Cette entrée, Syrka s’y tenait devant depuis un petit moment. Ceci dit, l’endroit avait été abandonné depuis si longtemps qu’elle se demandait s’il était prudent de s’y aventurer seul. En admettant qu’aucun pouilleux n’y avait élu domicile, les frondaisons ne devaient plus tenir que par le bon vouloir des dieux. En même temps, elle n’avait pas le choix. Quoi que. En fait, si, elle avait effectivement le choix mais descendre dans les égouts était le chemin le plus simple et le plus rapide à prendre.
Autour d’elle, il n’y avait personne, excepté une femme qui murmurait des paroles inaudibles. Syrka ne comprenait pas ce qu’elle disait mais elle parlait seule, ce qui n’augurait rien de bon. A coup sûr, cette ivrogne avait trop bu et avait fini par s’échouer lamentablement dans cette ruelle peu fréquentée. Avec un peu de chance, cette idiote ne remarquerait pas la présence de Syrka qui pourrait descendre dans les égouts de Malificium sans se faire remarquer.
En fin de compte, elle aurait peut-être dû demander à Morgane de l’accompagner. Mais cette petite lui avait clairement dit qu’elle ne croulait pas sous l’or et qui sait ce dont elle serait capable de faire si elle tombait sur des malles remplies de pièces et de bijoux précieux. Elle avait beau clamer haut et fort qu’elle était la fille légitime d’Halloween Evans, Syrka préférait s’en méfier comme de la peste. Tant qu’elle n’aurait pas véritablement prouvé qu’elle était digne de confiance, l’ex-ombre ne la considérait pas comme une amie même si officiellement, elles étaient devenues alliées. Pour l’instant, elles n’avaient fait que de la parlote et rien de concret…

Après avoir rapidement déblayé l’endroit à coups de pied, Syrka ouvrit une porte. A première vue, cette porte n’ouvrait sur rien. On aurait dit qu’il s’agissait simplement d’un grand placard, à croire que l’architecte qui avait construit cet endroit était sérieusement dérangé. A l’intérieur, on pouvait y trouver des cageots, des morceaux de bois, une couverture usées et tout un tas d’autres objets ou choses dont la rôdeuse préférait ne pas s’attarder.
Jetant plusieurs affaires par-dessus son épaule, Syrka manqua à plusieurs occasions d’écraser la pauvre Arya qui courrait dans tous les sens pour ne pas se recevoir une brique ou une main décharnée sur la tête. La mygale semblait plutôt curieuse car elle faisait tout son possible pour rester coller à sa maîtresse qui, visiblement, était bien trop occupée pour se soucier de sa petite bestiole.
Après avoir dégagé l’endroit, Syrka se frotta les mains sur les pans de sa jupe. A première vue, on aurait pu se demander ce qu’une dame aussi distinguée qu’elle pouvait bien fabriquer dans un endroit aussi sinistre. Il fallait bien admettre qu’après plusieurs décennies, la blondinette s’était plutôt bien arrangée. Du stade de pouilleuse, elle avait réussi à se métamorphoser en un joli papillon, un papillon qui craignait de se salir autant qu’un pouilleux.

Une fois que les lieux furent débarrassés, Syrka souleva une trappe et descendit une échelle. Comme elle s’y attendait les égouts n’étaient pas très éclairés. Heureusement pour l’ex-ombre, l’endroit n’avait pas beaucoup changé et d’une certaine façon, elle avait l’impression d’être retournée à la maison.

Quelqu’un se trouvait dans les égoûts. Instinctivement, Syrka mit la main sur la manche de sa dague et se retourna vivement. Une personne approchait dans sa direction. Après l’avoir entendu hurler, la rôdeuse était certaine qu’elle se pensait seule, ce qui n’était pas étonnant puisque rare étaient ceux qui s’y aventuraient.
Quoi qu’il en soit, la présence de cette personne se révéla être gênante pour l’ex-ombre qui croyait pouvoir s’occuper de ses affaires en toute tranquillité. Pendant un instant, elle hésita entre attendre sagement que l’inconnu daigne quitter les lieux ou lui planter sa dague en plein cœur pour ne pas perdre de temps. Cependant, la première idée risquait d’être très longue et la deuxième était potentiellement dangereuse. Après tout, Syrka avait perdu la majorité de ses pouvoirs et n’était plus aussi puissante que jadis. Jouer les dieux alors qu’elle était aussi inoffensive qu’une brebis n’était donc pas un choix très judicieux.

« Qui est là ? »

Syrka était bien curieuse de savoir quel pouvait être le genre d’individu qui trainait dans les égouts maintenant que plus aucune ombre n’était là pour veiller à ces couloirs souterrains. Était-ce un mendiant en quête d’un endroit où dormir ou était-ce devenu le siège d’un quelconque trafic douteux ?
Avançant dans la direction où elle avait entendu la voix, Syrka finit par se retrouver nez à nez avec une silhouette, celle d’une femme.

« Deux femmes dans un endroit puants et dégoutants… Décidemment… »

Jaugeant l’inconnue du regard, Syrka remarqua qu’elle n’était pas du genre à se rendre dans les égouts tous les jours. Comme l’ex-ombre, elle semblait être ici pour un motif précis. Syrka avait beaucoup de mal à croire que cette personne puisse s’être perdue. Pour arriver dans les égouts de Malificium, il fallait connaître les entrées qui étaient, en générale, toutes dissimulée dans des endroits où les jolies mains manucurées répugnaient à s’y aventurer.
Du coup, Syrka se demanda pourquoi cette femme était là. Cependant, elle ne lui posa pas la question, sachant que l’inconnue la lui retournerait sûrement. Ne sachant pas si elle était digne de confiance ou pas, l’ex-ombre se refusait de lui révéler le but de sa visite dans les égouts.

« Il n’est pas prudent pour une femme comme vous de se promener seule dans un tel endroit… »

A première vue, son petit minois avait l’air inoffensif. Cependant, Syrka n’était que trop bien placée pour savoir qu’il ne fallait pas juger les gens d’après leur apparence physique. D’ailleurs, en parlant des apparences, son pouvoir décida de lui jouer un petit tour, histoire de lui ôter toute crédibilité face à l’inconnue. En effet, il fit apparaître une famille de lapins blancs et des papillons se mirent à voler autour d’elle. Sur le coup, Syrka se sentis un peu ridicule, même si elle avait déjà connu des situations plus humiliantes.

A sa première question, Syrka haussa simplement les épaules. Après avoir dévisagé brièvement l’inconnue, son regard laissa deviner qu’elle trouvait que ses vêtements n’étaient pas très appropriés pour un endroit tel que les égouts. Mais comme l’ex-ombre était habillée de la même manière qu’elle, elle ne se permit donc pas de faire une remarque à voix haute. Quoi qu’il en soit, une chose était certaine ; lorsqu’elles sortiraient de cet endroit sombre, il leur faudrait certainement se savonner pendant des heures entières pour effacer cette odeur fétide qui s’imprégnaient déjà dans leurs cheveux et leurs vêtements.

« Pour moi, vous êtes quelqu’un qui n’est pas à sa place… » répondit Syrka tandis que l’inconnue lui sourirait.

Son ton n’avait été si agressant, ni désagréable. L’ex-ombre aurait pu parler du beau temps et de la pluie, on n’en aurait pas entendu la différence. Sa voix était posée et calme. Elle ne cherchait pas à provoquer l’inconnue, surtout lorsque ses facultés magiques détraquées décidèrent de lui jouer un mauvais tour. A force, Syrka ne trouvait cela terriblement ennuyeux. En revanche, l’inconnue semblait amusée par ces petits tours sans aucun intérêt. Elle lui rappelait elle-même, lorsqu’elle était beaucoup plus jeune. Mais au fil du temps, l’ex-ombre avait fini par comprendre qu’il était gênant de faire apparaître n’importe et n’importe quand, surtout lorsque son métier consistait à rester inaperçu…

D’ailleurs, à ce propos, l’inconnue demanda à l’ombre déchue qui était les anciens habitants des égouts. Un sourire énigmatique fleurit sur ses lèvres.

« Qui donc voudrait vivre dans cet endroit infect ? Le but premier de cet endroit est de collecter et évacuer les eaux de Malificium… Bien entendu, il serait faux de dire qu’il n’y a que l’eau qui circule dans les égouts mais ça, c’est une autre histoire… »

Une nouvelle fois, Syrka haussa les épaules. L’inconnue s’apercevrait peut-être qu’elle en savait plus qu’elle ne voulait le dire. Cependant, elle verrait aussi que la demoiselle ne tenait pas en raconter davantage. Syrka n’était pas là pour faire un cours d’histoire. D’ailleurs, elle n’était pas très pédagogue et s’énervait rapidement. Tout ce qu’elle désirait, c’était de retrouver ses affaires personnelles et si possible, sans qu’un inconnu lui traine derrière. Même s’il s’agissait pour la plupart d’objets volés, ils lui appartenaient tout de même et pas question de partager avec le premier venu. Du coup, Syrka se sentit obligée de s’intéresser aux affaires de l’inconnue.

« Cela m’étonne tout de même que certaines personnes puissent venir se réfugier ici. Les égouts sont tellement sales et puants… Que deviez-vous y faire ? Votre amie a laissé tomber un de ces bijoux ici ? »

Avec les bouches d’égout, cela n’aurait pas étonné Syrka d’entendre que la malheureuse avait accidentellement fait tomber un objet précieux dans les canalisations de Malificium. Ceci dit, lorsque cela arrivait, peu de monde se risquait à descendre dans les égouts car on ne savait que trop bien ce qui se tapissait à l’intérieur…

Visiblement, la jeune femme ne voulait pas lâcher le morceau. Cependant, elle respectait le silence de Syrka et ne lui posa pas plus de question sur le sujet. L’ex-ombre lui en fut reconnaissante et hocha une fois de la tête devant ses hypothèses sur les anciens « habitants » des égouts. Ceci dit, la solitude était sans doute la dernière raison pour laquelle les ombres avaient choisi d’y élire domicile. Quoi que. Les égouts étaient le dernier endroit où les gens venaient chercher refuge. L’obscurité et les eaux putrides donnaient à cet endroit une atmosphère déplaisante. Le plus gênant là-bas était sans doute cette odeur d’excrément et de pourriture qui flottait partout. Même après s’être installée là-bas pendant plusieurs années, Syrka n’était pas parvenue à s’habituer à ce parfum insupportable. Et c’était sans doute parce que l’endroit ne plaisait à personne que les ombres avaient choisit d’y installer leur quartier général. En plus d’avoir la quasi certitude d’être tranquille, les égouts s’étendaient comme des tentacules à travers tout Malificium, ce qui avait pour avantage de faciliter les déplacements « discrets ».

Mais depuis la dernière guerre, impossible de savoir ce qui restait réellement des égouts. Des tunnels avaient été condamnés, d’autres avaient été entièrement détruits de manière plus ou moins délibérés, … Syrka se demandait si cet endroit avait encore un quelconque intérêt. A première vue, il ne restait plus que des ruines… Et des trésors perdus.
D’ailleurs, à ce propos, l’inconnue avait confessé à Syrka qu’un bijou s’était égaré dans ce lieu sinistre. Ledit objet se révélait appartenir en réalité à une amie qui devait absolument le récupérer sous peine d’avoir de sérieux problèmes. En entendant ces explications, l’ex-ombre avait l’impression d’assister à un de ces faits divers banals qui sévissait parfois dans les quartiers cossus de Malificium...
Par ailleurs, l’inconnue finit par solliciter l’aide de Syrka. Finalement, la vie n’était as si mal faite. L’ex-ombre se voyait mal proposer son aide mais il fallait bien trouver ce fiche collier si elle voulait se retrouver seule dans les égouts. En revanche, elle n’apprécia pas beaucoup comment cette demande avait été formulée.

« Je ne vous comprends pas. Je ne connais pas votre amie. Chaque jour, des personnes meurent. Nous les voyons tous les jours à presque tous les coins de rue. Si je suis votre raisonnement, alors vous aussi vous devriez avoir plusieurs morts sur la conscience, à moins que vous soyez très puissante, ce qui explique pourquoi vous êtes toujours en vie.
Ne vous voilez pas la face, une personne ne peut sauver à elle seule toute l’humanité. Et pour ma part, je suis comme bon nombre des habitants de Malificium, ce genre de chose ne ma tracasse pas l’esprit. De plus, entre nous, cette histoire de collier, je la trouve bien stupide. Votre amie n’avait qu’à faire attention à ses affaires. »

Syrka n’était pas méchante. Mais comme certains habitants de Malificium, le sort d’autrui ne l’intéressait guère. Elle avait laissé des gens mourir et en avait tué certains pour diverses raison sans jamais avoir aucun remord, surtout depuis qu’elle avait ressuscité. En fin de compte, l’ex-ombre n’était peut-être plus humaine. Peut-être n’était-elle plus qu’un spectre qui aurait réussi à prendre une forme physique… Quoi qu’il en soit, son caractère individualiste et égoïste n’avait pas changé depuis sa naissance et avait même tendance à se confirmer au fil des années.

« Avez-vous une idée de l’endroit où se trouve le collier ? »

Syrka ne le dit pas à l’inconnue mais ce n’était donc pas par altruisme qu’elle avait décidé de l’aider. L’ex-ombre se savait pas assez forte pour tuer quelqu’un dont elle ne connaissait rien. Du coup elle n’avait donc pas d’autre choix que de l’aider à retrouver son collier pour qu’ensuite, elle déguerpisse des égouts.