Une heure après leurs entrevues, les deux jeunes se retrouvèrent dans le hall principal de la Tour Naturelle. Ambrosia avait changé de tenue. Elle portait à présent un pantalon bordeaux et un chemisier crème. Ses cheveux étaient attachés par un ruban rouge. Son éventail magique était à sa ceinture et son épée de feu était dans son dos. Elle ressemblait à une aventurière d'un temps passé et non à la conseillère qu'elle était et cela lui plaisait. Elle récupéra un sac auprès d'un élève et elles purent s'en aller. Que contient ce sac? Une corde et deux flambeaux.

Bénécius et Naturalia étaient proches. Néanmoins, à pieds, il fallait au moins trois bonnes heures pour s'y rendre. C'est pourquoi, elle avait fait atteler deux juments afin qu'elles se préservent. Elle sourit à Bellinda et murmura :

"J'espère que tu n'as rien contre cette espèce?"

Elle lui fit un clin d'oeil complice et monta à cheval d'un geste élégant. Une fois bien installées, les deux mages rouges se mirent en route. Les demoiselles arrivèrent dans la cité blanche en milieu de soirée. Visiter les catacombes d'une cathédrale n'était jamais très apprécié par les villageois, c'était pour cela qu'Ambrosia n'avait pas eu envie de faire ses recherches en début d'après-midi.

Une fois entrées en terre alliée, elles descendirent de cheval et les laissèrent dans une auberge. Elles n'en auront plus besoin. L'alchimiste avait pris quelques provisions et avait mangé un peu avant de partir. Elle espérait que sa partenaire en avait fait de même. Elles avaient du pain sur la planche après tout.

Une fois devant la cathédrale, elle prit le temps de l'admirer. Elle ne ressemblait pas à celle de Naturalia... Elle était plus... étincelante mais le même charme s'en dégageait. Elle se demandait si son ancêtre était là. Clérius avait toujours été pieux. Elle retint les larmes à ses yeux et fixa Bellinda :

"Prête? J'espère que tu n'as peur des fantômes? En tout cas, j'espère qu'il n'y aura pas de zombies... Je ne les supporte pas."

Bohème était bien la façon la plus "polie" de la qualifier. Mais elle aimait bien, ce n'était pas si loin de la réalité après tout… Et puis Ambrosia avait l'air particulièrement motivée, comment lui refuser ce petite plaisir? Elle n'allait certainement pas lui dire quelles étaient ses appréhension au sujet de ces deux artefacts et de leurs anciens propriétaires… Cela aurait été trop long à expliquer et elle n'en avait pas la moindre envie pour l'instant. Par contre ce qui la motivait moins c'était que sitôt décidé, elles devaient partir. Une heure… C'était horriblement peu, surtout quand on pensait dans quel état elle était revenue de sa dernière aventure dans un mausolée. Heureusement elle avait pu passer par un guérisseur ce qui lui avait permis d'être à peu près sur pieds. Mais ses stocks de potions étaient déjà bien entamés et elle aurait bien dormi plus de 72h d'affilé pour récupérer… 

Pourtant, au bout d'une heure, elle était bien au rendez-vous. Elle avait changé de tenue, même si elle était sensiblement identique à la précédente, la poussière et les traces de sang en moins. L'elfe en avait aussi profité pour se laver, elle s'était à peine séchée d'ailleurs. La mage aurait aussi pu changer de sac après ce qu'il avait subi mais elle avait préféré le conserver, par fétichisme. Après tout, il lui avait porté chance en quelque sorte. Si elle avait tapé dans les réserves de la tour pour prendre deux fioles de soin, au cas où, elle avait raclé ses fonds de tiroir pour son baume cicatrisant et ses potions personnelles. La jeune femme avait aussi reprit alcool et mousse, en placebo des torches. 

Lorsqu'elle retrouva la conseillère dans le hall elle trouva qu'elle faisait plutôt pâle figure à coté d'elle. En fait, en y réfléchissant bien, elle faisait vétéran fatiguée et crottée à coté de la fringante nouvelle recrue. Ce n'était pas exactement vrai car elle se doutait qu'Ambrosia avait une solide expérience de ce genre d'aventure mais elle sentait bien la différence de niveau… Déjà, elle ne revenait pas tout juste d'une sortie, plutôt épique, ensuite, elle avait accès à des moyens qu'on refusait à Bellinda. Même si c'était entièrement sa faute et qu'elle l'assumait pleinement…

-Ca devrait aller…

Ca façon de monter était déjà beaucoup moins élégante et cela ne s'arrangea guère lorsqu'elle s'endormit à moitié durant le temps de trajet. Heureusement pour elle, sa monture était suffisamment expérimenter pour porter un cavalier assoupi sans changer brusquement de chemin… La mage eut l'impression que l'auberge lui faisait les yeux doux mais elle parvint à s'en détacher pour emboîter le pas à Ambrosia. Après tout elle avait raison de préférer faire cela de nuit, histoire de limiter la quantité de témoins prêts à les accuser de nécromancie.

-On aurait peut-être du embaucher un shaman non?

Pour le commun des mortels les manifestations des esprits étaient souvent soit terrifiantes, soit dangereuses. Sans un intermédiaire compétent, dialoguer avec eux devenait très difficile… Et puis même si elle n'avait jamais eu peur des fantômes jusque là, elle n'avait pas vraiment envie de croiser William. Ou Alicia. Pour des raisons personnelles… La jeune femme n'était certainement pas prête à faire face à ces personnes, et ne le serait probablement jamais à bien y réfléchir…

-On commence par où au juste?

La mage était déjà en train de chercher son nécessaire pour qu'elles n'évoluent pas dans le noir le plus complet…

"J'y ai pensé mais je me suis dit que le ou la shaman aurait voulu un des artefacts en échange et par conséquent, on aurait du la ou le combattre. Donc autant s'éviter un combat de plus."

La jeune femme était sérieuse. Elle appréciait les shamans, elle avait d'ailleurs rencontrer deux d'entre eux récemment mais elle ne pouvait pas dire qu'elle était amie avec eux. Quoi qu'avec l'un, elle était liée par le sang au vu de leur lien de famille mais elle n'avait pas voulu le déranger. De plus, elle avait eu envie que tout ceci reste le plus secret possible. Peut-être tout simplement pour ne pas causer plus de soucis que nécessaire et aussi pour éviter au possible trop d'étrangers autour des fantômes.

"Alicia et William étaient chefs. Même morts, je pense qu'ils ont encore beaucoup de forces... par conséquent, on les verra très bien s'ils souhaitent intervenir... Chose que je ne doute pas un seul instant."

Et si Clérius était là... La jeune elfe aurait alors un protecteur... Enfin, elle l'espérait très fortement. Elle sourit à Bellinda et lui indiqua l'autel. D'après les plans qu'elle avait pu dénicher à la bibliothèque de Naturalia, la trappe qui menait aux catacombes était à cet endroit là. Elle marcha donc paisiblement jusqu'à l'autel et scruta le sol.

"Une dalle doit être plus amovible que les autres ou plus creuses."

Elles se mirent à fouiller et rapidement elles trouvaient la dalle espérée. Celle-ci s'escamotta et un trou noir apparut. Une odeur non délicate plana dans l'air. Cela ne présageait rien de bon. Elle soupira. Elle voulait vraiment éviter les zombies! Elle sortit Phoebus de son écrin pour que la lueur rougeoyante qui s'en dégageait éclaire un brin l'endroit qu'elles devaient pénétrer. Subitement, un froid glacial se fit sentir. L'alchimiste trembla. Une voix d'outre tombe se fit entendre :

"Comment osez-vous interrompre notre sommeil? Seul un coeur pur peut nous atteindre! Partez ou acceptez les conséquences de vos actes!"

Une ombre se posa devant elles... William...

Effectivement, Ambrosia avait raison... Rien ne disait que le shaman n'aurait pas finalement posé plus de problème qu'il n'en aurait résolu. Elles feraient donc sans... Et puis elle avait aussi raison sur ce point. Si Alicia et William étaient présents sous forme d'esprits et qu'ils voulaient communiquer avec elles, ils y arriveraient certainement sans la nécessité d'un tiers. Franchement... Il pouvait bien y avoir une armée de zombies putrides là-dessous, ce n'était vraiment pas ça qui la dérangerait le plus.

Elle ne releva pas les propos de la conseillère, son coeur balançant encore entre son envie de revoir Alicia et l'horreur de constater que l'ange divin était encore coincé dans ce monde. L'elfe en était venue à croire qu'il y avait quelque chose après la mort, un endroit où les esprits pouvaient se retirer loin des soucis terrestres. Une jolie utopie qui rendait certaines vérités un peu moins douloureuses à avaler. Et puis elle ne savait pas ce que ça allait donner... L'ancienne dirigeante des mages rouges devrait, normalement, se montrer bienveillante envers Ambrosia et elle. Elle ne voyait pas pourquoi il en irait autrement... Mais si cela faisait 200 ans qu'elle errait ici, potentiellement torturée... Elle serait peut-être difficile à raisonner...

-Franchement, c'est plutôt leurs esprits que j'ai pas envie de croiser. Les zombies, ça se gère encore...

Obéissant à la conseillère, la mage commença à tester les dalles autour d'elle. La jeune femme ne cherchait pas vraiment à les faire bouger mais faisait claquer l'arrière de son talon dessus, cherchant un son plus creux que les autres, signe du passage d'un hypothétique tunnel. Finalement ce fut sa supérieur qui mit la main sur ce qu'elles cherchaient toutes les deux, le tout assez rapidement. Lili se rapprocha d'elle en rajusta la capuche de sa tenue sur sa tête. Etant donné ce qu'elles s’apprêtaient à faire, autant éviter de se faire bêtement remarquer à cause d'un panache de cheveux blancs...

Les relents qui s'élevèrent de la bouche obscure qu'elles venaient de révéler firent clairement reculer Bellinda en fronçant le nez. La conseillère voulait peut-être éviter les zombies mais elle était bien partie pour ne pas y couper... La mage rouge était en train de sortir ses coutelas en prévision des mauvaises rencontres quand elle se retrouva glacée jusqu'à l'os. Le signe avant coureur de la présence d'un esprit... Complètement figée, la jeune femme se demandait qui allait se présenter face à eux et ne put s'empêcher de se sentir partiellement soulagée en entendant la voix masculine. Mieux valait William à Alicia... Lili tira tout de même un peu plus sur sa capuche.

-Et un coeur estimant que le nom de Mayfair ne doit pas rester qu'une légende. Qui estime que ce nom et ce qu'il représente devrait se perpétuer, continuer à exister?

Coeur pur... Coeur pur... C'était bien le genre de caractéristique qui l'énervait. A quoi on jugeait que quelqu'un avait un coeur pur ou non? Parce qu'il n'avait jamais tué? N'avait jamais éprouvé d'envies? De jalousies? De haine? Ca n'existait pas. Même Doukas avait eu des instants où il avait flanché, elle en était certaine. Elle, ça faisait un bon moment qu'elle estimait qu'elle n'avait plus rien de pur, si elle l'avait été un jour d'ailleurs. Le tout c'était qu'il laisse passe Ambrosia. Alors autant la vendre elle...

Ambrosia fit un pas en arrière malgré elle. Voir un esprit était toujours très impressionnant et super rare. De plus, rencontrer un ancien chef d'un ordre disparu avait quelque chose de mystique. Elle lui fit une légère révérence. Signe d'un profond respect qu'elle éprouvait pour ce qu'il avait fait par le passé.

Un coeur pur... La bonne blague songea la mage rouge. Qui l'était vraiment? L'avait-il été lui par le passé? Elle n'en aurait pas mis sa main au feu. Après tout, il avait du combattre un ombre dans cet endroit et s'en était retrouvé perdant au point d'en briser le coeur de l'ange divin... Donc bon... Il n'était pas un saint et elle non plus. Ses mains avaient été à son gout trop maculé de sang pour protéger son ordre...

La réponse de Bellinda lui plut. Elle avait été plus rapide qu'elle, surement due à la fougue de la jeunesse ou bien à un caractère plus vif aux réprimandes qu'elle. La jeune femme lui sourit puis fixa de nouveau le disciple d'hélios. Il était encore beau même mort.

"Je me prénomme Ambrosia Mayfair, la Rose écarlate. Je viens ici pour que personne ne vous oublie mais surtout pour que la Tour Naturelle soit protégée. Nous connaissons une ère de souffrance. J'ai besoin de votre force sous peine de voir Naturalia disparaitre."

La paix régnait mais la conseillère était certaine que c'était un leurre. Il y avait de temps en temps des attaques de caravanes de marchandise et de plus en plus de vol... Il ne fallait rien nier. L'esprit s'approcha d'elle et la fixa avec soin :

"Nous sommes morts pour vous offrir la sécurité. La paix nous doit perdurer!"

Il disparut... Ambrosia en fut surprise. Elle resta quelques secondes sans bouger puis se retourna vers sa consoeur :

"Continuons. Je suis sûre que nous le reverrons. Il semblait vraiment contrarié."

Elle s'approcha du bord. Une échelle était présente. Elle descendit doucement. L'odeur était vraiment très désagréable. Pas un bruit se dégageait du lieu. Elle attendit que Bellinda entre dans les catacombes et sortit Phoebus.

"Nous devons avancé doucement. Je suis sûre qu'il y aura des pièges."

L'alchimiste marcha avec précaution. Un grincement se fit entendre... puis elles entendirent nettement un bruit métallique... comme une herse qui venait de tomber d'un coup non loin d'elles... Une ombre apparut au fond du couloir. C'était par là qu'elles devaient aller. La main de la rose trembla légèrement... Alicia ou William?

Encore une fois Lili avait réagit plus qu'agit… Elle aurait peut-être du s'offrir le luxe de la réflexion avant de faire de grandes phrases devant William. Si jamais ça tournait mal, ce serait certainement en grande partie à cause de sa langue trop pendue et de son discours trop franc. Maintenant elle guettait sa réaction avec une grosse pointe d'anxiété, tirant encore plus bas son capuchon sur son visage comme un tic nerveux qui lui permettait de conserver un minimum de contenance. Au moins Ambrosia semblait-elle du même avis quelle puisqu'elle lui avait sourit plutôt qu'engueulée… C'était toujours mieux que rien… 

Et puis ses arguments valaient bien les siens… On avait beau faire, on tait toujours en temps de guerre. Les gens devaient s'ennuyer en temps de paix pour faire en sorte qu'elle disparaisse aussi vite. Ils ne devaient pas vraiment réaliser la chance qu'ils avaient, ce qui l'agaçaient souverainement. Combien de personnes s'étaient sacrifiées d'une façon ou d'une autre pour qu'ils puissent vivre sereinement? Tout ça pour voir tous ces efforts ruinés pour une question de politique, de pouvoir… Et William semblait bien du même avis qu'elle.

-Ca peut se comprendre… Ils ont beaucoup donnés d'eux-mêmes, jusqu'à leur vie, pour que les gens puissent vivre en paix. Moi aussi je serai frustrée de voir que c'est déjà piétiné par les survivants… Même si c'est pas forcément directement de votre fait.

L'elfe haussa les épaules pour masquer son ressentiment. Elle aussi était en grande partie frustrée mais pas forcément pour les mêmes raisons… Et elle n'allait certainement pas les aborder maintenant. Il y aurait bien un moment où elle serait au pied du mur et où elle aurait à parler mais pour l'instant, temps qu'elle parvenait à esquiver, elle resterait aussi fermée qu'une huître. Cette expérience allait vraiment être éprouvante pour elle… Elle aurait du refuser alors qu'elle était dans le bureau quitte à passer pour une lâche ou une dilettante. Cette quête allait soulever plus de problèmes qu'elle allait en résoudre… 

Lili descendit à son tour dans le souterrain, fronçant légèrement le nez à cause de l'odeur. Les catacombes… Grâce à l'arme enflammée d'Ambrosia, la jeune femme remarqua qu'il y avait des torches disposées le long du mur. Elle se rapprocha donc de la plus proche et entreprit de l'allumer à l'aide de son briquet… Malgré l'humidité des lieux, elle s'embrasa après quelques secondes d'efforts, dispensant une seconde source de lumière. Ce serait plus pratique si jamais elles avaient à se battre… Avec la quantité de torches au mur, elle pourrait toujours faire en sorte d'avoir un point de lumière fixe avant de la jeter au sol. Ou sur leur ennemi… 

Le bruit métallique n'eut rien de bien rassurant. Comme un animal, la jeune femme se figea quelques instants, le temps de déterminer la nature et la source du bruit. Une ombre ne tarda pas à se montrer au bout du couloir qu'elles devaient emprunter… Vraiment, pourquoi ce n'était jamais simple? L'elfe eut un léger soupir avant d'embraser les torches disposées au mur afin de pouvoir libérer ses mains lorsque le moment crucial arriverait… En forçant un peu son regard elle remarqua des reflets métalliques sur la silhouette qui avançait vers elle d'un pas lourd provoquant moults éclaboussures autour de lui…

-Ah merde…

Devant elles, encore à une certaine distance, se dressait une lourde armure de plaques. Son casque était ouvert sur un immense trou emplit de ténèbres… Une armure animée…

"Tout héros qu'ils furent, ils sont décédés et nous, les héritiers, n'avons pas su apaiser des querelles ancestrales qu'eux même durent tenter d'enfermer... Nous ne sommes que des pantins d'un destin déjà tracé allant toujours vers la même fin. Un jour peut-être cela changera... un jour..."

Ambrosia n'était pas désabusée. Elle acceptait juste la réalité avec une relaxation toute relative. Voir la mort de près n'était jamais très agréable et surtout quand celle-ci touchait l'un des vôtres mais les ordres étaient ennemis et alliés pour d'autres depuis des siècles entier au point que les personnages actuels ne savaient même pas comment tout cela avait commencé... Les archives, elles-mêmes, ne pouvaient tout conter.

Une solution à tout cela? L'amour possible entre un mage noir et une mage rouge par exemple ou une mage blanc et un nécromancien... mais ceci était pour certains contre nature et il était fort à parier qu'ils deviendraient surtout des têtes à abattre plutôt qu'autre chose... N'avait-on pas dénigrer l'amour que portait Alicia envers Kharl Navras quand celui-ci revint des morts et tenta de la tuer?

Mais il n'était pas le temps de philosopher... non... il était temps d'agir... Une armure enchantée... Quel meilleur gardien? Après tout, celui-ci ne connaissait pas la souffrance, ni l'épuisement. Elle soupira doucement et prononça :

"Il faut trouver le maitre ou bien ce qui l'anime... en tout cas, je te déconseille de gouter à son poing."

Un annule-sort ne serait pas efficace. Elle espérait juste que cela soit l'oeuvre de William et non de l'enchanteresse. Une silhouette était derrière... Les torches l'éclairaient que par moment mais elles ne pouvaient pas voir ses traits avec certitude. L'armure leva le bras et son poing métallique vint frapper le sol avec violence faisant trembler celui-ci sous leurs pieds. Ambrosia incanta et fit apparaitre un mur de terre devant leur ennemi.

"Je peux l'empêcher d'avancer. Cherches derrière lui. Vois s'il n'y a pas un glyphe sur lui ou bien une zone qui semble plus friable."

Toute incantation avait son point faible... Il fallait juste la trouver. L'armure vivante donna des coups sur le mur de terre forcant la rose écarlate à agir contre cela en emprisonnant ses jambes et surtout en faisant apparaitre des pointes sur le mur. Dès qu'elle aurait une cible efficace, elle n'aurait qu'à donner toute sa puissance... Il fallait juste espérer qu'elle ne faisait pas fausse route...

Ca… Le Destin avait toujours un sens de l'humour plus que douteux. Comme beaucoup de monde, elle trouvait d'ailleurs qu'il avait s'amusait un peu trop souvent avec elle. Comme la forcer à croiser ces esprits ou la faire ramper dans ces catacombes envahies par des armures vivantes. Elle était bien avancée avec ses malheureuses armes, trop courte et trop fragiles, pour espérer pouvoir faire quoi que ce soit… Restait que Lili n'était pas délicate et avait eu une éducation assez singulière. Suffisamment pour qu'elle ne se laisse pas démonter par les difficultés. Ni par quoi que ce soit d'autres d'ailleurs…

-Je vais voir ce que je peux faire…

L'elfe allait devoir se faufiler derrière le mur et l'armure si elle voulait voir quoi que ce soit… Il lui avait bien semblé distinguer une silhouette en retrait mais elle n'avait pas le temps de s'en occuper. S'il s'agissait de l'invocateur, il serait certainement plus puissant qu'elle et elle ne parviendrait à rien. Par contre, il y avait forcément un glyphe sur l'armure pour canaliser l'enchantement et les ordres de son maître. Il suffisait qu'elle la trouve et la détruise pour déjà gagner un temps précieux. Et elle avait toute confiance en Ambrosia pour pouvoir maîtriser n'importe quel jeteur de sort adverse. Fut un temps où elle aurait probablement chargé ce dernier sans trop s'inquiéter mais là… Les choses avaient changé.

Profitant d'un moment d'inattention de son adversaire, empêtré par les pics rocheux, la jeune femme se glissa de son coté… Elle ne faisait certainement pas le poids en terme de puissance ou de taille, mais elle le surpassait largement en dextérité et rapidité. Il faudrait tout miser là-dessus. Si le passage se fit finalement sans trop d'encombres, cela ne dura guère. A peine avait-elle eu le temps de jeter un rapide coup d'œil que l'armure faisait brusquement volte-face, balançant ses bras sans même bouger ses jambes. Lili eut tout juste le temps de se baisser pour éviter l'attaque mais elle vit aussi que l'armure allait désormais s'orienter vers elle.

Sans plus réfléchir, la mage rouge bondit brusquement pour s'agripper au dos de la marionnette. Pendant un instant, son adversaire ne sut trop que faire de ce oustiti enragé avant qu'un ordre silencieux ne lui soit transmis. Il se mit alors à frapper le mur à l'aide de son dos, prenant Bellinda en sandwich. La jeune femme n'eut pas le temps d'avertir Ambrosia, espérant qu'elle avait enlevé les pics… Mais la transmission de l'ordre avait eu le mérite de faire luire une toute petite zone sur l'épaulette de l'armure. un minuscule glyphe gravé avec soin s'y trouvait…

Les os à moitié brisés, l'elfe tint bon et parvint à marteler suffisamment la zone pour que le glyphe soit altéré, provoquant un petit éclair accompagné de fumée. L'amure trembla quelques instants avant de s'effondrer sur Bellinda… A moitié fracassée, une main sortit de sous les pièces métalliques pour montrer le fond du couloir…

-Par là…

L'aventure était périlleuse mais la récompense à la clé n'en serait que plus merveilleuse. Ambrosia ne cherchait pas à faire tuer sa compatriote. Qu'elle la laisse agir ainsi était une preuve de confiance ou bien un test sur ses aptitudes allez savoir. De toute façon avait-elle vraiment le choix ? Non. Elle ne pouvait pas faire les deux choses à la fois sous peine de se retrouver raccourcir d'un membre et les deux femmes ne pouvaient pas se permettre cette éventualité... donc c'était à Bellinda d'agir...

Alors qu'elle le maintenait en respect, l'armure décida de changer de proie vu que la deuxième alchimiste était bien plus proche et ne lui faisait aucun mal. Ambrosia poussa un juron elfique bien senti. Il était hors de question qu'elle le laisse agir ainsi. Bellinda agit promptement et fit blémir le visage de sa supérieure. Elle était complètement cinglée et l'armure eut tot fait de lui faire payer son action. L'alchimiste avait arrêté sa magie pour éviter qu'elle soit blessée.

Elle entrava de nouveau les pieds de l'invocation mais elle ne pouvait pas agir sur le haut du corps sous peine de faire du mal à son alliée. Celle-ci s'en sortit... et terrassa le monstre grâce au glyphe repéré mais son état était alarmant. Ambrosia fouilla dans les décombres et l'en sortit.

« Ne bouges pas. »

Récemment, elle avait appris qu'elle possédait le sort de guérison. Celui-ci ne pouvait tomber mieux. Elle incanta et une magie apaisante entoura la demoiselle dans un hallo de bienfait. Deux minutes plus tard, ses plaies fut cicatrisées. Elle resterait engourdie pendant quelques temps mais elle pourrait marcher et attaquer.

« Allons y. »

Bien sûr, le marionnettiste n'avait pas attendu qu'elles reviennent. Il s'était faufilé jusqu'à une immense salle remplie de criptes. Elles ne pouvaient pas voir son visage, celui-ci était caché par de l'ombre. Avant qu'elles ne puissent faire quoi que ce soit, les tombes se mirent à bouger... et des dizaines de squelettes dans des états différents en sortir... pas de trace de William, ni d'Alicia...

Lili avait toujours fonctionné ainsi, flirtant avec les limites. Même quand il était question de prendre des décisions dangereuses pour sa propre sécurité. De toute façon le risque était limité finalement… Après tout elle était avec l'une des plus puissantes des mages rouges et elle avait elle-même quelques joker au fin fond de sa besace. Bon, cela allait quand même coûter quelques bleus et bosses… Enfouies sous les débits de l'armure, la jeune femme s'octroya quelques secondes pour souffler et faire le point sur son état. Elle savait déjà que ses extrémités étaient intactes, c'était principalement le dos qui avait pris. Elle avait eu de la chance que les impacts soient nets et droits, le mur ou l'armure même auraient pu présenter des angles, pointes ou aspérités qui auraient pu faire bien plus de dégâts…

La mage se contenta d'obéir à sa supérieur, se gardant de faire le moindre commentaire… C'était la première fois qu'elle travaillait avec elle et elle se doutait que ses manières parfois de tête brûlée pouvait gêne ses alliés. Elle accepta donc les soins de bonne grâce, sentant son corps se remettre de lui-même grâce au pouvoir de guérison dont la rousse semblait affublée. C'était un choix intéressant… Très altruiste et tourné vers les autres. Très mage blanc… Peut-être que cela inciterait les blancs à un peu mieux considérer les rouges avec une représentante possédant un tel pouvoir?

-Merci…

Bon… Si elle voulait ne pas passer complètement pour une suicidaire, il valait mieux qu'elle se montre un peu plus prudente. Si elle voulait vraiment se rendre utile aussi. Alors que l'elfe se relevait, elle réalisa qu'elle avait les mains couvertes de poussières. Prise d'une soudaine inspiration, elle les passa sur son visage et ses cheveux… Cela donnait un petit coté corps fraîchement relevé et avait surtout le mérite de brouiller un peu ses traits tout en donnant une explication pratique à son geste: elle venait de tomber après tout… Si cela pouvait éviter… Enfin, elles n'y étaient pas encore…

Lili emboîta le pas à sa future dirigeante, poursuivant à son tour le marionnettiste qui les mena jusqu'à un nouveau piège. Les occupants des lieux se mirent en mouvement, sortant de leur dernier lit… Certains étaient plus "frais" que d'autres mais dans l'ensemble c'était l'os qui prédominait. La jeune femme ne put s'empêcher d'avoir un soupir de lassitude. Si jamais elle devait mourir il fallait absolument qu'elle fasse en sorte que ceux qui s'occuperaient d'elle préparent un bûcher funéraire. Les cimetières et cryptes étaient les lieux les moins reposants qu'elle connaissait pour les morts…

-Vous pouvez pas leur foutre la paix un peu?

Bellinda non plus n'aimait pas les squelettes, surtout coincée en intérieur. Parce qu'elle n'avait pas vraiment de quoi lutter contre eux. Ses lames n'avaient rien à trancher, ses potions pas de sens à troubler et son accès au vent très limité. Que du bonheur…

-Une stratégie préférée ou on fonce dans le tas pour le choper?

La jeune femme fixa les morts avec une certaine résignation. La nécromancie était un fléau de part Nelberaid et elle était désolée de voir que celle-ci avait encore de l'action dans les sous-sols de la cathédrale de Bénécius alors que cet endroit était un sanctuaire. Par où commencer? Devaient-elles vraiment les attaquer? Qui étaient ces gens? Des anciens mages blancs? des chevaliers? des villageois morts lors de l'attaque des anges? Leurs corps étaient trop décharnés pour vraiment les identifier. Mais Ambrosia était partante pour la dernière option. Cela correspondrait bien à l'enchanteresse.

"Ramenons les à leurs états naturels le plus rapidement possible."

Elle chercha dans son dos et en sortit un éventail. Elle le caressa du bout des doigts et le bougea légèrement. Une brise apparut puis d'un geste plus vif, elle fit déferler une puissante bourrasque contre une colonne de squelettes qui venait vers eux. Ils tombèrent tels des quilles et se cassèrent quelques morceaux au passage.

"Alicia on est là pour éviter qu'une nouvelle guerre vient compléter les cryptes vides! Viens nous parler!"

Les squelettes continuèrent à s'avancer mais semblaient plus lents. La jeune alchimiste renouvela son action et une nouvelle bourrasque fonça vers les morts. Cet artefact avait appartenu à une maléfique par le passé mais restait un de ses objets préférés qu'elle avait récupéré quelques mois plus tôt en compagnie d'un nomade. Elle le rangea et usa de la terre pour les ralentir.

"Ne nous forces pas à les faire souffrir!"

Un rugissement se fit entendre et les squelettes tombèrent au sol dans un bruit dégoutant mais ils étaient de nouveau éteints. Telle une furie Alicia Mayfair fit son apparition et fixa les deux jeunes femmes.

"Qui m'a protégé??? Je suis morte pour que vous viviez mais tout le monde l'a oublié!"

Elle hurla de rage et les lumières s'éteignirent. La mage rouge n'était pas de bonne humeur apparemment tout comme William auparavant... La torche se ralluma et l'ange fut devant Bellinda. Elle la fixa avec intensité et demanda à celle-ci plus surprise qu'autre chose :

"Pourquoi as-tu disparu? J'ai eu besoin de toi!"

Le fantôme disparut. Laissant Ambrosia fixant sa partenaire sans comprendre. Qu'avait-elle voulu dire?

Ambrosia était quelqu'un de bien... Elle aussi avait rapidement cerné le problème. Ces pauvres hères n'avaient rien demandé à personne. Ils avaient même probablement plus que mérité un long et éternel repos. Les forcer à s'animer à nouveau pour, en plus, s'attaquer à des vivants n'était pas vraiment très fair play. Surtout pour eux. Ce n'était pas vraiment leur faute. S'il fallait tout de même se défendre, autant éviter un maximum de casse. C'était la meilleure façon qu'elles avaient pour leur rendre hommage et les aider à conserver un minimum de dignité...

Toutefois s'adresser directement à la personne qui avait fait se relever les squelettes était aussi une façon de faire. Et cela se révéla efficace puisque dès les premiers mots les morts-vivants semblèrent ralentir, plus désordonnés, peut-être un poil hésitant. La personne qui les dirigeait devait être touchée, d'une façon comme une autre, par le discours de la conseillère. Et c'était une bonne chose du moment que ce n'était pas le calme avant la tempête. Même si elle ne pouvait le dire à voix haute, elle espérait juste vivement qu'Ambrosia se trompait sur la personne derrière tout cela...

Si c'était bien Alicia qui dirigeait ces corps... Elle connaissait l'Ange Divin, la réputation sur son intégrité n'était pas surfaite, ce n'était pas une légende. Jamais elle n'avait porté la nécromancie dans son coeur, jamais elle n'aurait permis que quelqu'un tourmente ainsi les morts en les pliant à sa volonté alors qu'ils n'avaient rien demandé... Aussi, lorsque sa voix raisonna dans la crypte, la jeune femme sentit que son coeur loupait un battement. Puis un second... Avant de battre la chamade dans sa poitrine comme s'il voulait s'en échapper. Un pas en arrière de sa compagne, cette dernière ne put voir sa réaction, qui aurait probablement pu passer pour de la peur, mais Lili devint livide. Elle était déjà pas bien mat de peau mais là elle s'accordait fort bien avec les ossements alentours.

Lili n'en croyait ni ses yeux, ni ses oreilles. Ce ne pouvait pas être Alicia... Déjà qu'elle ait manipulé les corps... Mais... Une telle rage, une telle colère... Cela lui faisait mal aussi surement qu'une blessure bien physique. Sans compter qu'elle prit l'attaque directement pour elle, tout simplement parce que cela faisait échos à ses propres sentiments... Merde, on aurait jamais du la laisser se sacrifier ainsi! N'avait-elle pas déjà assez donné pour les autres? Pas seulement d'un point de vue personnel mais tout le reste... Sur la fin, elle n'avait plus eu que ses responsabilités, un véritable fardeau. Et sans même vraiment s'en rendre compte, on avait cessé de lui en demander toujours plus. Et comme elle était ce qu'elle était, elle était allée jusqu'à tout donner...

Lorsque les lumières se rallumèrent pour découvrir Alicia juste en face d'elle, la jeune femme ne put s'empêcher de sursauter. Vraiment, elle avait espéré, fort naïvement, qu'elle parviendrait à passer inaperçue. Qu'elle ne la verrait pas. Ou qu'elle ne comprendrait pas... C'était idiot comme espoir car complètement stérile. Il y avait trop de choses en suspens pour qu'elle s'offre le luxe' de l'oubli ou de l’ignorance. Toutes ses frasques à la tour le lui avait bien fait comprendre. Elle n'avait jamais été vraiment libre de ses actes... Ses paroles la laissèrent sans voix, blessée comme si on venait de lui enfoncer un pieu dans le coeur.

Quand Alicia la laissa là, coïte, elle sentit le regard d'Ambrosia sur elle. Incapable de le soutenir, elle resta dans sa position, sans même la regarder, fixant un point sur un horizon imaginaire. Elle n'eut qu'un sourire, un peu en biais, un peu amer.

-Je vous avais prévenu que mes résultats étaient désastreux dans ce domaine...

Quitte à faire, autant crever l'abcès maintenant. Un problème à la fois, elle gèrerait celui que représentait une Ambrosia curieuse après... Parce que même si elle sentait la culpabilité à plein nez, il y avait tout de même deux trois points à éclaircir. Lili rabattu sa capuche, qui ne lui servait visiblement à rien, et s'avança suffisamment pour laisser la conseillère derrière elle. De toute façon, si quelqu'un devait essuyer la juste colère d'Alicia c'était elle et pas la future chef des mages rouges...

-C'est un peu facile le coup de l'esprit frappeur qui pose ses questions et qui se barre dans la foulée !!

La jeune femme avait toujours fonctionné à la provocation, même si elle savait qu'elle pouvait en prendre plein les dents. Alors, bien campée sur ses jambes, doigts dressé, elle engueulait le vide. Faute de mieux...

-D'où t'as été oubliée d'abord? T'es devenue une légende ! Une foutue légende avec le L majuscule, les bardes et tout le trallalla. Alors je sais, y'a pas le quart de la moitié de ces foutus péquenauds pour comprendre tout ce que t'as du sacrifier. Mais dans le lot t'en as quand même qui te vénèrent presque comme une déesse et qui ont conscience que sans toi ce serait un bordel innommable.

Elle désigna Ambrosia dans son dos.

-Merde, t'en as même qui te rende hommage dans leur vie de tous les jours. C'en est presque un sacerdoce ! Alors, non, franchement, t'as pas disparu dans l'oublie. C'est impossible. Et le jour où ça risque, y'aura suffisamment de cul bottés pour que ça le reste pas longtemps !

La jeune femme croisa les bras... Elle espérait juste pouvoir finir, et être en état de parler par la suite... Ni que ça retomberait sur Ambrosia. Ou qu'elle ne poserait pas trop de questions en même temps... Normalement sa réputation de malade mentale ne serait plus à refaire après tout ça !! Son ton se fit nettement plus doux, plus désolé, navré...

-Par contre si c'est des comptes personnels que t'as à régler, autant y aller franco. Ca arrangera tout le monde.

Le silence se fit. Ambrosa n'osait qu'à peine respirer. Elle ne comprenait pas vraiment pourquoi l'enchanteresse était en colère et pourquoi elle semblait penser qu'elle connaissait Bellinda. Hors c'était impossible, puisqu'elle était née bien après la mort d'Alicia... Enfin, c'est ce qu'elle avait toujours cru mais elle avait suffisamment lu l'histoire de ce monde pour savoir que les apparences étaient souvent trompeuses et que les secrets se révèlent toujours à un moment donné.

La mage rouge écouta sa consoeur parler à la défunte évanouie. C'était risqué mais véridique. Alicia Mayfair était encore plus reconnue que n'importe quel autre de leur ordre même Théodore celui à qui elle avait succédé après le désistement d'Itsuki. Le seul hic dans l'histoire c'est qu'elle n'avait pas eu d'héritier direct... L'elfe blanchit légèrement. La défunte ne savait pas les origines de celle-ci et cela ne risquait pas d'arranger les affaires...

La fantôme apparut devant elle et la fixa avec intensité forcément la demoiselle a baissé le regard. Elle disparut et revint vers Bellinda, des ailes dorées dans le dos. Pendant presque une minute, rien ne se passa. Le visage de la défunte était toujours crispée d'une rage furibonde mais celui-ci semblait se lisser. Elle prit la parole :

"Les livres racontent des choses mais personne n'a su réellement ce qui s'était passé. Personne n'a su que l'attaque était causée par ma soeur... sauf ma fille! J'ai voulu la protéger et j'en suis morte. Naturalia est blessée à vie car vous n'êtes même pas capable de réparer les dégats. Personne n'a eu l'idée de construire une muraille contre le désert... Vous êtes pitoyables... Je suis une légende mais je suis morte! MORTE! Et vous n'avez rien retenu!"

La jeune femme bougea et s'approcha de Bellinda. La fantôme retenait sa rage, c'était indéniable.

"Les anges nous ont attaqué car nous avons violé leur espace saint. Si cela n'avait pas été découvert... rien ne se serait passé."

Un souffle fit reculer de plusieurs pas Ambrosia. De la lumière était présente dans les mains de l'ange et semblait vouloir bruler l'archimage.

"C'est toi mon héritière! Tu parles! Tu pues la peur! Vous puez toutes les deux la peur d'ailleurs! Mon ordre a perdu de son influence! Pourquoi vous avez laissé les chevaliers nous abandonner?"

L'esprit était torturé. Ce n'était pas elle la responsable de la protection des catacombes. Il y avait trop de choses qui lui faisait mal, certes, mais elle n'aurait jamais joué de la nécromancie. Elle n'était pas en paix... et elle doutait que c'était uniquement dû à leurs présences.

"Aides nous à tout remettre dans l'ordre!"

Ambrosia dut reculer pour éviter une tornade de terre dirigée contre elle. Alicia s'approcha de Bellinda et lui dit :

"Tu as les réponses! Tu dois redevenir celle que tu es! Je lis en toi et tu espérais que je t'oublie comme les autres l'ont fait! Mérites tu mon artefact?! J'en doutes sincèrement! Où est celle que j'ai connu? Pourquoi dois-tu être la servante de cette brebis?"

Son calme était légendaire, sa mesure tout autant et encore plus sa façon si posée de répondre à ce genre de provocations… Et c'est bien pour cela que Lili monta d'un cran, loin de calmer le jeu et ignorant complètement le regard d'Ambrosia posé sur elle. Un regard chargé de doutes qu'elle aurait à gérer par la suite… Pour l'heure elle n'en avait strictement rien à faire, si elle avait des comptes à lui rendre ce serait pour plus tard, quand elle serait motivée. Ou calmée plutôt…

-Un mur? Mais c'est du sable, c'est la nature, ça s'arrête pas comme une invasion de barbares ! Un mur te fera gagner quoi? Une poignée d'années? Puis ils s'éroderont, et ça repartira de plus belle. Si on doit faire en sorte de ralentir la propagation du désert c'est par les plantes, une végétation soigneusement sélectionnée pour maintenir le sable en place, changer le sol et faire évoluer l'environnement. Si on veut sauver Nelberaid ce sera avec les druides et les chroniqueurs. Et ça se fera sur plusieurs générations d'hommes !

C'était un problème qu'elle avait tourné dans tous les sens et elle en était arrivée à cette conclusion… Mais elle aurait eu besoin de calme et de gens attentifs pour pouvoir l'exposer efficacement. Par contre le problème des chevaliers lui passait bien au-dessus de la tête, sa diplomatie étant légendaire…

-Et où est la Grande Dame que j'ai suivi? Qui elle seule méritait la loyauté de la brebis galeuse que j'étais justement? Celle pour qui j'aurai donné ma vie !

Le regard de la jeune mage rouge se brouillait légèrement. Portant la main à sa joue, elle fut surprise d'y découvrir un liquide salé… Des larmes de rage face à sa culpabilité, son impuissance et ses regrets. Et sur ce qu'était devenue Alicia aussi.

-C'était mon boulot de te protéger, pas le tien ! S'il fallait faire quelque chose de complètement timbré c'était moi, pas toi !

La jeune femme s'était déplacée pour se planter devant le fantôme mais on sentait aussi qu'elle faisait en sorte de se placer soigneusement entre les deux Mayfair. Si jamais Alicia devait passer ses nerfs, ce serait sur elle et personne d'autre. Ambrosia, même si elle était à l'origine de leur présence ici, n'avait rien demandé à personne. C'était un peu comme quand on se retrouvait à un repas de famille qui dégénérait en bataille rangée… Et à la façon dont Bellinda bougeait les mains, on sentait qu'elle aurait voulu attraper l'ancienne Ange Divin par le col, ou lui enfoncer son index dans le torse pour ponctuer ses phrases.

-Tu sais où elle est? Elle est toujours coincée dans son cercueil de cristal. Avec ses espérances puériles brisées.

Lili souffla par le nez, parlant un ton plus bas… Non pas qu'elle cherchât à ne pas se faire entendre par Ambrosia mais cela lui permettait de ne pas finir en hurlant…

-Je n'aurai jamais du venir te voir ce jour-là. Je n'aurai jamais rien du dire sur ma grosses, à lui comme à toi. Comme ça j'aurai pu être à tes cotés quand tu en avais besoin. Et je t'aurai empêchée de te sacrifier comme tu avais toujours tendance à le faire. Et c'est exactement pour ça que j'avais peur de venir ici, que j'avais envie de n'être qu'une mage rouge parmi tant d'autres…

En disant cela elle désigna Alicia dans son entier, faisant référence à sa colère, son état de fantôme… Et aussi sa propre culpabilité.

-Celle que tu as connu avant n'avait qu'une chose de vraiment importante à faire, elle n'était bonne qu'à ça… Et elle a échoué lamentablement. Elle s'est réveillée bien après la bataille privée de tout, de ses pouvoirs, de ses amis et de sa famille. Le monde avait changé et elle était complètement perdue. Et ce qu'elle voyait ne lui plaisait pas plus qu'à toi. Sauf qu'elle n'a plus qu'une seule carte en main…

Disant cela, la mage rouge se retourna pour désigner Ambrosia d'un mouvement du menton.

-Faudrait être fou pour pas avoir peur… Mais comme c'est pas une lâche, elle est là. Elle essaye d'améliorer les choses, de redresser l'ordre, de voir ce qui peut être fait pour bouger tout le monde et régler le problème du désert. Si c'est une brebis, elle est aussi galeuse que moi dans ce cas. Et elle fait les mêmes mauvais paris sur l'avenir que toi en décidant de me donner le bénéfice du doute. Ca me changerait de pas avoir une nouvelle mort sur la conscience d'ailleurs…

Lili commençait à doucettement se calmer, bras croisés sur le torse. Ca ne servait à rien de jeter de l'huile sur le feu maintenant qu'elle avait vidé son sac. Elle pouvait maintenant raisonner de façon un peu plus efficace…

-Crois moi, plus que les autres je le sais que tu s morte. Et on échange de place quand tu veux… Mais je sais aussi que t'es pas du genre à te taire. Pourquoi vider ton sac ici et maintenant?

Elle voulait savoir ce qu'il y avait de plus derrière cette rage. Car elle aurait pu venir les hanter pour leur expliquer tout cela bien avant…

Ambrosia assistait à un combat verbal dont elle ne comprenait pas toutes les subtilités mais elle écoutait chaque mot, enregistrant chaque détail avec soin. L'idée de Bellinda pour contrecarrer le désert n'était pas négligeable. Il fallait qu'elles en parlent avec leur chef puisqu'elle n'était pas encore à ce niveau.

Lorsque les derniers mot finirent d'être énoncés, la rose retint son souffle. Elle n'avait pas apprécié se faire insulter mais il était vrai que comparer à la grande Mayfair, elle n'était rien. Juste une pauvre microbe avec des pouvoirs qui ne demandaient qu'à grandir chaque jour. Depuis la mort de l'ange et la disparition de sa race, personne n'avait eu depuis le contrôle de la lumière, est-ce que cela serait toujours le cas? Elle adorerait avoir ce pouvoir mais il demandait tant de maitrise qu'elle en avait mal au crâne d'avance.

La fantome fixait sa consoeur avec calme. Son visage s'adoucissait de plus en plus reprenant l'aspect d'avant et non celui de la furie. Sa lumière s'en retrouvait d'autant plus grande. Elle murmura presque pour elle-même :

"Toujours à protéger les autres. Ta vie n'a donc aucun sens à tes yeux?"

Elle avait été peinée par sa détresse qui ne faisait écho qu'à la sienne. Elle sourit et reprit :

"J'aurais aimé être là. Perdre la vie alors qu'on est censé être immortelle vous met un gout de cendre sur la bouche qui jusqu'à présent ne s'atténuait pas. Plusieurs personnes sont venues avant vous dans ce lieu pour me voler. Avec William, le dégout s'est transformé en haine. Nous nous sommes sacrifiés pour un monde meilleur mais les rôdeurs semblent être plus présents que les notres."

William avait été un disciple d'hélios et même le chef d'une des deux voies. Ils ne savaient pas que cet ordre avait disparu. Les vivantes devaient-elles en informer la morte? Une ombre était présente derrière elle. Surement son ancien amant. Lui aussi voulait les tester.

"Ne vis pas dans le passé. Suis ton avenir. J'aurais aimé que tu sois la chef, tu étais mon héritière et te voilà de nouveau à l'état larvaire... Peut-être que je peux changer cela..."

La fantôme disparut et se téléporta devant Ambrosia et la regarda avec une certaine froideur :

"Ne la déçois pas."

La rose hocha la tête sans vraiment comprendre pourquoi elle ne devait pas décevoir Bellinda. L'inverse primait non au vu de leur niveau? Mais elle n'était rien. Même morte, elle sentait à quel point elle était loin du niveau de la défunte et cela la blessait quelque peu. C'était en partie pour cela qu'elle souhaitait son artefact.

"Avancez. Evitez de mourir et votre vie changera."

Les deux jeunes femmes se retrouvaient de nouveau seules. Ambrosia mourrait d'envie de poser des tonnes de question à sa consoeur. Comment se faisait-il qu'elles s'étaient connues par le passé par exemple. Elle marcha jusqu'à elle et posa une main sur son épaule, laconique, elle prononça :

"Continuons. Nous en apprendrons bien plus qu'en restant sur place."

Elle attendait la réponse à sa dernière question avec une certaine appréhension... La pression redescendait doucement, la laissant plus lucide de ses faits et gestes. Et de ses paroles surtout. La jeune femme avait toujours autant un tempérament sanguin, trop même, et fonçait tête baissée pour enfoncer des portes ouvertes. Cela lui couterait très cher un jour et elle espérait vraiment que ce ne serait pas aujourd'hui... Au moins pour la pauvre Ambrosia qui ne savait pas vraiment dans quoi elle avait mis les pieds. La conseillère était déjà bien méritante d'avoir donné sa chance à l'une des pires recrue de la Tour, si en plus elle se retrouvait blessée ou tuée par sa faute... Peut-être l'aurait-elle soigneusement évitée si elle avait su qui elle était vraiment. Une saine et prudente distance que l'elfe ne pouvait que vivement conseiller. Il suffisait de voir dans quelle situation elle se trouvait maintenant pour comprendre pourquoi...

Pourtant la tempête qu'elle craignait ne vint pas. Au contraire, le visage d'Alicia sembla s'apaiser, lui offrant celui dont elle conservait le souvenir. Etrangement, elle eut un pincement au coeur car elle éprouva soudain le besoin bien enfantin de se jeter dans ses bras pour la serrer fort et lui dire à quel point elle lui manquait. Il y avait des moments où l'on avait envie de crier toute sa haine envers le sens de l'humour pervertit du destin. Des moments comme ceux-ci où elle sentait plus que jamais le fossé qui se trouvait désormais entre elles... Elle avait l'impression d'être un mauvais souvenir qui s'attardait alors qu'il aurait du s'effacer depuis déjà bien longtemps. Sa vie était tellement liée aux ceux à qui elle la dédiait, qu'effectivement, une fois ces derniers disparus, elle n'y accordait pas une grande importance.

-Franchement, tu m'aurais vu en dirigeante? Je n'ai pas assez de coeur pour ça. Pas les épaules... Ce n'est pas comme vous. Je suis et serai à jamais destinée à être une âme damnée au service de plus grand que moi...

Lili eut un sourire en coin... Cet état de fait ne semblait absolument pas la déranger, bien au contraire. C'était ainsi qu'elle avait toujours été la plus efficace, en électron libre ne rendant des comptes qu'à qui de droit. Et elle était plutôt sélective pour déterminer qui elle décidait de suivre, devenant son ombre. Prétendre à la place de chef ne lui était certainement venu à l'esprit. Et encore aujourd'hui, ce n'était pas une position qu'elle brigait. La plupart des mages auraient, déjà, probablement eu une attaque si cela avait été le cas et elle aurait depuis longtemps mené l'ordre à sa perte avec son tempérament difficilement maitrisable...

Elle n'avait pas envie qu'Alicia reparte... Maintenant qu'elle était suffisamment calme pour pouvoir parler, elle avait envie de rester et de lui poser toutes ces questions qui lui tournaient en tête depuis qu'elle avait repris conscience. Mais elle avait malheureusement d'autres priorités que sa petite personne. Priorités qui se rappelèrent à elle en posant leur main sur son épaule. Consciente de l'énorme non-dit qui flottait entre Ambrosia et elle, un silence qu'il lui faudrait bien comblé une fois qu'elles seraient en sécurité et au calme, l'elfe ne parvint pas à se tourner vers elle. Elle se contenta de doucement hocher la tête... L'artefact n'était qu'une anecdote, un élément qui ne l'intéressait pas vraiment... Et une fois que la conseillère aurait mis la main sur ce qu'elle cherchait, elle lui demanderait l'autorisation de rester quelques instants seule ici. Avec un peu de chance elle parviendrait à revoir Alicia dans une situation un peu plus "propice"...

-Vous avez raison...

Lili partit donc en avant, prenant à coeur de ne pas échouer dans sa tâche cette fois-ci. Si elle devait protéger Ambrosia, elle y arriverait cette fois-ci... Mais elle ne put s'empêcher de rajouter à voix très basse, probablement pour que seul l'esprit puisse l'entendre...

-Mais je reviendrai...