choses à se raconter.

« Avez-vous participé à la reconstruction du Jardin ? Je me demande ce qui s’était passé ici… personne n’a pu me répondre exactement sur les évènements qui se sont déroulés… »

Après avoir prononcé ces mots, elle entendit le buisson la solliciter. Il n’avait pas encore terminé de lui narrer ses espoirs et ses rêves. D’un mouvement de la main, Neelahn lui signala qu’elle l’écouterait peut-être plus tard. La plante lui paraissait être en manque de compagnie, ce qui l’étonna avec toute cette végétation florissante qu’il y avait autour d’elle.

Neelahn approuva de la tête les dires du druide. Ce qu’il avait contribué à faire avec les mages rouges était remarquable. Même si on voyait que la végétation était encore jeune à certains endroits, le Jardin Paradisiaque méritait toujours aussi bien son nom. L’elfe aurait été capable de flâner au milieu de ces plantes toute la journée et même plus. Elle se demanda tout de même ce qui avait poussé Ambrosius à venir en aide à Bénécius. Après tout, les druides étaient plutôt neutres et, mis à part l’amour de la nature, rien les prédisposaient particulièrement à venir en aide à cette cité. Certains des confrères de Neelahn avaient préféré rester chez eux car cette affaire ne les concernait pas.
D’ailleurs, en ce qui concerne cette fameuse affaire, Ambrosius ne put malheureusement pas l’informer beaucoup et lui avait simplement sorti un nom. Grey… Ce nom ne lui disait rien mais cela ne l’étonna pas puisqu’elle n’avait, pour l’instant, rarement eu à faire avec des mages noirs. La dernière fois qu’elle en avait vu un, elle l’avait tué car il menaçait de détruire la forêt avec ses sombres expériences. Ceci dit, la druidesse chassa rapidement ses tristes pensées de sa tête. Ce n’était pas un sujet de conversation très joyeux et son interlocuteur semblait plus enclin à parler du soleil que de la pluie.

« Enchantée de vous connaître, je me nomme Neelahn Screeling. »

Elle lui adressa ensuite un grand sourire avant de tourner la tête de gauche à droite. Elle huma le parfum des fleurs et des écorces tout en se dandinant lentement. Ici, dans le Jardin Paradisiaque, elle avait l’impression d’être chez elle et c’était mille fois mieux que de se retrouver sur les rues pavés de Bénécius, même si cela pouvait comporter quelques petits avantages – des avantages qui étaient surtout destinés à son estomac gourmand -.

« C’est la première fois que je mets les pieds ici. C’est vraiment joli. »

Distraite par les insectes volants et les oiseaux, Neelahn oublia un instant Ambrosius. Elle s’imagina un instant voler en leur compagnie. Peut-être pourraient-ils lui montrer des endroits merveilleux qu’elle ne connaissait pas encore ? Les gardes qui effectuaient leur ronde la ramenèrent rapidement sur terre.

« Il reste encore des endroits à refleurir ou tout est en ordre ? »

Comme l’endroit lui plaisait beaucoup, Neelahn consentait à donner un petit coup de pouce bénévolement. Grâce à Ambrosius, elle savait qu’il restait encore des arbres à consoler et des plantes à rassurer mais peut-être restait-il des parcelles à refleurir ou des bancs à retaper ? Distraitement, elle fit pousser quelques trèfles entre le druide et elle. Maintenant qu’elle avait vu cet endroit, l’elfe se dit qu’elle aurait beaucoup aimé apporter sa contribution mais le plus dur semblait être fait. D’une certaine manière, c’était aussi bien ainsi. Au moins, elle pourrait continuer à flâner et rester allongée sur l’herbe, les bras croisés derrière sa tête !

Ambrosius avait raison. Tenter d’apaiser chaque plante du Jardin Paradisiaque soi-même était impossible. Cela dit, il était tout de même possible d’expliquer à certaines d’entre elles ce qui s’étaient passées afin de ne pas rester dans l’incompréhension. Par la suite, les détenteurs d’informations pourraient communiquer leur savoir à leurs voisins qui iraient eux-mêmes propager la vérité à leurs collègues… Grâce à cette réaction en chaîne, tout le Jardin Paradisiaque serait rapidement au courant des faits. D’ailleurs, Neelahn soupçonnait les arbres et les fleurs d’être déjà au courant de tout mais, heurter par ce qui s’était produit, ils préféraient se taire et tenter de se remettre doucement. L’elfe comprit alors qu’au-delà de l’aide qu’elle était susceptible de leur apporter, il leur fallait avant tout du temps pour panser leurs plaies – aussi bien morales que physiques -.

La mage noire – car entre une mage blanche et une mage noire, c’était forcément la noire qui était fautive – n’avait-elle donc pas eu conscience de ce qui pourrait arriver au Jardin Paradisiaque en déchainant sa colère ? Ne se rendait-elle pas compte du mal qu’elle avait créé tout autour d’elle ? Ce n’était pas parce que les plantes ne possédaient pas la capacité de parler et restaient éternellement à la même place, qu’il fallait croire qu’il s’agissait simplement d’objets décoratifs. Cependant, Neelahn ne voulait pas se laisser submerger par toutes ces sombres pensées et les balaya donc rapidement de sa tête. Elle préférait rester positive et envoyer des ondes positives. Les plantes, désormais allaient bien et ce fut tout ce qui importait le plus.
Ambrosius avait encore une nouvelle fois raison lorsqu’il fit remarquer à la druidesse que le Jardin Paradisiaque était heureux d’accueillir une âme joyeuse. L’elfe apportait sa joie de vivre aux autres et leur permettait ainsi de reprendre goût à la vie. D’une certaine manière, sa bonne humeur leur faisait oublier les tristes évènements qui s’étaient produits et leur faisait rêver d’un monde meilleur. Neelahn acquiesça donc de la tête face aux paroles d’Ambrosius qui la compara à un colibri.

« Oh ! Vous avez vu mon animal totem ? Et vous, quel est le vôtre ? »

Elle venait là, sans s’en rendre compte, de confirmer les hypothèses du druide. Et maintenant qu’il connaissait son animal totem, Neelahn était curieuse de connaître quel était le sien. Secrètement, elle espéra que lui aussi pouvait se transformer en oiseau. Peut-être pourraient-ils faire le tour du Jardin Paradisiaque en volant ? En arrivant, la druidesse avait déjà effectué une petite promenade sous sa forme d’oiseau mais à deux, c’était plus amusant et maintenant qu’elle y repensait, Neelahn aurait bien voulu s’attarder sur quelques branches.

Un petit « Oh » se dessina sur les lèvres de Neelahn. La nature était d’une si grande diversité qu’elle ne s’était imaginé à aucun moment qu’une telle chose pouvait arriver. Et puis, le monde était assez vaste pour que deux colibris parviennent à ne jamais se croiser.
Ceci dit, la druidesse était ravie d’apprendre qu’elle avait un « double » et était impatiente de voir la couleur de ses plumages. Alors, bien évidemment, lorsqu’il lui proposa de s’envoler avec lui, elle hocha vigoureusement de la tête. Ne se faisant pas prier, elle se changea presque instantanément en oiseau.

A la manière d’un rapace, l’elfe s’amusa à tournoyer autour d’un buisson qui devait probablement se demander ce qu’elle lui voulait. A sa façon, il lui demanda si elle était venue avec de mauvaises intentions. Surprise par cette question, Neelahn tenta de le rassurer. En guise de réponse, les feuilles du buisson s’agitèrent. Le petit arbre finit par entrer dans le jeu de la druidesse qui enchainait les pirouettes et les acrobaties aériennes.

A un moment donné, Neelahn finit tout de même par tourner la tête. Battant frénétiquement des ailes pour stabiliser sa position, elle attendait qu’Ambrosius la rejoigne. La druidesse se demandait s’il possédait les mêmes prouesses qu’elle. Peut-être pourrait-il lui apprendre quelques petits tours amusants qu’elle ne connaissait pas ?
Afin de ne pas s’épuiser pour rien, Neelahn décida d’aller se percher sur un chêne. Elle avait hâte de montrer à son nouvel ami tout ce dont elle était capable de faire. L’elfe n’était pas narcissique et n’était pas du genre à fanfaronner. Elle voulait simplement partager ses connaissances avec son double.

Sautillant sur sa branche, Neelahn espérait qu’Ambrosius avait eu le temps de repérer sa position. Si ce n’était pas le cas, elle irait le chercher. Même si le Jardin Paradisiaque était grand, il restait tout de même assez petit pour qu’un colibri ait vite fait d’en faire le tour.

Ambrosius lui annonça qu’il était prêt. Après avoir vu son signe de tête, Neelahn décolla de sa branche d’arbre. Le druide ne tarda pas à lui montrer tout ce dont il était capable. Il était assez amusant de le voir fanfaronner ainsi. Aux premiers abords, l’elfe l’avait cru réservé et réfléchi. Or, sous sa forme d’oiseau, il paraissait plus spontané et plus vif ce qui la surprit agréablement.
Volant derrière lui, Neelahn avait des airs de petits canetons suivant la maman canard. Parfois, elle s’arrêtait un peu afin de contempler certaines plantes ou certains animaux. Et lorsqu’elle s’aperçut qu’Ambrosius l’avait un peu trop distancée, l’elfe battit frénétiquement ses ailes pour le rejoindre. Un spectateur qui aurait levé les yeux sur elle l’aurait probablement comparé à un bébé canard, effrayé à l’idée de perdre sa mère.

Durant leur progression, Ambrosius eût l’idée saugrenue d’effectuer des vrilles tout en fonçant droit vers des arbres. A un moment donné, il failli même se retrouver le bec cloué sur un tronc. Sentant son cœur sortir de sa poitrine, Neelahn détourna la tête ne voulant pas regarder l’accident qui était sur le point de se produire. Contre toute attente, Ambrosius parvînt à se rattraper de justesse et elle l’entendit piaffer. Soulagée, Neelahn se posa sur une branche d’arbre, histoire de se remettre un peu de ses émotions. Après avoir réfléchi un peu, l’elfe finit par être persuadée qu’il l’avait fait exprès. Ce n’était pas très gentil de lui avoir fait peur ! D’une certaine façon, il semblait vouloir jouer à celui qui était le plus fort et Neelahn ne se sentait pas du tout intimidée !

Sûre qu’elle pouvait faire mieux que lui, la druidesse se mit à enchainer des acrobaties plus spectaculaires les unes que les autres. Rapidement, plusieurs paires de yeux furent attirés par un petit point vert et bleu qui n’arrêtait pas de s’agiter dans tous les sens.
Durant l’un de ses rites de passage, on lui avait dit d’exploiter ses capacités. Certes, l’animal totem n’était pas aussi puissant qu’un ours, ni aussi féroce qu’un tigre. Cependant, le colibri possédait des capacités exceptionnelles qui méritaient d’être exploitées. Suivant les conseils qu’on lui avait fournis, Neelahn s’était acharnée à s’entrainer tous les jours. Au jeu du plus rapide, elle s’était fait battre par un rouge-gorge alors tout le monde savait que le colibri était l’un des oiseaux les plus rapides au monde ! Plus jamais, elle ne commettrait cette même erreur !

Piquant vers le sol, la druidesse frôla l’herbe avant de remonter vers le ciel. Elle décrivit ensuite plusieurs arabesques dans les airs, slaloma à toute vitesse entre plusieurs branches d’arbres aux feuillages touffues et fini par effectuer un vol stationnaire. Rare étaient les espèces d’oiseaux capables de réaliser une telle prouesse. Neelahn décida même de fanfaronner un peu plus en volant à reculons avant de se percher à la cime d’un arbre de manière triomphante. Le moins qu’on puisse dire, ce fut qu’elle était fière d’elle.

Ceci dit, Neelahn était désormais essoufflée et se sentit subitement moins maligne. Elle vola jusqu’au sol où elle reprit sa forme elfique. Après avoir revêtue une robe à la hâte, elle s’assit au pied d’un grand chêne et s’adossa contre son tronc.

Bellinda ?
Surprise d’avoir une amie en commun, Neelahn tourna si vivement la tête vers le druide qu’elle en attrapa un torticolis. Pendant un court instant, elle renonça à toute tentative de bouger car elle craignait d’aggraver son cas. Heureusement pour elle, la douleur se dissipa vite et après s’être massée légèrement la nuque, l’elfe leva les yeux vers Ambrosius.
Son visage pensif laissait sous-entendre qu’il appréciait Bellinda. En revanche, il l’avait qualifié de « pas très douée pour la magie », ce dont Neelahn n’était absolument pas d’accord. Pour la druidesse, Bellinda était une grande mage ! Après tout, elle était parvenue à changer la couleur de ses cheveux en un temps record et lui avait même proposé de lui envoyer des produits afin qu’elle puisse elle-même préparer ses futures potions de coloration. Avec la patience d’un sage, la jeune femme lui avait montré dans quel ordre incorporer les ingrédients et dans quel sens il fallait tourner la mixture. Telle une élève sérieuse, Neelahn s’était appliquée à noter tous ses commentaires dans un coin de sa tête. Elle comptait vivement reproduire le moindre de ses faits et gestes lorsqu’elle se déciderait de teindre à nouveau ses cheveux.
Du coup, en songeant à cela, la druidesse se dit qu’Ambrosius et elle ne connaissaient pas la même Bellinda.

« Non, ne vous excusez pas. Je connais aussi une femme très charmante nommée Bellinda. C’est une mage rouge avec des cheveux blancs et des yeux verts. Elle a un sacré caractère mais pour moi, elle est très douée en magie ! A force de me laver les cheveux, la couleur a disparu mais Bellinda a réussi à teindre mes cheveux en vert ! Vous auriez dû voir ça, c’était très joli. »

Tout en se dandinant doucement de gauche à droite, Neelahn se demandait quelle pourrait être sa prochaine couleur de cheveux. Noir ? Blanc ? Rouge ? Il y avait tellement de couleurs qu’elle voulait tester qu’elle ne savait pas par laquelle commencer. Le même problème s’était déjà poser la première fois qu’elle avait connu la mage rouge. Ceci dit, Ambrosius ne devait pas être le genre de personnage à aimer s’attarder sur ce sujet de « femme ».

« Je l’ai rencontré dans la forêt, il n’y a pas si longtemps. Nous avons vécu un petit moment difficile. Vous voulez que je vous raconte ? demanda-t-elle avec un grand sourire mais sans laisser le temps au druide de lui répondre. En fait, je voulais lui montrer ma future demeure. Quand nous y sommes arrivées, nous avons croisé une énorme fleur qui pétait et qui rotait. Nous avons toutes les deux été blessées mais nous avons été soignées. J’espère qu’elle va mieux depuis. Il faudrait que je songe à lui envoyer une missive. »

Elle aurait pu continuer ainsi à parler de sa nouvelle amie pendant des heures et des heures tout en faisant des louanges sur son caractère, son aisance à se déplacer dans les bois mais également dans les cités, … Ceci dit, la druidesse prenait également conscience qu’elle commençait à monopoliser la parole. Cirdan le lui avait souvent reproché. Depuis, l’elfe essayait de faire attention. De plus, Ambrosius devait sans doute avoir beaucoup de choses à lui raconter au sujet de « sa » Bellinda et elle était impatiente d’en connaître les détails.

« Et vous alors ? Comment elle est votre amie ? »

Neelahn avait prononcé le mot « amie » mais elle se rendit compte qu’ils étaient peut-être chose que des « amis ». En même temps, à voir sa façon de la décrire, on pouvait mal imaginer que « sa » Bellinda et lui pouvaient être ennemi…

A l’entendre, on aurait dit que Bellinda était un petit être des bois qui aimait faire des farces à quiconque croisait son chemin. Lorsqu’Ambrosius mentionna que la mage rouge était très douée pour fabriquer de la teinture bleue, Neelahn saisit immédiatement une de ses mèches blondes et se demanda si cette couleur lui irait. Elle aimait beaucoup le bleu, mais toutes les couleurs lui plaisaient, ceci dit. Et au bout du compte, elle réalisa tout de même que colorer ses cheveux en bleu n’était peut-être pas une bonne idée, à moins de vouloir ressembler à un lutin de conte de fée.
Quoi qu’il en soit, Ambrosius avait l’air de bien connaître Bellinda. Comme un frère, il s’inquiétait pour elle et se demandait comment elle se portait. Neelahn trouvait cela touchant. Et puisqu’elle avait croisée le chemin de la demoiselle assez récemment, elle pouvait bien renseigner Ambrosius et mettre un terme à ses craintes.

« Je pense que vous pourrez trouver Bellinda à la Tour Naturelle, à Naturalia. Elle a intégré l’ordre des mages rouges. Mais bon, elle n’a pas l’air d’apprécier d’être cloisonnée entre quatre murs donc si vous vous rendez là-bas, je ne suis pas sûre qu’elle pourra vous accueillir tout de suite. En tout cas, je pense que c’est à cet endroit que vous aurez le plus de chance de trouver quelqu’un susceptible de vous renseigner. »

Neelahn sourit de toutes ses dents. Elle était contente d’avoir pu aider Ambrosius.

« Si vous l’a croisez, vous pourrez lui dire bonjour de ma part et que je la remercie une nouvelle fois pour la potion, s’il vous plaît ? Vous pourrez lui dire aussi que sa recette qu’elle m’a filé est délicieuse ? Vous savez qu’elle est une excellente cuisinière ? Mes amis n’arrêtent pas de me harceler pour que je lui demande d’autres recettes. »

La recette que Bellinda avait donnée à Neelahn n’était pas très compliquée à réaliser. En y repensant, n’importe qui pouvait la faire. Son secret résidait simplement dans quelques ingrédients mais cela avait suffi à satisfaire la majorité des personnes qui y avaient goûtée.

« Ça fait depuis combien de temps que vous la recherchez ? »

Si Ambrosius n’avait pas eu l’idée d’aller voir du côté de la Tour Naturelle, cela signifierait qu’il n’était pas au courant que son amie avait intégré l’ordre des mages rouges. Dans ce cas, cela impliquerait qu’ils ne s’étaient pas vus depuis un sacré bout de temps ! Mais tout de même, la druidesse trouvait cela étrange. S’ils s’entendaient vraiment bien, pourquoi Ambroisus n’avait pas l’air d’être au courant que son amie avait revêtue une toge rouge ? S’étaient-ils quittés sur une dispute ou bien ?

« Mais si vous étiez proches, pourquoi ne vous êtes-vous pas donné de nouvelles pour savoir où est-ce que chacun de vous se trouvez ? »

Elle n’avait pas pu s’empêcher de poser cette question. Pourtant, elle avait bien conscience que leur histoire de la regardait pas. Ceci dit, elle trouvait cela tellement étrange. S’étaient-ils quittés suite à une dispute ? Encore une fois, la druidesse se posait les mêmes questions et plus Ambrosius lui parlait, plus sa curiosité était titillée. A un moment donné, elle se demanda même si le druide était sincère. Peut-être n’avait-il jamais connu Bellinda et qu’il lui voulait du mal. Cependant, Beelahn ôta bien vite de son esprit cette idée saugrenue. Ambrosius semblait bien trop tourné vers le bien pour être capable de faire une telle chose. Quoi que… peut-être qu’il était effectivement dans le bon camp mais que la fautive était la mage rouge ? Était-ce une infiltrée chargée d’espionnée la Tour Naturelle pour le compte des mages noirs ? Réalisant que son délire n’avait aucun sens, Neelahn les balaya sans remord.

Ambrosius sortit ensuite une petite remarque qui fit bien sourire la druidesse, même si elle ne comprenait pas vraiment pourquoi il dit cela. Malgré cela, elle acquiesça de la tête. Elle était bien d’accord avec lui.

« J’ai toujours pensé que la Tour Naturelle n’était pas bien défendu. N’importe quel oiseau peut atteindre la fenêtre la plus haute de cet édifice et personne ne s’en soucie… »

D’ailleurs, lorsqu’on voyait le nombre incalculable de marches qu’il fallait gravir pour atteindre le sommet de la tour, on se disait vite qu’il était plus pratique d’avoir des ailes. Grâce à une amie, Neelahn avait eu l’occasion de visiter cette fameuse tour. Par politesse et compassion, elle avait grimpé les marches pour atteindre le sommet avant de se rendre compte qu’il y avait des portails magiques qui permettaient d’éviter ce genre de désagrément. Au début, elle avait été étonnée de les voir mais après réflexion, il était tout à fait logique d’avoir créé ces systèmes qui permettaient d’économiser un peu d’énergie, surtout lorsqu’on savait que plusieurs vieillards trainaient dans la Tour Naturelle.

Finalement, Neelahn n’aurait pas dû poser cette question trop indiscrète. L’expression soudaine d’Ambrosius en disait long sur ce qu’il pensait et l’elfe regretta de s’être montrée si curieuse. Cependant, il accepta tout de même lui dire révéler pourquoi Bellinda et lui avaient fini par se perdre de vu. Et après avoir écouté son histoire (très personnelle), Neelahn se demanda pourquoi il avait accepté de la lui raconter. Était-ce parce qu’ils étaient tous les deux issus du même statut et qu’ils possédaient le même animal totem ?

« Oui… Bellinda a l’air d’être une personne très solitaire… »

En repensant aux anecdotes que lui avait racontées la mage rouge, Neelahn approuva les dires d’Ambrosius. La jeune femme semblait ne pas trouver sa voie. On aurait dit qu’elle n’arrivait pas à trouver sa place dans l’ordre des mages rouges. Pour la plupart de ses confrères, elle était le vilain petit canard qui faisait des farces à tout le monde. De plus, elle n’aimait pas qu’on ne lui dicte sa conduite, ce qui ne devait faciliter pas son apprentissage.
Mais quoi qu’il en soit, Neelahn était contente de voir qu’il existait quelqu’un dans ce monde qui se souciait de son bien-être. Après tout, Bellinda était quelqu’un de charmant. Ceci dit, la druidesse songeait qu’il devait être beaucoup plus simple d’être son amie que son professeur et en songeant à cela, un mince sourire fleurit sur ses lèvres.

« Je suis contente d’avoir pu vous aider. »

Dès que Neelahn révéla à Ambrosius où se trouvait Bellinda, celui-ci émit immédiatement son intention d’aller la retrouver… Son sourire resta encore graver quelques instants sur son visage en repensant au mot qu’il avait employé. Il avait dit qu’il comptait « voler » vers elle. Pour un druide comme lui, ce mot était bien à prendre au pied de la lettre. Ceci dit, Neelahn cru bon de lui faire une remarque à ce propos, même si elle se doutait bien qu’il avait sans doute exagérer ses propos.

« Avec des ailes, atteindre Naturalia sera plus rapide qu’à pieds. Toutefois, je vous vois mal arriver tout nu comme un ver dans la Tour Naturelle. En général, les druides ne sont pas très regardants sur ce genre de choses. Je ne sais pas si vous aviez eu souvent l’occasion de vous rendre dans des cités. Les gens là-bas font beaucoup trop de manières à mon goût… Ils ont une liste interminable de principes qui m’échappent… »

Elle prit ensuite son sac qu’elle déposa entre le druide et elle.

« Mais grâce à ça, je peux voyager sous ma forme animale. Il s’adapte à mes transformations. C’est plutôt pratique. Depuis que je l’ai eu, je ne m’en sépare presque jamais. »

Neelahn était d’accord avec Ambrosius. Tous les druides devraient posséder un sac comme elle ! Toutefois, ce n’était pas le cas et la plupart de ses confrères n’éprouvaient apparemment pas le besoin d’en posséder un. Sur ce point-là, il fallait bien admettre que Neelahn ne les comprenait pas. Ceci dit, lorsqu’on savait qu’ils ne voyageaient pas beaucoup et qu’ils restaient les trois quart du temps chez eux, on comprenait mieux pourquoi un sac tel que celui de l’elfe ne les intéressait pas vraiment. Mais pour des druides qui passaient leur temps à voyager, Neelahn trouvait que cet accessoire était encore plus indispensable que la nourriture (après tout, les druides étaient bien capables de faire pousser des légumes et des fruits pour se nourrir…).

« Hé bien, je l’ai eu lors d’un rite de passage. Honnêtement, je ne sais pas s’il est possible de s’en procurer quelque part, facilement. Avant tout, il s’agit d’un artefact et jusqu’à présent, je n’ai jamais vu deux objets magiques identiques. Cependant, je ne pense pas que ce soit impossible »

La druidesse était désolée de ne pas pouvoir mieux renseigner son confrère. Ceci dit, peut-être que lui aussi, aurait la possibilité d’avoir ce fameux sac lors de son prochain rite de passage ou peut-être suffisait-il demander au Conseil. Néanmoins, discuter avec ces personnes de la haute hiérarchie avait toujours paru très compliqué aux yeux de la druidesse. Ne voulant pas dire n’importe quoi à Ambrosius, elle préféra donc ne pas ajouter un mot de plus. Quoi que. Pour parer à certains inconvénients lors des transformations, elle eût une idée.

« Si vous n’avez besoin de rien d’autre que de vos vêtements, vous pouvez toujours vous habiller avec ce que Trenan nous a offert… »

Neelahn faisait allusion aux plantes. Elle se souvînt avoir recouru à cette méthode lorsqu’elle avait fait la rencontre de Bellinda. La druidesse était en train de se promener sous sa forme anomale lorsqu’elle avait aperçu la mage rouge. Après avoir repris sa forme elfique, elle s’était drapée de plantes grimpantes afin de cacher sa nudité.

La druidesse hocha une fois de la tête lorsqu’Ambrosius évoqua l’idée de se créer un vêtement fait de lianes. Il avait ensuite l’air de réfléchir à l’agencement des plantes, ce qui étonna un peu Neelahn. D’habitude, ses collègues n’étaient pas si portés sur les mœurs et bienséances des citadins. Ils s’habillaient car ils ne voulaient pas paraître pour des sauvages mais ce serait un mensonge de dire qu’ils s’appliquaient. Même Neelahn ne se souciait pas de ce genre de détail. Ceci dit, maintenant qu’Ambrosius lui en parlait, l’elfe se dit qu’elle ferait plus attention à cela dans l’avenir.

Il fut ensuite temps pour Ambrosius de reprendre sa route. Il tendit la main à l’elfe qui hésita un instant avant de la serrer. Pas très habituée à ce genre de procédé, la druidesse avait été donc un peu lente à la détente. A vrai dire, un simple « au revoir » lui aurait suffi mais paraît-il que dans certains endroits et dans certaines circonstances, cela n’était pas très approprié.

« J’espère qu’on aura l’occasion de se revoir et que vous parviendrez à trouver Bellinda. »

Maintenant que Neelahn lui avait dit où résidait la mage rouge, elle fut certaine qu’Ambrosius allait pouvoir revoir son amie d’enfance. Tout ceci n’était plus qu’une question de jour.
Après avoir salué Ambrosius, l’elfe se métamorphosa en colibri. Elle resta encore quelques secondes en face du druide. Même si sous cette forme, elle ne pouvait pas étirer ses lèvres, l’homme pourrait deviner grâce à ses yeux pétillants qu’elle lui souriait à travers son regard. Sans rien ajouté de plus, elle finit ensuite par prendre son envol…