Sieston [PV Nee]

"Va chercher des plantes, de toute façon tu n'es bonne qu'à ça". Cela avait été assez musclé à la Tour Naturelle ces derniers temps. Les encadrants des jeunes apprentis, qui devaient leur transmettre leur savoir, ne supportaient plus la présence de Bellinda dans la récente promotion… Ils la traitaient d'incapable, de sauvage incapable de s'instruire, de danger public. Et elle se contentait de ricaner… Après tout sa dernière mixture avait parfaitement rempli son office, le fumigène parfait. Ils avaient tous dû évacuer le laboratoire d'alchimie, les jeunes apprentis essayant de retenir leur rire devant la face rubiconde et indignée de leurs maîtres… Bizarrement, même si elle ne s'était pas fait voir et qu'elle était restée "sage" durant l'évacuation, les doigts se pointèrent unanimement vers elle pour désigner la coupable. Au lieu de protester, cela aurait été parfaitement inutile et elle n'aimait pas perdre de temps avec ces vieux croulants, elle s'était contentée de faire une révérence avec un sourire suffisant sur les lèvres…

Pas besoin de préciser que cela n'avait rien fait pour arranger son cas… Le savon qui avait suivi avait été monumental mais, malheureusement pour eux, elle avait trouvé le vol d'un papillon passant par là nettement plus intéressants que leur discours indigné. Quand même! Elle n'imaginait pas! Elle était une mage rouge! Quels sacrifices avaient du faire ses prédécesseurs?! Que dirai Alicia Mayfair devant pareille recrue?! Justement, elle n'imaginait pas et n'avait pas envie de le faire. Et leur avait fait comprendre de façon bien peu obligeante. Du coup des sanctions avaient été prises. Elle était proscrite de la Tour pour les deux prochains mois et elle devait leur fournir des plantes. De la basse besogne en somme… Sauf que Lili voyait cela comme des vacances improvisées et non une quelconque punition…

La dernière commande concernait une sorte de lierre qui parasitait certains chêne de la foret. C'était une plante bien particulière, facilement reconnaissable mais urticante. Si on ne savait pas s'y prendre… Or, justement, Bellinda savait s'y prendre avec un certain brio avec les plantes. Elle ne les manipulait pas comme les druides mais elle avait un instinct quasi infaillible quant à leurs propriétés, comment les cultiver ou les manipuler. Alors, forcément, elle avait prévu son coup et maintenant qu'elle avait trouvé sa "cible", elle pouvait bien prendre son temps…

L'elfe était allée se sélectionner un chêne non parasité, un arbre solide aux branches larges et confortables. Sans trop de difficultés elle avait grimpé jusqu'à la zone qu'elle avait repéré… Et s'y était mollement installée. Le dos confortablement calé sur le tronc, elle avait une jambe à moitié repliée sur la branche, l'autre pendant nonchalamment. Quant à ses mains, elles étaient croisées derrière sa tête pour lui offrir un ersatz de coussin… Elle somnolait sous le feuillage qui la protégeait du chaud soleil de l'après-midi… A force de grimper dans les arbres, elle avait développé sa technique de sieste dans les arbres au rang d'art….

Quelle drôle de vie tout de même que celui d’un mage rouge… Grimper et descendre tous les jours le grand escalier en colimaçon de la Tour Naturelle, passer ses journées dans des livres et des mixtures alors que le soleil resplendissait dehors…
Neelahn n’aurait sans doute pas apprécié ce genre de vie. Elle avait besoin d’espace et de lumière. En tant que druidesse, elle n’était pas soumise à cette éducation stricte dont les mages rouges devaient suivre. Elle se levait à l’heure qu’elle voulait, mangeait quand elle voulait, … Bref, elle était libre de ses mouvements…
Mais cette liberté était relative car contrairement aux mages rouges, les druides n’attendaient pas que les assiettes chaudes ne se posent d’elle-même sur leur table et il n’y avait personne pour laver leur linge sale et ranger leurs affaires.
Si Neelahn voulait manger, il fallait qu’elle parte chasser. Si elle voulait porter des vêtements propres, il fallait qu’elle entretienne soigneusement ses affaires. Tout ceci impliquait donc de suivre une certaine discipline.
Au final, il ne s’agissait après tout qu’une question d’habitude et d’éducation.

Comme à son habitude, Neelahn n’avait rien de bien important à faire. Sous sa forme d’oiseau, elle parcourait la forêt. Zigzagant à travers les arbres, elle suivait les conseils qu’une femme lui avait un jour prodigués. Cette femme lui avait conseillé d’exploiter son pouvoir au maximum car cela lui serait sans doute utile un jour.
Depuis sa rencontre avec elle, Neelahn avait consacré du temps pour s’entrainer dès qu’elle le pouvait et tentait d’exploiter les caractéristiques physiques de son animal totem.
Seul oiseau capable de se stabiliser dans les airs à et reculer, Neelahn s’amusait à faire des pirouettes et des acrobaties dans le ciel sous sa forme de colibri. Comme il état amusant de pouvoir narguer les autres oiseaux et de leur dire « Hey ! Regardez ce que je sais faire ! Prenez-en de la graine ! ». Mais les autres oiseaux se fichaient bien de savoir que Neelahn était capable de voler plus vite que tous les oiseaux et qu’elle était capable d’utiliser ses pouvoirs sous sa forme animale…

… car, en effet, récemment, Neelahn avait découvert qu’il lui était possible de faire pousser des plantes lorsqu’elle était sous sa forme animale. Ce fut le présent qu’elle avait reçu lorsqu’elle avait passé son test pour devenir Ermite.
Émerveillée de pouvoir utiliser ses dons en toute circonstance, Neelahn s’était amusée à voler à travers la forêt et à faire pousser des petites fleurs ici et là.

Arrivée près d’un arbre, l’elfe aperçu une demoiselle endormie sur une branche solide. Après avoir repris sa forme elfique, Neelahn s’assit à califourchon sur la branche, en face de la belle endormie. Ses cheveux blonds cascadaient le long de son corps, lui faisant ainsi office de vêtements. Cependant, la druidesse préféra tout de même faire grandir une vigne vierge qui s’enroula autour de son corps.

« Tu ne devrais pas t’endormir comme ça. Tu pourrais tomber et te faire très mal… »

Ce n’était pas un reproche mais juste un conseil. Penchant légèrement la tête de côté, Neelahn se demandait ce qu’une personne comme cette femme venait faire dans la forêt. A première vue, elle ne semblait pas être une habituée des lieux… quoi que… pour réussir à grimper dans ce chêne, il fallait tout de même avoir une certaine adresse qui n’était pas donné à n’importe quelle citadine !
Un grand sourire sur les lèvres, Neelahn se voulait accueillante. Après tout, dans la forêt, il lui était rarement donné l’occasion de faire des rencontres.

Bellinda était assez habituée à avoir es visiteurs lorsqu'elle occupait ainsi un arbre. Insectes, oiseaux, serpents, rongeurs… De petites créatures qui finissaient par la considérer comme un potentiel promontoire à cause de son immobilisme. Lorsque quelque chose de plus gros et de potentiellement dangereux avait essayé de prendre d'assaut son arbre, elle l'avait toujours entendu, ou senti instinctivement. En temps normal. Dans un monde normal. Où les animaux ne se retrouvaient pas bipèdes dans les secondes qui suivaient… Et comme souvent, la mage rouge se réveilla en sursaut, à deux doigts d'expérimenter l'expérience de Newton de façon un peu trop personnelle…

-Ah put' !!

L'affaire aurait pu mal tourner cependant, elle se stabilisa rapidement, visiblement habituée à ce style de réveil en fanfare; même si elle ne les aimait probablement pas… Cela nécessitant un étrange battement de jambes pour contrebalancer le mouvement qu'elle avait fait un peu trop vers le vide mais elle parvint elle aussi à finir à califourchon sur la branche. Le palpitant battant la chamade, elle fixa la jeune femme qui se tenait face à elle, ravalant les épithètes colorés qui lui venaient, justement, en tête.

-Vous êtes une druide…

L'elfe était un peu essoufflée… C'était clairement une affirmation et une phrase énoncée ainsi, faute de mieux. Comme si par là elle cherchait à raisonner son corps en lui soufflant qu'il n'y avait pas de réelle menace. Pour l'instant… Toute sa famille, à l'exception d'un cousin ayant viré rôdeur, faisait partie de la caste des druides. Elle savait donc les reconnaître. Ce qui n'était pas non plus bien difficile puisque les gens qui apparaissaient miraculeusement sur les branches, quasiment à poil de surcroît, n'étaient pas légion… Et les druides faisaient effectivement partie des causes premières de ses plus beaux gadins, l'un de ses frères pouvant se transformer en écureuil trouvant lui aussi très drôle de la réveiller en sursaut dans ce genre d'endroits…

-Ouais je sais… Mais c'était trop tentant. J'ai jamais su résister à un arbre quand il fait beau…

Lili se gratta l'arrière de la tête d'un air penaud. La druide était mignonne comme un cœur, l'air innocent et accueillant… Elle allait devoir faire attention à ne pas être trop rude avec elle. Au moins il n'y avait qu'elle à l'avoir surprise en pleine sieste. Et puis c'était une druide… Elle préférait ne même pas imaginer ce que cela aurait pu donner si cela avait été l'un des membres de son ordre.

-Heu… Ca fit longtemps que t'es là?

Etant donné qu'elle l'avait tutoyée, elle en fit de même sans le moindre scrupule. De toute façon, elle avait énormément de mal à vouvoyer quelqu'un sans qu'il y ait une petite arrière-pensée fort désagréable. Là, elle avait l'air assez sympathique pour qu'elle soit plus "naturelle" avec elle. Puis elle aimait bien les druides, elle avait vécu plus longtemps avec eux qu'avec les mages rouges. Et préférait aussi leur façon de voir la vie… Il n'y avait pas un jour où elle ne regrettait pas son échec dans sa recherche d'animal totem… Puisqu'elle était maintenant complètement stable sur sa branche, elle lui tendit brusquement la main avec un sourire.

-Tu peux m'appeler Lili. C'est quoi ton nom?

La tête toujours penchée sur le côté, Neelahn observa la jolie demoiselle tenter de maintenir son équilibre sur la branche.
Un petit rire résonna lorsque l’étrangère se mit à battre des jambes dans tous les sens. Neelahn ne la connaissait pas encore mais elle l’aimait déjà bien. Elle la trouvait amusante.
Attrapant fermement son poignet, la druidesse aida la jolie demoiselle à se stabiliser sur sa branche mais elle aurait pu ne pas intervenir. En effet, la jeune femme semblait très bien se débrouillait et au final, Neelahn n’avait pas fait grand-chose.

Un énorme sourire fleurit sur ses lèvres lorsque la jolie demoiselle remarqua son statut. Balançant ses pieds comme les ailes d’un papillon, Neelahn était ravie, d’autant plus qu’elle venait d’être promu au rang d’Ermite. L’elfe était fière d’être druidesse et cela se voyait.

« … et tu as bien raison ! »

Neelahn aussi appréciait faire la sieste, perchée sur un arbre. Mais contrairement à la jolie demoiselle, la druidesse était capable de rentrer en communication avec les plantes et de leur demander leur protection. Ainsi, les chênes s’arrangeaient pour qu’elle ne chute pas durant son sommeil et venaient lui titiller le nez avec leur feuillage lorsqu’il était temps pour elle de se lever.

« Non. Je viens juste d’arriver ! »

Quelle drôle de question ! Neelahn n’était pas du genre à lorgner les gens durant leur sommeil, bien qu’il faille avouer que la jolie demoiselle avait un joli minois lorsqu’elle dormait.
La druidesse aurait pu scruter cette étrangère avant d’établir un contact avec elle. Cependant, rien en elle ne semblait malveillant et Neelahn aurait trouvé tout à fait inopportun que d’espionner une personne qui n’avait aucune mauvaise intention.

« Euh… »

Le regard plongé sur la main que la jolie demoiselle lui tendait, Neelahn s’était toujours demandé ce que ce geste signifiait. Ses quelques excursions dans les grandes cités lui avaient montrées des personnes se serrant la main mais elle n’avait jamais comprit ce que cela signifiait. Mais peut-être était-ce tout simplement une façon de saluer les gens… Oui, ça devait être sûrement dans les mœurs des citadins…
Se décidant de jouer le jeu, Neelahn attrapa la main de Lili et la secoua comme un prûnier.

« Je m’appelle Neelahn mais tu peux m’appeler Nee’ si tu veux ! »

Le visage rayonnant, la druidesse tenait toujours fermement la main de la jolie demoiselle mais avait cessé de l’agiter.

« Ça fait depuis longtemps que tu es là ? »

Neelahn se demandait si Lili connaissait la forêt. Peut-être pourraient-elles faire une promenade toutes les deux ? L’elfe se ferait un plaisir de lui montrer toutes les merveilles que contenait son habitat. Après tout, maintenant qu’elle avait atteint le rang d’Ermite, elle se devait de faire un peu de diplomatie.

Mine de rien l'elfe fut rassurée de constater que la druide n'avait pas passé de longues minutes à l'observer dormir. Elle n'était pas spécialement précautionneuse de l'image qu'elle pouvait renvoyer aux autres, après tout elle aurait développé plus de tact et de diplomatie si cela avait été le cas, mais cela ne l'empêchait pas d'avoir un minimum de dignité. Si elle avait dormi la bouche ouverte, ronflé ou encore bavé, elle préférait que cela ait été sans le moindre témoin… Bon, cela, ne semblait pas avoir été le cas, elle n'avait pas la mâchoire ankylosée, ni la bouche sèche… Mais c'était pour le principe !

La manière musclée qu'avait la druide pour serrer la main acheva de la réveiller complètement, l'elfe devant lutter pour conserver son équilibre pendant qu'elle était secouée comme un prunier. Nee ne devait pas avoir beaucoup l'habitude de saluer les gens ainsi. A moins qu'elle ne soit joueuse… Dans tous les cas elle trouva cette façon de faire très amusante et elle finit par ire discrètement, le tressautement de ses épaules facilement masqué par le mouvement général de son torse…

-Nee ce sera très bien ! J'aime bien !

Ca sonnait espiègle et la druide semblait certainement plus amusante que ses petits camarades de la Tour Naturelle. Elle lui offrit donc un grand sourie, lui abandonnant sa main sans problème. Pour l'instant elle était stable et n'en avait donc pas besoin… La mage rouge se pencha un peu en arrière, essayant de distinguer le soleil au travers du feuillage du chêne. Elle prit quelques instants de réflexion pour se souvenir où il était lorsqu'elle s'était installée et combien de temps il mettait à bouger en moyenne… Visiblement elle avait largement pris son temps mais n'avait pas non plus dormi pendant des heures.

-Oh, pas vraiment. J'ai du me faire un sieston d'une petite heure à vue de nez. Rien de bien grave encore.

Elle avait encore tout son temps. Elle savait pertinemment en quoi le mage avait besoin de son lierre. Même irrespectueuse et difficile à vivre, elle avait tout de même un minimum de sérieux… Si jamais la commande avait été destinée à l'élaboration de potions importantes, comme des soins par exemple, elle ne se serait pas permis de prendre du retard… Là… Elle avait parfaitement conscience que c'était parce que la plante était urticante qu'on l'avait envoyée là. C'était juste un "mauvais tour" que l'on voulait lui jouer… Ce lierre n'avait que peu d'intérêt en herboristerie, étant facilement remplaçable par d'autres plantes plus courantes. Alors elle pouvait bien leur rendre la politesse en prenant bien son temps…

-Bref, j'aurai pu encore dormir quelques heures, y'a rien qui presse par chez moi !

L'elfe afficha un sourire plein d'une assurance tranquille. Elle allait payer son retard à coup sûr. Mais elle en avait décidément strictement rien à faire. Elle avait trouvé plus intéressant que ses corvées à la Tour Naturelle. Lili pencha légèrement la tête en observant la druide, essayant de deviner quel était son animal totem… Quelque chose d'agil pouvant venir sur cette branche déjà. Cela excluait les ours, loups et autres animaux incapables d'escalader ou voler… Ce devait être quelque chose de délicat et malicieux, sans être vicieux pour autant. Plutôt innocent même…

-Dis? C'est quoi ton animal-totem?

Oh formidable ! Ainsi donc, Lili avait tout son temps et elles avaient du temps pour faire amplement connaissances.
Une partie des druides, étaient occupés à mettre leur savoir faire au service de la Nature tandis que d’autres vaquaient à des occupations plus ennuyeuses comme le lavage de linges sales ou la mise en place de petits pièges pour attraper du gibier.
Ayant donné beaucoup d’elle-même durant son dernier test, on avait décidé de laisser Neelahn tranquille. Et puis, depuis qu’elle avait découvert qu’elle était capable d’user de ses dons sous sa forme animale, l’elfe prenait un réel plaisir à passer le plus clair de son temps à voler à travers la forêt tout en soignant les plantes malades. D’ailleurs, cela ne déplaisait pas beaucoup à Tigrou, son tigre blanc, qui ne pouvait malheureusement pas l’accompagner lorsqu’elle était revêtue de son plumage.

Finalement, Neelahn fini par relâcher la main de Lili et se balança doucement de gauche à droite. Elle plissa les yeux lorsqu’elle aperçu la jolie demoiselle approcher son petit minois de son visage. Avait-elle quelque chose sur le nez ?
Passant rapidement une main sur la figure, elle entendit Lili lui demander quel était son animal totem. Ravie de se voir poser cette question, Neelahn se redressa et lui répondit avec un énorme sourire.

« Tu veux voir ? »

Aussitôt, Neelahn se transforma en colibri. Ce fut plutôt rapide, pour ne pas dire instantané et Lili pouvait entendre le vrombissement de ses ailes.
Même si elle ne possédait plus de lèvres, la jolie demoiselle pourra facilement deviner que Neelahn souriait. De plus, celle-ci s’empressa de lui montrer toutes les prouesses aériennes dont elle était capable. Volant d’avant en arrière, de bas en haut, elle énumérait tout ce dont un colibri était capable de faire. A un moment donné, elle se stabilisa même en plein vol. Ses ailes battaient frénétiquement pour maintenir son corps dans les airs mais elle n’avançait pas d’un seul pouce.

« Et regarde, je peux faire mieux ! »

Neelahn avait brièvement reprit sa forme elfique pour parler à Lili puis s’était à nouveau transformée en oiseau. Elle tournoya un instant autour de la tête de la jolie demoiselle et finit par se poser sur la branche sur laquelle elle était assise.
Après s’être concentrée pendant quelques secondes, une pâquerette fleurit. Sautillant vers Lili, elle fit ensuite pousser un trèfle à quatre feuilles et fini par reprendre sa forme originelle.

« Pour toi. »

Du bout de l’index, Neelahn désignait la fleur et le trèfle.
Une nouvelle fois, la druidesse se drapa dans sa vigne vierge. Puis, à son tour, elle approcha son nez de Lili, se demandant à quel ordre elle pouvait appartenir. Elle ne pouvait pas être un chevalier car elle n’avait ni épée ni armure sur elle et ne pouvait certainement pas être un mage noir car elle était trop ouverte d’esprit et trop gentille pour ça.

« Hum… je dirai que tu es une mage rouge. Tu me fais penser à Ambrosia Mayfair, tu la connais ? »

Le caractère de Lili lui faisait penser à celui d’Ambrosia. Pourtant, elles n’avaient pas beaucoup de choses en commun, à part peut-être ce petit côté « fruité » qu’elles avaient toutes les deux.

La question n'était probablement qu'une forme de politesse puisque la druidesse se transforma dans la foulée en colibri, laissant à peine le temps à la mage rouge d'acquiescer. à ainsi voleter, elle était vraiment magnifique, surtout que le colibri était bien l'une des créatures les plus fascinantes avec ses incroyables facultés de vol. on avait presque l'impression qu'il lévitait et qu'il n'avait pas d'ailes… Avec son acuité visuelle naturelle, elle parvenait tout juste à les discerner, et encore avec peine, tant elles battaient rapidement. C'était magique. Vraiment… Cette faculté qu'avaient les druides à pleinement communier avec leur esprit animal était tout bonnement merveilleuse. Et il ne se passait pas un jour sans que la jeune femme ne regrette son échec. Mais aussi quelle aurait été sa forme animale. Avec quelle créature avait-elle le plus d'affinités? Elle contrôlait l'air… Peut-être était-ce aussi un oiseau? Mais avec le caractère qu'elle avait, cela pouvait très bien être quelque chose de complètement différent. Et puis il y avait toujours le risque que la révélation soit un peu vexante… L'une de ses connaissances, une jeune demoiselle tout à fait charmante et mettant les hommes à ses pieds, avait mis quelques années pour assumer parfaitement son animal-totem. Un magnifique animal noir et blanc. Une moufette…

Nee alternait ses deux formes à une vitesse phénoménale, ne semblant ressentir pas la moindre difficulté pour cet exercice. Cela semblait parfaitement naturel pour elle, au point que la jeune femme commença à soupçonner qu'elle devait parfaitement maîtriser ses transformations. Donc qu'elle était expérimentée. Donc qu'elle devait être relativement connue chez les druides. Et ses soupçons furent confirmés par sa facilité à utiliser ses pouvoirs magiques sous sa forme animale. Ce qui était bien la première fois à sa connaissance. Et sa surprise, et son émerveillement car c'était une capacité finalement redoutable, fut clairement visible sur son visage.

-Tu es vraiment très douée!

Elle regarda quelques instants les deux plantes avant de cueillir la fleur et de la glisser dans ses cheveux. Puis elle farfouilla dans la besace qu'elle avait à sa ceinture pour en sortir un carré de tissu. Si la pâquerette était jolie et qu'elle l'appréciait, elle accordait une valeur plus importante au trèfle à quatre feuilles. A ses yeux on venait de lui offrir un peu de chance. Ce n'était pas rien ! Le trèfle fut donc précautionneusement rangé dans le carré de tissu avant de finir dans sa besace.

-Merci !

C'tait des remerciements sincères et plein d'entrain. Une fois rentrée à sa chambre, elle rangerait la fleur entre les pages de son herbier… Le trèfle n'était pas prêt de la quitter par contre !! A son tour elle se laissa observer par la druidesse, ce n'était que justice d'ailleurs… Normalement il n'était pas trop difficile de deviner à quel ordre, ou du moins quel type d'ordre, elle appartenait. Et, comme elle l'avait deviné, Nee trouva sans grandes difficultés. Elle eut un grand sourire pour lui signifier qu'elle avait vu juste.

-T'as tout bon. Tu pourras te targuer d'avoir rencontrer la pire élève de la Tour Naturelle, si j'en crois mes "Maîtres"…

Mayfair était un nom reconnu dans la communauté des mages rouges. Principalement à cause d'Alicia Mayfair, la fameuse ange divin. Mais Ambrosia commençait aussi à faire parler d'elle et il n'était pas rare de la croiser dans les couloirs de la Tour. Sauf que, jusqu'à aujourd'hui, Lili s'était contentée de la croiser. Elle n'avait pas ressenti le besoin de la taquiner, la jeune femme semblant assez "normale" et pas trop ennuyante. Puis elle ne semblait pas faire partie du cercle très fermé des "nous-sommes-l'élite-des-mages-rouges-car-nous-sommes-mes-plus-vieux-écrasez-vous-et-obéissez". Oui, elle connaissait bien les Mayfair. Mais pas Ambrosia personnellement…

-On parle beaucoup d'elle et je l'ai juste croisée une paire de fois dans les couloirs. Mais c'est tout! Elle a l'air assez sympathique en comparaison de certains de mes collègues… Tu la connais toi?

Douée ? On voyait bien que Lili n’avait pas vu certains membres de son ordre. Comparés à certains, Neelahn ne savait pas faire grand-chose. En dehors de sa transformation animale et de sa capacité à contrôler les plantes, la druidesse ne possédait pas de don extraordinaire. Peut-être était-ce la raison pour laquelle Neelahn contrôlait aussi bien ses pouvoirs. Contrairement aux autres, elle n’en avait pas autant – du moins, le pensait-elle.
Néanmoins, recevoir un compliment faisait toujours plaisir, même s’il n’était pas amplement mérité. Lili pensait ce qu’elle disait et ce fut la seule chose qui importait réellement.
Naturellement, Neelahn ne put s’empêcher de lui adresser un nouveau sourire. Les yeux plissés et les joues légèrement teintées de rose, elle restait tout de même un peu gênée de se voir qualifier de « douée » alors que tant d’autres personnes savaient mieux maîtriser ses transformations qu’elle. Le Vieux Ours, par exemple, était capable de se vêtir d’un pagne lorsqu’il reprenait sa forme originelle à une telle vitesse qu’on ne voyait rien.

Les présents que Neelahn avaient offerts semblaient plaire au destinataire. Souriant de plus belle, c’était la première fois que la druidesse voyait une étrangère aussi ravie de recevoir une pâquerette et un trèfle à quatre feuilles. La plupart des citadins étaient si matérialistes…

« La pire élève de la Tour Naturelle ? »

Les yeux ronds, Neelahn fixait Lili sans comprendre. Comment une personne aussi charmante que Lili pouvait être qualifiée de « pire élève » ? L’éducation des mages rouges était-elle si compliquée que cela ?
Mais Neelahn ne dit rien, laissant la jolie demoiselle débiter ses mots. La druidesse savait bien qu’Ambrosia était connue. Après avoir lu un ouvrage, elle avait appris qu’elle était la descendante d’Alicia Mayfair, une grande mage rouge ayant lutté avec vaillance et ténacité durant la dernière guerre. Mais cette découverte se fit seulement après avoir rencontrée Ambrosia en personne…

« Oh oui ! Elle m’a fait visiter la Tour Naturelle ! Elle est très gentille… mais un peu froussarde… »

Les ouvrages sur lesquels Neelahn avait pu mettre la main utilisaient toujours des mots élogieux pour décrire l’Ange Divin. Cependant, la druidesse finit par se demander si quelques passages écrit à son sujet n’avaient pas été légèrement remodelé afin d’embellir la vie de la grande mage et laisser ainsi un merveilleux souvenir de ce qu’elle avait pu être.
Il était certain que Neelahn aurait eu une tout autre version de l’histoire si elle était tombée sur un livre écrit par un mage noir.

Quoi qu’il en soit, la descendante des Mayfair n’avait rien à voir avec l’Ange Divin. Enjouée, innocente et fragile, elle ne semblait pas détenir toutes les caractéristiques de la grande mage rouge. Certes, elle savait beaucoup de choses mais Neelahn fut amusée de voir qu’elle pâlissait devant Tigrou, son tigre blanc et qu’elle avait une grande horreur du sang. Peut-être changerait-elle en mûrissant. Pour cela, la druidesse ne se faisait aucun doute. Néanmoins, Ambrosia ne semblait pas détenir cet air transcendant qui se dégageait des ouvrages traitant de l’Ange Divin.

« Je pense que tu t’entendras bien avec elle. Mais dis-moi, pourquoi on te considère comme la pire élève de la Tour Naturelle ? Tu m’as l’air plutôt sympathique. »

Visiblement le titre qu'elle s'était octroyée, de droit si elle se référait aux propos de ses professeurs, intriguait la druidesse. Elle aurait tout le loisir de lui expliquer pourquoi elle était leur bête noire et qu'ils faisaient tout pour l'enterrer sous diverses tâches toutes plus désagréables les unes que les autres… Elle était presque certaine qu'elle comprendrait sa position. L'elfe eut un sourire en la voyant rosir légèrement à cause du compliment… Elle ne devait pas vraiment réaliser… Mais à ses yeux, elle était effectivement très douée. Car sa forme animale était complètement assimilée et assumée. Parce que même avec ses plumes, elle parvenait à utiliser sa magie. Parce que même à un endroit qui était loin de remplir les conditions nécessaires, elle faisait pousser certaines plantes. Mais elle finirait bien par s'en rendre compte par elle-même. Elle en était certaine… Parce qu'il n'était pas nécessaire de faire tout un spectacle pyrotechnique pour faire ses preuves…

-Un peu froussarde? Tiens, je pensais pas…

Vue la façon dont certains membres "éminents" de la tour avaient tendance à la traiter, elle la trouvait déjà plutôt courageuse de persister à marcher dans les pas de son ancêtre. Il faudrait d'ailleurs qu'elle lui demande quels étaient ses liens exacts avec l'Ange Divin… Pure curiosité mal placée puisqu'elle savait pertinemment que l'illustre mage rouge n'avait pas eu d'enfant naturel. Ce qui n'était pas un mal en soit… Quand on lisait les textes datant de l'attaque des anges on était en droit de se demander ce qui aurait pu arriver à ces pauvres gosses…

L'elfe eut un franc éclat de rire en entendant la question de Nee. Surtout sa formulation en fait. Elle aurait bien aimé voir comment auraient réagi ses ennuyants maîtres face à ce visage innocent et ses questions "pertinentes". La jeune femme chercha une façon de présenter la chose sans aller trop loin… Elle se souvenait que dans sa communauté, les anciens étaient respectés… Elle faisait de même, hein. Il ne fallait pas croire… Mais que si ces derniers le méritaient. Etre plus puissant, vieux, gradé, ça n'empêchait pas la politesse élémentaire et le respect de l'autre. Lili serait certainement plus sage le jour où elle rencontrerait un professeur digne de sa confiance…

-Mais c'est justement parce que je suis sympathique Nee! Mais juste avec ceux qui le mérite!

La mage rouge lui fit un clin d'œil malicieux en sortant une toute petite fiole violette de sa sacoche. Elle la manipulait avec énormément de précaution, peut désireuse de jouer à l'arroseur arrosé…

-Avec les gens "peu" sympathiques, j'ai une "légère" tendance à chercher que certaines potions peuvent avoir des effets particulièrement amusant. Comme des fumées. De drôles d'odeur. Des cheveux, ou la peau, qui change de couleur…

Elle parlait de cela comme un gourmand pourrait parler d'un monstrueux gâteau au chocolat et à la crème fouettée à la vanille… Bref, on sentait bien que la petite prenait plaisir à en faire tourne certains en bourrique !! Elle rangea précautionneusement sa fiole dans sa sacoche. Lili afficha le sourire d'un chat venant de tremper ses moustaches dans le pot de crème du laitier…

-Et il se trouve que la grande majorité, écrasante, de mes professeurs est "peu" sympathique. Et ils manquent aussi cruellement d'humour. Du coup j'ai été sacrée pire élève de la tour… Mais je perds pas espoir de les décrisper un jour… Ils gagneraient à être moins hautains, désagréables et coincés…

Ne sachant pas quoi répondre, Neelahn haussa les épaules.
Difficile de croire qu’une personne pouvait être froussarde alors que ses ancêtres étaient d’illustres combattants. Il était tout à fait légitime de penser ainsi. Cependant, comment pouvait-on juger quelqu’un qui passait le plus clair de son temps à étudier des grimoires et à mélanger des fleurs séchées avec de la bave de crapaud ? Comment pouvait-on se douter derrière qu’une petite nature se cachait derrière un petit visage sérieux et concentré devant ses potions ?
Mais Neelahn ne douta pas une seule seconde que quelques détails pouvaient lui échapper. Elle était bien contente d’être une « créature de la Nature ». Elle ne connaissait plutôt mal la vie dans les cités. Les protocoles, les mœurs, … tout ceci la dépassait…
Mais tout de même… On ne pouvait décemment pas qualifier quelqu’un de téméraire lorsqu’on le voyait blêmir devant un beau félin à la fourrure douce et soyeuse, même si Neelahn devait bien reconnaître qu’Ambrosia avait fait preuve de courage en ne détalant pas comme une biche affolée à la vue de Tigrou. Dans la vie, il y avait des choses mille fois plus affreuses.

« Ah ? »

Lili venait de lui expliquer pourquoi les mages rouges la considéraient comme la pire élève de la Tour Naturelle mais Neelahn n’y comprit strictement rien. Y avait-il vraiment des érudits qui ne méritaient pas la sympathie de Lili ? La druidesse avait toujours pensé que les mages rouges étaient des personnes sages et bienveillantes. Mais à entendre la jolie demoiselle parler, on aurait dit que la réalité était toute autre et l’elfe aurait été bien curieuse de savoir comment se passait une journée de cours. Neelahn, elle, n’a jamais vraiment eu de cours. On lui avait enseigné plusieurs choses mais toujours dans un contexte précis. Et maintenant qu’elle y repensait, l’elfe se voyait bien mal assise sur une chaise et essayer de mémoriser des centaines de lignes gribouillées sur un bout de parchemin.
Au final, la vie d’une mage rouge devait être terriblement ennuyante.

Les yeux de Neelahn se mirent à pétiller lorsqu’elle aperçut la fiole que Lili venait de sortir. Comme une enfant face à un étal de jouets, la druidesse admira l’objet avec fascination. Elle se souvenait des petites potions qu’Ambrosia lui avait offertes. Ce n’était pas grand-chose mais cela avait beaucoup plu à Neelahn. Il lui en restait encore quelque flacon qu’elle gardait soigneusement comme des reliques sacrées. Même si elle avait la capacité de contrôler les plantes, la druidesse était incapable de faire des mixtures aussi sophistiquées qu’un mage rouge. Pourtant, elle se disait que si elle avait eu la patience de se plonger comme les érudits sur ces interminables ouvrages, elle saurait sans doute faire des potions pour changer le monde. Mais voilà, l’idée de rester assise à bouquiner pendant des heures des pages écrites dans une langue inconnue (ou avec des pattes de mouche) ne lui disait strictement rien. Il y avait tellement de choses à faire de plus intéressantes que de se pencher sur ce genre de lecture si ennuyeux !

« Tu fais bien… »

D’une oreille distraite, Neelahn écouta Lili débiter ses mots à propos de ses enseignants. Comme un chat chassant une souris, ses yeux suivirent les mouvements de la jolie demoiselle lorsque celle-ci rangea sa fiole magique. Elle se demandait quelle propriété possédait son contenu. Et, après avoir hésité un peu, elle osa demander.

« Tu peux changer la couleur de mes cheveux en rouge ou en vert ? »

… parce que oui, Neelahn rêverait avoir des cheveux aussi vert que son plumage ou aussi rouge que les flammes… Ça serait tellement bien !

Tous les mages rouges n'étaient pas comme ses professeurs mais la Tour Naturelle en possédait un vivier assez important… Les plus anciens, coincés et figés dans des valeurs morales archaïques. Si Nee ne parvenait pas à se projeter dans cet environnement, coince dans un laboratoire d'alchimie, Lili ne pouvait qu'abonder en ce sens. La druidesse aurait été terriblement malheureuse enfermée entre quatre murs. Elle-même ressentait beaucoup de difficultés à rester ainsi coincée. Elle adorait travailler les plantes en alchimie, cela elle ne le reniait pas… Mais la recherche de ces plantes en extérieur faisait en grande partie de ce plaisir. L'expérimentation, la recherche, les tests… Il y avait des choses qu'il fallait vivre pour de vrai, expérimenter par soi-même. Les livres avaient leur utilité et elle ne rechignait jamais à les consulter mais il ne fallait pas jurer uniquement pas eux. Ces ancêtres de la tour avaient tout simplement oublié de vivre…

L'elfe sourit en voyant la façon dont la druidesse observait la fiole. A croire qu'elle était plus proche du chat que du colibri. Si ses paroles n'avaient pas passionné son auditoire, sa potion semblait avoir rempli cet office. Nee devait être particulièrement curieuse… Et, sachant ce qu'il contenait, elle se dit qu'il valait mieux garder ce flacon sagement hors de portée de ses mains. Il s'agissait en fait de sa dernière création, quelque chose à n'utiliser qu'en dernier recours dans un espace dégagé alors qu'on partait en courant. La fumée qu'elle faisait naître était particulièrement épaisse mais, surtout, faisait pleurer les gens en agressants toutes les muqueuses. Yeux larmoyants et souffle court, cela lui assurait que ses poursuivants ne la suivraient pas longtemps. Elle avait beaucoup donné e sa personne lors de sa réalisation, chaque essai loupé pouvant pourtant se révéler très agressif pour elle. Elle avait passé des mois avec les yeux rouges et une toux de tuberculeuse avant que sa recette soit parfaitement au point.

-Rouge, vert ou toute autre couleur… C'est comme tu veux !

La mage rouge n'avait pas tous les ingrédients sur elle, loin s'en fallait, mais dans cette foret il ne lui serait pas bien difficile de trouver ceux qui lui manquaient. Ensuite tout dépendait de ce que voulait Nee… Car elle savait teindre les cheveux de deux façons différentes. Une façon qu'elle qualifiait de "magique", temporaire et n'abîmant en rien les cheveux, c'est qu'elle utilisait le plus souvent pour jouer de mauvais tours, et une autre plus "naturelle" mais qui demandait beaucoup de temps et, surtout, qui restait sur le cheveux. Elle avait développé cette seconde technique durant sa jeunesse, lorsqu'elle n'assumait pas encore ses différences. Lili n'avait jamais comprit pourquoi elle avait les cheveux blancs alors que toute sa famille avait les cheveux noirs… Et elle avait donc cherché à les imiter en se colorant les cheveux. En s'inspirant des teintures pour le tissu elle avait longuement tâtonné avant de trouver la bonne recette… Et de faire ses premières expériences.

Ainsi, pendant quelques temps, avait-elle eu les cheveux colorés. L'elfe avait ainsi découvert les limites de cette technique: les cheveux abîmés et le fabuleux phénomène des racines… Ce n'était pas vraiment agréable et demandait, du coup, un entretien constant. Lili avait finit par se couper les cheveux courts pour qu'ils retrouvent leur splendeur nacrée et ne présentent plus un vilain exemple bicolore qui la faisait ressembler à une pie. Depuis elle s'était habituée à ses cheveux blancs, même si elle se teintait parfois les cheveux de façon temporaire avec des couleurs étranges. Juste pour s'amuser… Nee était bien mignonne et très "naturelle". Elle n'avait pas envie qu'elle subisse la désastreuse expérience des fins de teintures. Sans compter qu'elle avait l'impression que c'était plus pour s'amuser qu'autre chose…

-Tu veux que je le fasse? Mais ce sera temporaire et sans danger… Je ne pense pas qu'un changement de couleur définitif soit très bon pour toi. Tu as de trop beaux cheveux pour les abîmer comme ça…

Elle eut un sourire. C'était bien l'une des rares à accepter l'une de ses potions sans craindre que quelque chose de terrible ne lui arrive. Ses camarades de promotion la connaissaient comme le loup blanc après tout…

-Suffit que tu me dises la couleur et que tu me donnes un peu de temps. Parce qu'il me manque des ingrédients et il faut que je prépare la potion aussi… Tentée?

Vraiment ? Toutes les couleurs qu’elle voulait ? Vraiment toutes ?
Immédiatement, Neelahn quelle teinte lui irait le mieux. Elle aurait bien aimé avoir les cheveux verts mais pas n’importe quel vert. Le vert des prairies la transformerait en arbre tandis que le vert des sapins la rendrait hideuse. Ce qu’il lui faudrait, c’est un vert clair, un peu comme celui des pommes. Avec une telle couleur, Neelahn serait certainement très jolie et se fondrait bien dans la forêt.
Néanmoins, avoir des cheveux aussi rouges que les pétales des coquelicots lui paraissait être une formidable idée. Bien entendu, il serait moins aisé de se tapir dans la forêt avec une couleur aussi vive mais comme elle serait jolie ainsi ! Et d’ailleurs, en y resongeant, l’elfe se demandait si le rose pâle lui irait ou le noir… Avoir des cheveux aussi noir que le plumage des corbeaux ou aussi bleu que l’océan…
Saisissant une de ses mèches entre le pouce et l’index, Neelahn tenta d’élucider cette terrible question car en fin de compte, toutes les couleurs lui plaisaient bien.

« … les abîmer ? Comment ça ? »

Lili venait de la sortir de ses rêveries. Comment une potion pouvait-elle abîmer les cheveux ?
Mais après réflexion, la proposition de la mage rouge semblait mieux convenir à ses envies. Hochant vigoureusement de la tête, elle se dit que sa nouvelle amie pourrait lui fabriquer plusieurs fioles contenant des teintures différentes. Comme ça, elle n’aurait pas à se tracasser la tête pour choisir sa couleur.

« Oui ! Alors, j’aimerais bien avoir les cheveux vert pomme, rouge coquelicot, rouge sang, bleu océan, noir corbeau, rose trémière et châtain… et blanc aussi ! Oui, ça sera très bien aussi ! C’est long à faire ? De quoi as-tu besoin ? »

Sans vraiment attendre une quelconque réponse, Neelahn saisi le poignet de Lili et la força gentiment à descendre de l’arbre avec elle – à vrai dire, elle finit rapidement par la lâcher lorsqu’il fallu sauter une branche -.
Sautant de branche en branche avec l’agilité d’un singe, Neelahn descendait de l’arbre avec une facilité déconcertante. Il en serait sans doute de même pour Lili. L’arbre ne possédait aucun obstacle et si la mage rouge était parvenue à grimper sur sa branche, elle n’aurait alors aucune difficulté à descendre de son perchoir.
Une fois arrivée au sol, la druidesse s’assit en tailleur et fit un petit tas de terre devant elle.

« Fais ta liste. Je suis prête ! »

Les mains posées au-dessus de sa motte, Neelahn ressemblait à une voyante prête à révéler l’avenir de sa cliente.
Se tenant bien droit, elle se tenait prête faire grandir tous les ingrédients dont Lili aurait besoin pour ses potions. Elle bouillait d’impatience de voir comment la mage rouge allait s’y prendre. A quoi ressemblerait la potion une fois terminée ? Faudrait-il la boire ou simplement la déverser sur ses cheveux. L’effet serait-il immédiat ?
En se posant toutes ces questions, la druidesse réalisa alors que Lili n’avait peut-être pas tous les ustensiles sur elle pour travailler. Elle se leva alors comme si une aiguille lui avait piqué les fesses et s’exclama.

« Ne bouge pas, je vais te chercher un bol et tout et tout ! »

Sans laisser le temps à Lili de protester, Neelahn se transforma en colibri. Bien vite, le petit oiseau disparu du champ de vision de la jolie demoiselle. Zigzaguant entre les arbres, il filait en direction de la cabane.

Hé bien, quel enthousiasme! Terriblement amusée par la druide, la jeune femme observait sa réflexion avec un sourire collé au coin des lèvres. Elle avait un peu l'impression de voir une gamine au matin de Noël, cette excitation de l'ouverture du paquet, de la découverte de la bonne surprise… Elle n'avait pas vraiment eu l'intention de travailler quand elle était venue ici, répondant simplement à un ordre, mais travailler un peu ses teintures avec la druidesse ne la dérangeait pas. En fait c'était comme ça qu'elle aimait l'herboristerie… Profiter pleinement des plantes que l'on pouvait trouver, pas toujours pour des raisons bien sérieuses. Si l'erreur était la meilleure source d'apprentissage, elle trouvait aussi qu'apprendre en s'amusant était tout de même rudement plus efficace. Surtout chez elle… Avec son esprit qui pouvait parfois trouver bien plus d'intérêt dans le vol d'un papillon que dans un cours rasoir…

-Ben la technique "naturelle", pour que ça dure vraiment plus longtemps, consiste à détruire la couleur de ton cheveux pour la remplacer par une autre. Avec quelque chose de très agressif… Je trouve qu'ils sont trop cassants après… Pour ça que je préfère l'autre technique…

Visiblement, la druidesse avait vraiment envie de s'amuser avec ses cheveux… Mais elle ne pourrait pas toutes les préparer ici. Elle avait une fiole de base quasiment achevée mais elle aurait besoin d'un vrai laboratoire alchimique pour en faire plus. Cela nécessité de longues heures de macération qui ne pourraient pas se réaliser en foret… Surtout qu'elle n'avait pas spécialement envie d'allumer un feu et improviser un alambic ici. Non seulement elle manquerait de matériel mais, en plus, elle risquait de mettre le feu… Nee risquait de perdre sa bonne humeur volubile…

L'elfe s'empara de son poignet et la força à descendre. Heureusement qu'elle avait un bon équilibre et qu'elle avait l'habitude d'escalader les arbres… Sans cela elle aurait probablement été déséquilibrée avant de se vautrer au sol comme un castor essayant de voler. Au lieu de cela elle descendit rapidement avec une certaine adresse caractéristique des enfants sauvages estimant que le plancher des vaches n'était bon que pour les ennuyeux adultes. Elle avait peut-être officiellement 70 ans, Lili avait encore la mentalité d'une gamine d'une quinzaine d'années la plupart du temps…

-Ola, deux minutes papillon…

Peine perdue, elle parlait déjà une plume de colibri qui descendait lentement au sol, à peu près là où s'était tenue quelques instants auparavant… La jeune femme était terriblement rapide. Et quand elle avait une idée en tête, elle l'avait pas au… Condamnée à attendre qu'elle revienne avec dieu seul savait quoi, la mage rouge décida qu'il valait mieux qu'elle prenne un peu d'avance même si elle ne trouverait pas tout ici. Elle alla d'abord soigneusement inspecter le chêne duquel elle venait de descendre. Au bout de quelques instants à farfouiller à ses racines, elle afficha un sourire avant de ramasser trois petites boules rondes percées d'un trou très fin. Voilà pour le noir… Elle remonta dans les branches mais s'arrêta rapidement pour longuement observer les feuilles. Délicatement, avec une grande minutie, elle retourna chaque feuille et petite branche à la recherche de sa proie. Jusqu'à ce qu'elle ramasse de minuscules graines rouges. Elle n'en prit pas énormément, juste de quoi mettre au creux de sa main… Elle referma précautionneusement la main et se laissa glisser au sol. Voilà pour le rouge…

Pour les autres couleurs… Elle aurait besoin de plantes bien particulières. Cherches ces ingrédients que Nee n'aurait jamais pu lui procurer lui avait déjà demandé pas mal de temps… Le reste, elle était certaine qu'elle saurait le faire pousser. Lili ne pourrait certainement pas avoir tout le choix qu'elle voulait cette fois-ci mais elle pourrait déjà lui proposer du noir, du rouge dès maintenant. Puis du bleu et du vert avec les plantes qu'elle lui demanderait. Le brun, le rose et le blanc, surtout, demanderaient plus de préparation…

Arrivée dans sa cabane, Neelahn fit un vacarme pas possible lorsqu’elle reprit sa forme elfique. Atterrissant comme un sac de farine sur le sol, elle réveilla son ami. En l’absence de l’elfe, le tigre blanc en avait profité pour s’installer sur son lit et faire une sieste. Mais maintenant qu’elle était de retour et faisait un bruit d’enfer, il allait devoir patienter un peu avant de retourner au pays des rêves.
Ouvrant ses placards, Neelahn jeta par-dessus son épaule tous sortes d’objets. Bols, verres, … en quelques minutes seulement, on aurait dit qu’une tornade était passée par chez elle. Courant partout comme s’il y avait un incendie, la druidesse se hâtait de remplir son sac avec de quoi préparer les potions pour ses cheveux. Fioles, cuillères, bols, … Neelahn ne manquait pas d’ustensile mais elle n’était pas équipée pour faire de l’alchimie. Elle ne possédait donc pas d’alambic ni autre vase aux formes étranges. Mais n’ayant aucune connaissance dans ce domaine, la druidesse ne réalisa pas un seul instant que Lili aurait peut-être besoin de plus que d’un mortier et d’un bol pour préparer les potions.

Finalement, Tigrou abandonna l’idée de roupiller. L’envie de dormir était passé…
Il suivait du regard son amie qui filait dans tous les sens comme un moustique.
Après avoir ouvert un coffre, Neelahn y sortit une robe et la balança dans son sac. Mine de rien, il ne faisait pas encore assez chaud pour se permettre de se promener toute nue dans la forêt sans tomber malade. Elle prit ensuite une cape et essaya d’entasser le tout dans son sac. Ce contenant était spécial car il s’ajustait à sa taille lorsqu’elle se transformait en colibri. Malheureusement pour elle, il n’était pas capable de contenir des objets sans fin et elle dut abandonner l’idée d’emmener un casse-croute avec elle.

« Tu viens ? »

Tigrou n’aimait pas quand son amie rayonnait de joie comme en cet instant, non pas qu’il n’appréciait pas la voir heureuse mais il détestait sa façon de courir dans tous les sens comme une enfant à l’approche de son anniversaire. Dans ces moments là, il avait toujours du mal à la suivre, surtout qu’elle prenait un plaisir fou de se transformer en oiseau.
Alors, lorsqu’elle lui demanda s’il voulait venir avec elle, Tigrou se contenta de la regarder comme si elle était l’elfe la plus stupide de toute la Création. Haussant les épaules, Neelahn lui répondit alors qu’il faisait comme il voulait et se changea en colibri.

Pressée d’avoir les cheveux colorés en rouge coccinelle ou noir fourmi, Neelahn atterri au sol dans un bruit fracassant. En fait, dans sa précipitation, elle avait reprit sa forme alors qu’elle n’avait pas encore tout à fait atterri au sol.
Se redressant rapidement sur ses jambes, elle posa son sac par terre comme un bourrin et y sortit sa robe. Une fois habillée, elle déversa tout le contenu de son sac. Assiette, verre, fiole, bol, fil, petit chaudron… Elle était persuadée que Lili y trouverait sûrement son bonheur.

« Voilà ! »

Après s’être assis, Neelahn se chargea de mettre un peu d’ordre dans tout ce bazar. Elle ramena ensuite vers la petite motte de terre qu’elle s’était constituée un peu plus tôt et déposa un sac de graines à côtés. Avoir des graines était plus facile lorsqu’on voulait faire pousser quelque chose. Faire grandir une tulipe à partir de rien était plus compliqué que lorsqu’on possédait déjà un bulbe.

« Tu as besoin d’un feu ? Oui, tu as certainement besoin d’un petit feu pour ça… »

Parlant plus pour elle-même que pour Lili, Neelahn se hâta d’allumer un petit feu après avoir délimiter une petite parcelle avec des pierres.
Puis, une fois que les flammes crépitèrent joyeusement, la druidesse s’écria.

« Tout est prêt ! Mes amis vont être jaloux quand ils vont voir qu’une mage rouge m’a fabriqué des potions pour changer la couleur de mes cheveux. Tu sais, nous, les druides, on n’y connait rien en potion et j’avoue que j’ai toujours été très fascinée par ce genre de chose. Tu veux bien que je sois ton assistante ? »

Lorsque la druidesse revint vers elle, l'elfe eut un peu l'impression de voir foncer sur elle un oiseau de proie. Mais un peu en perdition… C'était tout à fait possible, même avec un petit format. Il suffisait pour cela de faire montre d'un enthousiasme délirant et de transporter un sac plus que lourdement chargé. Instinctivement, la mage rouge fit tout de même une paire de pas en arrière en prévision de son atterrissage qu'elle présupposait mouvementé. A raison d'ailleurs… Lili ne savait pas où habitait la druidesse, certainement au cœur de la foret comme ses parents mais n'ayant pas attendu une éternité non plus, elle ne devait pas être si loin que cela. En fait, elle réalisait qu'elle était curieuse de voir où elle vivait. Sa maison était-elle vraiment à son image? Elle l'imaginait pleine de fleurs, de couleurs, de plantes grimpantes et d'oiseaux. peut-être même vivait-elle dans une maison suspendue? Qu'elle ne pouvait atteindre qu'en volant? Ce serait bien le genre de maison qui lui plairait… Un refuge caché qui lui rappellerait sa famille, où elle n'aurait pas à jouer la comédie…

-Heu… Ca va?

Apparemment oui puisqu'elle était déjà en train de vider son sac à ses pieds, envahissant l'espace de divers ustensiles principalement de cuisine. Le premier tiers de tout cela était tout à fait inutile, le second pas assez adapté pour ne pas dire pas du tout, le troisième ferait l'affaire en improvisant un peu… Mais elle se garda bien de se mettre sur la trajectoire de la tornade blonde. Elle attendrait qu'elle s'arrête pour essayer d'en placer une. D'ici là, elle réfléchissait à comment lui expliquer qu'elle ne pourrait pas faire toutes les couleurs cette fois-ci… Lorsque les flammes du petit foyer s'élevèrent, elle attrapa au vol la possibilité de parler…

-Doucement… La potion de base que j'utilise pour colorer temporairement cheveux ou peau nécessite un très long temps de préparation et un matériel que tu n'as pas… Faudra que j'aille bosser à la Tour pour en refaire. Par contre j'en ai une fiole toute prête… Alors c'est à toi de bien choisir ce que tu veux à partir de là…

Fouillant encore sa sacoche elle sortit une sorte de poignée de tissu. En fait, en le déroulant, elle révéla une fiole contenant un liquide transparent mais qui semblait terriblement épais, comme si on avait mis bien trop d'agar agar dedans… La jeune femme s'empara d'un gobelet, du mortier e du pilon ainsi que d'un récipient qui pourrait passer au feu.

-Ca c'est juste la base. Un peu comme si t'avais le terreau parfait et qu'il manque juste de planter la graine dedans pour obtenir la plante que tu veux… Soit je te fais une potion qui dure deux semaines mais qui ne fait qu'une couleur, soit je t'en fais deux qui dureront une semaine respectivement. Donc deux possibilités de couleur…

Dans deux bols différents elle mit ce qu'elle avait déjà récolté. Inutile de les broyer temps qu'elle ne s'était pas clairement décidée.

-Je peux déjà te faire du rouge et du noir là… Pour d'autres couleurs j'aurai besoin de plantes bien précises. Par contre le "châtain", le rose et le blanc seront trop difficiles pour les faire ici…

La jeune femme eut un sourire en réfléchissant. Nee comme assistante… Elle aurait aimé pouvoir l'emmener à la Tour, elle était certaine que son caractère frais aurait eu un succès fracassant. En attendant rien ne l'empêchait de lui enseigner quelques petits trucs de base et, surtout, comment travailler les bases qu'elle pouvait lui fournir.

-Ce que je peux faire c'est te montrer comment on obtient ce qu'on veut à partir de cette base. Comme ça, la prochaine fois, je t'en livre un stock et tu te feras les teintes que tu veux… Qu'en penses-tu?

Neelahn leva subitement les yeux de sa motte de terre comme si les paroles de Lili venaient de la percuter de plein fouet.
Lorsqu’Ambrosia lui avait préparé une potion de soin mineure, cela n’avait pas mis plus d’un quart d’heure. Avec lui avoir fourni toutes les plantes nécessaires, la mage rouge avait pilé le tout dans un ordre bien précis et versé le contenu dans une fiole.
Et puisque teinter les cheveux de quelqu’un n’était pas grand-chose face à la guérison d’une petite blessure, Neelahn avait pensé que la potion ne mettrait pas plus de cinq minutes à être prête. C’était une façon stupide de raisonner, la druidesse en avait conscience et se demandait comment elle avait fait pour penser un seul instant qu’elle aurait pu obtenir sa mixture magique en quelques secondes seulement. Après tout, les mages rouges n’étaient pas de vulgaires mélangeurs de plantes. Et si cela avait été aussi facile, Neelahn n’aurait certainement pas eu besoin de Lili pour se colorer les cheveux en mauve…

Les problèmes commencèrent lorsque Lili lui recommanda de bien choisir ce qu’elle voulait. Quelques instants plutôt, la druidesse avait cru qu’il était possible de contourner ce petit souci en demandant à la jolie demoiselle de lui créer toutes les colorations possibles. Mais celle-ci lui expliqua que créer une potion nécessitait du temps, du matériel spécial, …En somme, Lili venait de lui avouer qu’il lui était impossible d’accéder totalement à sa requête. Elle tenta cependant de lui faire plaisir en lui proposant de lui créer deux potions différentes en lui révélant dans le même temps les contraintes que cela allait entrainer.
Les yeux rivés sur ses cheveux, Neelahn fut alors confrontée à une question qu’elle aurait largement préféré éviter : choisir sa couleur.

« Une semaine, c’est trop court… Deux, c’est mieux… »

Lili lui énuméra ensuite tous pleins de propositions afin d’aider la druidesse dans son choix. Et quand la jolie demoiselle proposa de lui apprendre une partie de la confection de la fameuse potion, Neelahn hocha vigoureusement de la tête.

« Oh oui ! Ça me semble être une très bonne idée ! »

Le problème de la couleur était donc résolu… ou pas car il lui fallait tout de même choisir sa première couleur.
Les yeux baissés sur sa motte de terre, Neelahn traçait à côté des petits cercles du bout de son index. Lili lui avait facilité la tâche en lui disant que le « châtain », le rose et le blanc étaient trop compliqués à fabriquer au plein milieu de la forêt avec si peu de matériel.
Réfléchissant intensément à cette question comme s’il s’agissait de vie ou de mort, Neelahn fini par trancher après plusieurs longues secondes.

« Vert pomme mais ne me demande pas pourquoi sinon, je sens que je vais changer d’avis très vite ! »

Pour cette fois-ci, Neelahn avait décidé de se pencher sur l’aspect pratique. Avec des cheveux vert clair, il lui serait plus facile de se fondre à travers les arbres. En même temps, la druidesse n’avait pas besoin de se cacher et ferait tâche dans une cité comme Naturalia. Dans les rues pavées de la cité, tout le monde se retournerait sans doute pour regarder l’étrange couleur de ses cheveux. La druidesse connaissait le « mauvais-goût » des citadins et était persuadée qu’ils trouveraient cela étrange… Mais qu’importe car Neelahn était persuadée qu’elle apprécierait avoir des cheveux vert pomme !

« Vas-y, donne-moi tes instructions. Aujourd’hui, je suis ta apprentie mage rouge, la pire élève de la Tour Naturelle qui ne sait rien du tout ! »

Bien donc elle travaillerait tout le contenu de sa fiole avec une seule et unique couleur. Elle pourrait donc utiliser un seul et unique récipient pour le mettre sur le feu et elle n'aurait pas le soucis de trouver un second récipient pour recueillir la seconde potion… Restait la couleur… Elle la laissa réfléchir, vérifiant ses ustensiles improvisés. Ce n'était pas plus mal de lui montrer comment faire dans ces conditions. Après tout, ce serait ce matériel qu'elle aurait sous la main lorsqu'elle recevrait les prochaines bases…

-Vert pomme?

Non, elle ne demanda pas pourquoi elle lui demandait cette couleur. Pas au beau milieu d'une foret où les deux couleurs prédominantes étaient le marron et le vert… Au moins avait-elle arrêt un choix, elle n'allait pas lui dire qu'une couleur valait mieux qu'un autre. Là elle se fondrait complètement dans son environnement. Puis ce n'était qu'un test… Elle ferait en sorte de lui proposer d'autres couleur les prochaines fois. Si prochaines fois il y avait… Sachant maintenant qu'elle n'aurait besoin d'aucun des deux insectes, elle mit sa "cueillette" de coté…

-C'est joli aussi. Tu as de quoi faire pousser des plantes?

Elle coula un regard en biais vers les graines qu'elle avait apporté. I n'y avait plus qu'à espérer qu'elle ait celles dont elle allait avoir besoin…

-Par contre, je te préviens, ce ne sera certainement pas le vert des pommes. Quand on joue avec les colorants, on a toujours quelques petites surprises. Chaque teinte peut être unique. Je vais m'orienter vers un vert tendre et un vert mousse. On verra lequel te plaît le plus… D'accord?

Même si c'était possible en improvisant ainsi, le vert était l'une des teintes les plus délicates à avoir. Car il virait souvent et que, contrairement à ce que l'on pensait, broyer tout ce qui était vert ne donnait pas forcément cette couleur… Elle prépara deux bols bien distincts.

-Très bien, je vais avoir besoin de quelques knauties et de l'agrémoine.

Laissant Nee faire pousser ses plantes, elle sortit son petit couteau. Ce n'était pas une arme, étant donné l'état dans lequel il était, il devait être souvent utilisé et manipulé. Le manche en cuir était complètement lisse et presque croûté alors que la lame présentait une multitude d'éraflures. Il devait vraiment couper tout et n'importe quoi, surtout n'importe quoi. A coté de ça, elle posa un simple et unique clou qui semblait lui aussi avoir connu des jours meilleurs…

-Je passe sur la préparation de la base mais quand tu veux l'utiliser, tu as besoin de deux ingrédients primordiaux. Trois même. D'abord ta couleur, la teinture que nous allons utiliser ici. Normalement il faut beaucoup plus de travail pour avoir une teinture stable utilisable mais pour ce que nous allons en faire, il n'y a pas besoin de finaliser ou stabiliser. Seule la couleur compte… Donc tu mets ta couleur dans ta base. C'est ton premier ingrédient. Ensuite…

Elle se pencha vivement vers la druidesse et préleva quelques cheveux blonds. Le couteau était vieux et fatigué mais, finalement, il coupait encore bien !

-Si tu veux colorer tes cheveux, tu mets de tes cheveux. Si c'est ta peau, tu mets un peu de ta peau. La potion ne fonctionnera que sur tes cheveux ou ta peau comme ça. Si tu la prépare avec les cheveux de quelqu'un d'autre, cela ne marchera que sur les cheveux de ce quelqu'un d'autre… Par contre je n'ai pas essayé avec des poils d'animaux….

Elle réserva la fine mèche à part, prenant soin qu'elle ne s'envole pas ou qu'elle ne soit pas salie.

-Puis tu chauffes l'ensemble jusqu'à ce que ça donne un beau liquide. Je te montrerai, le passage d'état est flagrant…

Lorsque Lili répéta la couleur que Neelahn désirait, la druidesse se demanda s’il y avait un souci avec sa couleur. Mais le fait de l’entendre dire que le vert pomme était une jolie couleur la rassura.
La suite de son baratin, en revanche, Neelahn n’y comprit rien du tout. Haussant un sourcil, la druidesse se demandait comment il était possible d’avoir des « surprises » lorsqu’on manipulait des colorants. Si l’on broyait du vert, pour quelle raison devrait-il virer au jaune canari ou au rouge tomate ?
Tout ceci la dépassait mais si Lili affirmait qu’il en était ainsi, la druidesse n’avait donc aucune raison de douter de ses paroles. Après tout, elle était mage rouge et même si ses instructeurs la considéraient comme la pire élève de la Tour Naturelle, elle devait certainement en savoir plus que Neelahn sur les potions.

« D’accord. »

Lili venait de lui demander de faire pousser quelques fleurs. Neelahn n’en possédait pas les graines sur elle mais puisqu’il ne s’agissait pas de faire pousser des buissons ou des arbustes, elle n’aurait aucune difficulté à obtenir ce que la mage rouge désirait.
Cependant, la druidesse demeura perplexe devant les plantes, une fois qu’elle les avait fait fleurir. La knautie avait des pétales roses tandis que l’agrémoine était aussi jaune que le soleil. Comment, à partir de là, Lili comptait obtenir un vert pomme ?
Pendant un petit instant, Neelahn se remit en question et se demanda si elle avait fait pousser les fleurs que lui avait demandées la jolie demoiselle. Non… Elle ne pouvait pas s’être trompée. Elle connaissait trop bien les plantes pour ça. La knautie était rose et l’agrémoine jaune.

« Voilà. »

Affichant un air pas très convaincue, l’elfe écouta attentivement Lili.
Elle ne broncha pas quand la jolie demoiselle approcha son couteau pour venir lui couper une mèche de cheveux. Intriguée, elle suivait les moindres mouvements que la mage esquissait.
Lorsque Lili lui avoua qu’elle n’avait jamais tenté de teinté un animal. Immédiatement, Neelahn se demanda à quoi ressemblait Tigrou avec des rayures bleutées ou un pelage rose. Dans un coin de sa tête, l’elfe décida d’essayer lorsqu’elle en aurait l’occasion.

« …et le troisième ingrédient, c’est quoi ? Ce sont les fleurs que je viens de faire pousser ? »

La druidesse tentait de retenir tout ce que Lili lui disait et trouvait barbare de devoir mettre un morceau de peau si on voulait changer sa couleur de peau. Néanmoins, sachant que certaines potions nécessitaient parfois d’étranges composants, l’elfe ne s’en montra pas choquée.
Cependant, elle ne put s’empêcher de se demander s’il était déjà arrivé à la jolie demoiselle de se prélever un morceau de chair ou quelques gouttes de sang pour préparer une potion. De la même manière, est-ce que cela la rebutait d’utiliser des baves de grenouille ou des langues de vipère ?
Le regard plongé sur le couteau, Neelahn se demandait ensuite ce qu’il avait pu couper pour avoir autant d’éraflures. Il ressemblait un peu à un couteau de cuisine qui se serait passé de main en main au fil des générations mais il était aisé de deviné que cette arme avait coupé plus que des tomates et des radis...

Comme elle s'y était attendue, la druide était surprise par les fleurs qu'elle lui avait demandé. Certaines couleurs relevaient presque de la magie, sans que cela en soit pour autan. Il fallait souvent de longues semaines de préparations à tester ceci ou cela pour trouver enfin la bonne façon de procéder pour obtenir la teinte adéquate. Dans son cas, le vert, il y avait même parfois quelques manipulations que l'on ne s'attendait pas à faire. Et il valait parfois mieux ne pas savoir comment elle en était arrivée à certaines conclusions. L'expérimentation restait ce qu'il y avait de plus efficace. Il fallait juste avoir l'estomac bien accroché. Et un antidote sous la main. Ou un mage blanc même…

Elle les ramassa, les posant chacune à coté de l'un des bols qu'elle avait précédemment préparé… Travailler avec un druide tait tout de même rudement pratique! Cela rendait les possibilités quasiment infinies. L'herboristerie poussée à son extrême, la toute puissance dans le creux de la main. Si l'on faisait exception des longues heures de préparation que certaines décoctions demandaient… Mais quand même, une association serait drôlement fructueuse. Cela enlevait le petit coté amusant et piquant de la cueillette mais, en cas d'urgence, c'était parfait…

-Merci, c'est pile ce qu'il faut !

Elle sourit à Nee en s'emparant de sa gourde et en vérifiant son contenu. Elle devrait avoir assez d'eau pour pouvoir faire ses couleurs… Par contre il faudrait qu'elle en demande à la druide avant de partir, histoire de pas mourir de soif sur le chemin du retour. Elle en mit un fond dans chacun des bols…

-Le troisième ingrédient c'est la chaleur, quand tu fais chauffer le tout pour le mélange se fasse vraiment. Je vais commencer par le premier vert. Il devrait être plutôt clair. Si je me débrouille bien…

Elle attrapa la knautie et frotta délicatement une pétale violet-rose entre ses deux doigts. Ce qu'elle vit sembla la satisfaire car elle commença à découper la fleur en minuscules morceaux avec son couteau, un peu comme si elle préparait de la ciboulette pour un plat. Elle mit l'ensemble dans le premier bol partiellement rempli d'eau et entreprit de remuer avec le pilon en raclant bien le récipient pour écraser la plante. Le mouvement était vif et assuré. L'eau permettait avant tout d'avoir de la matière, servant à la fois de liant et de lubrifiant dans la manœuvre. Au bout de quelques instants, elle pencha légèrement le bol vers Nee… Une mixture assez épaisse se trouvait au fond, d'une belle couleur vert tendre.

-Voilà pour le premier !

Elle attrapa ensuite l'agrémoine et lui fit subir le même traitement dans le second bol. Elle retourna juste le pilon pour utiliser le manche et éviter ainsi de trop mélanger les préparations. A nouveau elle pencha le bol vers Nee pour lui montrer le contenu qui était… Jaune roux! Elle posa le bol devant elle et lui fit un clin d'œil plein de malice.

-Et il ne manque qu'une touche finale pour le second… Ca, vois-tu, c'est du cuivre…

Elle avait dit cela en brandissant le vieux clou fatigué. C'était encore sous cette forme qu'elle transportait cette matière le mieux… Se plaçant au-dessus du bol, elle gratta le clou avec ça lame pour que de la limaille de cuivre tombe dedans. Puis elle remua légèrement en faisant tourner le bol. Lorsqu'elle le présenta à nouveau à la druide, le contenu était devenu d'un beau vert riche, proche de la mousse…

-Alors? Lequel tu préfères?

Neelahn regardait attentivement les gestes de Lili et nota dans un coin de sa tête tout ce qu’elle faisait. Elle fut surprise de voir le rose-violet de la knautie devenir vert, simplement en la mélangeant écrabouillée avec de l’eau. Comment un tel phénomène était-il possible ? Était-ce ainsi avec toutes les fleurs ? Curieuse, Neelahn se promit de faire des tests chez elle ; peut-être parviendrait-elle à trouver de jolies couleurs pour ses futures colorations de cheveux !
Quant à l’agrémoine, elle resta presque fidèle à elle-même et devînt jaune roux. Devant cette jolie teinte, Neelahn se saisit d’une mèche de ses cheveux. Finalement, peut-être que créer deux potions serait plus judicieuse, même si l’effet serait moins durable…
Cependant, Lili ne lui laissa pas décider et plaça de la limaille de cuivre dans le bol. Tant mieux car Neelahn aurait mit plusieurs heures à se poser des questions existentielles. Ici, dans la forêt, elle n’avait pas vraiment l’occasion de se pomponner comme les citadines. Alors, pour une fois qu’on lui offrait l’occasion de se faire jolie, Neelahn n’allait pas protester.

« Je préfère le premier… Mais tu crois que c’est possible de garder le deuxième pour plus tard ? Tu saurais teindre des vêtements ? »

La druidesse contemplait le deuxième bol que lui présentait Lili. Comme il serait dommage que son contenu soit jeté !

« Et à la fin, comment dois-je procéder ? Je dois boire la potion ou je la verse sur mes cheveux ? »

Le contenu du bol lui faisait penser à de la purée d’épinard. A cette étape de la préparation, la texture et la couleur donnait au tout un aspect gourmand. Quel goût pouvait avoir la potion ?
Approchant son nez du bol, Neelahn n’y sentit qu’un vague parfum floral. D’une certaine façon, cela la rassurait car il lui aurait été difficile de se mettre sur la tête quelque chose de consommable. Cela dit, un bol qui sentait la fleur ne signifiait pas forcément qu’on ne pouvait pas le déguster… Gourmande comme elle l’était, Neelahn se savait capable de manger tout le contenu du bol même si la mixture était initialement prévu pour autre chose.
Cependant, consciente qu’elle n’était pas toute seule, la druidesse fit preuve de retenue. Chez elle, il restait encore des restes de viandes rôties et de ragoût. Elle n’allait donc pas s’empiffrer d’une potion destinée à colorer ses cheveux ! Mais tout de même… L’elfe aurait bien y tremper son doigt rien que par curiosité…

Afin de chasser ces mauvaises pensées de la tête, Neelahn chercha de quoi faire chauffer la potion. Tendant le bras, elle attrapa un petit chaudron mais la vue de cet ustensile de cuisine lui rappela les délicieux mets qu’elle s’était préparée avec…
Quelle heure était-il ? La druidesse commençait à avoir faim et se dit que, finalement, elle ferait une très mauvaise mage rouge. Après quelques minutes seulement de « cours », elle songeait déjà à aller manger. Et pourtant, Lili n’était pas ennuyante et la potion qu’elle était en train de préparer aurait des effets amusants. Participant à la préparation, Neelahn était loin de se trouver à ces cours magistraux où l’instructeur parlait pendant des heures et des heures face à des élèves qui se tenaient sagement assis à leur table tout en griffonnant tout ce qu’il disait.

Mais voilà, le soleil indiquait clairement dans le ciel qu’il était temps de se remplir le ventre.

« Ça te dit de venir manger chez moi après ? » proposa-t-elle donc à Lili.

Ce serait donc le vert le plus clair, qui rappelait celui de l'herbe… Cela convenait assez au caractère de Nee… Elle même préférait le second, plus riche en teintes si l'on regardait bien. De plus, comme elle avait les cheveux blancs au nature, elle évitait les couleurs trop claires. En fait, globalement, elle préférait assombrir sa coiffure… Cela faisait longtemps qu'elle ne 'était pas colorée d'ailleurs… Il faudrait qu'elle songe à se faire un look total "rouge" en l'honneur de la tour. Elle se fendrait même de mettre la tenue officielle juste pour cela. Elle était certaine que ses paires apprécieraient l'effort… Elle mit les doigts dans le vert mousse et entreprit de rouler le bout de l'une de ses mèches avec la pâte colorée. L'effet lui plaisait. Elle se ferait peut-être les cheveux verts avant… L'elfe passa la mèche dans sa main, révélant que la couleur était restée sur sa paume sans rester sur ses cheveux…

-Faudra la refaire si tu veux l'utiliser la prochaine fois. Là ça va juste sécher et devenir une espèce de vieille croûte malodorante.

La mage rouge fut surprise par sa question, ses camarades de promotion avaient l'habitude des surprises colorées de l'elfe mais ils ne s'étaient jamais adressés à elle pour cela. Pour retrouver leur couleur "normale" oui, mais pour teindre aussi leurs vêtements non… A bien y réfléchir la prochaine fois elle se ferait vraiment un total look rouge. En se colorant la peau au passage…

-Oh ben oui… Ca demande juste du temps la teinture textile. Du temps, du matériel et beaucoup d'espace. Parce que certains bains ont tendance à être vachement agressifs…

Elle dit cela en tapotant son nez… Dans le cas des cheveux et de la peau, elle utilisait une pointe de magie grâce à certains ingrédients bien présents dans la potion de base. Mais pour teindre des vêtements, elle préférait nettement la technique manuelle… Tout était question de bons dosages, de patience, de travail et, bizarrement si on considérait son tempérament, elle s'en sortait plutôt pas mal, appréciant même l'activité. passés les premiers accidents qui l'avaient fait ressembler à un demi schtroumpf, elle parvenait maintenant à faire des tissus parfaitement présentables. Et monnayables…

-Celle là de potion faut la boire, cul sec ! Elle a pas trop mauvais goût, rassure toi!

Ignorant que Nee était à deux doigts de goûter la plante broyée, elle s'empara de le petit chaudron pour le placer sur le feu. Il ne restait plus qu'à chauffer l'ensemble pour obtenir l'effet désiré. Elle y versa donc la potion, les cheveux de Nee et le contenu du bol avec la knautie. Elle s'empara d'une cuillère en bois et remua doucement. Elle n'utilisait pas de chaudron habituellement et ne pouvait donc pas maîtriser la chaleur comme elle en avait l'habitude. elle devait donc surveiller la préparation comme… Du lait sur le feu tiens !

-Tu vois? La potion devient de plus en plus liquide. Et elle a prit la couleur que tu voulais. En fait c'est prêt lorsque la potion redevient brusquement translucide et que tu ne vois plus trace de tes cheveux ! C'est assez rapide…

Effectivement, dans le chaudron, la potion devint de plus en plus liquide. D'un vert clair, elle devint de plus en plus translucide. Quand la mage rouge ne vit plus une seule trace de cheveux ou de couleur, elle s'empara d'une louche et entreprit de remplir le flacon vide avec son nouveau contenu, soufflant et crachant lorsqu'elle se brûlait un peu trop… Elle la tendit à Nee de telle manière qu'elle puisse la prendre par le goulot, la partie la moins chaude.

-Voilà! Tu pourras la prendre quand elle sera froide… Et ce sera un plaisir de partager un repas avec toi !

Ce serait un moyen indirect de paiement pour la potion…

Contemplant le contenu du bol, Neelahn se demandait comment une texture aussi gourmande et joliment teintée pouvait se transformer en une « vieille croûte malodorante »…
Lili lui décrivit ensuite en quoi consistait la teinture de vêtements. Le procédé ressemblait exactement à celui que la druidesse utilisait pour teindre ses tissus, à cela près qu’elle n’avait jamais essayé de donner une couleur criarde à un vêtement. Au final, changer la couleur des étoffes était à la portée de n’importe qui… à condition de bien savoir doser les produits et de ne pas être maladroit.
Soudainement, la druidesse se mit à douter. Est-ce que sa potion pour colorer les cheveux était réalisée dans le même état d’esprit que les teintures des textiles ? Jusqu’à cet instant, à aucun moment, elle ne s’était inquiétée quant aux effets secondaires que pourrait avoir la potion sur elle. Et même si Lili lui avait assurée que cela ne lui abimerait pas la chevelure, Neelahn ne put s’empêcher de poser tout de même des questions…qui s’envolèrent comme de la fumée lorsque la jolie demoiselle lui expliqua qu’il fallait ingérer la potion pour que ses cheveux deviennent verts.

« Oh parfait ! »

Ravie de voir que le contenu du bol était « comestible », l’elfe eût hâte de goûter à cette purée d’avocat, d’autant plus que la mage rouge lui avait affirmé qu’elle n’était pas mauvaise à boire !
Optimiste, Neelahn se dit qu’elle n’avait rien à craindre de la potion de Lili. La jolie demoiselle ne se permettrait pas de lui faire ingérer une dangereuse mixture, n’est-ce pas ?

Et finalement, après être passée dans le chaudron, la purée d’avocat se liquéfia… et perdit sa couleur. Désormais, ce n’était plus qu’un liquide qui faisait penser à de l’eau.
Pantois, la druidesse se saisit du flacon que Lili venait de remplir. Comme elle avait vu la jolie demoiselle souffler et cracher au contact du contenant, Neelahn fit naître une petite liane. La plante vînt s’enrouler autour du flacon et s’éleva dans les airs jusqu’à hauteur du nez de l’elfe.
Penchant la tête sur le côté, la druidesse examina son contenu. Qui aurait pu croire qu’il s’agissait d’une potion destinée à changer la couleur des cheveux de quelqu’un ? Aussi claire et limpide que de l’eau, Neelahn ne se serait jamais doutée qu’il s’agissait d’une potion si elle n’avait pas assistée à une partie de sa préparation.
Soufflant dessus, elle tenta de la refroidir le plus vite possible pour la boire. Comme elle avait hâte de se retrouver avec des cheveux verts !

« J’ai pleins de choses à manger chez moi. Tu vas te régaler ! »

Neelahn approcha son index du flacon mais le retira aussitôt qu’elle sentit le contact brulant du verre contre sa peau. Elle allait devoir attendre encore un peu avant d’ingurgiter son contenu.
Pour passer le temps, elle commença donc à ranger ses affaires dans son sac. Comment avait-elle pu faire pour y mettre autant de choses ? Après s’être grattée la tête, la druidesse empila les objets les uns après les autres. Pour le chaudron, il fallait attendre tout comme la potion qu’il ne refroidisse un peu.
Finalement, elle laissa tout au sol. Assise en tailleur, elle demanda à sa liane de poser le flacon au sol et fit pousser un petit fraisier qu’elle se hâta aussitôt à cueillir pour manger les fruits.

« Tu peux en prendre si tu veux. » dit-elle à Lili.

C'était là tout l'intérêt de la potion. Cet aspect trompeur de simple eau plate… Inodore, incolore, impossible de se douter des effets qu'allait provoquer le breuvage. Et même si on savait, la couleur serait une surprise. Et ce stratagème lui avait rendu plus d'une fois fièrement service. Combien de ses victimes avaient constaté que Lili avait en fait agit durant leur repas? Que le gobelet d'eau qu'ils pensaient parfaitement normale contenait en fait l'objet du délit. Elle avait du travailler longtemps et difficilement pour atteindre cet état parfait… Depuis elle gardait jalousement la recette. Si personne ne connaissait les ingrédients exactes, personne ne pourrait développer un antidote ou la détecter. La mage rouge savait que d'autres personnes, bien plus douées qu'elle en herboristerie, seraient capable de l'analyser. et c'était bien pour cela qu'elle faisait en sorte de ne jamais en laisser derrière elle… Sauf à ses "clients", bien entendu…

-Je n'en doute pas. En plus je suis affamée !!

L'elfe eut un sourire enjoué. Vraiment la journée était bien meilleure qu'initialement prévue lorsqu'on l'avait envoyée chercher ce lierre. Elle avait de moins en moins de scrupules à prendre son temps étant donné qu'elle appréciait la compagnie de la druidesse. Et il était tellement rare qu'elle déclenche la sympathie qu'elle n'allait pas rechigner à en profiter.

-Et puis je te cacherai pas que je suis un peu curieuse de voir où tu vis !

Vraiment… Depuis qu'elle avait vu que Ne était aussi un colibri, elle n'arrivait pas à s'empêcher de penser que sa maison ressemblait à un nid. Qu'il s'agissait d'un savant mélange de lianes et de bois pour que le tout soit suspendu dans les arbres. Avec des ouvertures rondes. Et des coins confortables. C'était une vision très naïve et enfantine puisqu'elle se contentait d'imaginer un vrai nid mais aux proportions humaines… Pourtant la druidesse n'était pas qu'un oiseau. Puis elle avait une vie sociale aussi… Tous ses amis n'étaient pas forcément des oiseaux ou des animaux grimpeurs. Il fallait bien qu'ils puissent lui rendre visite eux aussi !!

Mais ce serait toujours mieux que la chambre qu'elle avait à la Tour… Bon, elle pouvait toujours aller dans son ancienne maison parfois, son ancienne chambre… Mais ce n'était pas vraiment chez elle. Officiellement, son chez elle c'était maintenant la minuscule chambre, monacale voire spartiate, qu'on lui avait donné à la Tour. Un lieu impersonnel, absolument pas chaleureux, où elle avait l'impression d'être complètement prisonnière. Elle ne s'y sentait jamais à l'aise. sa seule utilité était de pouvoir avoir un toit en cas de soucis mais cela s'arrêtait bien là. Dès qu'elle aurait suffisamment d'argent, elle ferait en sorte de partir et de se trouver une maison rien qu'à elle. Un endroit où se réfugier. Proche de la foret ou alors avec un grand jardin où elle pourrait faire pousser ce qu'elle voudrait… Avec un grand chêne aussi. Pour ses siestes. Si elle parvenait le lieu idéal elle demanderait à Nee de ajouter l'arbre au besoin, elle était certaine que c'était dan ses capacités…

-J'adore les fraises des bois !

Elle en attrapa une qu'elle lança au-dessus de sa tête avant de la gober tout rond. La druidesse ne le savait pas encore mais elle avait invité une vraie gourmande à sa table… Et elle avait passé de longs moments à faire de la cueillette quand elle était plus jeune. Longues heures où elle ne revenait qu'avec une poignée de fruits bizarrement, la commissure des lèvres encore tâchée de sucs…

-Et tu peux faire des framboises? Et des myrtilles? Et des groseilles?

C'est qu'elle avait les yeux brillants d'excitation à l'idée de grignoter ces délices la Lili !

Neelahn ne pouvait que comprendre la jolie demoiselle. Issues toutes les deux de milieux différents, il était normal d’éprouver de la curiosité pour l’autre.
La druidesse adressa un sourire à la mage rouge. Elle se ferait un plaisir de lui montrer sa demeure une fois qu’elles se seraient toutes les deux goinfrées de fraises jusqu’à n’en plus pouvoir. Lorsqu’il n’y eut plus de fruit, l’elfe s’arrangeait pour qu’il y en ait encore. Neelahn adorait les fraises, d’autant plus qu’elles n’étaient pas compliqué à faire grandir.

Quand Lili lui demanda si elle était capable de « faire » d’autres fruits rouges, Neelahn était en train d’essayer de l’imiter. Lançant une fraise dans les airs, la druidesse tentait de la faire atterrir dans sa bouche mais, surprise par la question de la mage rouge, le fruit retomba sur son nez et rebondit sur le sol.

« Tout ça à la fois ? »

Les yeux ronds, Neelahn regardait Lili comme si elle venait d’atterrir de nulle part.
Certes, Neelahn était une druidesse mais cela ne signifiait pas qu’elle pouvait faire pousser des sapins ou des chênes comme des pâquerettes !
Cependant, comme elle voulait faire plaisir à la mage rouge (après tout, celle-ci lui avait bien préparé une potion), l’elfe se concentra et un myrtillier grandit à une vitesse vertigineuse à ses sous ses yeux alors que l’arbuste aurait du mettre quelques années à atteindre cette taille. Haut de quatre pieds, il devait être certainement plus petit que la plupart des myrtilliers que Lili avait eu l’occasion de croiser. Des fruits pendaient à chacune de ses branches alors que la saison des myrtilles n’était pas encore arrivée.

« Ça ne sera pas aussi sucrées que des vraies par contre… »

Les fruits venaient d’apparaître trop vite et hors saison. Tout comme les fraises, il ne fallait donc pas s’étonner du peu de goût qu’ils pourraient avoir. Bien entendu, une myrtille est une myrtille et Lili reconnaîtrait parfaitement son goût mais elle s’apercevrait néanmoins que le fruit avait un petit côté fade car il avait mûri trop prématurément.
Peut-être qu’avec le temps et l’expérience Neelahn parviendrait à maîtriser ce phénomène. Pour l’instant, elle en était incapable et faire pousser des arbustes lui demandait un effort qu’elle préférait éviter de fournir lorsqu’elle le pouvait, surtout si c’était pour faire mûrir des fruits hors saison…

« C’est un peu contre nature de faire ça. C’est pour cette raison, je crois, que les fruits n’ont pas ce goût authentique que j’aime tant… » dit-elle… avant de cueillir une myrtille pour la jeter impitoyablement dans son gosier.

Et, après avoir décrété que manger des myrtilles, même hors saison, lui faisait toujours la régalait toujours autant, Neelahn se rappela de la potion que Lili lui avait préparé. D’ailleurs, elle avait failli l’écraser en gesticulant dans tous les sens pour cueillir ses fruits.
Attrapant le flacon, Neelahn ôta le bouchon et le bu cul sec. Comme la jolie demoiselle l’avait dit précédemment, la potion n’avait pas mauvais goût et si la druidesse avait pu, elle aurait volontiers bu une tasse entière.
Et comme elle n’avait pas de miroir pour contempler la métamorphose de sa chevelure, l’elfe se hâta de se lever. Balançant toutes ses affaires éparpillées dans son sac, elle invita ensuite Lili à venir chez elle.

« Ça va ? Ça me va bien la nouvelle couleur ? » lança-t-elle par-dessus son épaule.

Ouvrant la marche, la druidesse écartait les branches qui lui gênaient le passage. Parfois, elle utilisait ses mains et parfois, elle utilisait son don. Habituée à se mouvoir seule dans la forêt, elle « oublia » qu’elle avait une invitée, si bien qu’elle ne prit pas toujours la peine de tenir assez longtemps les branches ou les feuillages pour que la jolie demoiselle puisse avancer tranquillement.

Elle aimait beaucoup Nee. Elle espérait qu'elles resteraient en contact... Et puis ce serait une association fructueuse. En plus elle avait bien envie de lui faire découvrir la ville. Elle adorait la foret, les zones de nature sauvage mais elle avait maintenant une sérieuse habitude de la ville. Et elle avait rapidement découvert que la cité pouvait se révéler être un formidable terrain de jeu. Lorsqu'elle n'avait pas de chêne sous la main pour piquer un petit roupillon les toits de certaines maisons, idéalement orientés et bien cachés, se révélaient de parfaits matelas. Pour prendre la fuite après une grosse bêtise aussi, la garde ou les mages rouges ayant la fâcheuse tendance à se focaliser sur les rues et ruelles, ne levant que rarement les yeux en l'air. Et puis... Et puis elle était toujours un peu claustrophobe en ville. Quand elle allait sur les toits l'horizon se dégageait brusquement et elle parvenait à se trouver un petit bout de vision vert... Cela l'apaisait et lui faisait un peu oublier où elle était coincée. Elle était sûre que Nee se plairait à voir la ville sous cet angle là plutôt que depuis les rues.

L'elfe lui sourit, elle s'était un peu enflammée avec les fruits rouges. Il fallait dire aussi qu'elle adorait positivement cela. En fait s'il fallait classer les gens en deux catégories il y avait ceux qui prennent et ceux qui laissaient. Ceux qui faisaient ployer le monde sous leur volonté et ceux qui se contentaient de profiter de ses bienfaits et de le remercier. Les agriculteurs et les chasseurs-cueilleurs... Elle était vraiment du second type. Elle aimait donc tout ce que la nature avait à lui offrir en nourriture à glaner. Baies, fruits, et tout ce que la chasse ou la pêche pouvaient fournir... Mais n'aimait pas la façon dont certains surproduisaient au détriment des rythmes naturels… Elle pouvait donc comprendre que les fruits que Nee forçaient à apparaître n'avaient pas exactement le même goût que ceux qui poussaient à leur propre rythme…

-Je comprends…

Mais même ainsi elle appréciait leu goût. Elle continua à jouer avec les fruits en les jetant pour les gober tout rond. Si elle avait un bon taux de réussite elle en rata quelques-uns tout de même… Puis la druidesse ingéra enfin la potion… Comme à chaque fois, la jeune femme eut une pointe d'appréhension après que son "client" eut reposé le flacon vide. Les quelques instants avant que le breuvage ne fasse effet étaient toujours un peu difficiles pour elle. Elle se savait bonne herboriste, mais le destin savait se montre fantasque des fois et elle n'était pas à l'abris d'une mauvaise surprise pour une raison ou pour une autre. Aussi afficha-t-elle un grand sourire réjouit lorsque les cheveux de la jeune femme prirent la douce couleur de l'herbe tendre. Sa potion avait effectivement fonctionné sans effets secondaires étranges…

La druidesse ne put d'ailleurs pas voir son expression rassurée puisqu'elle était déjà en train de se frayer un passage dans la foret, visiblement pressée de rentrer chez elle. Inutile de l'inquiéter avec ses propres doutes, Lili évita donc de lui faire sentir ses quelques instants de doute. Essayant de rester à quelques pas d'elle, elle répondit avec la sincérité des personnes habituées aux excentricités…

-J'aime bien, faut juste faire attention de ne pas te perdre…

Par contre elle ne savait pas trop comment allait réagir les autres druides… Pas trop mal elle l'espérait, tous n'avaient pas l'humour ou la fraîcheur de sa nouvelle amie. Par contre elle devait faire rudement attention si elle ne voulait pas perdre un œil en la suivant… Nee était particulièrement rapide pour évoluer dans cet environnement et elle ne semblait pas avoir trop conscience que quelqu'un la suivait. La mage rouge devait sans cesse faire attention à ce qui revenait vers elle, se baissant ou protégeant son visage à l'aide de ses bras. Passé un moment à se manger des branchages, l'elfe prit quelques secondes pour ramasser une branche un peu épaisse au sol. Elle pouvait maintenant la brandir devant elle pour freiner le retour violent des branches dans sa figure…

-C'est loin chez toi?

En plus, si elle la laissait prendre trop d'avance elle risquait de la perdre de vue avec ses cheveux verts… Et se perdre. Même si elle aimait la foret, son sens de l'orientation n'était pas non plus un exemple du genre…