Il faisait sombre, il faisait froid, et Andromaque n’en avait strictement rien à faire. Elevée dans la famille Grey, l’ambiance « noire », elle connaissait, ça avait la classe et ça impressionnait deux minutes, mais à la longue on s’en lassait. Pas de quoi claquer des dents en continu, ou prendre un air de dégoût à chaque petit truc visqueux non identifié. Un petit soupir lui échappa. Des plantes lugubres par-ci, une toile d’araignée par-là… bof, pas de quoi faire des bonds à trois mètres du sol. Andie s’était trouvée à court d’ingrédients, et avait donc dû refaire ses réserves en urgences. Le Temple Oublié n’était peut-être pas l’endroit rêvé, finalement. Ce n’était pas que Malificium lui manquait, mais elle était trop restée du côté de Naturalia ces derniers temps. Un peu « d’obscurité » de temps à autre, ça ne faisait pas de mal, c’était reposant.
Nevar, posé sur son épaule, n’était pas davantage perturbé par l’environnement déprimant des alentours. Quelques cris perçants retentissaient parfois au loin, avant de s’évanouir brusquement. Il avait faim.
Puis une odeur, ou plutôt deux, l’agita. Vie et mort. Corps vivant et cadavre. Quelque chose de sombre lui parvint, mais très vite lui échappa. Il battit des ailes nerveusement, attirant l’attention de sa maîtresse.
Andromaque se pencha en avant. Pas de mandragore dans les parages, ni de cèpes de pierre… lorsqu’elle remarqua la réaction de Nevar.
-Qu’est-ce qu’il y a, Nev’ ?
Il lui transmit son sentiment de malaise, sa nervosité. Merci du cadeau ! Recevoir des émotions de quelqu’un d’autre était toujours une expérience perturbante, même si elle s’habituait progressivement à Nevar. Quelque chose, dans le coin, ne tournait pas rond. En se concentrant, elle invoqua son pouvoir élémentaire, et rassembla jusqu’à elle les courants d’air des environs. Les odeurs apportées lui apprirent ce que Nevar avait repéré. En général, les cadavres laissés dans le coin disparaissaient facilement, pour de multiples et lugubres raisons. C’était plus ou moins la norme, avec les sacrifices relativement courants du Temple Oublié. Qu’un cadavre perdure jusqu’à laisser une odeur de décomposition, voilà qui était étrange… mais que ce soit par magie ou par un autre procédé, c’était suffisamment intriguant pour attirer l’attention d’Andromaque. Elle frissonna, mais Nevar ne s’y trompa pas : c’était d’excitement et d’impatience. La curiosité est un vilain défaut, surtout dans des terres qui respirent le mal, et où les plantes naissent du sang, seul souvenir des victimes… Nevar frissonna, mais pas pour les mêmes raisons. Il n’aimait pas du tout quand elle avait une idée en tête. Le danger ne le gênait pas mais elle trouvait toujours une façon de l’exposer sans prévenir, et il venait juste de prendre le temps de nettoyer son plumage. Oh et puis, après tout, cela faisait un moment qu’ils avaient étaient plutôt inactif, ça lui manquait.
-Nev’, montre-moi d’où provient le cadavre.
Nevar Bur’o battit ses belles ailes d’un noir de jais, et s’envola entre les arbres. Andromaque esquissa un sourire de défi en coin, et le suivit en courant.
Ils continuèrent quelques minutes ainsi, se prenant des bouffées d’air froid qui rougissaient les joues d’Andie. Slalomant entre les racines, heureux de l’aventure. Deux prédateurs à leur manière, chacun d’une subtilité particulière. L’objectif toujours en tête, Andromaque s’oublia dans l’instant, et failli remarquer trop tard que Nevar avait ralenti. Elle freina des quatre fers, et aperçu au loin le cadavre. Et à côté du cadavre, une mage noire.
Nevar se posa en silence sur une branche d’un arbre proche, son regard corbeau inexpressif comme masque à toute interprétation possible. Andromaque, à quelques mètres de là, marcha à pas mesurés. Avait-elle perturbé un rite particulier ? Dérangé un prédateur devant sa proie ? Cela ne semblait pas être le cas. Prudence est mère de sureté, même s’il n’était pas vraiment dans ses habitudes d’être prudente. Dans ces lieux, elle était trop exposée. Elle n’enclencha pas sa magie, mais resta sur ses gardes, prête à « dégainer » ses armes, de quelques sortes qu’elles soient. Elle attendit que l’autre remarque sa présence.