"Me rencontrer a l'air de te donner beaucoup de plaisir... ou du moins pas beaucoup de stress..."

Une jeune femme toute de rouge vêtue, une ceinture dorée lui enserrant la taille, ses longs cheveux châtains mordorés reposant sur ses épaules, venait d'apparaitre. Certains disaient qu'elle ressemblait ainsi à Alicia Mayfair, sauf qu'elle, elle en doutait profondément. Pour faire simple, elle n'avait pas les yeux violets comme sa prédécesseuse. Elle n'avait pas non plus une belle chevelure flamboyante et surtout, elle était une elfe et non une ange.

Néanmoins, la ressemblance était flatteuse même si elle voulait tracer son chemin par elle-même depuis quelques temps... ne plus être une ombre mais bien la rose écarlate en bonne et due forme. Son idole resterait dans son esprit. Juste son nom serait sa marque de fabrique, un simple rappel...

Ambrosia fixait la paresseuse. Son état lui rappelait une rumeur sur la conseillère de l'enchanteresse mais Ilda avait disparu depuis si longtemps... Elle devait juste l'idolatrer... En tout cas, elle ne ressemblait pas à la farceuse hors pair qu'on lui avait décrit. Elle en était presque déçue. Pour la première fois qu'elle remontait les bretelles d'une nouvelle recrue, elle ne pourrait pas s'amuser.

Son chef avait confiance en elle... donc elle devait lui prouver qu'il avait raison. Elle était fraichement conseillère et ne s'attendait pas à endosser ce rôle... son dada à elle était les plantes et les potions ainsi que le contrôle des éléments... Là, elle avait l'impression d'être une institutrice revêche... Beurk...

"Debout et viens avant que je perde patience."

Son ton était plus sec que d'ordinaire. Elle jouait son rôle. Elle entra dans son bureau. Celui-ci était fait de bois de chêne et d'acajou. Pas de portrait... Juste des tonnes de livres et de parchemins ainsi que quelques pots de terre contenant des plantes inconnues pour les apprentis mais aux propriétés à coup sûr exceptionnel. Un éventail tronait sur le bureau. Son dernier cadeau magique qu'elle avait récupéré avec Masaku il y a quelques semaines.

"Tu es donc Bellinda... Pourquoi t'amuses tu à tester des choses sur nos nouveaux arrivés? Quel procédé de teinture utilises-tu? Cela m'intéresse."

La voix la sortit du brouillard dans lequel elle était en train de lentement s'enfoncer. Elle n'ouvrit qu'un seul et unique œil pour voir à qui elle avait à faire… Et dans ce demi-sommeil, durant cette fraction de seconde pendant laquelle le cerveau essayait d'analyser paresseusement ce qui l'entourait, ce qu'elle vit la fit se redresser vivement. Pour quelqu'un d'averti les différences étaient effectivement suffisamment nombreuses et présentes pour que la confusion ne soit pas possible. Mais pour quelqu'un de fatigué et qui dormait à moitié elles étaient bien trop subtiles pour sauter aux yeux. Ainsi, durant cette fraction de seconde, elle cru se trouver face à l'Ange Divin en personne… 

Mais une fois redressée et l'esprit clair la désillusion fut totale. Elle les voyait bien ces différences, elle les sentait même de façon viscérale. Et elle sut face à qui elle se trouvait. La tout juste promue conseillère Ambrosia Mayfair. Son ton sec ne lui fit ni chaud ni froid, cet instant de trouble lui avait laissé un tel sentiment d'amertume qu'il balayait tout le reste. Elle emboîta donc le pas à la jeune femme, traînant un peu des pieds. Ces quelques courts instants de repos avait suffit à faire tomber toute la fatigue du voyage sur ses épaules. Peut-être aurait-elle du la faire mariner un peu plus avant de répondre à cette convocation?

Mais malgré la fatigue et une certaine lassitude, elle résista à la tentation de s'effondrer dans l'un des sièges disponibles pour les invités. Elle resta debout face au bureau, les épaules voûtées par contre… Elle laissa son regard courir sur les étagères, notant la présence de plantes intéressantes mais n'en montrant rien. Ne devait-elle pas être la mauvaise élève? Le mouton noir? Pour l'instant elle n'avait pas de raisons de jouer un autre rôle devant cette femme…

La question d'Ambrosia la laissa pantoise quelques instants. Elle ne parvenait pas à dire si la formulation était voulue, si elle goûtait vraiment de toutes les implications qu'elle laissait entendre. Pour Lili en tous cas… Elle considéra la conseillère quelques instants, essayant de déterminer ce qu'elle pensait exactement… Etait-ce de l'humour? Une forme un peu noire dans ce cas là, à ses yeux en tous cas… Mais d'imaginer ses victimes en "nouveaux arrivants" avait une saveur particulière pour elle, une saveur qui la fit sourire en coin, amusée, malgré elle…

-Oh mais je ne vise pas en particulier nos recrues les plus récentes, je peux vous rassurer sur ce point, je fais en sorte d'être d'une grande impartialité sur l'ancienneté… J'essaye de décoincer certaines personnes, de leur montrer que l'herboristerie pouvait révéler de multiples facettes… Et bizarrement, ces personnes un peu "difficiles" et au sens de l'humour atrophié semblent plutôt âgée et gradées.

La mage haussa les épaules. Si certains de ses maîtres avaient préféré dire qu'elle ne faisait que martyriser ses petits camarades, ils étaient encore plus mesquins que ce qu'elle imaginait.

-Certains vieux mages ont parfois besoin que l'on secoue les conventions étriquées dans lesquelles ils se cantonnent. Pour leur rappeler qu'il faut parfois sortir leur nez de leurs livres, qu'il faut vivre et expérimenter. Ceux qui n'ont pas de griefs avec moi n'ont jamais eu à craindre une mauvaise blague de ma part. Blague qui ne blesse que l'ego cela dit en passant…

Par contre, même si elle ne pouvait dire si c'était volontaire ou non, Ambrosia marquait des points en se démarquant des mages bornés qui peuplaient malheureusement majoritairement à ses yeux son ordre. C'était bien la première qui s'intéressait à la confection de ses potions de teintures. Tous les autres s'étaient contentés de vociférer et de la punir, sans même se pencher sur la composition de ses potions. Et en cela, la conseillère commençait à gagner son respect… Lili fouilla un long moment sa besace poussiéreuse et fatiguée. Outre ce qu'elle avait ramené, elle devait bien avoir une base qui traînait quelque part, un vieux reste… Elle finit par sortir une petite fiole presque totalement vide, ne contenant qu'un fond de liquide incolore et la posa sur le bureau.

-Pour l'instant le composé est instable… Je suis obligée de préparer une base et d'adjoindre couleur et élément de la "cible" à part. A ce moment là la potion ne marche donc que pour une couleur et une personne… Et la base est très longue et difficile à préparer. Mais maintenant la couleur peut tenir un peu plus de 24h…

Lili n'en avait rien à faire si les maîtres trouvaient "l'antidote". C'est pour cela qu'elle put lui expliquer par le détail la préparation de la base avec sa multitude d'éléments et sa semaine de travail…

Un rire clair sortit de la gorge de la jeune femme. Ce n'était pas de la moquerie mais bien de la joie. Elle ne pouvait rejoindre que Bellinda dans ses dires. Certains mages avaient oublié que vivre c'était aussi s'amuser et non lire et lire des livres anciens pour mieux s'accaparer les pouvoirs des autres. Mais elle ne pouvait pas non plus l'encourager dans ce mouvement sous peine que celle-ci est trop de problèmes dans la Tour.

"On ne m'a parlé que de nouveaux arrivants... je suppose que certains ont eu l'égo trop blessé pour avouer qu'ils ont été piégés par quelqu'un de plus faible qu'eux."

Elle esquissa un sourire ironique. Oui, les noms lui avaient été donnés et tous appartenaient aux apprentis ou aux mages, pas d'archimages et encore moins d'experts de l'art... Dans les hauts rangs, il y a beaucoup d'hommes, peut-être que certains ont été touchés dans leurs virilités à cause de ces teintures. Cela lui plaisait.

"Je partage ton gout pour la vie et pour l'herboristerie. Comme tu peux le voir autour de toi, j'ai ramené quelques souvenirs de mes voyages et j'ai repris le magasin de l'enchanteresse à Naturalia. Je ne fais pas qu'étudier."

Le visage de l'elfe reprit son sérieux et son masque de dureté. Elle devait la réprimander :

"Mais tu devrais néanmoins éviter de refaire trop souvent ce genre de farces. Certains pourraient avoir envie qu'on t'enferme dans nos geoles pour une durée indéterminée ce qui serait à mes yeux un pur gachis. Je suis ici pour te rappeler que nous sommes une famille et que par conséquent, nous devons faire bloc et non se moquer des autres. Pourquoi n'as tu pas essayé tes sorts sur les mages noirs ou les rôdeurs? Je suis sure qu'une belle couleur rose leur irait à merveille."

Ambrosia esquissa un sourire chaleureux puis écouta attentivement les explications. Elle était admirative. Elle n'avait jamais pensé à détourner ce genre de composant pour obtenir une telle texture. Elle examina de près la fiole, l'ouvrit pour en respirer son contenu. Chaque action était unique. Elle garda quelques secondes le silence puis demanda :

"Comment décides-tu la couleur qui irait le mieux à ta cible? Tu as essayé quels éléments au début? Penses-tu que d'autres pourraient permettre un résultat plus long? Je suis certaine que certains commercants adoreraient ton aide pour donner des couleurs plus magnifiques à leurs tissus."

Le rire d'Ambrosia la surprit parce qu'il était sincère et joyeux, loin de tout cynisme ou condescendance. Elle n'avait pas pensé que la conseillère partagerait au moins une partie de ce qu'elle pensait ou éprouvait par rapport à ses collègues. C'était une bonne chose pour elle mais, surtout, cela la rassurait même si elle ne lui dirait jamais... Qu'une jeune femme comme elle ait pu atteindre le rang de conseillère était signe que l'ordre n'était pas si mal en point qu'elle aurait pu le penser. Bizarrement, entendre qu'elle avait reprit l'herboristerie lui fit comme un coup au coeur. Le nom de Mayfair resterait donc à jamais associé à cette boutique. Mais cela lui faisait un peu l'impression d'une pâle imitation. Elle était certaine que d'autres personnes avaient mal pris la façon dont la conseillère s'était approprié ce nom, mais probablement pas pour les mêmes raisons...

-Et j'imagine que vous avez tout le personnel nécessaire pour l'herboristerie ?

Elle n'était pas parvenue à dire « votre », encore trop difficile pour elle. Par contre elle avait lancé la question comme une bonne blague qu'elle seule parvenait à comprendre. Elle était à peu près certaine qu'elle allait décliner son offre, cela lui poserait des problèmes par rapport aux autres conseillers, déjà, ensuite elle n'avait probablement pas envie de la présence d'un électron libre dans son commerce. Mais, quand même, elle trouvait l'idée follement drôle même si elle se garderait bien de lui expliquer pourquoi...

Le ton qu'elle utilisa ensuite était plus dur, plus « responsable »... Et bizarrement la jeune femme eut immédiatement plus de mal à se focaliser sur ce qu'elle était en train de dire. Bellinda avait vraiment un gros problème avec l'autorité... Surtout les arguments qu'elle utilisait. Même au sein d'une famille il y avait des éléments perturbateurs, les assagir sous prétextes que d'autres pourraient en prendre ombrage au lieu de les écouter pour leur permettre de vraiment s'épanouir et s'intégrer. Si elle faisait comme d'autres voulaient qu'elle fasse elle perdrait tout ce qui faisait qu'elle était à part. Sa force et, à fortiori, la force qu'elle apportait aux mages rouges...

-Ils auraient du mal à me jeter dans les geôles. Pour l'instant les sanctions leur sont trop utiles, ils m'envoient faire la sale besogne qu'ils ne veulent pas faire. Et je crois que c'est un partenariat qui nous convient de ce coté là...

Ah si elle ne faisait plus de bêtises ils allaient devoir sortir de leurs précieux livres pour vraiment se salir les mains pour rapporter certains ingrédients. Cela allait leur faire tout bizarre... Par contre elle eut un ricanement au sujet des mages noirs ou des rôdeurs...

-Mais ces changements de couleurs sont des « gentillesses ». Si je me retrouve à devoir user de mes décoctions contre un mage noir ou un rôdeur je vais certainement utiliser quelques chose de plus... agressif?

Elle la laissa observer sa fiole de préparation de base, appréciant le sentiment de compréhension qu'elle lui apportait. C'était terrible mais cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas vraiment parlé herboristerie avec quelqu'un. On la prenait systématiquement à rebrousse poil, ou pour une demeurée...

-Oh la couleur c'est selon l'humeur du moment... Sinon je me sers des éléments de base d'une teinture pour soumettre la couleur à la potion de base...

Elle sortit un vieux carnet de cuir passablement fatigué et recouvert de son écriture nerveuse. Elle lui tendit... Dedans se trouvaient tous ses premiers essais jusqu'à l'obtention de sa base actuelle. Mais aussi ses nouvelles tentatives pour améliorer la dite base... Et si elle compulsait tout le carnet elle trouverait d'autres potions, notamment ses fumigènes et ses lacrymogènes...

"Je n'ai malheureusement que deux apprentis. Je n'ai pas encore réussi à avoir quelqu'un de confiance comme Alicia a pu le faire avec Ilda ou Itsuki. Mais je ne perds pas espoir."

La jeune femme sourit doucement, presque tristement. On ne pouvait pas dire qu'elle se sentait si en sécurité dans la tour qu'avait pu l'être l'ange. Elle n'avait pas autant de charisme et était un peu trop rat de laboratoire pour avoir pu faire autant d'alliances qu'elle mais par moment, elle avait envie de changer et peut-être que l'avenir lui ouvrirait des perspectives à ce sujet.

Elle n'était pas qu'un nom... Mayfair d'ailleurs n'était pas son nom d'origine, Ambrosia l'avait juste pris pour rendre hommage à l'ancienne chef mais aussi permettre que son nom ne disparaisse pas, trop de personnes oubliaient le sacrifice des anciens à son gout.

"De quel type?"

L'idée qu'elle subisse des besognes la dérangeait. Les archimages et autres experts pouvaient avoir des apprentis sous leurs ordres pour pouvoir les aider mais cela ne devait pas être une punition mais plutôt une manière de progresser. C'était comme cela qu'elle fonctionnait avec Duscisio. Elle lui apprenait des potions plus importantes que celles de base et il lui ramenait des plantes lors de ses voyages.

"C'est sur mais leur égo est si important que parfois leur rabaisser par des tours pourrait être amusant. Par contre, qu'entends-tu par agressif? Je ne souhaite pas que tu te mettes en danger inutilement. Nous sommes en paix et tant qu'ils ne nous envahissent pas, il n'est pas nécessaire d'aller trop les chatouiller."

Son ton était un brin maternel. Elle n'aimait pas savoir les siens sur Malificium, perdre l'un d'entre eux lui causait toujours de la peine. Mais elle aurait moins peur si elle connaissait mieux ses capacités... Il pourrait être pas mal d'aller avec elle sur le terrain. La jeune femme observa avec soin la fiole et encore plus le carnet. Elle ne feuilleta que quelques pages, elle ne voulait pas envahir son intimité.

"Certains de mes confrères aimeraient que je te fasse passer une épreuve pour être certaine que tu es toujours fiable. Je trouve cela complètement inutile mais je recherche une personne pour récupérer deux artefacts magiques dans la cathédrale de Bénécius. Cela te dirait de m'accompagner?"

La réponse d'Ambrosia lui arracha un sourire mais elle se garda bien d'apporter des précisions. Ilda avait été aussi l'apprenti d'Alicia et c'était en cette qualité qu'elle avait tenu la boutique aussi… Elle se demandait qui pouvaient être ces deux disciples en qui, visiblement, elle n'avait pas si confiance que cela. Si la jeune génération s'y mettait aussi, ils n'étaient pas sortis de l'auberge… Enfin… Il faudrait bien qu'elle aille faire un tour à la boutique un de ces jours, juste pour voir. Une sorte de pélrinage peut-être…? Ou une façon malsaine de se remémorer certaines périodes de gloire de l'ordre auquel elle appartenait…?

-De quoi de quel type? Les besognes? Oh ben diverses… Du moment que l'ingrédient est salissant ou difficile à obtenir, ils en profitent pour m'envoyer. Je suppose que c'est pour "forger" mon caractère… Mais ça me dérange pas et contrairement à ce qu'ils pensent, ils me prennent rarement par surprise. A force de juste voir en moi une fauteuse de troubles, ils ont tendance à sous-estimer mes compétences…

Disant cela, la jeune femme eut un sourire carnassier assez sinistre. Ce n'était pas de la fierté mal placée, il suffisait à Ambrosia de consulter le carnet de la jeune femme pour en avoir consicence. Même si l'utilisation des plantes n'était pas "classique", ses connaissances n'en étaient pas moins poussées. Après tout, ses connaissances, c'était bien les seules choses qui n'avaient pas été affectées par son coma. C'était quelque chose qui était désormais inné chez elle et si elle ne cherchait pas à faire quelque chose de plus complexe ou puissant, c'était seulement par choix…

-Oh, je ne chatouille que mes alliés. Les autres… Je suis plus "piquante", quand le besoin se fait sentir. Je connais le prix de la paix, j'évite d'avoir à faire à nouveau couler le sang…

Elle était plus sage. Normalement… Mais elle avait encore quelques vieilles rancoeurs qu'elle avait du mal à dépasser. Et elle n'était pas prête à lui expliquer pourquoi… Quant aux contenus de ses potions "agressives", il lui suffisait de compulser le carnet. Ou de la voir à l'œuvre. Mais elle était presque sûre que si elle venait à tester sa potion dans le bureau, elle n'apprécierait pas ! Lili ricana en entendant ce qu'exigeaient les autres mages. Il suffisait de voir ce qu'elle leur faisait subir pour connaître ses compétences, c'était sa loyauté dont ils doutaient. Ils pouvaient, ils ne l'avaient jamais acquise eux… Prenant une chaise, elle la retourna pour s'asseoir à califourchon dessus. Ce n'était pas très distingué mais il était clair qu'Ambrosia avait capté définitivement l'attention de la jeune femme.

-Des artefacts? Ca ça peut être amusant… C'est quoi au juste?

Bon, le fait que ce soit dans la cathédrale de Bénécius rendait les choses un peu moins exaltantes mais elle n'allait pas non plus cracher sur l'occasion de fureter partout. Avec la bénédiction de l'une des personnes les plus puissantes de son ordre en plus… Et puis si elle se débrouillait bien, elle pourrait peut-être faire passer a requête au sujet de Seran…

"Tu m'en vois ravie. Même si j'aime notre ordre plus que tout, nous ne sommes pas prêts pour une éventuelle guerre... Nous ne sommes pas assez nombreux et trop isolés... Les mages blancs étaient de précieux alliés par le passé... A présent, nous avons juste une relation amicale... pas ce lien fort d'antan... Les chevaliers ne sont plus notre bras armé..."

Ambrosia avait parlé sans réfléchir... Il était très rare qu'elle se confie ainsi sur un fait aussi important que la paix et les alliances de leurs ordres. Si ces mots sortaient du bureau, elle aurait des ennuis car ils pourraient être utilisés hors de propos. La conseillère disait juste une réalité qu'elle essayait de rendre de moins en moins désagréable. Elle n'était pas encore autant aimée que la grande Alicia... Elle n'avait pas autant de relations ni d'aura... On le lui reprochait souvent...

Mais elle faisait avec. Les choses avaient changé. Le dirigeant des mages blancs n'était pas Doukas... Comme Enma n'était plus chef des mages noirs... Integral n'était plus à la tête des chevaliers et Nori n'était plus un allié puissant ainsi que tout son peuple de noyés... les cartes étaient plus difficiles à jouer pour la rose... Mais elle faisait de son mieux et ne perdait pas espoir.

"Hormis les chatouiller, t'es-tu fais des amis parmi leurs rangs?"

Chaque humain pouvait engendrer une toile d'araignée et se relier à d'autres déjà présentes afin de tisser un peu plus de fils et rendre plus solide les remparts de la tour écarlate. Elle n'était pas la reine de l'échiquier... juste une sorte de porte parole de son dirigeant qui restait à ses yeux trop cloitrés dans son bureau... Elle ne conspirait pas contre lui... Elle voulait juste être prêt le moment voulu et acquérir le maximum de pouvoirs juste pour pouvoir faire face à toutes les possibilités que l'avenir allait lui mettre devant elle sur la table... de la joie ou de la peine, elle gouterait à tout.

Ambrosia lui sourit doucement. Elle avait réussi à capter toute son attention. Elle marcha jusqu'à sa chaise et s'assit en face d'elle. D'une main légère, elle attrapa une feuille de papier et demanda :

"As-tu entendu parler de William et d'Alicia? Du lien qui les unissait? Je ne parle pas d'amour mais de magie. Le chef des disciples d'hélios de la voix du dessin et notre ancienne dirigeante ont été amants un temps... mais surtout se sont jurés de se protéger quoi qu'ils arrivaient et afin de symboliser ceci deux artefacts ont été forgés pour eux... Ils ont été enterrés dans les catacombes de la cathédrale de Bénécius selon la demande de notre enchanteresse afin que personne ne vienne piller sa tombe ni celle de William. Si tu viens avec moi, tu auras l'un d'entre eux... De ce fait, nous deviendrons en quelque sorte soeur... Tu peux refuser... mais qui n'aimerait pas être ma protégée et surtout acquérir un artefact puissant?"

Où qu'elles seraient, elles sauraient si l'une à besoin de l'autre et surtout si celle-ci est en danger... L'eau et l'électricité... Associés ensemble, grace aux deux objets, ils deviennent mortels pour qui essayeraient de leur faire du mal. Ambrosia ne voulait pas que cela revienne à une autre mage rouge que Bellinda. Elle aimait sa fougue... si elle avait eu un amant, elle se serait lié avec lui par ce biais... mais que cela reste dans l'ordre lui plaisait encore plus... Voyons ce que la jeune femme en dit.

La jeune femme ne chercha pas à interrompre la conseillère... Cela lui rappelait certains souvenirs, d'un autre temps, dans un autre bureau. Certaines choses ne changeaient pas visiblement et l'elfe se demandait ce qu'il pouvait bien avoir chez elle pour ainsi provoquer ce genre de dialogues. Pourtant elle prenait soin de rester une sale gamine aux yeux de tous... A croire que ceux qui savaient voir au-delà de ce qu'elle montrait savaient qu'il y avait quelque chose à tirer d'elle. Et puis...

Et puis Ambrosia n'était pas si différente qu'elle car, dans son genre, elle se posait bien en vilain petit canard. Bellinda savait pertinemment qu'elle était loin de faire l’unanimité au sein des éminences grises de la Tour... Ces andouilles étaient incapables de reconnaître le talent quand il se présentait face à eux. A moins que ce ne soit l'envie qui les empêche d'y voir correctement? La mage eut un discret soupir mâtiné d'un sourire en coin. Les choses changeaient sans vraiment changer. Les pions n'étaient pas les mêmes mais la partie restait identique finalement. Peut-être était cela que voyaient les elfes éternels avec leur sagesse...? Ou pas. Il ne viendrait même pas à l'idée de la jeune femme de se qualifier de sage, quel que soit son âge ou sa race...

-Vous savez, les alliances vont et viennent de tous temps. Vous devriez pas vous tracasser de trop avec ce genre de détails... On est encore trop en temps de paix pour que les chefs soient vraiment objectifs. Ca va encore trop se chamailler pour une parcelle de pouvoir en oubliant les vrais enjeux...

La jeune femme haussa les épaules. Elle n'aimait pas la politique et n'aimerait certainement jamais cela. Mais elle avait maintenant une certaine expérience. Même si les mages blancs n'étaient plus que de vagues connaissances et que les chevaliers les snobaient, ces derniers avaient des lignes de conduite trop franches pour ignorer leur voisin si un génocide s'organisait entre ses murs. Ensuite... Elle était la première à ne presque pas écouter son chef alors ce n'était pas en signant une alliance avec un chef qu'on était certain que tous ses sous-fifres allaient suivre le mouvement.

-Ensuite c'est pour c'que j'en dis... C'est vous la Conseillère... C'est bien le genre de discussion où je pourrai pas vraiment vous aider. Et que je n'aurai avec personne d'autre.

C'était un moyen comme un autre de lui signifier que rien de ce qui venait d'être dit ne sortirait du bureau... L'elfe changea légèrement de position pour continuer à la regarder alors qu'elle commençait à écrire ou dessiner...

-Oh j'ai chatouillé quelques druides et un chevalier... Pour les druides, oui, je crois qu'on est amis. Pour le chevalier... Associés à l'occasion plutôt...

Elle préféra garder sous silence, pour l'instant, sa "relation", même si elle se demandait si on pouvait appeler cela comme ça, avec Seran le rôdeur. Elle attendrait le bon moment pour glisser l'information. Et sa demande... En attendant l'elfe écoutait ce qu'Ambrosia avait à lui dire et il lui était difficile de garder un semblant de neutralité. Alicia avait bien fait de faire savoir ainsi qu'elle était enterrée sans rien. C'était plus prudent pour sa dépouille... Mais l'idée d'aller ainsi fouiller une cache la gênait un peu... Cela lui laissait trop un arrière-goût de pilleur de tombe dans la bouche tout de même... Sauf qu'il s'agissait d'Alicia. Elle se doutait bien que la Conseillère s’accaparerait l'objet qui lui avait appartenu mais, pendant un instant, elle se rapprocherait un peu d'elle. En quelques sortes...

L'elfe eut un sourire, un peu teinté de tristesse. Les choses ne changeaient vraiment pas décidément... Et elle allait devoir faire des pieds et des mains pour que cela ne finisse pas de la même façon...

-Il me semble bien que ces artefacts sont égaux. Vous tenez vraiment à devenir ma protégée? Je tiens quand même à vous prévenir que mes résultats sont assez désastreux dans ce domaine...

La politique était un sujet fort complexe. Personne n'avait vraiment les bonnes réponses ni toutes les cartes en main. Des choses se disaient et se faisaient en face d'autrui mais par derrière, une fois que le dos était tourné, les choses se défaisaient en secret et des trahisons se tramaient. Aucune alliance n'était vraiment sûre... Aucun ami n'était éternel. Le temps avait fait des ravages dans les rangs de tous les statuts et ce n'était pas l'arrivée des inventeurs qui donnait de l'entrain à Ambrosia... Certes, par le passé, Estya et Alicia avaient été très proches... mais pour l'avenir, personne ne pourrait dire si une nouvelle alliance entre les deux ordres se créeraient... Les mages noirs ont toujours été attirés par les machines après tout...

Mais il n'était pas le temps de tout débattre. Elles avaient mieux à faire. Elle lui avait juste souri afin de la remercier de garder les choses dans ce bureau. C'était d'ailleurs pour cela qu'elle l'avait emmené ici.

La mage rouge décida de parler d'un sujet qui lui tenait à coeur : les artefacts de l'enchanteresse. Ils étaient évidemment nombreux au vu de la puissance de l'ancienne égérie, elle ne comptait pas tous les avoirs mais celui qui l'avait relié à William Newell, oui. Elle en parla à Bellinda afin d'espérer l'avoir en alliée pour cette quête. Le sujet sembla lui plaire. Sa réponse déclencha un rire charmant à son interlocutrice :

"Laisses moi en juger par moi-même. Je ne pense pas être déçue. Tu es vive d'esprit, c'est si rare de nos jours. Tes détracteurs disent de toi que tu es opportuniste et une trouble fête... moi, je dirais juste que tu es une bohème dans nos rangs c'est tout."

Alicia avait vu une puissante alliée et amie dans une voleuse qu'elle avait sauvé des coups dans la rue commercante de Naturalia. Elle en avait fait sa fille et n'en avait jamais été déçue. Certes, cela lui avait causé quelques ennuis et quelques soucis surtout quand celle-ci était tombée dans le coma... mais Ambrosia avait envie d'avoir une alliée de poids dans la Tour. Quelqu'un a qui se confié sans barrière et elle était certaine que Bellinda serait la mieux placée à ce sujet.

Elle se leva de son siège, passa devant son bureau et posa un bras sur l'épaule de l'alchimiste. Elle plongea son regard dans le sien et reprit :

"Prouvons à notre dirigeant que tu n'es pas qu'une sale mome. Allons récupérer ces deux objets avant qu'ils tombent dans les mains d'une personne mal attentionnée. Allons sur les traces de la plus puissante des notres."

Ses yeux brillaient d'excitation. Elle ferma les paupières quelques secondes puis continua :

"Dans une heure, nous partons pour Bénécius. Prends ce qu'il te faut pour ce voyage dans nos réserves et rejoins moi dans le hall principal."

Sur ce, elle quitta son bureau afin de préparer elle aussi son sac de voyage.