La rencontre entre deux étoiles est un phénomène rare. Et ce, aussi bien dans les cieux que sur les Terres où leur sort les fait échouer. Les Chroniqueurs, déjà peu nombreux étaient éparpillés à travers l'univers, étaient en si petit nombre dans ces contrées, qu'il pouvait s'écouler des années, des décennies sans qu'ils se croisent. A moins bien sûr de rejoindre l'un de ces endroits quasi légendaires où étaient rassemblées leurs fameuses Chroniques...

Bien sûre, dans les premiers temps suivants sa chute, Niavhe n'avait pas eu conscience de cet état de fait. Elle avait eu la chance de tomber parmi les siens et n'était partie dans sa Quête que des années après. Force lui avait été, néanmoins, de comprendre rarement la rareté des siens.

Niavhe s'était déjà demandé ce qui poussait un Chroniqueur à avancer. Et ce qui lui indiquait sa voie. Pour elle, c'était la curiosité pure et simple. Pas de motif impérieux et supérieur ! Du moins... Aucun dont elle ait eu conscience. Mais elle ne savait pas le moins du monde si c'était la même chose pour tous les Spikas.

C'était donc la curiosité qui l'avait menée ici ce jour-là. Une curiosité éveillée par ses lectures, pas les gravures qu'elle avait vues et par les commentaires des voyageurs qui s'adressaient à elle où qu'elle aille. Les Chroniqueurs avaient une telle réputation qu'il était presque impossible de voyager sans être arrêter par un marchand qui demandait des informations sur l'avenir de son commerce. Ils ne pouvaient pas s'arrêter dans un hameau sans y être retenus par des villageois qui voulaient des révélations sur le passé, sur leurs voisins ou simplement pour avoir des nouvelles de ce qui se passait dans le monde. Pour combattre l'isolement, on attendait les nouvelles d'ailleurs. Et les Chroniqueurs voyageaient sans cesse. Quoi qu'ils aient vu, c'était généralement une nouvelle fraîche, même si elle datait de plusieurs mois ou années!

Ces conversations ne sont pas inintéressantes pour les Chroniqueurs pour autant. Comme cette fois-ci, les gens peuvent leur raconter des histoires, leur parler de gens ou d'endroits qui éveilleront leur attention, leur curiosité.

Et cette fois, les gens avaient parlé à la "jeune femme" de cet endroit si bien nommé. Quand elle était arrivé, elle avait procédé selon son habitude. Son regard s'était porté tout autour d'elle, sans suivre un chemin précis mais se laissant plutôt attirer par les mouvements, les couleurs... Elle examinait les lieux, les gens... Ce, en se laissant enivrer par les odeurs, les bruits...

Puis tout à coup, se fut comme si le monde se figeait. Niavhe reconnut sur le champ cette blancheur immaculée. C'était comme reconnaître son reflet à la surface d'un lac. Ou retrouver un objet qui vous a appartenu il y a des années de cela. C'est naturellement qu'elle laissa ses pas la porter auprès de sa congénère.

A l'intérieur de sa robe, contre son sein, Duvan s'était réveillé, secoué par un instinct de survie atavique. Un Prédateur se tenait non loin. Si Niavhe n'eut qu'une vague conscience de la présence du félin aux pieds de l'autre Chroniqueuse, Duvan lui agitait frénétiquement ses petites pattes griffues comme s'il s'efforçait de fuir. Niavhe porta une main à sa poitrine pour rassurer son compagnon à travers sa robe et sa cape de voyage tandis qu'une délicieuse odeur s'élevait dans l'air.

S'agenouillant devant Ilaria, elle lui sourit comme si elles assistaient à un pique-nique, qu'elles se connaissaient de toute éternité et qu'elles étaient... soeurs peut-être.

- Bonjour ! songea-t-elle tout de même à dire d'un ton enjoué, comme par un réflexe acquis par sa fréquentation des corps non célestes.

C'est en entendant le miaulement saccadé du fauve en chasse que Niavhe remarqua le compagnon de sa congénère. Maître félin, par l'odeur alléché avait les babines frémissantes, les pupilles dilatées et les moustaches hérissées. Niavhe pencha la tête pour garder à l'esprit tous les menus détails de cette attitude de chasseur excité par la présence de sa cible. Elle garda la tête inclinée, une mèche bouclée caressant sa joue rose, et releva ses yeux brillants sur sa congénères. Le sentiment qu'elle ressentait pour elle était chaud et doux. Une justesse et une reconnaissance qu'une créature dans sa position de solitude ne pouvait pas souvent expérimenter.

Elle ne retira sa main que quand elle sentit la boule de chaleur qu'était Duvan cesser de s'agiter en tremblant pour s'échapper. Raide contre sa chair, il était roulé contre elle comme s'il voulait disparaitre sous sa peau. Après une dernière caresse de consolation, elle attrapa les pans de sa cape et les rassembla pour s'asseoir. Ses gestes étaient précis et fluides avec toute la grâce qui caractérisait les Chroniqueurs. Une habitude acquise de longue date et qui était devenue propre à sa nature plus qu'un outil pour ses relations avec les autres.

Ce n'était pas par nécessité qu'elle agissait ainsi avec sa "soeur". Cette fois, tandis qu'elle s'installait auprès d'elle, elle n'attendait rien : pas d'histoire à recenser, pas de particularité à observer. Un frémissement la secouait imperceptiblement.

- Volontiers. Ce n'est pas si souvent que j'ai l'occasion de rompre le pain avec une autre étoile !

Après avoir sortie de son propre havresac de cuir engravé une bouteille de thé d'herbes ainsi que des biscuits au miel. Niavhe ne savait pas manger équilibré et le plus souvent c'était le traumatisme et la pitié des villageois ou des marchands qui la sauvaient de la famine ou simplement de carences diverses.

Tout en tendant la main vers le chat afin qu'il puisse la renifler et décider ce qu'il pensait d'elle, elle poursuivit.

- Mais moi ce n'est pas l'instinct ou le destin. C'est une vendeuse de légumes secs et une série de gravures d'un artiste du nom d'Artasemus Spot.

Le destin, Niavhe ne savait pas si elle y croyait vraiment. Elle se sentait plus sensible à l'idée de "coïncidence". Par là, elle n'entendait pas de notion de hasard comme y voient certains, mais bel et bien la rencontre de deux plans d'existence. C'était sûrement son existence d'étoile qui la menait à résonner en termes de "systèmes", de "plans" et de "trajectoires"...

Ce moment de réflexion intense fut troublé quand Duvan se remit à s'agiter. Cette fois, c'était lui le prédateur, et sa proie n'était autre que le linge qui renfermait les biscuits frais. Elle sentit sa petite tête se dresser sous le tissu de sa robe et son souffle rapide tandis qu'il reniflait l'air. Niavhe le connaissait suffisamment bien pour savoir qu'il hésitait entre son instinct qui le poussait à partir en chasse de ces petites douceurs et celui qui l'incitait à demeurer à l'abri de son giron, là où le fauve assoiffé de sang ne pourrait pas l'atteindre.

- Je suis Niavhe, se présenta-t-elle à la Chroniqueuse avec un sourire serein.