Déviation inattendue! [Libre / Sven &...]

Se laissant porté au grès de la foule, Gill tentait tant bien que mal de se frayer un chemin à travers cette interminable cohue. Son voyage s'était bel et bien déroulé sans encombre jusque là mais il ne s'attendait pas à trouver les rues marchandes de Naturalia autant bondée de monde. Une vraie calamité citadine! Sans trop jouer des coudes, le vieil homme avançait pas à pas en rythmant sa cadence de "pardon" et autres "excusez moi" soutenus par de polis sourires qui n'avaient rien de mal intentionnés. Et si quelques jeunes gens se montraient courtois pour le laissé passer, d'autres ne cachaient pas l'ennui qu'inspirait un ancien entrain de chercher son chemin.
Car effectivement il s'agissait bien de cela: Gill était perdu. Quand bien même la Cité de Naturalia ne lui est pas complètement inconnue, il ne sais pas s'y repérer avec autant d'aisance qu'au sein de Bénécius. Puis il faut dire que cela devait faire plus de dix ans la dernière fois où il y avait mis les pieds! Le comble de cette histoire c'est que sa soeur cadette, Helena Hüngren, lui avait noté son adresse précise sur un bout de papier qu'il avait dés lors gardé avec soin dans un des tiroirs de son office personnel. Mais avec le déménagement qui était en cours entre le domaine familial et ses futurs appartements au centre-ville de la Cité de Bénécius, pas moyen de retrouver ce maudit papier. Il s'en remit donc à sa mémoire quelque peu vacillante et partit en direction de Naturalia pour mettre sa soeur, sa mère et sa fille au courant des derniers changements qui avaient opérés dans sa vie.

Son retour dans l'Ordre des Mages Blancs, son déménagement et donc sa nouvelle adresse au sein de la Capitale de Bénécius et ce n'est que deux choses parmi tant d'autres. Puis il n'avait pas eu de nouvelles de Sophia, sa fille, depuis maintenant plusieurs mois et il tenait à lui faire la surprise en arrivant. Sa formation chez les Mages Rouges venait de débuter cette année et il y avait fort à parier qu'elle devait déjà avoir milles et unes choses à raconter à son vieux père! Puis Gill avait un cadeau pour elle qui devrait lui plaire sans l'ombre d'un doute: une plante médicinale relativement rare et à la repousse facile, obtenue par une suite de heureux hasard.
S'arrêtant auprès d'un garde de la Cité, il alpagua ce dernier visiblement affairé à polir sa hallebarde afin de mander quelques renseignements qui ne seraient pas de trop.

"Pardon monsieur, sauriez vous où habites les doctoresses Dalia et Helena Hüngren?"
"Jamais entendu parler." répondit le garde sur un ton nonchalant.

Gill aurait bien eu envie de lui inculquer quelques préceptes de politesse mais l'heure n'était pas aux sermons. Geste tenant plus du tic nerveux qu'autre chose, il se frotta et pinça le bout du nez avec insistance en soupirant devant cet air condescendant qu'abordait le garde en ayant déjà détourné son attention du Mage Blanc qui faisait pourtant bien sa taille et sa carrure sans rougir. Il est vrai qu'habillé en civil comme il l'était son autorité de Mage Blanc était caduque mais tout de même.

"Et bien merci quand même." retourna ploiement Gill en guise d'au-revoir.

Puis alors qu'il allait se retourner pour reprendre sa route, il percuta une haute silhouette tout de noir vêtu. La surprise du choc le fit reculer de quelques pas et percuter le garde à qui il venait de s'adresser. Le dit-garde qui par une même surprise et surement à cause de ses quelques réflexes repoussa Gill vers le trottoir où il avait percuté l'homme en noir.
S'arrêtant d'un pas ferme sur les pavés de la rue, Gill sentit arriver la goutte d'eau faisant déborder son vase. Il n'était pourtant pas homme à perdre son sang froid mais de là à se faire mal parler par un peigne-cul de garde qui ensuite lui inflige une bourrade au lieu de lui venir en aide dans son déséquilibre il y avait un monde!

"Assez!"

Le Mage Blanc se retourna vers le Garde et le toisa par la seule force de son âge vénérable. Visiblement conscient de ses mauvais réflexes mais partagé avec un sens de l'honneur bien mal placé, le garde ne savaient visiblement pas sur quel pied danser face à ce quarantenaire visiblement remonté comme une vieille comtoise.

"Sachez jeune homme que si je fait impasse sur votre ton de malotru ce n'est que par économie de temps et de salive! Mais si je n'ai pas des excuses en bonne et due forme dans les deux minutes à suivre, je vous colle une leçon de vie qui aura de quoi faire rougir vos parents!"

Sans nécessairement hausser le ton, l'autorité paternel de Gill émanait de tout ses pores devant le garde pourtant taillé comme un bon roc. Derrrière ses fines lunettes à la monture discrète, ses yeux lançaient des éclairs revanchards en mesure de faire taire la pire langue de bois possible. Et quand bien même la douceur est un des traits principaux du Mage, la fermeté est aussi nécessaire quand il s'agit d'éducation: avec trois enfants à sa charge il parlait là d'expérience.
D'un geste sec il ouvrit son sac de voyage et extirpa juste la capuche de sa robe-redingote de Mage Blanc émissaire. Un symbole assez parlant à travers tout le continent de Nel Beraid qui ne serais pas sans faire réfléchir le moins bien élevé des gardes de la Cité Neutre.

Puis comme si tout cet univers n'avait jamais existé, il rompit sa fermeté pour reprendre son calme et sa gentillesse naturelle et se retourner face à la silhouette noire qu'il avait percuté juste avant. Et dés le premier coup d'oeil il repéra tout de suite que cet homme était... grand, c'est le moins qu'on puisse dire.

"Navré de vous avoir bousculé jeune homme, je perd le nord avec toute cette foule." s'excusa Gill avec un sourire chaleureux et apaisé.

Qu'il enchaina immédiatement en tournant la tête vers le Garde pour lui dire d'un regard "Prend en de la graine gamin, il n'y à pas d'âge pour être poli!"

Une journée comme Sven les haïssait vraiment. En plus de se retrouver ici, dans les Allées Marchandes, il faisait une température d'enfer malgré la saison. Au printemps, il n'était pas rare de voir le soleil briller de mille feux jusqu'à parfois atteindre des températures totalement hors saison. On aurait dit qu'il se trouvait en plein été! D'ailleurs, le beau temps avait mal fait les choses, car les rayons du soleil avait incité beaucoup d'habitants à sortir de chez eux pour faire des emplettes ou simplement pour prendre une bonne marche à l'air frais. Résultat? Une véritable marrée d'êtres humains se bousculaient entre les comptoirs et diverses boutiques roulantes. Et il n'y avait que Sven pour savoir que Sven détestait particulièrement les foules de ce genre. Cependant, et malgré le désagrément, il bénéficiait d'un avantage face aux autres passants impatients de continuer leur route. Il était très grand. Il dépassait tout le monde de plus de deux têtes, si ce n'était pas plus, et la majorité des gens préféraient donc faire de leur mieux afin de ne pas lui foncer dessus. D'ailleurs, sa hauteur lui permettait de voir plus loin que les autres.

Pour les malheureux qui jouaient les durs en ne s'écartant pas de son passage, Sven se contentait alors de poser sa grande paume sur leurs épaules et de les envoyer valser plus loin. Être plus grand et donc proportionné en conséquence lui donnait un avantage certain au niveau de la force, bien qu'il ne possède pas le don de force surhumaine. Non, il n'était pas aussi fort que les détenteurs du don, mais il avait un avantage contre les humains de tailles standards.

Le démon soupira. Il avait mal choisi sa journée pour faire les courses. Non non, il n'achetait pas des aliments pour faire une soupe ou un rôti, il cherchait dans les allées des éléments pour des potions ou alors des rituels. Il n'avait plus de sauge, plus de poudre colorée, et manquait d'ailleurs de certaines autres éléments divers. Il s'était presque tout procuré jusque là, mais ne trouvait nul part la boutique de chandelles. En plus de ses achats personnels, le Mage Noir avait reçu l'ordre d'aller quérir une tonne de chandelle pour fournir la bibliothèque. Ah! Comme il détestait être considéré encore comme l'Apprenti de service! Il avait beaucoup plus d'expérience qu'avant et n'était normalement plus considéré comme un novice. Alors pourquoi ses supérieurs continuaient-il à lui refiler toutes les besognes ennuyantes? C'était désespérant, et surtout très enrageant pour une personne comme lui. Boutique, boutique, où te cachai-tu donc...

Aouch! Perdu dans sa contemplation du décors, Sven ne vit pas l'individu qui se dirigeait dans sa direction, et il fut happé par lui. Il se préparait à répliquer méchamment quand ce même personnage recula bien malgré lui jusque sur un garde qui le violenta alors quelque peu. La scène était amusante, surtout quand l'homme d'un certain âge se mit à réprimander le garde comme s'il s'agissait d'un enfant. Sven continua à sourire jusqu'à ce que l'autre extirpe de ses affaires le signe de son statut. Un Mage Blanc! Un satané Frère de la Lumière. Instinctivement, Sven grimaça de dégoût. Quoi de plus fâcheux pour empirer sa journée déjà désagréable? Surtout qu'avec ce qu'il portait, cela laisserait peu de place au doute aux yeux du Mage Blanc.

Le Mage Noir portait justement sa robe de l'Ordre. Non, il n'était pas peureux en se promenant ici en territoire de Naturalia en affichant fièrement son rang. D'ailleurs, s'il portait cela, c'était uniquement parce qu'avec la chaleur, ce vêtement était plus confortable. Ses habits en tissus serrés et en cuir n'auraient fait que l'achever sous ce soleil. Certes, Sven détestait porter sa robe de Mage Noir, mais parfois cela s'avérait nécessaire, bien malgré lui.

Ses yeux glacés se baissèrent sur l'homme. Pour le moment, ouvrir les hostilités avec lui ne serait pas nécessaire, mais Sven ne put s'empêcher de s'exprimer avec sa nature malveillante et quoi qu'un peu arrogante.

- Faites plus attention à vous, grand-père. Vous ne voudriez pas tomber sur quelqu'un de rancunier, non?

Il ne lui avait pas fait mal en le bousculant, certes, mais Sven détestait se faire pousser, même si c'était un accident. Il se retint d'ailleurs pour ne pas l'écraser dans un mur...

Ce n'était vraiment pas dans les habitudes de Gill que de devoir hausser le ton en public mais quand la situation l'exigeait le Mage Blanc savait se montrer ferme. Quand bien même il donna de la voix, attirant par la même occasion le regard de quelques badauds, il retrouva très vite sa bonne mine éternelle une fois le sermon terminé. Il n'était pas homme à transformer une simple bousculade en véritable affaire d'état, le détail qui l'avait surtout agacé était cet irrespect suintant de l'homme de garde.
Lorsqu'il se retourna pour faire face au jeune homme qu'il avait précédemment heurté par mégarde il se retrouva non sans surprise face à un mage noir. La longue robe aux teintes abyssales lui était familière et ne devait tromper personne ici bas. Après tout dans une cité neutre comme celle de Naturalia, la présence d'hommes de Malificum n'était pas forcément un mal en soit ou annonciateur de temps troublés mais cela dit, s'exhiber ainsi n'était pas de la plus grande délicatesse. Un détail qui ne changea en rien l'attitude de Gill devant ce dernier et il lui adressa malgré tout ses excuses comme il l'aurait fait avec n'importe quel autre citoyen.

Hélas le monde est parfois mal fait. Après avoir fait la rencontre d'un garde aussi agréable que loquace, le voila désormais en face d'un blanc-bec qui ne savait visiblement pas doser ses propos pour éviter l'aigreur de l'arrogance. A moins que cela soit voulu, ce qui ne serais pas franchement étonnant à bien y regarder.
Cette nouvelle génération, qu'importe le statut ou les origines, avait cette particularité, je dirais même plus ce don à rouler des mécaniques qu'importe la situation. Comme si le fait de passer à l'âge adulte leur donnaient suffisamment de poids pour asseoir une quelconque suprématie sur les chalands autour d'eux. Une arrogance sempiternel qui se retrouvait encore plus marquée chez les jeunes de Malificum qui devaient surement se penser tout permis sous prétexte qu'ils s'affabulaient eux-même le titre de "méchant". Comme si la noirceur de leur robe devait justifier la noirceur de leurs propos et justifier un manque flagrant de diplomatie et de réflexion. Un constat bien regrettable quoiqu'il en soit et intérieurement Gill espéra que ses propres enfants ne marchent pas dans de telles voies.
Malgré tout il garda son sourire léger devant les propos hautain et dédaigneux de l'homme en noir et ses prunelles brillèrent d'un petit éclat malicieux et amusé. Il redressa ses lunettes d'un geste habitué et soupira en prenant à la rigolade la provocation ouverte du mage.

"Grand-père? Et bien je ne pense pas que mes enfants en soient à ce stade à vrai dire." répondit-il d'un ton taquin.

Il ria discrètement, avec sincérité. Il se doutait bien que dans le fond ce jeune mage n'allait surement pas apprécier que l'on prenne ses airs de seigneur à la rigolade mais allons bon, il faut bien s'amuser de temps en temps. Puis ce n'est pas lui qui à un problème d'égo au final, il assumait parfaitement son âge et ce qui allait avec. Après un petit laps de temps, il se laissa tenter à pousser un peu plus le vice.

"D'ailleurs je cherche l'office des doctoresses Dalia et Helena Hüngren afin de retrouver ma fille, ça vous dit quelque chose?"

A aucun moment le Mage Blanc ne se moquait du Mage Noir et sa plaisanterie ainsi que sa demande étaient tout à fait honnêtes et naturelles. Il s'ouvrait juste à un homme qui semblait naturellement fermé à tout ce qui l'entourait, se mettant au même pied d'égalité que lui et faisant fit des propos aux allures menaçantes. Puis au pire il se ferrait envoyer paitre tel un vieillard sénile tout juste bon à finir ses jours dans un auspice reculé. Avec un garde de la ville derrière lui et quelques tours dont il a le secret, ce n'est surement pas devant un novice qu'il allait courber l'échine de toute manière.

L’état de Sven, qui était jusqu’à présent plutôt tranquille, s’embruna quelque peu sous les premiers propos que lui donna le Mage Blanc d’un certain âge qui lui faisait face aujourd’hui. Le Mage Noir plissa légèrement les yeux à ses dires mais ne répondit rien pour le moment. D’un côté, il avait envie d’écraser cet homme contre un mur simplement pour sa nature bienveillante, et d’un autre côté, sa petite bravade inconsciente l’énervait au plus haut point. Lentement, presque méthodiquement, Sven baissa les yeux sur lui et l’examina dans son ensemble, puis de la tête au pied, notant chaque détails de son apparence, chaque défaut, chaque ride. À son âge, il était peut-être un Mage de grande expérience, mais l’aura qu’il dégageait n’en laissait pas croire ainsi. Ils semblaient être presque égaux, pour tout dire, et Sven en fut quelque peu rassuré.

Il joignit ses mains pâles et glacées, les camouflants du même coup dans ses longues manches noires, et il continua de fixer l’humain avec le même air que tout à l’heure, à la fois méprisant et moqueur. Sa nature de Mage Noir l’empêchait d’agir autrement face à un individu tel que celui-là. Il était son opposé, son ennemi inné, et peut-être sa future victime, si l’envie lui en prenait.

Il écouta par la suite la question du Mage Blanc, et il sentit le rouge de la colère lui monter aux joues. Il écarta ses bras et se toucha la poitrine du bout des doigts, se désignant lui même, et pencha sa haute personne vers son interlocuteur, lui mettant de l’ombre sur la tête dans cette posture qu’il voulait dominante.

- Ai-je vraiment l’air d’une carte touristique, petit messire?

En effet, quel culot de lui demander son chemin avec autant de familiarité et d’assurance! Sven en avait la nausée. D’ailleurs, il n’avait jamais entendu parler de ces deux femmes qu’il lui nommait. Cela lui passait d’ailleurs dix pieds au dessus de sa haute tête. Sven se redressa par la suite de toute sa hauteur, continua de jauger du regard le Mage Blanc d’un air parfaitement hautain, et ainsi con harmonie avec sa propre nature malveillante. Mais, contre toutes attentes, sa bouche se fendit d’un très fin sourire et il pivota de côté afin d’être de profil à son cher petit monsieur. Il leva un bras comme il haussa de l’épaule droite, dans un geste de théâtre, et souffla :

- Mais si cela peut vous faire plaisir, mon cher, je vous aiderai à chercher, si en retour vous pouvez me conduire chez le marchand de chandelles...

Un service pour un autre, quoi de plus équitable? Du coin de l’oeil, il fixa le Mage Blanc et attendit pour sa réponse. S’il acceptait sa proposition, le spectacle de voir ses deux opposés marcher côte à côte sans se battre serait un spectacle dont un parlera pendant toute une semaine dans l’allée des marchands!

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