Oula, oula ! Hé ! La voilà qui s'effondre dans mes bras ! Oh non, décidément, c'était une mauvaise idée... Quoique là, me voilà obligée de partir en vadrouille dans les rues de Malificium... Oui, mais avec le corps inerte et inondé de sang d'une demoiselle Grey, c'est une situation plus que risquée... Si je croise quelqu'un de sa famille ? Ils vont croire que je suis responsable de son état ! Quoique ce n'est pas entièrement faux....
La jeune femme, attirée vers le sol par le poids de la petite accrochée à son bras, se reprend de justesse et s'accroupit pour mieux ramasser Calliopé. Avec un soupir étouffé, elle la prend dans ses bras et se redresse. Ouf, c'est qu'elle pèse la petite...
Perdue, elle regarde de droite et de gauche, à la recherche d'une aide quelconque ; personne à l'horizon, au niveau des portes il n'y a pas foule. Bethdenn se met alors en marche, il faut bien trouver un endroit où s'occuper d'elle. Mais tandis qu'elle avance péniblement, elle remarque le sang qui goutte toujours, laissant une traînée rouge derrière elle ; pour la discrétion, on repassera ! Nouveau soupir, elle repose la demoiselle sur le sol, déchire un pan de sa cape de toutes façons fichue et l'enroule bien serrée autour de la taille de la blessée, histoire de comprimer le point d'hémorragie. Bien, ça ne dégouline plus, c'est déjà ça. Elle reprend son paquet, et se remet en route, l'esprit en ébullition. Quel endroit Calliopé a-t-elle mentionné, avant de s'évanouir ? Un nom effrayant, le couloir, quelque chose dans le genre... Le mouroir ! Voilà, c'est ça.
Avec un nom pareil, on n'a pas trop envie d'aller s'y faire soigner...
Y aller, ou pas ? La mage rouge hésite. Cal lui a une fois raconté à quel genre d'expérience les « médecins » de là-bas se livrent, et elle n'a pas du tout envie de leur offrir le corps de sa nouvelle amie si jeune et fragile. Mais si elle la soigne elle-même, ce sera avec des méthodes de mage rouge, et la mage noire, aussi jeune soit-elle, ne manquera pas de les reconnaître... Et adieu l'amitié – voire la vie. Ou peut-être sera-t-elle assez reconnaissante pour ne pas la tuer immédiatement ?
La rousse drapée de noir secoue la tête. Même elle, elle ne croit pas à cette hypothèse. Calliopé a bien montré sa promptitude à réagir quand quelque chose ou quelqu'un lui déplaît, et étant donné l'aversion viscérale des habitants de Malificium pour ceux de sa caste...
Elle marche, observe les façades tristes et sales de la rue. Rien de très attrayant ! Comment peut-on aimer vivre ici ?
Bon, ses bras commencent à fatiguer, il faut prendre une décision. Le mouroir ? Pas vraiment le choix, elle doute qu'une taverne soit équipée pour prendre soin d'une blessée. Va pour le mouroir, mais... où c'est ??
Elle tente d'apostropher les rares passants qui rasent les murs, peine perdue. Soit on la fuit carrément, soit on lui jette un regard dédaigneux, soit... on fait trop peur pour qu'elle ose parler. Bref, l'échec total. Découragée, Bethdenn s'arrête un instant, songe follement à aller au manoir de Cal pour lui demander de l'aide ; mais non, ça ne ferait qu'aggraver la situation.
Allez, Bethdenn, réfléchis. Ça ne doit pas être si compliqué que ça à trouver, si c'est un lieu de soin – dans ces lieux où chaque ruelle est un coupe-gorge, les blessés doivent apprécier avoir le temps de parvenir au mouroir avant de trépasser...
Nouveau regard alentour. Pas de panneaux, pas de nom de rues... C'est quoi cette ville ! Se fiant à son instinct, elle décide de suivre ce qui semble être l'artère principale (du moins la rue la plus large), et s'engage dans le cœur de Malificium. Non sans quelques frissons de terreur et, il faut bien l'avouer, d'excitation.
Chose étrange s'il en est, personne ne semble s'émouvoir du corps inanimé qu'elle transporte tant bien que mal, bien que les boucles blondes de Calliopé soient particulièrement voyantes. Une Grey, ça se reconnaît, sans aucun doute ! Évidemment, elle ne va pas s'en plaindre, la mage rouge intruse en ces murs. Elle se presse, ajustant sur une inspiration subite un pan d'écharpe sur le visage de la demoiselle – discrétion est mère de sûreté – et finit par déboucher sur une place. Un marché, vraisemblablement, grouillant soudain de monde. Désorientée, Bethdenn se résout à s'approcher d'un étal, et demande à un marchand de salades la direction du mouroir. L'homme, un barbu à l'air soupçonneux, finit par lui indiquer d'un doigt boudiné une ruelle relativement isolée. Au temps pour l'intuition ! Bethdenn le remercie d'un signe de tête, et se hâte. Calliopé semble respirer difficilement sous l'étoffe, il serait temps de la réhydrater.
