Nevar en avait assez. Andromaque l’avait fait poireauter dans son coin trois jours dans la bibliothèque. Trois jours durant lesquels elle l’avait tout simplement ignoré. Non, lorsqu’on ignore quelqu’un, il y a une certaine volonté derrière cette attitude. Andie l’avait oublié. Absorbée dans ses lectures, elle n’avait pas dit un mot pendant trois, jours, et à peine s’était-elle levée de temps à autre, allant manger et ranger des bouquins. Elle ne quitta pas davantage la bibliothèque, et s’endormait sur sa table lorsque ses paupières ne tenaient plus. S’était-elle souciée s’il avait de quoi manger ? Heureusement, une famille de souris n’était pas loin. Avait-il témoigné son agacement ? Non, bien évidemment. Il avait boudé. Ce qui ne servit strictement à rien. Et après toutes ces heures de silences, de pensées sombres réprimées, d’idées de vengeances envers sa maitresse, voilà que tout à coup Andie se redressait, et s’exclamait d’un ton déterminé :

-Ça suffit ! Allons faire un tour dehors !

Et elle s’en alla sans le moindre regard pour son familier.

Vexé, frustré, Nevar la suivi. Il se demanda ce qui se passerait s’il décidait, sur un coup de tête, de la laisser se débrouiller toute seule. Au bout d’une semaine, peut-être, elle se trouverait dans la mouise, se tournerait pour lui demander assistance, et se rendrait compte alors de sa disparition. C’était sans doute plus vraisemblable qu’il ne voulait l’imaginer, aussi Nevar tourna ses pensées sur un autre sujet, plus supportable. Qu’est-ce qui lui prenait cette fois-ci ? Il ne pouvait pas lui demander, n’étant pas télépathe. Même s’ils n’étaient pas très précis, ses pouvoirs d’empathe pouvaient cependant trouver une utilité dans cette situation. Il se projeta vers Andie, même s’il n’aimait pas beaucoup faire cela. D’une part parce que cela ne se faisait pas d’utiliser ses pouvoirs contre sa maitresse, mais il ne pouvait pas demander la permission, n’ayant pas le don de parole. D’autre part parce que, la plupart du temps, les émotions d’Andromaque Vivian Grey se révélaient surprenantes, ce qui était un peu trop déconcertant pour une créature aussi simple que Nevar Bur’o, un pauvre petit corbeau fort ordinaire, du moins autant qu’un corbeau empathe pouvait l’être.

Il ne trouva dans Andie qu’un sentiment d’agitation, mêlé à une impatience difficilement contrôlable. Et il est compréhensible qu’elle soit dans cet état, après trois jours d’enfermement. Non que cela ait été difficile sur le coup, Andromaque est du genre à être absorbée très facilement. Mais maintenant qu’elle était sortie de sa « transe », elle n’avait qu’une envie, se dépenser. A elle les aventures et les explorations ! Nevar n’avait aucun moyen de le confirmer, mais oui, il n’aurait pas pu être plus absent de ses pensées. Elle se retrouva dans l’allée des marchands, slalomant sans réfléchir entre les passants. Sa belle robe rouge contrastait avec les habits souvent ternes des gens qu’elle croisait. Farouchement, elle marchait d’un pas décidé, sans avoir vraiment réfléchi à sa destination. On dit bien que l’aventure nous attend au coin de la rue, non ? Rien de plus facile pour elle, alors, que d’avancer encore un peu plus ! Un sourire se dessina sur ses lèvres. L’incertain devant elle, elle aimait ça.
Elle continua sa progression, avec Nevar volant derrière, peinant à la rejoindre. Le soleil le gênait considérablement, et Andromaque ne faisait pas le moindre effort pour qu’il la rejoigne. C’est qu’elle marchait vite, la garce ! Entre les mouvements de la foule et son allure rapide, Nevar se fatiguait à maintenir la cadence. Et voilà qu’un rayon de soleil se refléta sur une armure, et l’aveugla complètement. Désorienté, les yeux brulant, il se mit à voler de plus en plus dangereusement, jusqu’à tourner en spirale, piquant de plus en plus vers le sol. La foule commença à s’écarter autour de lui, ce qui était toujours mauvais signe. Il se heurta alors violemment contre un objet métallique, dont le bruit de raisonnante acheva de le désorienter par la violence que subit son ouïe. C’est à moitié dans les choux qu’il se retrouva par terre, à la merci de n’importe qui.

Un long et pénible soupire s’échapa de Katherine alors qu’elle reposait toujours ses pieds endoloris par la longue marche qu’elle s’était destiné à faire jusqu’à la belle cité de Naturalia. Elle avait pensé, en arrivant ici, qu’elle pourrait faire un peu de tourisme après la tâche que ses frères d’armes lui avait confiée, mais s’y était quelque peu résginée. Après tout, elle ne voulait pas déranger les habitants de cette fière ville avec ses questions idiotes d’étrangères. Elle ne désirait pas que l’on se moque d’elle, après tout. Elle en avait déjà assez bavée avec William, l’un des écuyers du Château qui s’en donnait à cœur joie pour lui faire la vie dure et lui faire couler toutes les larmes de son corps. D’ailleurs, à la pensée de ce garçon pour le moins vilain, les sourcils de Katherine se froncèrent.

Qu’est-ce qui la tira de son élan de frustration peu habituel?

CLING!!!!

La belle jeune femme sursauta en sentant quelque chose se heurter violement contre le flanc de son armure étincelante. Elle en poussa même un petit cri aigue tout en fermant les yeux. Elle avait cru qu’un enfant méchant lui avait lancé quelque chose, ainsi n’ouvrit-elle un œil qu’après cinq longues secondes de craintes et de tremblements excessifs. Kathy entendit un piaillement et regarda alors au sol un petit tas de plumes à peine mouvantes et désorientées. Un oiseau? C’était alors lui qui s’était cogné contre elle durant son vol? Prise de tristesse pour la créature blessée, -du moins pensait-elle, Katherine se pencha et receuilli le plus délicatement possible le corbeau dans ses mains gantées de fer.

- Pauvre petite chose..Viens là, je ne te ferai pas mal…

Sa voix était douce et réconfortante, mais elle ignorait si l’oiseau percevrait son attitude ainsi. Elle ne voulait pas se faire picorer à mort par un volatile en panique…

- Tu t’es blessé, petit?

Quelques passants se retournèrent pour lui lancer de drôle de regards. Une chevalière qui parlait à un oiseau…. On aurait tout vu!

Nevar reprenait doucement connaissance, à mesure que les livres qui tournaient –dangereusement- autour de sa tête disparaissaient. Il entendait un murmure, une voix… pas celle vive et impulsive d’Andie, quelque chose de plus maternel. L’image de la mère d’Andromaque lui vint à l’esprit : une femme douce, qui avait pris soin de lui et l’avait sauvé, d’abord de ses premières blessures, alors qu’Andromaque l’avait ramené du cimetière. Puis des plaies supplémentaires que lui avait causées la présence d’Andie durant son rétablissement. Il faut dire que niveau infirmière, Andromaque était plutôt… mortelle. En lui faisant prendre un bain elle avait failli l’ébouillanter, puis sa soupe aux champignons était empoisonnée, sans oublier qu’à mesure qu’il récupérait, elle le forçait à aller chercher des objets en haut des étagères, et qu’il s’en était pris plusieurs fois sur la tronche. Ah, la merveilleuse femme que la maman d’Andie…

Pendant ce temps, Andromaque ruminait tout en marchant un projet d’exploration. Aller en forêt, après son inactivité à la bibliothèque, lui ferait le plus grand bien… mais sans but précis ? Peut-être qu’en s’arrêtant à quelques endroits dont elle avait connaissance, elle entendrait parler de deux ou trois choses mystérieuses. Mais cela impliquerait sans doute de donner un peu de monnaie de sa poche, et ça la gonflait d’avance. A moins qu’elle ne se fasse payée par une bande d’aventuriers, mais cela lui donnait moins de libertés… et ça, Andromaque n’aimait pas. Vraiment pas. Mais si elle voulait voyager, il lui fallait faire quelques emplettes de toute manière, et un petit job ne lui ferait pas de mal. Ah moins qu’elle ne reste dans le coin, si elle trouve quelque chose qui vaille suffisamment la peine… entre flemmardise et curiosité, avarice et indépendance, son cœur balançait. L’idée de servir –un peu- les mages rouges lui effleura l’esprit, vaguement, mais en général c’était Nevar qui le lui rappelait, avec ses yeux réprobateurs. Tient Nevar justement ! Voilà la personne qui allait la décider ! Il suffisait de lui proposer les différents choix, et en fonction de sa grimace, elle prendrait ce qui causerait le plus d’effet ! Il fallait bien qu’il serve, le petit corbeau. Sans elle, il serait resté clochard, mourant tout seul de façon pitoyable et déprimante. Quelle bonne maîtresse elle faisait !

Elle se retourna :

-eh, Nev’, ça te dirais de…

Mais il n’y avait pas de corbeau derrière elle.
Andromaque s’arrêta un instant, choquée. Môsieur Nevar Bur’o avait osé être responsable du vent qu’elle venait de se prendre ! Il allait le lui payer… mais où avait-il bien pu passer ? Peu fiable comme il est, le crétin a dû s’égarer en route, se dit-elle. Râlant et de mauvaise grâce, elle rebroussa chemin d’un pas énergique, menaçant d’écraser les malheureux pieds des pauvres passants. Pour qui il se prenait ce corbeau à la noix pour lui causer des désagréments pareils, tss… inadmissible. Néanmoins, Andromaque eut un instant de fierté envers ce petit bout de chou : il parvenait en une fois à se montrer pénible tout en étant absent, alors qu’il lui avait fallu des années avant de développer l’art de mettre sur les nerfs tout son entourage. Joli coup, elle devait l’admettre… mais elle ne l’avouera jamais. Non mais oh.

Finalement, elle parvient à le repérer, à deux pas d’une demoiselle en armure. Une petite brunette à la peau bien blanche, qui se trouvait au milieu du chemin, et qui semblait essayer de s’adresser à Nev. Celui-ci, curieusement, était par terre, et ne tenait pas sur ses pattes. Et bien évidemment, il restait là, sans aucun signe de protestation, et sans même chercher où sa maîtresse adorée était passée. Le sang d’Andromaque lui monta au visage. Elle se rua vers la miss :

-Hey, toi là-bas ! C’est mon piaf !