Un navire dans la cour ! [Miranda & Luccia]

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Les deux enquêtrices demeurèrent patientes suite à une légère attente, assez agaçante vue la situation et l'état de précipitation dans lequel elles devaient être pour agir au plus vite, puisque l’opportunité qu'avaient les deux femmes ne serait pas éternelle. Mais la réponse à tous ces mystères vint enfin. La surprise fut telle que Luccia écarquilla les yeux durant de longues secondes... C'est qu'il en avait sous la botte celui-là ! Un pouvoir de téléportation aussi maîtrisé et puissant, elle n'en avait jamais vu. Et, voilà qu'elle comprenait pourquoi les maléfiques voulaient le mettre à leur profit. Ce pourrait être redoutable, et la druide ne regretta pas une seconde d'être intervenue dans cette affaire, même si elle demeurait plus sérieuse que prévue. Les conséquences pourraient être désastreuses s'il parvenaient à capturer ce Yorek, et à le soumettre à leurs exigences. Au passage, l'elfe pensa que l'autre homme noté comme « spécial » devait lui aussi avoir un pouvoir particulier... Une autre pensée lui vint en tête, au même moment :

* Comment cet homme a pu être aussi idiot pour se fourrer dans ce genre d'endroit miteux sachant qu'il était traqué ? *

Elle eut un léger soupir, inaudible de fait, avant d'être interrompue par un homme sorti de nulle part. Et... il venait de s’emparer de Miranda ! Voilà qui était fâcheux, la diversion avait duré encore moins longtemps que prévu. Peut être que les hommes de l'équipage étaient davantage préoccupés par Yorek que par l'homme à la mer en fait... Sûrement même vue la situation.

Pour sortir la shaman de là, et également pour tous les sortir de là au passage, il n'y avait plus trente six solutions. On pouvait craindre le pire quand à ce qui se passerait par la suite, mais ce serait tout de même certainement mieux que ce qui se passait à l'instant même, en pleine mer. La belle elfe lança donc un regard insistant à Yorek, tout en accompagnant ses paroles :

« Je crois qu'il est temps de mettre tes compétences à profit... »

Puis, après un instant d'hésitation, l'homme qui tenait Miranda en otage ne comprenant pas ce qu'il se passait, le bateau ainsi que toutes personnes à bord furent transportées, dans un énorme fracas, sur la terre ferme. Cependant, en voyant un décor familier, les remparts du château de Bénécius, Luccia comprit que ce ne serait pas forcément le meilleur endroit d'atterrissage pour un navire... Surtout qu'elle ne devrait pas traîner ici, après la mésaventure qu'elle avait vécue il y a quelques temps dans l'enceinte même du château. Vu ce qu'il s'était passé, elle serait très certainement reconnue ici... Mais pas dans les premières minutes, car voir s'échouer un navire dans la cour du château serait bien sur nettement plus surprenant pour les chevaliers habitués à une certaine routine.

N'étant plus sur l'eau, le bateau se mis a basculer, doucement, puis plus franchement, sur le côté, entraînant la chute de tous ceux qui y demeuraient. Personne ne comprenait ce qui leur arrivait, sauf bien sur Miranda, Yorek et Luccia. Ceci permit aussi à Miranda de se libérer de l'emprise de l'homme sur elle. Luccia n'eut pas le temps d'imaginer l'état des passagers en panique sur le pont, puisque elle s'occupa d'amortir sa chute. Elle sortit sa tête par une sorte de hublot de la cale brisé durant le transfert, et aperçu l'ampleur de la pagaille semée. En fait, les personnes autour demeuraient toutes bouches bées. Et, d'énormes flaques demeuraient sous leurs pieds. Comment leur expliquer ce qu'il se passait ? En tout cas, ils n'auraient pas forcément à s'expliquer aux passagers de cette manière, et ce n'était pas plus mal, car ils ne comprendraient pas forcément le piège soupçonné... Et puis, maintenant, ils étaient sur la terre ferme, donc sauvés, et aucun besoin de se justifier à eux. En revanche, il faudrait certainement s'adresser aux personnes gradées du château pour arrêter les individus soupçonnés, en leur soumettant les preuves. Donc, l'endroit était plutôt bien choisi finalement. Mais Luccia espéra ne pas croiser pour ce faire le Seigneur-Commandant qui, bien qu'ayant de bonnes intentions, serait bien surpris de la revoir là après la fuite inopinée qu'elle avait opéré avec l'Héritier Helkar pour le libérer de la pendaison dans l'enceinte même du château...

Miranda s'était toujours promis de ne jamais se faire prendre en traitre ou de toujours avoir une solution de rechange. Un plan B. Sauf que cette fois-ci, la jeune femme ne trouva pas de plan B. La poigne autour de sa gorge avait une telle puissance et sa surprise telle qu'elle se retrouva brusquement dans un état second. Même si elle n'était pas spécialement lourde, le poids de son corps mettait son cou déjà contraint au supplice. Des étoiles dansant devant les yeux, elle porta ses mains sur le poignet de l'homme, essayant de le faire lâcher prise. Peine perdue. Elle aurait pu essayer de lui briser les doigts à l'aide de sa télékinésie afin de libérer sa prise mais sa situation était telle qu'elle risquait avant tout de se briser la nuque. Ce genre d'exercice était "facile" sur autrui, quand on pouvait vraiment se concentrer... Mais là, sa position la privait de cette salutaire et nécessaire concentration. Il y avait sa téléportation aussi... Mais là encore ce pouvoir ne lui serait d'aucune utilité. Ainsi collé à elle, il suivrait le mouvement et cela ne l'aiderait aucunement. Et son dialecte de l'esprit, c'était trop tard pour l'utiliser. Elle se retrouvait véritablement tributaire de sa seule force physique, force qui, reconnaissons le, était plus que dérisoire en comparaison de celle de son agresseur...

Mais alors qu'elle se demandait si elle n'allait pas rejoindre la cohorte d'âmes en qui elle venait en aide, Luccia eut le bon réflexe de mettre à contribution le jeune Yorek. Leur environnement changea du tout au tout. Et si elle ne pouvait pas voir où le jeune noble les avait exactement téléportés, elle savait une chose. Ils n'étaient plus dans l'eau mais sur la terre ferme. Une terre particulièrement plate par rapport à avant car dans un grand craquement de bois maltraité, le navire commença à pencher sur un coté. Surprit, l'homme le fut certainement plus qu'elle et la shaman sut mettre à profit cette chance inespérée. Alors qu'il basculait vers elle et la faisait naturellement redescendre vers le sol, la jeune femme n'hésita pas une seconde et envoya brutalement sa jambe en avant. Un long hululement suraigu de douleur envahit l'espace alors que le marin portait ses mains à son entre-jambe, libérant ainsi une Miranda passablement essoufflée. Sauf qu'avec tout ça, elle se retrouva à chuter avec le marin au-dessus d'elle... Lorsqu'ils retrouvèrent une position "stable", la sidhe fut incroyablement surprise d'être encore en vie et, mieux, de n'avoir rien de cassé. Elle dut batailler pour démêler leurs membres mais elle parvint à se retrouver sur ses pieds, prête à mettre autant de distance que possible entre ce bateau et elle.

La jeune femme laissa le marin à ses gonades douloureusement broyées, préférant essayer de rejoindre Luccia et Yorek ce qui se révéla particulièrement ardu à cause de l'inclinaison que venait de prendre le navire. Elle espérait d'ailleurs que cette tentative désespérée n'avait pas fait plus de mal que de bien, des fois qu'il y ait des blessés au niveau des passagers... Non sans mal, mais grâce aux caisses solidement amarrées, elle parvint à rejoindre la druide et le jeune homme. L'elfe avait passé la tête par un hublot et savait donc où ils se trouvaient. Il y avait tellement de bruits qu'elle ne pouvait rien deviner. Tout juste pouvait-elle déduire que les lieux étaient peuplés... Elle lui tapota l'épaule pour signifier sa présence, gardant un oeil sur le marin et sur le noble au passage.

-Je ne sais pas trop où nous sommes actuellement mais je crois qu'il vaut mieux que nous sortions rapidement de là...

Passé le premier instant de surprise, les chevaliers commencèrent à s'organiser pour gérer cette soudaine apparition maritime. Erek n'était pas présent mais ses seconds étaient tout aussi efficaces pour gérer ce genre d'affaires. Ils scindèrent leurs hommes en deux groupes. Un premier fut envoyé vers les blessés, ceux qui étaient tombés par dessus bord ou qui avaient mal chuté, ils devaient aussi s'occuper des civils qui ne savaient plus du tout ce qui leur arrivait. Le second était plus offensif et était destiné à la sécurisation des lieux. Ne sachant d'où venait le navire, ils devaient se tenir prêts à n'importe quelle éventualité. Ce groupe là entreprit donc de fouiller le bateau à la recherche du moindre signe de menace. D'un autre coté, à moins d'avoir vraiment l'air vindicatif comme certains membres de l'équipage commençait à l'être, le trio ne risquait rien. Mais ils devaient faire vite pour faire entendre leurs raisons avant de finir dans une geôle...

-Ne vaudrait-il pas mieux que nous prenions le Capitaine avec nous en guise d'assurance?

Quelques secondes après que la druide ait sorti la tête du trou, la shaman lui signala sa présence par un léger tapotement de l'épaule. Tout le monde était sauf et sain après cette téléportation, au grand soulagement de la belle elfe. Luccia se retourna vers Miranda alors que celle-ci prit la parole. L'elfe savait très bien où elles étaient, puisque le lieu ne lui était pas inconnu, loin de là. Elle hocha la tête en guise d'approbation, et ajouta donc à son attention :

« Nous sommes précisément dans la cour du Château de Bénécius. »

Instantanément, elle porta ses yeux sur Yorek. Pourquoi les avait-il emmenés ici ? Pas que le lieu ne soit pas approprié, mais c'était tout de même étrange, et Luccia était curieuse d'en apprendre la raison. Le noble répondit alors, non sans une certaine gêne, à sa question silencieuse :

« Mon frère est chevalier et... je sais pas... J'ai pensé à ce lieu, où j'ai toujours été en sécurité... »

Ces explications faites, non essentielles, mais assouvissant la curiosité de Madame, Luccia se mit à réfléchir elle aussi au fait qu'il valait mieux ne pas laisser le capitaine ici. Mais d'un côté, il était enfermé dans un coffre et, elles n'avaient même pas la clé ! Néanmoins, autant prendre le coffre... Ou faire autrement selon les faits...

« Oui tu as raison. »

Puis elle se dirigea mais la cabine, en escaladant le parquet en bois, étant donné que le navire était presque à la verticale. Elle ouvrit la porte et eut la grande surprise de voir que le coffre était ouvert, et vide ! Celui-ci avait dû céder en tapant fortement contre la paroi de la cabine. Le plus inquiétant était finalement que le capitaine s'était échappé. Néanmoins, il ne pouvait pas aller bien loin. Luccia lança un regard inquiet à Miranda, et déclara :

« Il faut vite sortir de ce navire et veiller... Il ne pourra pas en sortir sans se faire repérer... »

Immédiatement, elle traduisit ses paroles par des actes. Elle se hissa donc hors du navire par un de ces 'hublots brisés, et sauta sur le sol. Apparemment, aucun passager n'avait quitté le bateau. Ils ne devaient pas vraiment savoir ce qu'il fallait faire dans ces cas là, perdus, et ne pas réaliser ce qu'il ne passait, aussi. Même si les chevaliers ne lui avaient pas prouvé une grande jugeote ces derniers temps, elle s'adressa à l'un d'eux, un qui avait une certaine prestance, et de ce fait, qui pourrait donner des ordres...

« Écoutez... C'est une longue histoire... Mais on vous la contera lorsque le moment sera venu. Là, il y a plus urgent. »

Espérant qu'il approuve, elle laissa un temps d'arrêt, puis poursuivit :

« Un homme sur ce navire, d'une bonne quarantaine d'années, si ce n'est plus, grand et brun, et quelque peu barbu, fait du trafic illégal. Nous aurons toutes les preuves à vous fournir pour le justifier, mais je vous en prie, ne le laissez pas s'échapper. »

Comme une seule femme, Luccia et Miranda fixèrent Yorek en même temps lorsque la druide eut énoncé leur localisation. Elle comprenait mieux pourquoi le navire était presque sans dessus dessous… La cour du château était un choix assez original pour « garer » un bateau de cette envergure. Et si elle en jugeait à l’activité qui avait lieu à l’extérieur, c’était probablement aussi une technique inédite pour les chevaliers. Elle offrit un sourire rassurant au jeune noble alors que la druide validait elle aussi son choix. Tout surprenant que cela soit, le choix du centre de commandement des chevaliers était somme toute judicieux. Etant donné qu’ils avaient besoin de l’aide de justiciers, c’était bien ici qu’ils en trouveraient à foison. Peut-être auraient-ils juste quelques soucis pour voir ce qu’il faudrait faire du bateau mais elle ne doutait pas qu’ils seraient compris et qu’une aide conséquente leur serait apportée.

-C’était un choix judicieux Yorek…

Et ils risquaient aussi de rentrer dans l’histoire… Un navire échoué à plusieurs centaines de kilomètre de la mer, voilà bien le genre de récit qu’aimait se raconter n’importe quel villageois… Elle laissa la druide les guider dans les entrailles du bateau, constatant vite qu’elle allait rencontrer un peu plus de difficultés que ses camarades. Luccia et Yorek étaient tous deux équipés de tenues pratiques… La sidhe était toujours en robe. Et force est de constater qu’une robe élaborée peut certes mettre en avant les charmes de la gens féminine mais certainement pas faciliter toute forme d’escalade. Et bien qu’elle en ait la possibilité, elle ne tenait pas spécialement à se téléporter de palier en palier. Non seulement il s’agissait là d’un exercice fatigant mais elle n’était pas une bête éclipsante non plus… Et il était hors de question qu’elle les abandonne tous deux alors que rien n’avait été mis au clair.

-J’imagine qu’un galant homme tel que vous n’hésitera pas à aider la demoiselle que je suis… ?

La shaman décocha à Yorek un sourire plein de charme avant de lui tendre la main. Main qu’il saisit avant de rougir légèrement… Bien, au moins aurait-elle un peu d’aide dans son ascension qu’elle pressentait particulièrement d désagréable. La druide eut largement le loisir de découvrir la disparition du Capitaine, le temps qu’ils ne l’atteignent. Malgré l’effort la sidhe paraissait à peine essoufflée et son teint était juste rosissant. Et son éducation était telle qu’elle parvint à transformer le juron abominable de frustration qui lui venait en un simple soupire d’exaspération discrète. Pourquoi les choses n’étaient-elles jamais simples ? Combien aurait-elle préféré n’avoir qu’à laisser tomber le coffre aux pieds des chevaliers !

-Vous avez raison. Un soucis à la fois. Lorsque nous serons en sécurité, nous lancerons les chevaliers sur sa piste.

Il fallait aussi qu’elles retrouvent l’autre homme, la seconde « marchandise spéciale ». Mais autant mettre Yorek en sécurité dans un premier temps. Elle considéra la nouvelle ascension à réaliser avec l’œil noir du chat voyant arriver l’orage puis se tourna éblouissante de sourire vers le jeune noble, lui tendant à nouveau la main. Sans son aide elle serait certainement restée accrochée plus d’une fois aux éléments maintenant improbables du décors. Si elle tenait à épargner sa robe ce n’était pas tant par coquetterie que par un farouche désir de pouvoir arriver présentable devant les chevaliers afin que leur récit ait le maximum de poids possible. Inutile de dire qu’elle était plus que soulager de toucher enfin le sol de la cour, remerciant même chaleureusement Yorek. Et il était hors de question qu’elle remonte sur ce navire échoué. Elle était catégorique. La shaman se tourna vers le chevalier sur qui Luccia avait jeté son dévolu.

-Cette demoiselle a parfaitement raison. la majorité de l’équipage est probablement complice de ce trafic d’esclaves. Et nous réfugier chez vous a été la seule solution viable pour cette foule d’innocents…

Alors qu’elle s’apprêtait à renchérir pour s’assurer qu’il allait enfin agir, une grande agitation se fit au niveau d’une partie de la coque brisée. Des cris de panique et de douleur pouvait se faire entendre par dessus celui, caractéristique, du fer que l’on croise. Visiblement une partie des malandrins essayait de se frayer un passage. La sidhe se tourna et aperçut le capitaine donnant ses ordres.

-Le voici ! !

Miranda approuva les paroles de la druide pour qu'elles aient plus de poids. Et, il faut dire qu'à elles d'eux, malgré l'improbabilité d'un tel phénomène dans la cour du château, elles inspiraient davantage de confiance que le visage du capitaine qui venait de se montrer. Mais ce dernier ne devait pas s'attendre à être en un tel lieu, et surtout, à voir arriver des chevaliers pour le neutraliser. Luccia ne savait pas si l'individu qu'elle avait tenté de persuader les avait immédiatement crues, ou s'il préférait ne pas le laisser s'échapper au cas où ce qu'elles aient dit soit vrai, en attendant les confirmations et preuves. Cependant, il donna les ordres qu'il fallait, et c'était là le principal.

« Fermez les portes, attrapez cet homme, et mettez vous en formation autour du... navire. »

Même s'il peinait encore à réaliser qu'il s'agissait bien d'un navire ayant atterri au beau milieu de la cour du château, le chevalier gradé neutralisa les entrées pour empêcher toute tentative de fuite avant des interrogatoires concluants, et organisa ses troupes de manière à ce qu'un petit groupe vienne s’emparer du principal acteur de ce trafic honteux, et que le reste des chevaliers s'amassent autour du bateau échoué pour ne laisser aucune issue, même aux passagers.

Comme s'il avait lu dans les pensées de la belle elfe, il ajouta à l'attention d'un groupe de chevaliers en retrait :

« Évacuez les personnes à bord et rassemblez les dans la grande salle, toutes fonctions confondues. »

Un léger sourire effleura les lèvres de Luccia. Qu'il était bon d'avoir enfin du renfort. Elle et Miranda s'étaient données pleinement dans cette affaire, mais l'issue en était bien floue, car à seulement deux contre tous, il était difficile de croire qu'elles arriveraient à résoudre cette affaire. Mais, le fait de se sentir plutôt soutenue, et aidée, était fort appréciable. Enfin, Luccia avait l'avantage de dégager l'image d'une personne douce et fiable, tout bonnement bénéfique et dont peu se méfieraient. Pour le coup, ça aidait pour sa crédibilité. Il fallait espérer que cela dure, mais déjà, elle voulait leur montrer sa bonne foi en proposant :

« Je vais aller chercher vos preuves dans la cale... Je reviens tout de suite. »

Puis, voyant la mine de Miranda, elle se douta qu'elle ne voudrait pas refaire un pas dans le navire. En ce qui concerne le chevalier, il n'avait aucune raison de ne pas la laisser faire puisque, même s'il pouvait éventuellement se méfier et avoir des doutes, les portes étaient toujours fermées, et aucune issue de sortie n'était connue par la druide, autre que les grandes portes du château. Pour plus d'agilité, elle adopta sa forme féline, et de ce fait, glissa facilement son corps de panthère des neiges dans la fenêtre par laquelle elle était entrée. Également, l'escalade précédente devint chose aisée. Une fois dans la cabine, la majestueuse panthère attrapa en sa gueule l'attirail que Miranda avait trouvé, soit la carte, le carnet d'adresse, ainsi que les relevés de compte. Yorek et l'autre individu spécial constituaient également des preuves fondamentales. Mais elles leurs feraient le même raisonnement qu'elles avaient elle-mêmes fait et, pour cela, il fallait commencer par ces quelques papiers.

La panthère sortit du navire, rejoignit la shaman et l'homme gradé, puis reprit sa forme humaine, prenant soin de ne pas rester trop longtemps idiote avec les preuves dans la bouche. Elle les tendit donc ensuite au chevalier, alors que les personnes précédemment en mer circulaient jusqu'à la grande salle. Cette affaire commençait enfin à se résoudre dans le calme...

Il arrive toujours un moment où l'on sent qu'une situation est en train de se résoudre, c'est assez proche du sentiment de satisfaction mêlé à celui de soulagement. Il n'est pas rare de ressentir peu ou prou la même chose lorsque l'on parvient tout juste à dénouer un noeud gordien sans couper quoi que ce soit... Et à voir ce qu'il se passait autour d'elles et le visage du chevalier qui les écoutait, Miranda commençait à ressentir cela. Elles étaient enfin arrivées dans un endroit où tout le monde serait en sécurité tout en s'assurant que les responsables de ces enlèvements soient appréhendés. La jeune femme eut la conscience aiguë qu'il était temps qu'elles passent la main. Le reste ne dépendait plus d'elles... C'était un peu comme si elles venaient de tirer sur un mince fil et qu'elles constataient qu'une énorme pelote suivait derrière, elles avaient maintenant besoin de gens habitués à ce genre de choses. Sans compter que malgré les preuves qu'elles pourraient fournir, elles ne pouvaient pas partir à l'assaut du responsable dans l'instant. Si elle avait bien suivi, il s'agissait d'une personne particulièrement puissante et influente, pas le genre de personnes à se laisser facilement faire. Sans compter que bien qu'elles soient parvenues à empêcher la dernière livraison, il y en avait eu d'autres. Combien de personnes aux pouvoirs phénoménaux avaient-ils sous sa coupe? De quels pouvoirs disposait-il exactement? Tout cela lui fit glisser un long frisson dans le dos...

Il ne restait, finalement, que les derniers détails à régler. Elle faisait largement confiance aux chevaliers pour qu'ils arrêtent le capitaine et ses hommes. Après tout ils étaient sur leur propre terrain avec tous les renforts dont ils pouvaient avoir besoin. La jeune femme ne put d'ailleurs pas s'empêcher de jeter discrètement un regard aux combattants, essayant de voir si elle apercevait Edalion... Après tout, lui aussi était un chevalier, il était peut-être au château aujourd'hui? La phrase de Luccia la tira de ses pensées et de ses recherches. Les preuves étaient effectivement encore à bord. Du navire. Complètement penché... Lorsqu'elle songeait aux acrobaties qu'elle avait du faire pour en sortir, l'idée de devoir y retourner ne la fit pas spécialement sauter de joie. Sentiment qui put parfaitement se lire sur son visage. Elle n'était décidément pas tailler pour ce genre de choses... Luccia dut parvenir aux mêmes déductions car elle lui épargna l'exercice. Tout comme les personnes qui les entouraient, Miranda fut surprise par la soudaine transformation de l'elfe. Elle ne s’attendait pas vraiment à cela même si elle se doutait bien que la demoiselle devait aussi avoir son lot de dons donnés par la nature. Si ses souvenirs étaient bons, les druides étaient réputés pour pouvoir prendre la pelisse de leur animal totem...

La jeune femme lança dont un sourire plein de confiance au chevalier alors qu'il regardait le félin disparaître dans le navire d'un air un peu suspicieux. Son exploration prit bien moins de temps qu'il en aurait fallu si elle avait eu à l'accompagner et son retour, chargée de papiers, allégea un peu l'ambiance. La sidhe la laissa reprendre forme humaine, assez fascinée par ce processus, et remettre le carnet, livre et papiers au chevalier qui semblait aussi fasciné qu'elle. Ils allaient probablement avoir besoin d'un peu de temps pour les compulser mais, surtout, de leur version. Toutes deux allaient devoir tout raconter, aussi précisément et clairement que possible pour justifier de leurs actes. Actes qui avait fait pousser un bateau au milieu de chez eux... Le chevalier s'empara des papiers qu'il compulsa très rapidement, constatant qu'il faudrait une lecture approfondie pour démêler les séries de chiffres et les codes.

-Bien... Nous allons nous occuper de ces hommes mais je pense qu'il est nécessaire que nous ayons une longue conversation dans un endroit bien plus calme qu'ici...

Il leur jeta un regard interrogatif. Bien qu'elles aient affirmé qu'elles allaient tout leur raconter, elles pouvaient fort bien avoir des choses à cacher et rechigner de venir avec lui. Tout le monde ne pouvait pas forcément apprécier d'être passé au crible des questions des chevaliers. Plus qu'une question, car il ferait certainement en sorte qu'elles le suivent bon gré mal gré, c'était un test sur leur bonne volonté. Miranda jeta un regard à sa compagne de galère, essayant de jauger si elle était nerveuse à cette idée ou pas. De son coté elle n'avait rien contre eux, n'ayant jamais eu de mauvaise expérience pour l'instant. déduisant du regard de la shaman qu'au moins l'une des deux le suivrait, il se décala légèrement pour leur ouvrir la route.

-Nous avons une salle de réunion qui conviendra parfaitement...

Puis il se dirigea vers l'un des escaliers. Miranda interrogea Luccia du regard une nouvelle fois avant de lui emboiter le pas. Si jamais elle avait un soucis avec eux, elle la couvrirait sans peine... Dans leur dos les bruits de combats allaient en s'amenuisant. Le capitaine avait du comprendre que se battre ne le conduirait qu'un peu plus vite à son trépas et il avait décidé de se rendre...

Retourner dans l'antre des chevaliers maintenant, pour Luccia, c'était comme aller saluer les gardes d'une prison après s'être évadée et demeurer en cavale. Et oui, puisque pour cette 'longue discussion', les probabilités qu'il n'y ait pas de supérieur hiérarchique tel que le Seigneur-Commandant était bien minces. D'accord, il ne l'avait pas empêchée de s'enfuir, il en était même implicitement consentant, mais à condition qu'elle ne revienne pas, puisqu'elle était désormais en fuite, et donc une hors la loi ici. Aussi étonnant que cela puisse paraître lorsqu'on regarde la personne qu'est Luccia. Si on la reconnaissait ici, la druide ne pourrait, cette fois, pas s'échapper... Et le Seigneur-Commandant serait forcé de faire appliquer les lois... Il ne pourrait plus rien faire pour elle... Et l'elfe n'avait bien sur aucune envie de pourrir ici, elle avait encore bien trop de choses à accomplir. Elle voulait encore se rendre utile alors qu'on lui avait donnée cette chance ultime de rester parmi ce monde...

Mais voilà, il y avait Miranda. L'ancienne gardienne sacrée était bien gênée de devoir laisser la shaman expliquer les faits, et s'acquitter donc de cette tâche qui était certainement la moins intéressante, autant qu'elle en était la moins périlleuse au final. Mais c'était une femme intelligente, et elle comprendrait. Du moins, il le fallait, et elle espérait qu'elle ne lui en voudrait pas pour cela... C'est pourquoi elle lui adressa un regard se voulant négatif face à la proposition du garde, montrant qu'elle ne pouvait simplement pas aller au cœur du château. Espérant qu'elle l’appuierait pour qu'elle puisse s'en aller, Luccia s'adressa au garde d'un ton se voulant désolé :

« Navrée Monsieur, mais j'ai une importante affaire à régler et ce, dans les plus bref délais. »

Désolée, elle se tourna vers Miranda, en poursuivant :

« Mais elle en a sait autant que moi, donc sa seule parole vous suffira. Merci de votre compréhension. »

Elle s'inclina devant cet homme dubitatif, qui finalement laissa échapper un « Soit. » en demandant à l'un des chevaliers de la raccompagner jusqu'à la porte du château. Mais avant, Luccia se tourna vers la shaman, espérant encore une fois qu'elle comprendrait :

« Au revoir Miranda, et merci. J'espère avoir le plaisir de te recroiser à l'avenir. »

C'était sincère. Cette femme avait eu le courage de l'aider dans sa tâche, et d'y prendre pleinement parti. Sans elle, elle aurait échoué, c'était évident. Elle lui administra alors un sourire gêné mais se voulant franc néanmoins, puis partit en direction de la sortie, voulant paraître la plus crédible possible. Puis, son physique n'avait rien pour s'y opposer... Qui accuserait une telle femme à l'allure angélique d'avoir enfreint la loi des chevaliers ?

La shaman sentit presque la réflexion qui était en train de se dérouler dans l'esprit de la druide. Le regard négatif qu'elle lui rendit la surprit toutefois mais elle n'en montra rien. Luccia avait le visage de l’innocence même et elle venait d’aider un navire entier de pauvres gens destinés à devenir des esclaves, elle se demandait bien ce qui pouvait la mettre ainsi en porte-à-faux par rapport aux chevaliers... C’était assez illogique… Mais il lui suffit de repenser à Edalion pour se rappeler que tout n’était pas toujours aussi simple que les apparences. Après tout, l’homme avait été recherché après avoir commis des actions répréhensibles contre son gré. Et cela ne l’avait pas empêché de suivre sa vocation de chevalier jusqu’à ce qu’il parvienne à laver son nom de tout soupçons. La jeune femme était peut-être dans le même cas de situation, recherchée pour une raison qui n’était pas vraiment de son fait ?

La sidhe lui rendit la pareille avec un discret mouvement de tête qu’elle agrémenta d’un clin d’œil. Si elle ignorait tout des causes de cette réaction, elle pouvait comprendre et faire en sorte qu’elle ne soit pas inquiétée. C’est donc tout naturellement qu’elle posa une main sur le bras du garde, tant pour le retenir s’il se décidait à ne pas la laisser partir, que pour mieux attirer l’attention sur sa seule personne. Elle offrit un sourire éclatant et confiant au garde lorsqu’il se tournait légèrement vers elle à cause de ce soudain contact. La shaman savait qu’elle pouvait inspirer confiance et pouvait fort bien paraître comme une simple faible femme, à qui on laisserait donc certaines libertés…

-Tout à fait, je me ferai un devoir de tout vous expliquer, preuves à l’appuis. Cette Damoiselle en a déjà énormément fait pour tous ces passagers mais elle ne peut se permettre de perdre plus de temps… Des familles inquiètes attendent des nouvelles rassurantes.

Ce n’était pas un mensonge. Pas vraiment. Il y avait forcément des familles inquiètes… Elle s’était juste abstenue de dire de vive voix que c’était ce que Luccia comptait faire. Un mensonge par omission… La jeune femme avait rapidement apprit que les mensonges les plus efficaces étaient ceux mâtinés de vérité. Elle lança donc un sourire rassurant à la druide comme si c’était en fait elle qui la congédiait.

-Ce sera un plaisir partagé.

Ne sachant trop jusqu’à quel point elle était impliquée avec les chevaliers, elle préféra éviter de prononcer son nom à voix haute. Des fois que cela n ravive un quelconque souvenir qui pourrait lui être préjudiciable… Profitant que l’homme regardait ailleurs, elle articula silencieusement un « soit prudente » juste avant qu’elle ne parte. Elle la suivit du regard quelques secondes avant de passer son bras sous celui du chevalier qui ne put s’empêcher de se tenir encore plus droit qu’avant. Elle vérifia qu’ils avaient bien les différents documents qui incriminaient le capitaine et son commanditaire et fit signe à Yorek de la suivre. Puis elle sourit à nouveau au chevalier avant de lui donner l’impulsion pour avancer…

-Bien, je crois qu’il nous reste quelques détails à régler n’est-il pas ?

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