Dis comme ça, le Fleuve Radieux semblait être une excellente destination. Neelahn avait hâte de voir si ce cours d’eau était aussi « radieux » qu’il le prétendait l’être. Et puis, même si elle appréciait beaucoup Bénécius, elle commençait avoir le mal du pays Trop de monde, trop de pavés et pas assez de verdure.
Et alors que la druidesse commençait à rêvasser, Cirdan s’impatienta. Elle attrapa sa main et ensemble, ils se dirigèrent vers le fleuve. Mais voilà, l’elfe qui ne s’attendait pas à avoir des ennuis (probablement parce qu’elle n’en avait jamais eu), Daigho vînt s’enrouler autour du poignet du nomade ainsi que de la sienne. Au début, cela la fit rire, se disant que le serpent avait visiblement l’air d’être content que Cirdan se soit trouvé une amie.
Pourtant, le sourire de l’elfe se transforma bien vite en grimace lorsque le reptile s’enroula trop fortement autour des deux mains. Le nomade secoua la sienne, tentant désespérément de faire partir le cobra mais celui-ci ne lâcha pas prise. C’était comme s’il s’était transformé en une solide corde. Et comme les deux individus ne voulaient pas faire de mal à la pauvre bête, ils se laissèrent faire (bien que Cirdan ne put s’empêcher de menacer Daigho).
Tigrou, lui, ne semblait visiblement pas se préoccuper du sort des deux jeunes gens et se contentait de marcher à côté d’eux d’un air las. Neelahn le soupçonna d’être toujours en train de bouder mais la lueur qui brillait dans ses prunelles la laissa perplexe.

Quand ils arrivèrent tous ensemble au Fleuve Radieux, Neelahn cru que des siècles s’étaient passés et pourtant, elle était habituée à faire des marches beaucoup plus longues que ça ! Mais bon, il fût vrai aussi qu’elle n’avait pas été accoutumée à avoir un serpent un peu toqué autour de son poignet.
Et lorsqu’il daigna enfin desserrer son étreinte, Neelahn se précipita vers le fleuve et y plongea sa main.

« Il doit être un peu facétieux. C’est tout. » répondit-elle simplement à la remarque de Cirdan.

Et lorsqu’elle se retourna pour voir si le nomade allait bien, elle l’aperçu rougir. Elle n’aurait su expliquer pourquoi mais à cet instant là, ses joues prirent une jolie couleur pourpre à leur tour et elle ne s’en rendit même pas compte.

« Je crois que je n’ai jamais eu aussi mal à la main de toute ma vie. » dit-elle.

Puis, en voyant Daigho, elle repensa à la manière dont il s’était enroulé autour de son poignet ainsi que celle de Cirdan. Elle éclata de rire. C’était un peu stupide, la manière dont elle avait eu mal.

Les jambes étalées sur l’herbe et les mains derrière le dos, Neelahn contempla le cours d’eau. Ses yeux s’attardèrent sur les roseaux et les fleurs. Certaines d’entre elles ne poussaient pas dans la forêt. Intriguée, l’elfe se mit sur le ventre et alla chatouiller du bout des doigts les pétales. Elle s’amusa ensuite à les reproduire à l’aide son pouvoir. En quelques minutes seulement, un petit tas de copies avaient germées à côté des originaux. Neelahn éclata de rire. Elle trouvait ça drôle.

« Hé regarde ! C’est marrant ! »

Après avoir montré du doigt ce qu’elle venait de faire, Neelahn baissa ses yeux au-dessus de l’eau. Elle se demandait si des poissons s’y promenaient… et lorsque l’un d’eux sauta sur son petit nez, elle sursauta. Des fois, elle avait vraiment de drôles de questions. Pourquoi n’y aurait-il pas eu de poissons dans ce fleuve ?
Plongeant sa main douloureuse dans l’eau, elle caressa du bout des doigts le dos des poissons qui la fuyaient à toute vitesse. Elle se demanda alors si, comme dans l’oasis, elle trouverait un autre coffre contenant des pierres précieuses et des pièces d’or.
Sa main se referma alors sur un petit caillou.
Apparemment, il n’y avait pas de trésor dans ce fleuve. Dommage…

Si Cirdan n’avait pas été là, Neelahn se serait volontiers roulé dans l’herbe. Mais il était là et elle ne voulait pas passer pour une idiote. Il semblait si sérieux. Profitait-il de la vie de temps en temps ?
Humant le parfum de l’herbe et des fleurs, elle se surprit à penser qu’il était bientôt temps pour elle de rentrer chez elle. Les arbres, la mousse et les animaux de la forêt commençaient à lui manquer. C’était la première fois qu’elle partait si loin et si longtemps de « sa maison ».
Et pourtant, elle avait aimé tous ce qu’elle avait vus. Elle avait adoré jouer aux dés avec la mystérieuse femme aux cheveux noirs, apprécié sa rencontre avec Bleuet et son drôle ami, savouré de délicieux petits plats avec Xadr. Et puis, il y avait Cirdan qui était là à ses côtés. Une partie d’elle voulait rester ici et continuer à découvrir le monde tandis que l’autre partie aspirait à rentrer chez elle.
Neelahn pesa alors le pour et le contre. Faisant des petits ronds à la surface de l’eau avec le bout de son index, elle se dit que, de toute façon, elle devait rentrer. Elle avait des choses à donner aux druides et ne pouvait pas se permettre de continuer son exploration du monde. Mais elle se dit qu’elle reviendrait. Elle passerait à Naturalia pour voir Ambrosia. La femme lui avait proposé de visiter la Tour Naturelle mais même si l’elfe avait fait un saut dans la cité des mages rouges, elle n’avait pas eu l’occasion de la revoir. En réalité, maintenant qu’elle y pensait, Neelahn fut un peu honteuse de réaliser qu’elle avait oublié de passer voir Ambrosia. Tellement de choses se sont passées ! Mais quoi qu’il en soit, dans un coin de sa tête, Neelahn se promit d’aller voir la femme la prochaine fois qu’elle viendrait à Naturalia.

Posant son coude sur l’herbe et appuyant sa tête sur la paume de sa main, l’elfe cherchait un présent à offrir à la mage rouge. Elle s’était montrée si gentille avec elle lors de leur rencontre.
Mais alors qu’elle se demandait ce qui lui ferait plaisir, Cirdan lui posa une question étrange. En réalité, elle n’était si étrange que cela mais Neelahn n’aurait jamais cru un seul instant que le nomade aurait pu un jour posé cette question. Il était si terre à terre…

« Hé bien… »

Trop tard. Alors qu’elle commençait à lui répondre, Cirdan changea d’avis, comme si tout d’un coup, il n’avait que faire de la réponse. Neelahn en fut d’autant plus surprise. Elle eût alors l’impression qu’il ne voulait pas assumer ce qu’il venait de demander, comme s’il trouvait cela stupide. Pourtant, la druidesse trouvait cela tout à fait naturel de se poser ce genre de question.
Elle décida alors d’y répondre, même si l’homme avait changé d’avis.

« C’est génial. Tu peux aller où tu veux, voir le monde sous tous les angles. Et puis, tu ne portes rien sur toi, tu te sens tout léger. Au début, je trouvais ça inutile de me transformer en oiseau mais avec le temps, ça m’a permis de m’évader et de découvrir pleins de choses que je n’aurais pas pu connaître si je n’avais pas pu voler. »

Elle ne savait pas ce qui lui avait pris de lui raconter ça. Elle était persuadée qu’il allait se moquer d’elle. Elle se savait rêveuse. Cirdan allait trouver cela puéril. M’enfin, au moins, il aura eu la réponse et qui sait, peut-être qu’il adhérera à sa façon de penser et arrêtera de prendre les choses de façon si négative.

Joignant le geste à la parole, Neelahn se transforma en oiseau. Elle tourbillonna un instant autour de la tête de Cirdan et s’immobilisa à quelques centimètres de son nez. Il put alors entendre le vrombissement de ses ailes, caractéristiques des colibris.
Elle vola de haut en bas, d’avant en arrière, lui montrant ainsi toutes les cabrioles dont elle était capable d’exécuter. Puis, elle quitta le nomade un instant pour faire le tour du fleuve radieux.
Lorsqu’elle revînt, elle aperçu Tigrou, assis bien droit devant le serpent. Il grognait doucement, comme s’il était en train de converser avec Daigho. Il donna même un petit coup de patte amical. Perchée sur une des épaules de Cirdan à ce moment là, Neelahn trouva cela très étrange…

Hey mais ce n’était qu’elle !
Surprise du geste du nomade, le colibri recula vivement en arrière, restant tout de même à portée de main. Du fond de son petit gosier, il émit une série de gazouillis peu plaisants. Heureusement pour l’homme, ils ne durèrent qu’un bref instant. Immobile, l’oiseau contemplait l’être qui avait tenté de le chasser. On aurait presque dit qu’il penchait la tête, se demandant pourquoi le nomade avait agit ainsi.
Puis, celui-ci s’excusa et les yeux du petit oiseau pétillèrent. S’il l’avait pu, il aurait certainement sourit…
Enfin ! Il venait de le reconnaître ! Comment avait-il pu faire pour mettre autant de temps ? Content, le colibri produisit une série de vocalisations plus mélodieuses que précédemment. Décrivant des cercles, il semblait dire « oui ! c’est moi ! regarde ! » et finit par aller faire le tour du fleuve pendant que Cirdan le regarder voler ici et là.

Lorsqu’il estima avoir fait le tour des lieux, le colibri vînt se percher sur l’épaule de Cirdan, qui, apparemment surpris, tenta une nouvelle fois de le chasser. L’oiseau déploya ses ailes et resta en suspend dans l’air. Et quand le nomade compris que ce n’était que elle, l’animal se posa délicatement sur l’épaule, le fixant intensément du regard pendant que celui-ci lui confia qu’il n’était pas aussi terre à terre qu’il n’y paraissait…
Mais voilà que ce sombre crétin de bipède se remit à bouger, ayant apparemment oublié que quelqu’un s’était perché sur lui. Une nouvelle fois, le colibri s’envola dans les airs. Furieux, il émit quelques notes grinçantes. Tourbillonnant nerveusement au-dessus de la tête du nomade, il finit rapidement par se poser sur l’herbe. Il vînt ensuite sautiller vers son visage. C’était la première fois que Neelahn le voyait si pensif…

Debout devant lui, elle se demandait s’il était triste. Ne sachant pas quoi faire, elle resta là, bêtement, à le contempler. Heureusement qu’elle était sous sa forme animale. Sous son autre forme, elle aurait eu une triste mine. L’avantage, avec les animaux, c’était qu’on ne savait jamais vraiment à quoi ils pensaient, sauf si on était très proche d’eux.
D’habitude bien bavarde, Neelahn ne trouva cette fois-ci rien à dire. C’était peut-être mieux ainsi. Et, de toute façon, Cirdan ne lui aurait sans doute pas répondu si elle lui avait posé une question. Plongeant son regard dans le sien, elle s’aperçut alors que le nomade n’était plus tout à fait sur terre…
Déployant ses ailes, elle décida alors de le laisser méditer, se demandant tout de même ce que signifiaient les derniers mots qu’il avait sorti ; ceux qui précédaient sa pétillante remarque…

En quelques secondes seulement, Neelahn vînt se poser près entre Tigrou et Daigho. Levant la tête vers les deux animaux, elle se sentit tout d’un coup affreusement petite. D’habitude, quand elle se transformait, elle avait coutume de rester bien haut dans le ciel. Là haut, près des nuages, elle se sentait inatteignable. Mais là, elle était debout entre un tigre et serpent. Soudainement, elle se sentit faible et fragile. Ses ailes se plaquèrent contre son corps donnant l’impression qu’elle se recroquevillait. Elle commençait à se demander si elle avait bien fait d’atterrir ici. Tout comme Cirdan, peut-être que Daigho avait oublié qu’elle était capable de se transformer en colibri et peut-être qu’il la prendrait pour du gibier ? De là où elle était, le reptile lui semblait si impressionnant…
Levant la tête vers Tigrou, elle l’aperçut en train de l’observer tendrement. Ce regard affectueux lui permit de reprendre confiance en elle. Elle savait bien que son ami ne laisserait personne lui faire de mal.
Sifflant joyeusement, Neelahn tenta alors de s’immiscer dans la discussion des deux animaux. Sautillant vers le tigre et ensuite vers le serpent, elle essaya de comprendre le sujet de conversation. Tigrou faisait « Grrrr » et le Daigho répondait par « Tsss ». Pour s’amuser, elle lança un « piouuuuu ». Son ami baissa alors la tête vers elle et la regarda comme si elle avait sortie une ineptie titanesque. Elle se sentit tout d’un coup ridicule.

Sautillant quelques pas en arrière, elle prit son envol et revînt vers Cirdan. Et cette fois-ci, elle prit bien la précaution de ne se pas poser sur son épaule et se tînt bien droite devant son visage pour qu’il s’aperçoive de sa présence. Le questionnant du regard, elle voulait qu’il lui parle de lui et de son passé. A ce qu’elle avait comprit, il ne le connaissait pas, ce qu’elle trouva bien étrange. Tout le monde avait un passé et, même s’il n’était pas forcément toujours joyeux, on se rappelait tout de même de ce que l’on avait vécu.
A cet instant, Neelahn repensa à son père qui avait trouvé la mort dans de tragiques circonstances et de sa mère qu’elle n’avait jamais connue. Baissant la tête au sol, elle gratta doucement la terre avec l’une de ses pattes. Elle se dit que cela faisait bien longtemps qu’elle ne s’était pas sentie soudainement aussi triste.
Relevant les yeux vers Cirdan, elle se demanda alors si lui aussi, il lui arrivait d’avoir du chagrin…

Bah quoi ? Pourquoi la regardait-il ainsi ? Elle n’avait rien fait ! Inclinant la tête sur le côté, Neelahn questionna Cirdan du regard. Mais apparemment, il n’avait pas eu l’air de comprendre. Tant pis. Ce n’était pas grave.
Elle l’aperçut approcher prudemment son index pour venir lui gratouiller le sommet du crâne. Plissant les yeux et baissant la tête, elle se secoua tout le corps lorsqu’il eût terminé. Peut-être que la plupart des bêtes auraient appréciés mais elle, elle n’avait pas aimé du tout. Elle avait eut la brève impression qu’il allait l’écrabouiller comme un vulgaire ver de terre mais connaissant le nomade, jamais il ne lui ferait cela, n’est-ce pas ?

« T’es moins bavarde comme ça on dirait. C’est pas plus mal. » lui dit-il alors tout en riant.

Même si elle était consciente qu’il se moquait d’elle, la druidesse se sentit un peu vexée. Avec sa patte, elle se remit à gratouiller le sol. Était-il donc en train d’insinuer qu’elle parlait trop et que cela lui tapait sur les nerfs ? En même temps, maintenant qu’elle y repensait, ce qu’elle disait n’avait toujours pas un grand intérêt.

* Ah ça… Si tu savais… *

Cirdan put alors entendre ces petits mots raisonner dans sa tête. Il n’aurait sans doute aucun mal à deviner que cette petite voix aigue appartenait à Neelahn. La druidesse, lorsqu’elle se transformait en animal, était dans l’incapacité d’utiliser ses pouvoirs et de parler. En revanche, elle avait la possibilité de communiquer par télépathie mais ça, elle ne le savait pas encore. Disons que cette aptitude ne s’était pas éveillée en elle aussi tôt qu’elle aurait voulu et, après avoir essayé à plusieurs reprises, elle avait finalement pensé que la déesse de la Nature avait oublié de lui donner cette caractéristique.

Tournant la tête vers le nomade, Neelahn l’aperçut en train d’admirer le ciel. C’était tout de même bizarre de le voir comme ça. Elle se sentait presque mal à l’aise. Au final, pouvoir se métamorphoser en oiseau était utile pour dissimuler ce que l’on ressentait...
D’humeur facétieuse, Neelahn vînt tourbillonner quelques instants au-dessus de la tête du nomade. Elle alla ensuite se poser un peu plus loin, à côtés de ses vêtements, pour reprendre sa forme originelle. Elle s’habilla puis revînt s’asseoir en tailleur à côté de l’homme.

« T’as pas faim, toi ? »

Neelahn entendit son propre ventre gargouiller. De la main, elle tapota dessus un instant, comme si ce simple geste suffirait à arrêter les petits bruits qu’il faisait.
Mine de rien, sa journée avait été bien remplie. Pourquoi ne passerait-elle pas au Chaudron Étoilé avant de retourner chez elle ? Elle serait au moins certaine qu’elle repartirait le ventre rempli et aurait mangé des mets succulents. Mais bon, à bien y repenser, l’elfe se sentait un peu fatiguée et n’avait pas le cœur à marcher jusqu’à l’auberge. Alors, en attendant de s’être un peu reposé les jambes, elle prit son sac et y sortit un gros morceau de fromage et du pain. Elle en coupa un bout et par politesse, elle en proposa à Daigho et à Tigrou. Elle savait qu’ils déclineraient tout les deux son offre mais elle ne voulait pas leur donner l’impression qu’elle les avait oublié.

« Tu en veux ? » demanda-t-elle ensuite à Cirdan sans lui avoir laissé vraiment le temps de répondre à sa précédente question.

Neelahn découpa ensuite son morceau de pain en deux où elle déposa son morceau de fromage. Déposant le tout sur l’herbe, elle alla ensuite fouiller dans son sac. Après avoir fait cogné des fioles et autres objets entre eux, elle réussit à sortir deux verres et une gourde d’eau. On aurait pu alors se demander ce qu’une voyageuse solitaire pouvait faire avec deux verres… Hé bien tout simplement en prévision que l’un d’eux ne se casse. Certes, ils n’étaient pas en verre mais on ne sait jamais…

« Il faut bien qu’on mange, non ? Regarde, même Daigho a tellement envie de manger qu’il serait près à avaler n’importe quoi. »

Elle rit en voyant le cobra s’approcher de son ami pour lorgner le bout de fromage. Elle décida alors d’en couper un petit bout qu’elle déposa à côté du reptile. S’il n’en voulait pas, elle pourrait toujours le manger à sa place. Tigrou, quant à lui, préférait mettre dans son gosier quelque chose de plus consistant. Et puisque, apparemment, il était l’heure de manger, il abandonna un instant le petit groupe pour aller chercher de quoi se remplir le ventre.

« Bah un luth… » dit-elle la bouche pleine de fromage et de pain lorsque Cirdan lui montra son instrument.

Puis, à sa grande surprise, il se mit à jouer. Décidément, il n’arrêtait pas de l’étonner. Au final, il n’était pas aussi ronchon qu’il en avait l’air. Il suffisait juste d’apprendre à le connaître pour s’apercevoir qu’il pouvait être une personne tout à fait sociable et sympathique.
Le nomade se mit à émettre deux petits accords. Neelahn l’écouta sans rien dire. A aucun moment elle ne l’aurait cru capable de jouer d’un instrument. Tout simplement, l’elfe ne le voyait pas comme un artiste. Jusqu’à présent, elle l’avait considéré comme un être terre à terre et un peu trop pessimiste. Mais apparemment, elle s’était trompée.

« Tu sais y jouer depuis combien de temps ? »

La druidesse ne s’était même pas demandée au préalable si Cirdan savait jouer de la luth. Le simple fait de l’avoir vu sortir son instrument de musique et d’avoir gratté quelques cordes lui avait suffi. Peut-être était-elle sur la mauvaise route mais sur l’instant, elle ne pensait pas se trompée.
Admirant l’objet que le nomade tenait entre les mains, elle se dit qu’elle n’avait jamais eu l’occasion d’apprendre à faire de la musique. Comme le commun des mortels, elle savait chanter mais sans plus. Sa voix était juste mais n’avait rien d’exceptionnelle.
Des fois, rêveuse, elle s’imagina peintre ou poète. Elle se voyait esquisser de magnifiques paysages et composer des vers. Une fois, elle avait tenté de tenir un pinceau entre les doigts mais son œuvre aurait pu être comparé à celui d’un chimpanzé. En ce qui concerne la poésie, elle supposa tout simplement qu’elle n’avait pas assez de vocabulaire.

Assise en tailleur sur l’herbe, elle se pencha légèrement sur le côté pour se saisir de sa gourde d’eau. Elle remplit son verre et le bu d’un trait. Même si la journée était loin d’être terminée, elle pensa qu’elle l’avait tout de même bien remplie.
Ses yeux se posèrent sur le bâton du schnock qu’elle venait d’acquérir. Il pourrait être intéressant de l‘animer afin de connaître son fonctionnement. Toutefois, elle ne voyait pas sur qui elle pourrait le tester. Après tout, cet artefact n’était pas fait pour faire apparaître de la nourriture et la druidesse ne se voyait pas faire du mal à des personnes qui ne lui avaient rien fait. Alors, après une courte réflexion, elle songea qu’elle aurait certainement une occasion à un moment donné ou à un autre d’utiliser le bâton du schnock.

« En tout cas, tu as un très joli instrument de musique… »

Reportant son attention sur le luth, elle contempla le bois dans lequel il avait été confectionné. Combien de temps fallait-il au juste pour construire un instrument de musique ? Était-ce compliqué ? Et d’où provenaient ces cordes ?
Ah ! Ce qu’il en avait de la chance de posséder une pareille merveille sur lui. D’une certaine manière, Neelahn enviait un peu le nomade. A elle, on ne lui avait jamais appris à jouer d’un instrument ou à un peindre. On lui avait seulement montré comment survivre en forêt. D’un côté, en tant que druidesse, ce n’était pas plus mal… mais bon… C’était un peu trop terre à terre.

Incroyable. Bouche bée, Neelahn regardait les doigts de Cirdan gratter les cordes de son luth. Mais où avait-il donc appris à jouer ainsi ? Et en plus, il chantait ! Il chantait mieux que tous les musiciens qu’elle avait eu l’occasion de croiser jusqu’à présent. Ceci en était tellement surprenant qu’elle réussit, pour une fois, à se taire pendant plus d’une minute. Tel le chant d’une sirène, la druidesse semblait comme envoutée par la musique. Elle ne bougeait plus, respirait à peine et fixait intensément l’instrument de musique comme une luciole attirée par la lumière. Le moins qu’on puisse dire, ce fût que Cirdan avait un sacré don pour jouer avec son comportement.

Puis, lorsque la musique se fût éteinte, Neelahn battit plusieurs fois des paupières comme si on avait cessé de l’hypnotiser. Elle avait du mal à croire ce qu’elle venait d’entendre si bien que lorsque le nomade lui demanda ce qui s’était passé, elle se contenta de le regarder d’un air abasourdi. Ce ne fût que lorsqu’il répéta sa question que l’elfe réagit :

« Hein ? Quoi ? »

Oula. Elle avait l’impression que deux neurones s’était percutés de plein fouet dans son cerveau. Pourquoi lui demandait-il cela ?
Secouant la tête de gauche à droite pour se réveiller, elle regarda le nomade sans comprendre. Elle était un peu sonnée et dut attendre encore quelques petites secondes avant de retrouver ses esprits. Et lorsque ce fut fait, elle ne put s’empêcher de dire :

« Tu te moques de moi là ? »

La druidesse éclata de rire. Elle était bien bonne celle-là ! Un peu plus, et elle l’aurait cru cet idiot ! Non seulement, il chantait merveilleusement bien mais en plus, il était bon comédien ! Qui aurait pu penser que Cirdan avait une âme si artiste ! Mais bon, tout de même ! Il aurait pu éviter de se moquer d’elle parce qu’elle s’était comportée comme un poisson rouge en le voyant chanter pour la première fois ! M’enfin, elle ne le prit pas mal.

« Tu es doué ! Très doué ! C’est incroyable ! C’est magnifique ! C’est génial ! T’as entendu ça Tigrou ?! »

Tigrou, lui aussi, avait apprécié la chanson mais sans doute pas autant que son amie. Après tout, il n’était qu’un félin. Alors, lorsque Neelahn lui demanda son avis, il se contenta de la regarder ainsi que Cirdan avec une indifférence royale. Puis, il s’étira et bailla, ce qui exaspéra la druidesse.

Quoi qu’il en soit, à aucun moment, Neelahn avait répondu directement à la question de Cirdan. Elle s’était simplement contentée de s’extasier sur ce qu’il venait de faire. Et après avoir regardé Tigrou s’allonger dans l’herbe, elle reporta son regard pétillant sur le nomade. Elle était complètement fascinée.

« J’aimerais bien être comme toi. » lâcha-t-elle alors.

Bien entendu, elle n’avait pas réellement réfléchi sur ce qu’elle venait de dire. Si elle l’avait fait, elle aurait bien entendu ajouté des « sauf pour ça et sauf pour ci et pas non plus ça, … ». Toutefois, elle trouvait cela tellement formidable de savoir aussi bien jouer d’un instrument et désormais, elle dût bien admettre qu’elle ne le voyait plus de la même manière. Et même si sa voix était un peu érodée, là encore, Neelahn ne l’entendait plus comme avant.

A bien y réfléchir, peut-être s’était-elle prononcée trop vite. Neelahn ne voulait pas être comme Cirdan. Cela semblait une évidence. Elle ne se voyait pas avec des cheveux blancs, se disant qu’avec une telle couleur, elle ressemblerait certainement à une ancêtre. Elle ne voulait pas non plus de son caractère de chien qu’elle trouvait insupportable. En revanche, elle n’aurait pas dit non à une voix exceptionnelle et à un instrument de musique dont elle aurait su maîtriser à la perfection. Mais tout ça, la druidesse se garda bien de le dire à voix haute. Elle savait d’ors et déjà comment le nomade réagirait. A coup sûr, il le prendrait très mal et malgré tous les défauts qu’il pouvait avoir, la druidesse l’appréciait bien et n’avait donc pas l’intention de le vexer. Mais si Neelahn tentait de faire attention à l’impact que pouvait avoir ses paroles, on ne pouvait pas dire que Cirdan en faisant autant, ce qui ne manqua pas de la vexer.

« Tu dois sûrement être un sombre crétin. Ça doit être ça. »

On ne pouvait pas dire qu’elle était vexée parce qu’il l’avait traité « d’esprit léger ». En fait, elle était énervée de voir qu’il ne faisait aucun effort pour être gentil avec elle alors qu’elle venait de ne pas dire ce qu’elle pensait tout bas justement pour ne pas le mettre en colère.
Alors, ce qu’il lui raconta, elle dut bien avouer qu’elle n’en avait rien à faire. Le fait qu’il était amnésique lui passa complètement au-dessus de la tête.

« Quelque chose à cacher ? Bah voyons… De loin, quand on voit tes cheveux, on l’impression que t’es un vieux centenaire humain. Tu as un caractère tellement effroyable que je me demande comment les gens peuvent te supporter. Alors peut-être que oui, contrairement à toi, j’ai eu la chance d’avoir une vie sereine mais ce n’est pas une raison pour que tu déverses toute ta frustration sur moi ! »

Neelahn n’était pas habituée à être en colère, si bien que sur le coup, elle se demanda si ce qu’elle venait de dire avait un sens… Oh et puis zut, elle n’en avait que faire. Ce nomade lui faisait perdre son temps.
Elle se leva, balança son sac sur son épaule. La situation devînt rapidement burlesque au moment où le sac atterri de plein fouet sur elle et manqua de la renverser par terre. Par chance, la druidesse était toujours sur ses deux jambes mais il ne faisait aucun doute qu’un bleu allait apparaît sur sa peau.
Lorsqu’elle appela Tigrou, ce dernier tourna la tête vers elle. Avec un port dédaigneux, il eut l’air de se demander ce qu’elle lui voulait. D’un ton sec, elle le dépêcha de revenir à ses côtés. Mécontent d’être interrompu durant sa thèse sur la meilleure façon d’attraper une proie, Tigrou resta assis à sa place. Pour une fois qu’il s’était trouvé un ami qui mangeait à peu près la même chose que lui et qui avait les mêmes « passe-temps »…

« Je te préviens, si tu ne veux pas venir, tant pis pour toi. Moi, je m’en vais, j’en ai marre. »

Le tigre émit un grognement. Il lança un coup d’œil à Daigho puis se redressa. Il marcha alors nonchalamment vers Neelahn qui était sans doute en train de se diriger vers la forêt.