Ce fut à plusieurs reprises que Luccia s'attela à la lecture du court message d'Ernest Palombre. Une fois sure d'avoir bien tout saisi, et de ne rien oublier, elle se décida à partir vers ce lieu dit de la « fourche du temps » à Eternia. En guise d'équipement de montagne, elle ne se chargea pas énormément et préféra rester légère pour avoir une plus grande liberté de mouvement, et une plus grande endurance. Porter un équipement plus lourd que son propre poids n'était pour elle pas une solution. En revanche, elle pris soin de prendre avec elle sa corde elfique, qui avait été sa récompense au combat contre un dragon, qui serait apte à soulever n'importe quoi sans se casser. En montagne, ce pourrait être extrêmement utile. Et puis, celle-ci était légère et ne l'encombrerait pas.

Tout de même, elle prit le temps de passer à Naturalia, où elle s'arrêta dans une boutique vendant toute sorte de matériel utilitaire. Elle s'acheta alors une espèce de mousqueton qui lui servirait pas seulement aujourd'hui, mais toujours à partir du moment où elle avait obtenu sa corde elfique. Ainsi, elle la garderait tout le temps sur elle, car elle pourrait bien en avoir besoin à tout moment. Elle accrocha alors la corde au mousqueton fixé à sa taille, son voile blanc recouvrant cet attirail, et partit sur la route des montagnes interdites.

Au fur et à mesure qu'elle s'approchait de celle-ci, le froid se faisait de plus en plus rude, et Luccia palissait à vue d'oeil. L'elfe ne s'attendait pas à un tel froid, bien qu'il soit encore supportable. Ce fut alors avec bonheur qu'elle vit un feu de camp. Elle se dirigea alors dans cette direction, persuadée que le lieu de rendez vous était à cet endroit. Après tout, les lieux n'étaient pas très peuplés, donc ce ne pouvait être qu'ici. L'homme à la longue barbe blanche près du feu ne pouvait être qu'Ernest Palombre. Cet homme émanait la bonté et la curiosité tel que ces sentiments étaient ressortis aux yeux de Luccia dans les quelques messages qu'il avait pu écrire. Elle s'approcha alors d'un pas franc, le visage doux émanant la sagesse et la bienfaisance, ses cheveux blonds soulevés par le vent froid, et son regard délicat transmis par ses yeux bleus presque translucides de clarté, et découvrit un autre homme à ses cotés. Combien seraient-ils à s'acquitter de cette mission ? Combien de personnes avaient répondu à l'appel de ce vieil homme ? La druide n'en avait aucune idée. Elle verrait donc tout naturellement la suite des événements sans la moindre appréhension.

Elle tendit alors sa main à Ernest et se présenta :

« Monsieur Palombre... Luccia Petrone, enchantée de vous rencontrer. »

Puis, elle tendit poliment sa main à l'homme au cheveux blancs également, et répéta seulement son prénom à son égard, en guise de présentation, et dans l'attente d'obtenir le sien si elle devait faire équipe avec cet homme par la suite.

Neelahn se pensait plus maligne qu’un singe en adoptant sa forme d’oiseau pour voyager. Sous l’apparence d’un colibri, elle était certaine qu’elle arriverait à la « fourche du temps » en un temps record. Tigrou ayant préféré rester dans la forêt, l’elfe en avait profité pour revêtir ses plumes et voler jusqu’à Eternia. Mais même si elle pensait arriver avant tous les autres, l’elfe avait tout de même choisi de partir « un peu plus tôt que prévu » car nul ne savait ce qui pouvait arriver en chemin. Arrivée dans les montagnes, la druidesse ne regretta pas un seul instant d’avoir été si prévenante.
D’abord, il fallait sortir la boussole et la carte de son sac. Et mieux valait avoir des doigts que des pattes et un bec pour manipuler ces objets. De plus, Neelahn s’aperçut rapidement qu’il lui serait impossible de continuer le chemin avec des ailes. En effet, sa forme animale ne lui permettait pas de résister à ce temps épouvantable. Claquant des dents, elle s’était donc retrouvée au beau milieu d’Eternia à la recherche de quoi se vêtir. Nue comme un verre de terre, ses doigts tremblaient pendant qu’elle s’habillait. Ah comme elle avait été stupide !

Une fois revêtue de ses peaux de bêtes, Neelahn ressemblait fort à une grosse boule de poil. Jamais elle n’avait eu aussi froid et avant de se remettre en marche, elle dut allumer un feu, histoire de se réchauffer un peu. Plus jamais elle ne prendrait le risque d’adopter sa forme d’oiseau dans un milieu aussi glacial.
Durant tout le chemin qui restait à parcourir, la druidesse se maudissait donc d’avoir été aussi imprudente. A cause de cette erreur, elle avait froid et n’arrêtait pas de se dire qu’elle n’en aurait pas été arrivée à là si elle s’était correctement couverte depuis le départ. Pourtant, une petite voix lui soufflait que de toute façon, cela n’aurait pas changé grand-chose. Il faisait froid et toutes les fourrures du monde ne suffiraient pas à réchauffer Neelahn, le petit colibri qui se croyait plus malin qu’un singe.

Finalement, la druidesse prit du retard (mais comme elle était partie en « avance », cela ne se voyait pas vraiment au bout du compte). A pieds, il était beaucoup plus difficile de se repérer. Il fallait faire des détours pour éviter ceci ou cela, contourner cet endroit car il était trop dangereux et faire des pauses car après avoir fait tout ça, Neelahn mourrait de faim et de soif. Si elle avait pu rester sous sa forme d’oiseau, il lui aurait simplement fallu voler en ligne droite et cela aurait été beaucoup moins compliqué. Hélas, la vie n’était pas toujours aussi facile.

Du coup, lorsqu’elle aperçut la panache de fumée au loin, Neelahn se mit à courir vers elle comme une luciole attirée vers la lumière. Vers la fin de son périple, la druidesse avait commencé à désespérer, non pas parce qu’elle pensait s’être perdue mais parce qu’elle ne parvenait pas à s’acclimater à ce climat glacial. Pourtant, dans sa forêt, elle avait vécu des hivers marquants mais ici, à Eternia, elle avait l’impression que ce que le temps était encore plus épouvantable que tout ce qu’elle avait connu.

« Hé bah… heureusement que j’ai repris ma forme elfique… Il m’aurait certainement pris pour une souris… »

… parce qu’elle avait froid et qu’elle ne pensait qu’à se réchauffer, Neelahn était devenue moins attentive à ce qui pouvait se passer autour d’elle. Le cri d’Evinrud la fit donc sursauter comme si des centaines d’aiguilles l’avaient piqué dans le dos. Puis, après avoir repris contenance, elle s’avança vers le feu camp. Elle y aperçu un vieux mage rouge et trouva original le concept d’enrouler sa barbe autour du cou.

« Bon…Bonjour, Nee…Neelahn Screeling. Enchantée de vous… vous… rencontrer. »

Elle leva ensuite la tête er reconnu Luccia, une charmante druidesse qui avait combattu à ses côtés dans les Sables Mouvants. Elle lui adressa donc un joli sourire… avant de s’empresser de venir réchauffer ses mains devant le feu de camp.

L'avantage quand on est druide et que l'on peut se transformer en panthère des neiges, c'est que lorsque le froid devient insupportable, il suffit de se mettre sous sa forme animale, et la fourrure adaptée de la bête est suffisante pour nous réchauffer et tenir durant les plus grands froids. Voilà pourquoi Luccia ne s'était pas encombrée de fourrure en tous genres pour se réchauffer. Son animal totem était adapté à la résistance au froid, et détenant l'agilité nécessaire pour s'aventurer en montagne, elle n'aurait qu'à se transformer si le besoin se faisait ressentir. Elle avait alors simplement sur elle sa corde magique, et dans son sac une petite gourde. En revanche quelle que soit l'expédition menée, elle gardait toujours ses armes, sait on jamais. Son arc était donc dans son dos, et sa fine épée accrochée à sa ceinture sous ses vêtements amples.

L'elfe eut la surprise de voir arriver parmi eux Neelahn, une druide avec laquelle elle avait déjà combattu un dragon... Elle aussi était suicidaire au point de prendre le risque de recommencer si besoin il y avait ? A vrai dire, Luccia ne pensait pas qu'il s'agisse encore de dragons, ou du moins elle l'espérait, car elle ne se sentait pas prête de recommencer cette entreprise magistrale à zéro, et de finir avec on ne sait quelle blessure, pouvant être mortelle, à l'Auspice. Mais ce ne devrait pas arriver, d'autant plus qu'elle avait bien noté dans un coin de sa tête qu'Ernest ne pensait pas qu'ils auraient de tels obstacles, songeant plutôt à ce qu'il n'y aurait aucune nécessité de combattre. Et sa sagesse poussait Luccia à le croire et à lui faire confiance sur ce point.

Un autre homme fit son apparition sur une belle monture. Il avait une allure d'homme du désert comme la druide en avait souvent croisés. Chacun lui avait laissé une bonne impression, et surtout, chacun d'eux avait su acquérir sa confiance. Alors, si un nomade était parmi eux, c'était plutôt une bonne chose, même si ceux ci avaient plutôt l'habitude de la chaleur du désert que du grand froid de la montagne interdite.

Enfin, Luccia comprit qu'ils étaient tous là quand le mage rouge se mit à parler. En l'écoutant, elle observait le panache de fumée, endroit où, manifestement, ils devaient se rendre. Luccia, toute druidesse qu'elle était, hocha la tête en guise d'approbation à l'idée de ne pas « foncer dans le tas », mais plutôt de ne pas créer de problèmes inutilement, à soi ainsi qu'à l'environnement. Installée sur le rondin près du feu, la belle elfe prit le verre que lui tendait Ernest. Elle n'eut pas besoin de se pencher sur celui-ci pour déjà sentir l'odeur émanant de la mixture qu'il contenait. Elle le but tout de même, ne pensant pas que ça pourrait lui faire de mal, et un certain dégoût caractérisa son visage. Avec ironie, elle affirma alors :

« Un délice ! Qu'est-ce que c'est que ça ? »

Ce qu'elle demandait surtout, c'était les effets de cette boisson qu'il ne devait pas leur donner à boire pour rien vu son gout... Elle ne demanda tout de même pas la recette, songeant aux immondes choses qui auraient pu être ajoutées pour donner à cette « boisson » un goût si affreux.

Alors que certains aventuriers dévisageaient discrètement leurs coéquipiers, Neelahn, quant à elle, préférait se réchauffer auprès du feu de camp. Frigorifiée, elle avait l’impression que même ses organes internes étaient gelés. Une horde de géants des montagnes aurait pu débarquer en hurlant comme des trolls à plus d’un kilomètre, la druidesse n’aurait même pas eu le réflexe de se lever et s’enfuir. Son cerveau ne répondait plus, ou plutôt, était bien trop envahi par le besoin de trouver un moyen pour lutter contre ce froid mordant pour se préoccuper de ce qu’il pouvait y avoir tout autour de lui.
Après avoir posée son sac au sol comme une vieille poupée de chiffon, Neelahn s’était donc assise sur l’un des rondins qu’Ernest lui avait chaleureusement montré à son arrivée. En tombant par terre, un bruit métallique se fit entendre, donnant l’impression qu’elle transportait sur elle tout un arsenal de cuisine. En réalité, le sac ne comportait pas grand-chose. Sachant qu’elle allait se retrouver en milieu hostile, l’elfe avait décidé de voyager léger. Elle ne possédait même pas de corde, contrairement à ses collègues. Après tout, elle savait voler alors que pourrait-elle bien faire avec un matériel aussi lourd à porter ? En revanche, elle avait cru judicieux d’emmener avec des bandages, une paire de ciseaux et un baume permettant d’empêcher les plaies de s’infecter et de faciliter la guérison. La druidesse avait également emportée avec elle une fiole de soin qu’Ambrosia lui avait fabriqué. Elle ne l’avait toujours pas utilisé et même si elle permettait seulement de guérir des petites blessures, Neelahn pensait que cela pouvait être utile tout de même.
En plus de cette trousse de secours, son sac comportait également de quoi faire du feu (un silex et un fusil en acier trempé), des vêtements, une couverture, une boussole, une carte, de la viande séchée, une gourde d’eau et… une casserole, un bol en bois ainsi qu’une louche (parce qu’il était plus plaisant de manger chaud lorsqu’on se trouvait dans un endroit aussi glacial !). Bien évidemment, en plus de tout cet attirail, l’elfe avait également sur elle son collier de vision nocturne ainsi que toutes ses armes qui, pour l’instant, dépassaient de son sac.

Emmitouflée dans sa fourrure, Neelahn écoutait silencieusement le petit discours d’Ernest tout en resserrant les lacets de ses bottes. Elle pensait que la « fabuleuse aventure » commençait plutôt mal pour elle. Durant son trajet, elle avait même songé pendant un instant à faire demi-tour. Ce n’était pas en mourant de froid qu’elle allait pouvoir aider les autres à accomplir leur mission. Cependant, à présent qu’elle était assise confortablement sur un rondin et qu’elle se réchauffait doucement auprès du feu, Neelahn reprit confiance en elle et retrouva bien vite son optimiste légendaire.
Après avoir levée la tête vers la panache de fumée qui s’élevait de la montagne, elle hocha de la tête lorsque le mage rouge leur annonça que leur but n’était pas de tout massacrer sur leur chemin. En oubliant le climat épouvantable d’Eternia, le panorama était magnifique et il aurait été fort dommage – voire inacceptable – d’abimer un endroit aussi magnifique.
Et quand Ernest déroula la carte, la druidesse s’approcha pour la lire. Elle constata alors qu’elle comportait beaucoup plus d’indications que celle qu’elle avait. De suite, elle essaya de mémoriser le chemin qu’ils allaient devoir emprunter. Elle regarda aussi ce qu’il y avait autour afin de compléter sa propre carte, lorsqu’elle en aurait le temps. Mais avant qu’elle n’ait pu regarder plus attentivement la carte dans ses moindres détails, Ernest tandis à ses coéquipiers et elle une boisson des plus douteuses.

« Euh… merci… »

Remuant un peu le verre pour faire bouger le liquide, Neelahn plissa les yeux. Et si certains des aventuriers avaient bu la boisson sans se poser plus de questions, la druidesse, quant à elle, resta sceptique. Bien évidemment, elle ne doutait à aucun moment des intentions du mage rouge. Cependant, il était vieux et à cet âge, il arrivait parfois que la mémoire puisse jouer des sales tours.
A première vue, la boisson semblait répugnante. On aurait dit qu’un putois avait décidé d’y lâcher un pet après s’être senti menacé par cette texture douteuse. Avec des yeux ronds, Neelahn observa Seran boire sa boisson cul sec comme s’il s’agissait d’un simple verre d’hydromel. Pour avaler quelque chose d’aussi immonde avec une telle aisance, il fallait sûrement posséder un palet et un odorat hors d’état de service. Tournant la tête, Neelahn aperçut la grimace de Luccia, ce qui la réconforta un peu. Elle n’était donc pas la seule à penser que la boisson était « étrange ». Discrètement, l’elfe observa sa collègue boire son verre. Voyant qu’elle semblait toujours en pleine forme, Neelahn décida d’avaler à son tour ce liquide peu « chaleureux ». Elle ne voulait pas froisser Ernest. Fermant les yeux, elle tenta alors de le boire d’un seul trait comme Seran mais contrairement à lui, elle dut avaler plusieurs gorgées et à la fin, elle eût la nette sensation d’avoir ingurgitée un bol de vomi mélangé à de l’urine de chèvre.

« Après avoir marché aussi longtemps, j’admets que ça fait du bien d’avaler une boisson chaude. »

… et même si Neelahn espérait ne plus jamais à avoir à avaler pareille horreur, ses paroles étaient tout à fait sincères.

Après explications de l'érudit, Luccia constata d'elle même qu'avoir bu cette immonde préparation était finalement une bonne chose. En effet, elle sentit une vague de chaleur parcourir tout son corps. Le feu à côté d'elle n'était désormais plus indispensable... C'était comme si une petite flamme venait de s'allumer dans leur corps. Et, il était évident que faire du chemin en montagne avec les extrémités, si ce n'est plus, congelées, leur progression se verrait fortement ralentie, et très désagréable également. Enfin, heureusement, ce ne serait pas le cas, du moins s'ils ne restaient pas bloqués plus de douze heures. Après, les choses se compliqueraient certainement. En attendant, la druide préféra ne pas penser aux éventuelles complications, car déjà, les aventuriers se mettaient en route. Ernest les laissa prendre les devants en leur montrant le chemin, puis les rattrapa vers l'avant. En revanche, le rôdeur présenté sous le nom de Seran semblait manifestement vouloir absolument fermer la marche. Une telle obstination était-elle mauvais signe ? Préparait-il un sale coup ? L'elfe n'avait certainement pas envie de se méfier des personnes composant l'équipe puisque ils devaient être des alliés, mais son comportement était étrange. Finalement, peut-être était-ce tout simplement lui qui prenaient ses précautions. Mais, si personne ne se faisait un minimum confiance, s'il arrivait un danger, il serait difficile de collaborer, et ce ne serait pas bon signe. Heureusement, il y avait Neelahn. Et, avec l'expérience avec le dragon, Luccia savait qu'elle pouvait compter sur elle, au moins.

L'ancienne gardienne sacrée s'approcha du groupe de tête, et plus particulièrement d'Ernest. Le mystère de cet homme l'intriguait. Pour vouloir se lancer dans cette mission avec la passion qui animait son sourire en coin, c'est qu'il devait en savoir plus que ce qu'il avait dit. Cet homme devait déjà avoir fait des recherches. Croyait-il en l'hypothèse des dragons ? Avait-il d'autres hypothèses ? Ou alors des certitudes ? La langue de Luccia la brûlait, c'est pourquoi une fois au niveau du vieillard, elle s'adressa à lui avec sagesse et maturité :

« Ernest, qu'est ce que vous pensez être à l'origine de cette fumée ? »

Le chemin dans lequel ils s'aventuraient devenait de plus en plus escarpé. Une marche de pierre d'environ un mètre cinquante le bloquait. Une branche était accessible en son bord. La druide s'y accrocha et se hissa pour franchir cet obstacle. Voyant Neelahn juste derrière, elle lui tendit la main pour l'aider à franchir elle aussi cette barrière naturelle. Puis, elle en profita pour lui administrer un sourire complice et lui demanda, en parlant bien évidemment de la dernière fois qu'elles s'étaient vues, soit du combat avec le dragon :

« Alors, tu n'as pas trop eu de séquelles ? »

Alors qu'ils continuaient à marcher, la druide se retourna d'un coup sec lorsqu'elle entendit le rôdeur les mettre en garde sur un potentiel danger. Elle sonda alors les horizons et se rendit compte que de la végétation émanait également quelque chose d'étrange et de nuisible pour elle. Elle se tourna donc vers l'autre druide avec un regard inquiet...

« Toi aussi tu le sens ? »

Peut-être aurait-elle dû attendre un peu avant de boire sa soupe dégueulasse. Elle aurait ainsi vu qu’elle n’était pas très comestible. Aussitôt après l’avoir avalé, Neelahn sentit la boisson lui lacérer la gorge avant d’aller brûler son ventre. La douleur était tellement aigüe que la druidesse baissa la tête pour s’assurer que son estomac n’était pas en train de s’enflammer au sens strict du terme. Les bras autour de sa taille, elle se dandina d’avant en arrière. Les larmes lui venaient aux yeux. Était-elle donc la seule à souffrir ainsi ? Les autres n’avaient pas l’air de trop se plaindre. Peut-être que Neelahn avait un organisme plus fragile que ses coéquipiers. Mais tandis qu’elle était sur le point de se plaindre, la douleur s’estompa et laissa place à une douce chaleur. Rapidement, elle comprit qu’elle venait de boire une potion qui aurait pour effet de l’immuniser contre le froid. Ernest précisa d’ailleurs que le breuvage agirait pendant 12h... Oubliant très vite le martyr qu’elle venait d’endurer, Neelahn ôta toutes les couches superflues de fourrures qu’elle portait sur elle et les rangea dans son sac.

« Merci… » souffla-t-elle en direction d’Ernest.

Après cela, les aventuriers se mirent en route. Seran semblait obstiné à vouloir fermer la marche. N’y voyant pas d’inconvénient, Neelahn le laissa faire. Trop optimiste, elle n’eût pas les mêmes pensées que Luccia à son sujet. Et de toute façon, la druidesse préférait rester au milieu. Ainsi, elle pouvait plus facilement entendre tout ce qui se disait. Elle entendit alors la question de sa consœur et attendit patiemment la réponse. Elle aussi était curieuse de savoir d’où provenait exactement cette fumée. Maintenant qu’elle y repensait, Neelahn avait bien du mal à concevoir qu’un dragon pouvait cracher du feu de manière incessant rien que pour se réchauffer… Pendant un bref instant, elle songea même que la fumée provenait peut-être d’un village qu’on venait tout juste de brûler. Cependant, trouvant cette hypothèse saugrenue, l’elfe la balaya très vite de sa tête.

Si Neelahn n’avait pas eu la capacité de se transformer en oiseau, il n’aurait fait aucun doute qu’elle aurait eu la chair de poule en empruntant un chemin à flanc de falaise. Habituée à marcher sur des terrains hostiles, la druidesse n’eut cependant pas trop de mal à suivre Ernest mais il n’était pas non plus faux de dire qu’il progressait plus facilement qu’elle. En fait, le mage aurait même pu marcher sur une route pavée, on en aurait pas vu la différence tellement ses mouvements étaient limpides et fluides.
Durant leur progression, ils rencontrèrent un obstacle. Luccia eût la délicatesse de tendre sa main pour aider Neelahn à la franchir. Ne se faisant pas prier, elle accepta l’aide. Cela dit, lorsque sa consœur ouvrit la bouche, la druidesse ne put s’empêcher de grimacer. La jolie femme avait une haleine repoussante – peut-être dû à la potion ?.

« Non et j’ai même eu un cadeau ! » dit-elle pour répondre à la question de Luccia avant d’ajouter un tout petit « Moi aussi je sens le chacal ? »

Seran leur cria subitement que quelque chose n’allait pas. S’arrêtant net, Neelahn regarda tout autour d’elle. En écoutant son instinct, elle sentit effectivement un danger imminent arriver. Luccia lui demanda si elle « sentait aussi ». La regardant d’un air étonné, la druidesse tourna la tête pour sonder les environs. Elle aperçut alors la végétation et ressentit exactement la même chose que sa consœur.

« Je n’aime pas ça. » répondit-elle alors.

Un cadeau... Neelahn devait faire référence à l'objet magique qu'ils avaient reçu en récompense. Celui de Luccia lui serait d'ailleurs certainement utile pour la suite de cette expédition. Et oui, ce n'était pas une vulgaire corde puisqu'elle était capable de résister à des charges monumentales. Quand à la potion que les aventuriers avaient ingurgité précédemment, son goût affreux se répercutait encore dans leur bouche manifestement...

« Navré, mais oui. »

Concernant la question posée à Ernest, la druide constata encore une fois qu'il était passionné et prêt à dévoiler son savoir. Elle aurait donc voulu lui poser des tas de questions, mais ce fut lorsque le plus intéressant allait être dévoilé que le vieux mage fut interrompu...
Celui-ci émettait l'hypothèse des dragons sans la réfuter. Cependant, il ne semblait pas convaincu plus que cela par cette dernière. En soit, il la croyait possible, mais il devait en connaître une plus favorable. Malheureusement, elle ne serait pas dévoilée puisque la montagne se mit à gronder. Une avalanche... Ce ne pouvait être que ça. Et, elle n'était pas des moindres puisque tout tremblait autour d'eux. Il semblait d'ailleurs n'y avoir aucune issue.

Seran réagit rapidement en lançant une corde à se passer pour s'accrocher ensemble. Luccia pensa d'abord qu'il faudrait plutôt utiliser sa corde incassable. Mais, finalement, c'était encore plus dangereux... Car avec une corde incassable, c'était soit ils survivraient tous, soit ils mourraient tous. Et, même si c'était malheureux à dire, il fallait sauver un maximum de personnes, surtout que la mort semblait si proche, pour tous. Il faudrait avoir une illumination, une idée si ingénieuse qu'elle les sauverait tous. Mais cette idée ne vint pas. Du moins pas immédiatement. La druide n'était pas habituée à ce décor, et encore moins à ce genre de catastrophe naturelle. Cependant, il fallait faire marcher son cerveau rapidement pour trouver une solution avant que l'avalanche ne les atteigne. Elle regarda alors tout autour d'elle, et le seul élément remarquable était la fine corniche devant. Ils pourraient bien se mettre en dessous pour que l'avalanche ne les atteigne pas. Cependant, celle-ci céderait certainement... Sauf si...

L'elfe eut une idée. Elle sortit sa corde et se transforma en panthère des neiges. Ainsi, elle gagnait en rapidité et agilité pour grimper cette pente abrupte. Elle attrapa la corde dans sa gueule, et grimpa jusqu'à un énorme rocher aux fondations fiables, situé en amont de la corniche. Elle passa alors la corde autour de celui ci et redescendit jusqu'au chemin escarpé. Reprenant sa forme humanoïde comme si de rien était, elle passa cette même corde elfique sous la corniche de manière à lui ajouter un maintien considérable. Ainsi, elle ne devrait pas céder sous le poids de l'avalanche. Elle cria alors au groupe :

« Venez là dessous ! »

Alors qu’il en venait à la partie la plus intéressante de sa théorie, Ernest fut interrompu par Seran. Déçue, Neelahn tourna la tête vers le rôdeur. Tout comme Luccia et lui, elle sentit alors un danger sur le point de leur tomber sur la tête. Ce mauvais pressentiment se confirma lorsqu’une avalanche fonça sur eux. Et tandis que Seran donnait déjà des directives face à cette catastrophe (naturelle ?), la druidesse aperçue Luccia se transformer en panthère. Mais que faisait-elle ? La femme semblait vouloir augmenter la résistance de la corniche qu’ils pouvaient tous voir en face d’eux et prétendait y arriver avec une… corde ? Les yeux ronds, Neelahn regarda son manège. Luccia était une personne très intelligente mais à cet instant, l’elfe ne pouvait s’empêcher de se montrer sceptique. Sachant néanmoins que sa coéquipière n’était pas du genre irréfléchi, elle chercha tout de même à comprendre, se disant qu’elle avait sûrement dû rater quelque chose pour ne pas être parvenu à comprendre sa stratégie.

En certaines occasions, hésiter pouvait se révéler dangereux. Neelahn se demandait si la fine corniche allait résister à l’avalanche. Quand Seran lui passa une partie de sa corde, la druidesse la passa immédiatement à Ernest. Pouvant voler grâce à son animal totem, elle pensait que rien ne pourrait lui arriver si elle restait dans les airs. D’ailleurs, elle se disait qu’elle n’aurait pas été utile pour ses collègues si elle avait été attachée à eux. Elle n’avait pas beaucoup de force et serait en sécurité si elle restait dans les cieux. Mais Luccia leur hurla de venir se réfugier sous la corniche. Elle était si fine que la druidesse craignait qu’elle ne s’effondre si l’avalanche passait au-dessus d’elle. Et s’ils se faisaient ensevelir ? En même temps, rester dans le ciel n’était pas une forcément une meilleure idée. Si jamais un vent fort décidait de se lever, elle finirait propulsée on-ne-sait-où et bon courage à ceux qui devraient aller la chercher.

Après avoir rapidement pesé le pour et le contre, Neelahn rangea la cape qu’elle portait sur le dos et se transforma en colibri avant de filer sous la corniche. Si elle se faisait ensevelir, elle ne serait au moins pas toute seule. Arrivée sous l’abri, l’oiseau reprit sa forme elfique. Elle eût quelques regrets de ne pas être restée avec les trois hommes. En même temps, qu’aurait-elle pu leur apporter ? Tout en se triturant les mains, Neelahn attendaient que ses compagnons la rejoigne sous la corniche. Régulièrement, elle tournait la tête en direction de l’avalanche afin de pouvoir se donner une idée du temps qui restait à ses coéquipiers pour arriver jusqu’à l’abri.

Comment se sortir de ce pétrin ? Ils n'allaient pas rester immobile, à attendre d'être ensevelis par l'avalanche. Alors, peut-être qu'il y avait mieux, peut-être qu'il y avait d'autres solutions moins risquées, mais au moins, elle en avait proposé une, et avait fait du mieux qu'elle le pouvait. Si certains avaient mieux, il ne tenait qu'à eux d'agir, ou alors, ils pouvaient toujours suivre l'idée de la druide, ce qui les protégerait au moins durant un temps. Si ce pouvait être tout le temps, ce serait parfait, mais lorsque les aventuriers entendirent la corniche se fissurer, ils comprirent que leur temps était compté, et qu'il fallait se préparer...

Luccia les regarda droit dans les yeux, puis leur donna un conseil, s'ils ignoraient ce procédé :

« Ok. Dans l'avalanche, faites comme si vous nagiez pour rester à la surface et pouvoir respirer. Bon courage... »

Puis, elle se détacha de ceux qui s'étaient attachés à la corde. Il suffisait en effet que l'un d'entre eux soit engouffré dans l'avalanche pour y entraîner tous les autres, et malgré son côté très altruiste, elle pensait qu'il valait mieux pour chacun être au maximum mobile. Après bien entendu ils étaient libres de procéder comme il le souhaitaient... Luccia se contentait seulement de donner des pistes à ceux qui n'en auraient pas pour s'en sortir, car elle espérait bien qu'ils en sortent tous vivants.

Puis, ce qui devait arriver arriva. Mais avant, la druide mit la main sur sa corde elfique et y attacha son mousqueton. La corniche céda juste après. L'elfe sentit un brusque choc derrière sa tête et se fit emporter par l'avalanche. A demi-consciente de ce qui se passait, elle fut dans un premier temps secouée par tout. L’événement sembla durer une éternité. Enfin, elle comprit qu'il fallait qu'elle agisse, car elle se faisait broyer dans tous les sens, et était entrain d’asphyxier sous le mélange des débris poussiéreux. De l'air... Il lui fallait absolument de l'air. Elle tenta alors de s'élever, essayant du mieux qu'elle le pouvait de ne pas céder à la panique. Elle put alors prendre une bouchée d'air frais, mais un bout de bois lui frappa la tête et la fit replonger au cœur de l'avalanche. Vidée de ses forces sous le choc, elle ne put que se laisser engouffrer dans la neige. Et, lorsqu'elle ouvrit les yeux, tout était calme. Elle se demanda alors par quel miracle elle avait la tête en dehors, et donc la possibilité de respirer, alors que tout son corps était bloqué dans le mélange de débris et de neige. Elle repéra ensuite sa corde elfique, qui devait être toujours accrochée à son mousqueton autour de la taille, mais qui était en surface, enroulée autour d'un tronc bloqué par un rocher. La clé du miracle ? Peut-être bien.

Enfin, elle repensa à « l'avant-avalanche », et se souvint qu'elle n'était pas seule. Or, désormais, elle l'était. Il n'y avait aucune tête sortante autour d'elle. Et, cette dernière n'avait même aucune notion du temps qui s'était écoulé depuis qu'elle était tombée dans l'inconscience. La seule chose qu'elle pouvait constater à cet instant était un bruit accompagné de voix. Etait-ce les autres explorateurs ?

Pendant que les trois hommes se précipitaient vers la corniche, la druidesse se hâtait de passer une cape sur ses épaules. Ernest lui avait pourtant fait boire une potion pour lutter contre le froid mais c’était pour elle un moyen d’avoir l’impression de faire quelque chose d’utile pendant qu’elle attendait ses coéquipiers. Et aussi parce qu’elle ne tenait pas beaucoup à ce qu’ils la reluquent, une fois qu’ils se seraient abrité. Mais ce fut là une précaution bien inutile. Quoi que.
Levant la tête vers l’avalanche, la druidesse ne mit pas longtemps pour comprendre qu’ils allaient tous être ensevelis s’ils restaient là planter comme des piquets. Elle le savait ! Pourquoi n’avait-elle pas écouté son instinct ? Pourquoi avait-elle voulu se jeter dans la gueule du loup alors qu’elle aurait pu se servir de ses ailes pour aller se poser dans un endroit sûr ? Elle aurait eu certes des remords à laisser ses compagnons seuls mais qu’auraient pu faire cinq cadavres ensevelis par une montagne de neige ?
Et tandis que Neelahn songeait au problème – et non à la solution comme elle l’aurait du le faire -, Luccia cru bon de leur donner un précieux conseil, un conseil que l’elfe ignora superbement dans un premier temps.

Préférant se transformer en colibri, elle laissa tomber la cape qu’elle s’était passée sur le dos et s’envola. Se croyant plus rapide que l’avalanche, la druidesse leva la tête pour chercher un abri. Malheureusement pour elle, ce fut à ce moment là qu’elle se fit percuter de plein fouet par une pierre. Par réflexe, Neelahn se reprit immédiatement sa forme humanoïde. Sous cette forme, elle aurait plus de chance de survivre dans cette avalanche.
Battant des bras et des pieds, la druidesse s’évertua alors d’appliquer le conseil de Luccia. En soi, le procédé de la jeune femme était très instinctif. N’importe quelle personne dotée d’un minimum sens de survie aurait tenté de « nager » pour éviter de se faire noyer sous l’avalanche. Mais penser fort qu’il s’agissait du conseil de Luccia permettait à Neelahn de se persuader qu’elle agissait comme il le fallait et que ses mouvements désespérés n’étaient pas grotesques.

Entrainée sous le déluge de neige, la druidesse sentit des plantes et des débris rocheux lui lacérer la peau. Hurlant de peur, elle tentait de se débattre de toutes ses forces pour ne pas laisser sa tête se faire ensevelir. L’avalanche, plus forte qu’elle, lui envoya une nouvelle pierre qui ne manqua pas cette fois-ci de l’assommer pour de bon. Comme tant d’autres débris, son corps se laissa emporter, broyer et percuter par divers éléments de la nature…

Quand elle ouvrit les yeux, Neelahn se demanda pourquoi elle avait eu la stupide idée de s’être endormi avec une avalanche de fourrures sur elle. Entassée sous ses peaux de bête, la druidesse sourit un instant lorsque l’idée qu’elle était bloquée sous eux lui traversa l’esprit.

Bloquée.

Neelahn réalisa tout d’un coup que quelque chose n’allait pas.
Pour commencer, elle avait mal partout comme si elle s’était battue avec un fantôme pendant son sommeil. En plus de cela, pour quelqu’un qui avait dormi enseveli sous une tonne de fourrures, elle crevait de froid. Soudain, la druidesse prit conscience de l’état critique dans lequel elle s’était retrouvée. Elle n’était pas dans son lit mais sous une énorme couche de neige.

Le conseil de Luccia revînt marteler son esprit et Neelahn s’y accrocha comme s’il s’agissait de son dernier espoir. Pourtant, elle avait beau essayer, ses bras et ses jambes ne répondaient pas. Mais étaient-ce parce qu’ils étaient ensevelis sous la neige ou parce qu’ils étaient brisés ? Tétanisée par le froid, la druidesse était incapable de se diagnostiquer. Tout ce qu’elle sentait, ce fut qu’elle était contorsionnée dans une position des plus désagréables. Seuls ses yeux, son nez et sa bouche immergeaient vaguement de la neige. Sur ce coup là, l’elfe dut bien avouer qu’elle avait bien eu de la chance.
Au loin, il lui semblait entendre quelque chose mais peut-être était-ce son imagination qui lui jouait des tours ?

« A l’aide… »

Neelahn avait voulu crier mais ce ne fut qu’un filament de murmure qui s’échappa de ses lèvres. Elle réitéra plusieurs fois ses tentatives sans succès. Trop épuisée par le froid, ses blessures et sa prison, l’elfe n’avait plus la force d’hurler.
Elle se demanda alors qu’en était-il de ses coéquipiers ? S’en étaient-ils sortis ou avaient-ils été emporté comme elle par l’avalanche ?