Le passé de cette jeune fille était d’une atrocité sans pareille. Lorsqu’elle prit la peine de répondre à chacun de ses questions, Neelahn ne put s’empêcher de s’imaginer les scènes afin de comprendre ce que la mage blanche avait pu ressentir. Elle tenta de se mettre dans la peau d’une fillette et de concevoir comment il était possible de creuser autant de tombes en si peu de jours. Une quarantaine de personnes pour environ quatre jours… Cela faisait environ dix cadavres à ensevelir chaque jour. Dix fosses à creuser, dix corps à trainer dans la tombe et à recouvrir de terre. Pour Neelahn, cela relevait de l’exploit car même elle, malgré ses années et sa vigueur, elle ne se sentait pas capable de donner une sépulture décente à tout un village en si peu de temps.
Comment une fillette, avec de petits bras et de petites jambes, avait-elle pu parvenir à faire cela ? D’où allait-elle puiser toute cette volonté et cette énergie qu’il lui fallait pour accomplir cette rude tache ? Mais quoi qu’il en ce soit, pour Neelahn, ce geste était la preuve que l’adolescente avait un bon cœur et ce, depuis sont plus jeune âge. Alors qu’elle n’était haute comme trois pommes, elle était déjà dévouée corps et à âmes aux autres et Neelahn se sentit un peu honteuse car, lorsqu’elle était plus jeune, sa seule préoccupation était de jouer à la poupée et de courir après les papillons…

« Les gens ont des pensées bien arriérés. Durant les grandes guerres, je suis sûre que les mages blancs ont dû se salir les mains comme les autres… »

Ce que venait de lui révéler Harmonie la sidéra. Comment pouvait-on avoir des idées aussi stéréotypées sur les mages blancs ? Certes, ils étaient de nature pacifiques mais de là à croire qu’ils ne feraient jamais de mal à une mouche était grotesque.
De plus, Neelahn pensait qu’à Malificium, les gens se méfiaient justement autant des enfants que des adultes. Combien de fois lui avait-on rapporté qu’il fallait se méfier de ces petits chenapans qui grouillaient dans les marchés et qui vous soutiraient tout ce que vous possédiez lorsque vous aviez la tête tournée ? Combien de fois avait-elle donc eu vent des mauvaises farces dont ils étaient capables de faire aux honnêtes gens rien que pour leur bon plaisir ?
A Bénécius, les parents élevaient leurs enfants pour qu’ils deviennent de bons citoyens respectueux des lois établis mais à Malificium, il en était tout autre. Dès leur plus tendre enfance, on les initiait à l’art de la guerre et à la vengeance. On leur enseignait le mensonge et le vice. Tout ceci était sans doute caricaturé, Neelahn le savait mais elle était aussi consciente qu’il y avait une partie de vérité dans tout ceci.

Et malgré l’objection qu’elle venait de faire, l’elfe était tout de même soulagée de voir que les affiches placardées au mur et montrant le visage de la mage blanche se faisaient plus rares. Elle eût de la peine lorsqu’elle l’entendit avouer qu’elle s’en voulait et qu’elle tentait de se chercher une espèce de purgatoire pour tous les crimes qu’elle avait pu commettre lorsqu’elle était toute petite.

« Tu sais, c’est un réflexe tout à fait humain que de vouloir se venger. Ils t’ont ôté des êtres chers après tout. Cela ne fait pas de toi quelqu’un de maléfique. Grâce à ton histoire, j’ai à présent mille et une preuve que tu es quelqu’un de bénéfique et même si tu n’étais pas devenue mage blanche, je suis certaine que ton cœur serait resté aussi pur. »

Laissant Harmonie pleurer sur ses genoux, Neelahn lui caressa doucement les cheveux tout en se disant que, en revanche, elle, elle ne devait pas être tout à fait « humaine ». Lorsque le marchand avait fini par tuer son père, à aucun moment l’idée de se venger lui avait traversé l’esprit. Et pourtant, l’elfe se souvînt avoir pleuré son géniteur pendant de très longs mois… Mais peut-être que les elfes ne possédaient pas la même vision du monde ? Après tout, il ne fallait pas oublier que leur espérance de vie était bien supérieure à celle d’un humain. Cela pouvait donc avoir des conséquences sur la façon de voir les choses.

« N’est-ce pas petit chat que Harmonie, c’est la plus gentille fille de ce monde ? »

Elle adressa alors un clin d’œil complice à Mentali qui la gratifia ensuite d’un miaulement. Le passé était le passé. Encore une fois, qu’importe ce qu’elle avait pu faire jadis. Ce qui était fait est fait. Personne ne pouvait y revenir dessus. Maintenant, il fallait aller de l’avant !
Harmonie devait sans doute en avoir conscience mais Neelahn comprenait que des fois, son passé revenait la hanter et il était tout à fait normal que, dans ses moments-là, elle se sente un peu perdue. Après tout, les évènements tragiques qu’elle avait vécus s’étaient déroulés lorsqu’elle n’avait que dix ans…

Neelahn ? Mère ? Elle avait déjà bien du mal à s’occuper d’elle-même ! Malgré tout, l’idée d’avoir un petit bout de choux à câliner, habiller et chouchouter ne lui déplaisait pas mais après avoir gardé les bambins de quelques unes de ses amis druides, l’elfe avait vite compris que le rôle de mère ne lui conviendrait pas du tout. Elle ne se voyait pas en train de sacrifier son temps à surveiller son enfant et comment pourrait-elle partir en voyage si elle avait un bébé dans les bras ? Non, avoir des enfants était une très mauvaise idée. Cependant, il n’était pas faux de dire que Neelahn admirait toutes celles qui avaient le courage d’en élever et elle était toujours contente lorsqu’on lui demandait de garder un œil sur un enfant pendant quelques instants (mais juste quelques instants).

« Oh déjà ? Mais tu viens juste d’arriver ! »

Cependant, Neelahn ne pouvait que comprendre le souhait de la mage blanche. Après tout, elles venaient de passer une sale journée. Le temps n’avait pas été de leur côté et l’alchimiste qu’elles avaient toutes les deux secourus les avaient déçu par son comportement irrespectueux.
La druidesse étala donc une couverture sur son lit et proposa à Harmonie d’y passer la nuit. Quant à elle, elle dormirait à côté. Cela ne la gênait pas puisqu’elle était habituée à dormir partout. Mais avant de se coucher, elle décida d’achever ce qu’elle avait entamé un peu plus tôt.
Quelques heures plus tôt, l’elfe avait abandonné sur la table un bol rempli de petits champignons coupés. Elle vînt à nouveau s’y installer en face et tacha de terminer le petit paquet de provisions destiné à la mage blanche. Neelahn savait très bien que l’adolescente possédait encore des réserves mais mieux valait en avoir trop que pas assez.

Dans un panier en osier, l’elfe y fourra donc tout ce qu’elle put. Elle y déposa une salade de champignons, tomates et pommes de terre, un pot contenant des fraises des bois découpées en petits morceaux et arrosées de sucre, un paquet de viandes séchées et un epu de lait pour Mentali.
Fière de son travail, elle déposa le tout à côté des affaires d’Harmonie pour que cette dernière ne l’oublie pas en partant.

« Voilà une chose de faite. » murmura-t-elle.

Exténuée par sa journée, elle alla ensuite s’écrouler sur sa couverture qu’elle avait étendue près de son lit et s’endormit comme une masse.
Tigrou, quant à lui, resta debout pendant quelques instants, lorgnant le panier que Neelahn avait rempli pour Harmonie. Puis, après avoir jeté plusieurs coups d’œil à son amie, il finit lui aussi à s’endormir, visiblement déçu de ne pas avoir vu l’autorisation d’aller fouiner dans le panier.