Saveurs acariâtres [Masaku]

« Et où est-ce que je peux en trouver? »

Le vieux bonhomme à qui il ne restait plus que deux dents joliment garnies de noir s'exclama comme vulgaire charognard, dévorant la silhouette de la jeune femme en éclaboussant l'atmosphère de postillons à chacune de ses paroles. C'était un vieux rat d'égout qui malgré ses connaissances farouches n'en demeurait pas moins un reclus de la société, le genre de détritus dont on se passerait fort bien pour ne pas s'offrir de mauvais rêves la nuit. Il se voulait souriant, mais ce n'était finalement qu'une grimace qui déforma les traits usés de son visage aigri. Finalement, les crocs acérés que dévoilait Vradash, menaçant, eurent raison de sa patience, et le vieux fou se résigna, peu enclin à finir dans l'estomac du lion.

« D'accord D'accord! On se calme! Vous trouverez cette plante dans les marécages... »

Les sourcils froncés, Sigrid lui lança une ultime menace avant de l'abandonner derrière elle, s'éclipsant au détour d'une ruelle, avalée par la pénombre ambiante des lieux qui ne permettaient pas à la clarté du jour de s'immiscer dans leur enceinte. Une bonne partie de l'après-midi venait d'être entamée, laissant une douce lumière tamisée s'effacer à l'horizon, le genre de décor qui ôtait toute envie de violence et de farce. En cette journée bénigne, la jeune mage noire était en quête d'une plante extrêmement rare qui lui était nécessaire pour la confection de son nouveau parfum. C'est en lisant des vieilles légendes dans les grimoires gorgés de poussière qui gisaient dans sa bibliothèque personnelle. Friande de lecture et assoiffée de connaissance, notre jolie muse se plait à détrousser les nombreux détenteurs de livres sacrés pour sa propre collection, savourant chaque page avec un appétit non feint.

« En route Vradash, je ne tiens pas à patauger dans les marécages dans le noir complet! »

L'imposant félin pressa l'allure, suivant sa maîtresse sans provoquer la moindre petite boutade, Il faut croire qu'il était pressé de rentrer pour goûter au feu qui logeait dans le foyer de la demeure de Sigrid. Après une heure de marche, les deux créatures aboutirent au lieu de rendez-vous, accueillis par des myriades de parfums nauséabonds. La mage noire se boucha le nez, dégoûtée jusqu'à la moelle par le décor des lieux. Elle aurait préféré passer sa journée à arpenter la forêt que devoir se déplacer dans ce paysage au charme rompu. Une grimace épousa son joli minois, mais elle poursuivit son chemin, balayant le sol d'un regard minutieux, pressée d'avoir son butin en main pour s'esquiver au plus vite de ce trou putride.

Un peu trop hâtive, la jeune femme s'embourba dans un trou visqueux dont l'odeur rappelait le vieux relent d'un pet. C'est ainsi qu'elle se retrouva bloquée dans cette immonde substance qui vint lui lécher les rotules avec satisfaction. Décidemment, son petit oiseau de mauvaise augure ne cessait de tourner autour d'elle. Et la longue robe noire qu'elle portait ne lui facilitait pas la tâche.

« Flûte! »

Durant les dernières années, Masaku était passé par tous les états d'esprit possible. La colère contre soi-même de n'avoir pu mettre à bien sa vengeance, la tristesse de ne pouvoir retourner faire face aux siens maintenant que ses mains étaient souillées du sang de son propre géniteur, la solitude lors du grand voyage qu'il avait entreprit. Et enfin, au bout du chemin, la paix éphémère qu'il avait su se trouver avec grande difficulté. Il n'est jamais facile de se pardonner alors il s'était employé à mettre de côté les sentiments de culpabilité et s'était ouvert au monde qu'il découvrait. Sur vingt-cinq ans de vie, il avait passé la majorité dans le désert et l'autre petite partie à voir les alentours de ce monde. Les plaines immenses qui se déversaient sous ses yeux ne le décourageaient pas. Cela signifiait que le monde n'avait pas de limite, qu'il s'étendait encore à perte de vue et que toute une vue ne suffirait pas pour le parcourir.

Idée réjouissante puisqu'il pouvait se consacrer à plein temps à cette activité. Désormais plus de campement à protéger, il se protégeait lui-même des dangers environnants, la tâche était déjà assez ardue. La faune et la flore avaient beau offrir une illusion de sécurité, le danger rodait toujours dans les parages. Sachant pertinemment que le danger principal était lui-même puisqu'il ne savait strictement pas vers où il se dirigeait, Masaku espérait que la chance lui sourit pour une fois, qu'il puisse trouver une ville, un endroit où se reposer. Même si il était vagabond, il savait encore apprécier les précieux instants qu'offraient les lits bien moelleux, le confort d'une chambre et d'une bassine d'eau chaude, bien différent de l'eau fraiche de la rivière dans laquelle il faut se laver le plus vite possible si on ne veut finir glaçon. Hélas, c'est le sort qui lui était réservé ce matin là. Brave, il se jetait nu dans le torrent calme, agitant ses membres avec précipitation en se badigeonnant d'une herbe aux propriétés savonneuses. Moins de cinq minutes pour être sec, les cheveux détachés trempés qu'il laisserait sécher avant de les attacher. Le temps de se préparer, Masaku avait déjà raccourci les poils de menton et de moustache en observant son reflet dans l'eau.

Un petit baluchon accroché au bout d'une branche, le nomade changeait de position. Ainsi allait la routine habituelle. Seulement voilà. Le territoire dans lequel il se trouvait n'était plus aussi verdoyant qu'au départ. Fini les arbres fleuris et les parterres de fleurs, tout cela se faisait de plus en plus rare, les variétés végétales n'avaient plus cette finesse. Et plus il avançait, plus ses narines étaient incommodées par une senteur venant tout droit des abysses de Nel Beraid. Froncer du nez et insister dans cette direction. Quelle folie le poussait à s'enfoncer dans ce gouffre de puanteur plutôt que de rebrousser chemin? Masaku se disait simplement que dans tous les cas, il ne saurait où aller alors autant se perdre pour de bon et décupler la satisfaction qu'offrait le bon chemin lorsqu'on le retrouve.

Bientôt, le vagabond ne se faisait plus d'illusion, les marais se reconnaissaient, que ce soit décrits sur les livres ou peints par un artiste. Il se trouvait dans des marécages et évitait toutes les flaques qui menaçaient de le tirer vers le fond. Ses chausses de cuir étaient crottées, la chaleur ne rendait pas la tâche aisée.

Soudain, alors qu'il venait de bondir de côté pour éviter une bestiole qui jaillissait d'une eau boueuse, le vagabond entr'aperçut entre deux arbres morts, une femme immobile face à un gros lion à la couleur singulière. Qu'est-ce que faisait un lion dans un marécage? Pas le temps de répondre à la question, le vagabond tirait silencieusement le katana de son fourreau en se penchant en avant pour diminuer le bruit que produisait ses pas. L'odorat de l'animal l'alerterait bien assez vite, mais plus il ferait de distance entre temps, mieux ce serait. Sans réfléchir il allait mettre sa vie en danger pour sauver une inconnue, voilà un acte bien héroïque alors qu'il n'était pas capable de grand chose contre un animal sauvage. Ah oui, attirer son attention et le détourner de la femme, ce serait la meilleure solution. En guise de bonjour, le lion reçut sur son derrière une branche morte suivi d'un cri:

"Bonjour toi! Ca t'intéresserait de t'amuser un peu avec moi?"

«Vradash, tu pourrais au moins m'aider? Non! Lion inutile! »

Ledit lion se contenta de plisser les yeux, ne cachant pas l'amusement qu'il éprouvait face à la situation hilarante qui se présentait devant lui. Ce n'est pas tous les jours que sa maîtresse faisait preuve d'inadvertance et se retrouvait ainsi dans une situation ridicule. Sigrid grommelait, pestant contre son compagnon de pacotie en tentant de se hisser hors de ce mélange dégoûtant avec la force de ses bras. Tentative vaine. La solution la plus aisée pour s'extirper du marécage aurait été de se débarrasser des vêtements encombrants, mais elle préférait mettre cette hypothèse de côté, préférant se la jouer pudique qu'exhibitionniste. C'était définitif, elle détestait les marécages. Pourquoi diable avait-elle écouté ce vieux fou? Si ça se trouve, il lui avait raconté des bobards, comme il aimait si souvent le faire. Pour sa propre survie, il a tout intérêt à ce que la mage noire ne sorte pas de ce trou, au risque de se faire égorger vif comme un vulgaire lapin.

Elle s'arrêta net dans ses gestes lorsqu'elle fut attirée par le bruit de pas. Quelque chose était en approche, et Sigrid espérait sincèrement qu'il ne s'agisse pas d'une prédateur affamé. Vradash était aux aguets, prêt à bondir sur l'importun qui oserait les déranger. C'est alors qu'il reçut un coup aux fesses, lui arrachant un grognement bruyant et menaçant. Il fit volte-face pour faire face à un jeune homme armé d'une...branche morte. Voilà un guerrier bien effrayant! La jeune femme ne mit pas longtemps à comprendre l'état d'esprit du nouvel arrivant. Magnifique! On lui avait envoyé un héros de pacotie. Néanmoins, elle s'amusa beaucoup face à la belle gifle que venait de recevoir Vradash sur son postérieur. Quelle délicieuse vengeance!

Vradash lui jeta un regard noir avant de reporter ses prunelles sur le gaillard qui voulait "s'amuser" avec lui. Sans crier gare, le lion bondit sur le damoiseau, s'abattant de tout son poids sur lui. Sigrid compatissait au sort du pauvre gars. A sa place, elle aurait sans doute été écrabouillée comme un vulgaire insecte, de par sa frêle silhouette. Le félin émit un long râle, pointant ses crocs aiguisés à quelques centimètres du visage de l'intrus. Inutile de vous dire que dans d'autres circonstances, si sa maîtresse ne l'avait pas sèchemment interrompu dans son élan, il se serait fait un plaisir de goûter à la chaire de ce petit bonhomme.

« Suffit Vradash! »

On pouvait facilement entendre l'animal grogner, peu enclin à repartir le ventre vide. Néamoins, il obéit et s'écarta du jeune homme pour rejoindre sa maîtresse. Cette dernière lui lança un regard moqueur, hilare.

« Bon, si vous n'avez rien de cassé, vous pourriez peut-être m'aider à sortir de là? Je ne tiens pas à rester coincée dans ce trou visqueux toute la soirée! »

Passé le moment de surprise, Masaku se concentrait déjà sur les différentes réactions que pourrait avoir le fauve blanc. D'une part, il ne savait pas si sa couleur était due à une magie ou à une maladie qui le rendrait particulièrement agressif, ou bien si ses réactions seraient semblables à celles d'un lion ordinaire, chose qui ne l'arrangerait en aucun cas puisqu'il n'en avait jamais affronté. A gauche? A droite? La branche qui tombait mollement sur le sol collant n'avait eu d'effet qu'une petite tape sur l'arrière train de l'animal. Le katana bien en évidence, il attendait calmement qu'on lui arrive dessus. Mettons-nous dans la peau d'un lion. Un idiot nous lance une branche sur la fesse. L'instinct nosu dit de nous mettre en colère puis de bouffer la tête du malheureux qui avait osé toucher à notre sacrosaint postérieur. Pour ce faire, les griffes et les crocs seraient efficaces puisque l'intéressé n'avait qu'une arme tranchante. Masaku était prêt à bondir dans toutes les directions, prêt mais le temps de réaction était trop lent comparé à la vitesse à laquelle le fauve se jeta sur lui pour le projeter à terre, vaincu avant d'avoir pu utiliser les armes. Le nomade s'immobilisa face à la gueule béante bien plus impressionnante de près que de loin. Il sentait son souffle, il ressentait la puissance de ses pattes.

"Tout doux... je plaisantais juste hehe..."

Il n'avait qu'à retourner à ses occupations avec la femme au pire. Non mais pourquoi était-il aller chercher les ennuis pour une fois que ce n'était pas lui qui était à la place de celle qui s'enfonçait dans le bourbier? Le jour où la chance aurait pu lui sourire, il se remettait dans les bonnes conditions de vie, à un millimètre de la mort, une mort tranchante et une haleine fétide. Les enseignements disaient de faire des gestes lents, pratique quand on ne peut même pas bouger les bras. Son arme était allée s'allonger un peu plus loin pour prendre le thé avec une créature inoffensive vaseuse. Beurk, elle était en train de recouvrir la garde de bave translucide. L'esprit vagabondant du vagabond retourna dans son corps une fois que la femme eut ordonné au lion de s'arrêter. Une seconde... Elle venait de lui donner un ordre et ce dernier venait de s'écarter. Se palpant pour vérifier qu'il était indemne, le nomade se redressa satifait de son inspection, demeurant quelque peu méfiant. Est-ce que c'était chose commune que de voir une femme dans un marécage? Est-ce que c'était chose commune qu'une femme, dans un marécage, élève un lion blanc? Non, le tableau n'était pas esthétique, il y avait anguille sous roche. Ce qui était le plus vexant, c'était cet air moqueur qu'elle avait envers lui, lui qui se voulait sauveur et qui s'est vu sauvé par celle qu'il voulait sauver.

"...Oui bien sûr."

Les lèvres pincées, Masaku alla récupérer son arme et la rangea en grimaçant, puis il s'approcha à pas lent, maintenant une distance de sécurité correcte avec le lion avant de tendre la main à l'intéressée, la main gauche, propre, qui n'avait pas saisi le katana bien entendu.

"Vraiment sympathique comme compagnon. Vra... quelque chose, c'est bien ça?"

Sur le moment, le nomade devait bien admettre qu'il s'était d'avantage soucié de l'état de son arme que du nom de l'animal. Dans la vie, il faut bien fixer des priorités pour ne pas s'étaler sur des détails superflux. Enfin tirée de là, Masaku ne savait pas comment aborder la femme qui n'avait pas une tête d'innocente en détresse. Et puis il y avait un regard pesant désagréable dans son dos qui lui donnait l'impression de tomber nez à nez avec l'animal à chaque fois qu'il tournait la tête un tantinet vers l'arrière.

"Une bonne chose de faite. Ca aurait été vraiment dommage de disparaitre au milieu de nulle part, haha."

Pourquoi n'arrivait-il pas à rire de bon coeur? Surement à cause de l'air de la femme qui disait presque qu'elle aurait pu s'en sortir seule si elle le voulait, ou à l'aide de son lion. Il n'y avait qu'une gène comme lui pour venir se mêler de ce qui ne le regardait pas. L'objectif désormais, était de s'éloigner le plus vite possible.

"Il ne fait pas bon de rester trop longtemps par ici. On raconte que ceux qui y sont depuis plus de quelques heures ne peuvent se débarrasser de l'odeur."

Et il venait d'engager la conversation pour perdre un peu plus de temps auprès de l'inconnue. Le corps qui ne suit même pas l'esprit, juste fantastique...

Le jeune homme devait être stupéfait devant l'ordre que venait de donner la « victime » au félin menaçant. Cette simple constatation rendit hilare l'elfe qui ne put réprimer un sourire. Son « sauveur », qui n'en était plus un, semblait bien dissipé. Elle aurait presque pu se mettre à son aise, comme sur son divan, et observer la scène comme s'il s'agissait d'une vraie source de distraction, mais le liquide poisseux qui s'enroulait autour de ses jambes lui ôta toute envie de croupir plus longtemps dans cette fosse sirupeuse. A chaque fois qu'elle tentait de s'agiter dans cette mare, on pouvait entendre des gargouillis indésirables, et la mage eut tôt fait d'arrêter ses tentatives vaines de s'en extirper. Une fois que l'individu était à nouveau paré après sa mésaventure avec Vradash, et que ses pensées se soient rassemblées, il daigna se rendre utile pour la tirer du marais qui la rongeait jusqu'à hauteur des cuisses.

« Beurk! »

ne put-elle réprimer en observant le résultat des dégâts. Une robe bonne à être brûlée et des jambes qui méritaient un bon bain pour se laver de cette souillure. Inutile d'ajouter l'odeur pestilentielle qui s'en dégageait. Après s'être remise de ses émotions, Sigrid redressa son visage pour tomber nez à nez avec ledit « sauveur ». Sans la moindre gêne, et comme elle avait coutume de le faire, elle le dévisagea de la tête aux pieds, laissant ses prunelles ambrées se promener sur la silhouette du damoiseau, poursuivant leur chemin jusqu'à l'angle de sa mâchoire, détaillant les cicatrices qui embrassaient son visage avec engouement, pour finir leur course sur ses orbes qui respiraient une certaine maturité.

« Merci. Ce n'est pas ce gros matou qui allait me prêter main forte pour m'aider à sortir de ce trou. Il se nomme Vradash. Rassurez-vous, il ne vous fera rien, tout du moins si je ne lui en donne pas l'ordre. »

termina-t-elle, énigmatique. Certes, ses derniers mots ne se voulaient pas rassurants, mais la mage noire aimait taquiner de temps à autre.

C'était amusant de constater le parfait contraste qui résonnait entre ses paroles et son état d'âme. Son rire sonnait faux. Était-il mal à l'aise? Point étonnant quand un lion vous fixait avec un appétit non feint, et que l'on se trouvait dans ces charmants lieux qu'étaient les marécages. Oui, les raisons pour quitter l'endroit étaient nombreuses.

« Si c'est l'odeur qui vous effraie, rassurez-vous, je connais quelques méthodes pour enlever les odeurs les plus acariâtres. J'ai déjà été confrontée à bien pire que ces relents pestilentielles. En attendant, puisque vous ne semblez pas occupé par d'autres affaires, vous pourriez m'aider dans ma quête? Je recherche une plante qui vit dans les marais, l'Aconit Napel. On les reconnaît facilement par leur clochette mauve. »

Elle se gardait bien de lui dire qu'il s'agissait d'une plante les plus toxiques du continent, elle ne tenait pas à le voir déguerpir comme un lapin.

« Une heure suffit, après quoi nous pourrons nous laver de cette puanteur. »

Un sauveur ridiculisé au possible. Si on parlait d'honneur le sien était bafoué. Cependant, l'honneur d'un homme aillant tué son père ne signifiait plus rien, alors cet affront lui passait au-dessus du crâne, certes en l'agaçant un poil mais les règles de bienséances lui dictaient de ne pas le montrer. La victime avait l'air de tout sauf d'une victime, la faute à ce sourire agaçant qu'elle arborait depuis que le lion s'était jeté sur lui et qu'il s'était relevé le dos couvert d'un mélange inexplicable de senteurs diverses. Marcher sur un sentier de montagne était dix fois plus sécurisé que d'aller dans des marécages. Il aurait du suivre l'instinct qui lui hurlait aux oreilles de ne pas s'y aventurer d'avantage. Mais non, il n'en faisait qu'à sa tête!

"Beurk", c'était bien le mot pour décrire la scène en effet. Il était beurk de la tête au pied, elle n'allait pas tarder à éclater de rire si jamais il lui tournait le dos alors il devait se débrouiller pour rester de face en toute circonstance. Le temps qu'elle fasse son inspection, Masaku avait pris le temps de l'observer un tant soi peu. Une belle femme, si ce n'est qu'elle était taquine depuis la première seconde de leur rencontre. Où sont passées les femmes distinguées? Depuis quand aimait-il les femmes distinguées? Ses sourcils se fronçaient en y réfléchissant et leurs regards avaient eu le malheur de se croiser pile au moment où elle lui annonçait qui si ça l'amusait elle pouvait ordonner au lieu de le bouffer. Tout à fait charmant.

"Oh oui, d'un coup je vois d'un tout autre oeil le regard que pose ce lion sur moi en se léchant les babines."

Rassuré qu'il était, bien sûr qu'il avait les choquottes. Il serait inhumain de ne pas sentir l'insécurité qui régnait dans ces marécages. Si ce n'étaient pas les bourbiers, c'était un lion blanc et sa maitresse. Les terres de Nel Beraid grouillaient d'individus en tout genre. Lui même était un cas isolé parmi tant d'autres lorsqu'on y jette un regard objectif. Enfin, Masaku manifesta un net intérêt en apprenant qu'il n'allait peut-être pas avoir à jeter ses vêtements ou à les donner à un désensorceler pour faire fuir la puanteur. Pour se faire, il suffirait "juste" de l'accompagner cueillir des plantes… Pour ça, il y a des jardins sécurisés, des lieux sentant la rose ou des boutiques plus ou moins correctes. Mais puisqu'elle faisait partie de ceux qui se brisaient les gonades à faire le déplacement, il était obligé de suivre le petit groupe qu'ils formaient désormais.

"Est-ce que cela semble si flagrant que je n'ai rien de mieux à faire?"

Le vagabond croisa les bras comme si il allait répliquer quelque chose, mais il les abaissa au final en haussant les épaules et lâchant un soupir à en ébranler le plus insensible des hommes.

"Allons donc trouver votre plante quoi qu'elle soit…"

Son pied s'avança de côté mais son corps se bloqua dans son élan si bien que sa personne effectua un pas de côté assez suspect. Ne pas oublier qu'elle ne devait pas voir son dos! Affichant un sourire amical qui le rendait d'autant plus suspect, il proposa à contre coeur:

"Ouvrez le chemin, je couvre vos arrières avec votre ami lion."

Sigrid toisa l’individu, ou plus exactement « le faux héros », avec insistance. Ses doigts vinrent caresser la tête de lion qui ronronna de plaisir sous cette marque d’affection non négligeable. Elle savait se faire pardonner. Néanmoins, Vradash ne put s’empêcher de dévisager le nomade comme s’il ne s’agissait que d’un vulgaire casse-croûte. Il y avait des moments comme ça où il était préférable qu’il soit en compagnie de la mage noire, question de survie pour les pauvres cibles de ce félin à l’appétit dévorant. La jeune femme pesta intérieurement sur sa robe souillée, jurant que la prochaine fois, s’il y en avait une, elle se vêtirait d’un simple pantalon, question pratique. Elle s’amusa de la panique qui avait gagné le jeune homme à l’entente de ses propres mots. Il faut dire qu’elle n’avait pas pour habitude de rassurer les gens, que du contraire. Un simple sourire énigmatique lécha ses lèvres empourprées en guise de réponse aux craintes du damoiseau. Décidemment, ce petit bonhomme semblait bien émotif, et Vradash semblait se faire un plaisir d’éveiller une pointe d’anticipation chez lui.

Était-ce si flagrant de voir qu’il n’avait rien de mieux à faire ? Eh bien oui, tout du moins, rien qui ne soit plus important que sa quête. Si elle ne trouvait pas l’Aconit Napel aujourd’hui, elle ne pourra pas confectionner son nouveau parfum qu’elle comptait bien mettre sur le marché infernal pour les plus intéressés. Bien sûr, elle ne se contenterait pas de le distribuer à n’importe qui, et surtout pas aux scélérats qui trainaient dans les venelles de l’Antre du Diable pour des broutilles. De bouche à oreille, elle attirait comme le doux nectar attire une abeille les bons poissons, attisant le feu qui crépitait au fond de leur tanière psychique pour en faire des monstres aux sombres desseins. Car oui, certains de ses parfums étaient toxiques, et une fois inhalé, on pouvait mourir dans la minute qui suivait. Sigrid jubilait déjà à l’idée de s’atteler à la confection de son parfum, trépignant d’impatience comme une enfant. Lorsque le jeune homme lui proposa d’ouvrir la marche, la mage noire y décela un secret honteux que son nouveau compagnon de voyage désirait lui cacher. Elle se contenta de hausser les épaules et passa devant lui. Vradash, lui, préféra rester derrière ce délicieux bout croquant, le jaugeant de la tête aux pieds pour l’inciter à suivre Sigrid.

« Et bien vous venez ? N’ayez crainte, Vradash surveille vos arrières »

ajouta-t-elle, un brin ironique.

Elle se mit en hâte, jouant la touche de la prudence, peu friande des mésaventures auxquelles elle venait de goûter. Elle ne tenait pas à se salir encore plus qu’elle ne l’était déjà.

« Mais dites moi, si ce n’est pas indiscret, pourquoi un… ‘Valeureux’ jeune homme comme vous trainait par ici ? Une promenade de santé ? Une envie de patauger dans ces bains visqueux ? Laissez moi devinez, vous cherchiez une pauvre demoiselle à sauver ? Ou peut-être êtes vous simplement perdu ? »

La mage noire s’amusait à supposer d’innombrables raisons pour lesquelles ce bonhomme serait venu dans cet endroit plus qu’indésirable.

Que la femme soit aussi proche de l'animal était dérangeant. Masaku n'était pas à l'aise avec les animaux. Le lion était une des raisons. Mais c'était également le cas pour toute race, que ce soit un chien, un chat, un lapin ou un chameau, tous étaient dans le même sac même si certains se montraient affectueux. Déjà qu'il avait du mal à s'occuper de sa relation vis à vis des humains, le nomade réfléchirait plus tard à la manière d'aborder ces bestioles poilues. La manière actuelle de gérer la situation était d'établir un périmètre de sécurité. Ensuite, il fallait réagir en fonction de la situation. Si le lion ouvrait la gueule, il reculait de deux pas. Si il mettait une patte en avant, lui ferait un pas en arrière. Et si il le fixait vilainement, Masaku resterait immobile à imaginer ce qui pourrait se produire. Tout à l'heure, il s'en était fallu d'un cheveu. Un peu plus et il était étêté, puis désossé. Le bruit de craquement des os sous ses dents… Un frisson parcourait l'échine du nomade qui venait de marcher sur une branche. Il ne devait être aussi nerveux. Après vingt-cinq ans, il avait assez vécu pour ne pas se laisser ébranler par si peu.

N'importe qui pouvait tout de même admettre que cette femme était louche! Sa manière de sourire, de choisir son compagnon aussi. Rha, il en avait par-dessus les bottes de toute cette histoire. Optant pour la solution de facilité, à savoir fixer elle qui était plus rassurante à regarder dans certaines mesures que l'autre fauve, le vagabond écoutait la requête qu'on lui forçait quasiment à accepter. Masaku se demandait en quoi il pourrait se montrer utile sachant qu'il n'avait jamais vu ce genre de plante de sa vie. Niveau sécurité, elle s'en sortirait assez bien avec son "Vradrash" qui devait être assez fort pour la tirer d'un bourbier. Etait-il juste une source d'amusement le temps du voyage? Un amusement dont on se délecte jusqu'à la dernière goutte et que l'on dévore à pleine dent?

Ainsi, rester derrière était là une décision sécurisée, à la fois pour ne pas avoir ces inconnus dans son dos, également pour qu'on ne voit pas son dos et pour finir, pour pouvoir s'en aller en douce si jamais l'occasion se présentait. Vu la situation et le peu de cachettes possibles, la dernière solution était bien utopique. Le plan du nomade ne se déroula pas comme prévu. Plutôt que de contredire l'inconnue au risque de passer encore plus suspect qu'il l'était déjà, il dut capituler pour l'ordre de marche. Le lion n'aurait pas intérêt à rire en voyant son dos crotté ou sinon… Tiens, dans un sens, le fait qu'il soit sale était possible son salut? On ne mange pas un vagabond puant n'est-ce pas? Ce serait mauvais pour la digestion.

Etant donné qu'ils n'allaient pas trouver en une seconde la plante recherchée, ce qui aurait été trop beau pour être vrai, la femme faisait semblant de s'intéresser à lui en émettant les multiples hypothèses de sa présence. Si elle ne l'avait cité, il aurait pu dire sans complexe qu'il s'était perdu, mais maintenant qu'elle avait cité cela dans la liste, le voilà dans l'impossibilité de lui donner raison, question de principes. Son explication n'allait pas être terriblement glorieuse dans tous les cas.

"J'empruntais un raccourci pour rejoindre le désert."

Si sa géographie était bonne, le désert se trouvait bien à côté des marécages. Le jeune homme fit mine de chercher la plante sans vraiment regarder pour donner l'impression qu'il était impliqué dans la quête vitale de la femme et dissimuler l'histoire à dormir debout qu'il venait de proférer. N'importe qui, sain d'esprit emprunterait le chemin extérieur, quitte à rallonger le temps de trajet plutôt que de couper par ces chemins ci. De toute façon, avait-il l'air d'une personne "sensée"?

"Et vous dites-moi, à quoi peuvent bien servir ces plantes? Un poison? Une infusion pour des nuits paisibles? Un calmant pour lion?"

La dernière supposition était adressée directement à son meilleur ami, une pique qu'il ne s'empêcha pas de lancer alors qu'il devait garder profil bas pour ne pas élire domicile dans son ventre dodu.

"Si vous me donniez des pistes comme par exemple, l'endroit où elle pousse en général, cela me faciliterait la tâche plutôt que de regarder de mes pieds au sommet de ces arbres morts."

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