Sieston [PV Nee]

Maintenant qu'elle pouvait souffler un peu, puisqu'elles étaient en relative sécurité, la jeune femme se permis d'un peu mieux voir dans quel état elles étaient. Même si c'était temporaire, elles étaient parvenues à se mettre de façon suffisamment stable pour ne pas avoir à craindre une nouvelle chute. Même si elle se sentait parfois gênée dans ses mouvements et qu'elle était percluse de douleurs, l'état de la druidesse l'inquiétait un peu plus. L'une de ses jambes offrait un spectacle tout à fait fascinant… Surtout le pied qui semblait pris d'une telle bouffée d'indépendance qu'il cherchait à défier la logique de la biologie. Celle des articulations en particuliers… Il y avait de fortes chances pour qu'il soit cassé…

La mage se garda bien de dire à Nee qu'elle était soulagée de voir que c'était elle qui avait une patte cassée et non pas elle… Ce n'était pas une pensée purement égoïste, c'était plus pour la logistique… Lili était obligée de jouer des pieds et des mains pour descendre, elle n'avait pas le choix. La druidesse, elle, avait d'autres possibilités. Elle pouvait fort bien planer jusqu'au sol ou se laisser transporter, tout ça sous sa forme peu encombrante de colibri… D'ailleurs elle était toute disposée à la déposer sur le plancher des vaches quand elle serait en état de tenter la descente. Elle comptait d'ailleurs continuer par l'arbre en évitant soigneusement l'échelle de corde tant qu'elle le pourrait. Au moins, avec les branches, elle pourrait faire des poses régulières quand le besoin s'en faisait sentir…

-Je connais le chemin oui…

Quand même Nee l'inquiétait… Elle aussi avait difficilement résisté à la tentation de vomir mais cela pouvait tout aussi bien venir du choc à la tête et non de la façon si particulière que la plante avait eu pour les manipuler. Et, malheureusement, la mage rouge… Etait rouge justement, pas blanche, elle n'avait aucune possibilité pour soigner ses petits camarades en faisant une imposition des mains. Elle avait besoin de fioles, d'onguents, de baumes et, avant tout, de plantes. Elle connaissait bien quelques gestes techniques élémentaires comme n'importe quel casse-cou avait tendance à les apprendre d'expérience mais elle n'était pas guérisseuse. Pour l'instant, dans cet arbre, elle n'avait vraiment aucun moyen d'aider la druidesse, ni soulager sa douleur…

-Nee… S'il te plaît…

La jeune femme se décala avec précautions pour ne pas tomber ni bousculer le corps fatigué de la druidesse. Mais, au moins, elle pouvait lui parler sans que la druidesse n'ait à bouger la tête. On, vraiment, même avec toute la volonté du monde, elle ne pourrait pas l'aider à descendre si elle ne se transformait pas. Elle avait d'ailleurs une douleur lancinante au niveau de l'épaule droite qui l'inquiétait un peu, ses mouvements en étaient affectés puisqu'elle ne parvenait pas à lever le bras aussi haut qu'elle le voulait… Mais elle s'en occuperait après, au sol…

-Soit tu te transformes et je te descends, soit tu me dis où trouver de l'aide. Mais je te laisse pas comme ça…

En levant la tête elle pouvait voir les lianes qui l'avaient maintenue prisonnière pendre et osciller au rythme du vent. Si elle ne parvenait pas à se transformer, elle irait couper une longueur de liane suffisante pour pouvoir attacher Nee à sa branche, histoire qu'elle ne tombe pas malencontreusement. La plante n'apprécierait probablement pas à son réveil mais elle avait d'autres priorités… Elle n'avait pas le temps e la déloger de là mais ce n'était pas l'envie qui manquait…

-Tu peux pas rester comme ça ici et i y a rien pour te soigner ici…

Neelahn savait pertinemment que ses blessures ne se guériraient pas toute seule et ses minces connaissances dans le domaine de la médecine ne lui permettraient pas de se soigner elle-même. Et puis, de toute façon, même si elle avait su comment s’y prendre, elle n’aurait pas eu la force pour s’occuper de son pied.
Les paroles de Lili la touchèrent. La mage rouge ne voulait pas l’abandonner à son triste sort. Cependant, faire un quelconque effort pour le moment lui paraissait impossible. Peut-être qu’avec un peu de volonté et de motivation, Neelahn parviendrait à se transformer en oiseau mais elle se sentait bien allongée sur le chêne. Celui-ci lui envoyait des images paisibles afin d’essayer de lui faire oublier que son corps souffrait.

« Ils viendront me chercher, ne t’en fais pas. Il doit bien y avoir quelqu’un qui passera par ici dans une heure ou deux… »

D’ici là, Neelahn serait toujours en vie, non ? Il ne s’agissait que d’un pied cassé, après tout. Et puis, ça lui laisserait ainsi le loisir de faire la sieste et de récupérer des forces. Néanmoins, si l’elfe tardait trop à se faire soigner, ses blessures risquaient s’infecter. Ça, elle en était tout à fait conscience mais ce n’était pas avec seulement une heure ou deux que tout allait se dégrader, n’est-ce pas ?

Après avoir passé ses bras autour de la branche d’arbre sur lequel elle reposait, Neelahn se rendit compte qu’il commençait à faire un peu froid. Plus précisément, elle se rappela qu’elle était nue comme un vers de terre et que si elle restait ainsi, elle allait finir par tomber malade. Finalement, Lili avait raison. La druidesse ne pouvait pas rester dans son état actuel et attendre sagement qu’un druide passe près d’elle. Et même si quelqu’un passait par là, il n’était pas sûr qu’il (ou elle) puisse l’apercevoir avec tous ces feuillages.
En fin de compte, qu’elle ne le veuille ou non, Neelahn allait devoir déployer des efforts pour se métamorphoser en colibri. Et puis, à bien y repenser, seule la transformation demandait de « l’énergie ». Une fois sous sa forme animale, elle pourrait tout aussi bien continuer à lambiner sur sa branche si elle le voulait. En revanche, communiquer avec les autres serait bien plus difficile.

« Bon… d’accord… Tu pourras me mettre dans ta poche comme ça… »

C’était une idée comme une autre. A vrai dire, Neelahn s’en moquait un peu. N’ayant plus vraiment le courage de réfléchir, elle préféra laisser Lili faire ce qu’elle voulait. Une fois arrivée en bas, il y aurait bien quelqu’un pour leur prodiguer des soins à toutes les deux.
Mobilisant tout son courage, Neelahn tenta de se changer en son animal totem. Épuisée et blessée, l’exercice se révéla aussi difficile qu’elle ne s’y était attendue. Ce fut comme lorsqu’elle était toute petite et qu’elle tentait de maîtriser sa métamorphose. Après avoir réussi l’exploit de se métamorphoser, la druidesse était restée plusieurs jours sous sa forme de colibri car elle n’était pas parvenue à reprendre sa forme elfique. Finalement, il a fallu que Tigrou ne la confonde avec son déjeuner pour qu’elle ne parvienne à retrouver ses bras et ses jambes.

« On ne dirait pas mais j’essaye, hein ? »

A la voir affalée ainsi, si elle n’avait pas eu tous ces bleus et ce pied tordu, il aurait été aisé de penser qu’elle dormait. Malgré les apparences, Neelahn tentait pourtant de mobiliser toute son énergie pour se transformer.
Au prix d’un temps qui lui paru interminable, la druidesse parvînt finalement à se changer en petit oiseau. Allongée sur le côté, elle n’attendait plus que la mage rouge ne la prenne entre ses mains.

La mage rouge ne chercha pas à commenter les propos de la druidesse, elle se contenta juste de hausser un sourcil en affichant un air clairement sceptique… Bien sûr qu'elle allait l'abandonner là sans savoir quel était exactement son état, dans l'attente d'une hypothétique arrivée d'un druide, qui pourrait peut-être l'aider à descendre et la soigner, qui la verrait peut-être… Ben voyons ! Cela avait autant de chance que cela se passe que l'histoire au sujet d'une marmotte faisant du chocolat soit véridique… Nee devait vraiment être dans les vapes pour penser que la mage pouvait l'abandonner comme ça sans même se retourner… La seule façon de la faire descendre en laissant la druidesse sur place c'était que cette dernière lui donne le nom de quelqu'un qu'elle puisse aller chercher et qui serait à même de l'aider… Alors, normalement, elle ne risquait pas de mourir de quelques bleus et d'un pied cassé mais on était jamais assez prudent. Puis elle pouvait très bien glisser et tomber. A moins que la plante ne se réveille et ne s'attaque à nouveau à elle. Donc, non, elle n'allait certainement pas la laisser là…

Mais d'un autre coté, si elle persistait dans son idée de rester là, donc sous sa forme elfique, elle ne pourrait pas faire grand chose de plus… Elle ne voyait pas comment elle pourrait l'aider à descendre de ce chêne avec son épaule douloureuse et, surtout, sans faire percuter son pied tout le long de la descente. Lili n'était pas suffisamment forte pour la jeter sur son épaule et escalader un tronc en même temps. En extrême recours, elle pouvait toujours descendre et fouiller les cabanes qui jouxtaient celle de la druidesse dans l'espoir de trouver soit quelqu'un, soit de quoi la soigner suffisamment pour qu'elle descende d'elle-même. Mais elle avait un sérieux doute à ce sujet…

Visiblement la druidesse dut arriver aux mêmes conclusions que la mage puisqu'elle s'avoua enfin vaincue, concédant une transformation. Ce serait tout de même pratique pour tout le monde… Même si cela semblait lui demander beaucoup d'efforts. Lili ne dit rien, comprenant qu'entre douleur et fatigue, passer d'un état à un autre devait demander plus de travail qu'à l'ordinaire. elle s'inquiétait juste de la réussite de la chose, ne sachant pas vraiment comment cela fonctionnait dans les détails. En attendant, elle essayait de repérer le meilleur chemin pour redescendre. Elle ne comptait pas retourner sur le plancher des vaches mais s'arrêter à la cabane de Nee pour la déposer sur son lit. Ce serait là qu'elle serait le mieux… Ainsi blessée elle serait vulnérable au sol, là elle pourrait se reposer en toute sécurité le temps qu'elle trouve une solution pour mieux l'aider…

Elle eut un discret soupir de soulagement quand le corps de l'elfe laissa place à celui d'un colibri, même si le rendu sur sa patte n'était pas plus beau à voir que sur son pied. C'était maintenant à elle de jouer, elle pouvait se reposer et ne plus se soucier de rien. A elle de faire en sorte qu'elle puisse atteindre sa cabane sans la blesser plus qu'elle ne l'était déjà. Avec toute la délicatesse dont elle était capable, la jeune femme prit l'oiseau entre ses mains pour le mettre dans sa poche, essayant au maximum de ne pas toucher à sa patte. Avec plus ou moins d'efficacité… Elle le savait, toute délicate puisse-t-elle être, Nee allait avoir très mal…

Ensuite, elle entama sa descente. Autant dire que cela prit un certain temps. Déjà, ses muscles avaient eu le temps de se refroidir, l'adrénaline ne faisant plus son travail d'anesthésiant et son épaule était en train de devenir de plus en plus douloureuse, la gênant dans ses mouvements… Elle dut faire preuve d'encore plus de précautions que d'habitude car elle avait un colibri blessé dans sa poche et qu'elle devait donc éviter de trop se racler partout ou de tomber. Elle n'arriva à la cabane de la druidesse qu'au bout d'un très très long moment, une fois en "sécurité", elle put sortir aussi délicatement que possible Nee de sa poche et la déposer sur son lit…

-Je suis désolée, j'ai du te faire mal… Mais au moins tu es mieux ici que là haut.

Entre temps une sorte de bleu immense et d'une violet irisé était en train de s'étendre sur le coté du visage de Bellinda, sans qu'elle ne s'en rende trop compte. Par contre, elle sentait qu'elle aurait besoin d'aide pour son épaule. Elle gardait le bras replié contre elle et évitait maintenant de s'en servir. La jeune femme attira sa sacoche à elle, fouillant pour trouver ses baumes et onguents. Il faudrait aussi qu'elle voit pour lui faire une attelle… Et trouver quelqu'un.

Lili avait beau pris toutes les précautions nécessaires, Neelahn n’eût cependant pas cette impression. Bien entendu, en son fort intérieur, elle ne doutait pas d’un seul instant de la bienveillance de son amie. Pourtant, durant tout le trajet, la druidesse avait eu l’impression qu’on lui donnait des coups de haches répétés au pied. Elle avait espéré pouvoir se reposer un peu pendant la descente mais elle se sentait tellement ballotée qu’il lui fut impossible de fermer les yeux, ne serait-ce qu’une seconde.
Durant tout le trajet, Neelahn s’efforça donc de penser à des choses plus plaisantes pour oublier la douleur cuisante qui émanait de son pied. Elle pensa à sa nouvelle couleur de cheveux, aux bons petits plats qu’elle avait goûté à Naturalia, à ses aventures… Mais tout ceci ne suffit pas.
Ne rien voir n’aida pas non Neelahn qui eût la sensation que le temps s’écoulait avec une lenteur infinie. Allongée au fond de la poche de Lili, la druidesse avait une vue des plus déplorables de ce qui pouvait se passer autour d’elle. Finalement, mieux valait chercher une petite miette de pain au fond de cette poche plutôt que d’essayer de voir ce qui se passait à l’extérieur. Au moins, elle en aurait eu moins le tournis.

Après une petite éternité, Lili arriva dans sa cabane et la déposa sur son lit. Sous sa forme animale, Neelahn ne pouvait pas réellement crier mais il ne fit aucun doute qu’elle s’en serait donné à cœur joie si elle l’avait pu. Le contact de son pied avec le meuble lui sembla si brutale qu’elle cru pendant un instant qu’elle allait perdre sa jambe pour toujours. Cependant, la douleur resta toujours présente, une fois qu’elle fut « bien » installée ce qui lui prouva qu’elle n’avait pas encore perdu l’usage de son pied.

« Piou…. »

Il fallait à présent que Neelahn reprenne sa forme elfique pour demander à Lili d’aller chercher quelqu’un pour les soigner. Trop épuisée par son voyage, la druidesse ne put malheureusement pas se transformer et tenta de rester optimiste en se disant que la mage rouge serait assez futée pour prendre l’initiative d’aller chercher de l’aide.
La chance voulu toutefois que les deux jeunes femmes n’aient pas à lever le moindre petit doigt. Un druide, qui revenait de chasse, avait aperçu que quelque chose n’allait pas. Dans sa tête, il se demandait qui était cette inconnue qui venait d’entrer dans la cabane de Neelahn. Immédiatement, il prit la forme d’un aigle et se dirigea vers la demeure. A travers la fenêtre, il aperçut alors un petit colibri agonisant et il ne lui fallu pas des heures pour comprendre le problème.

« Elle sait terrasser des dragons mais alors pour grimper à un arbre, c’est pas gagné ! »

Après avoir repris sa forme humaine, Vladimir se pencha au-dessus de la patte brisée. Sans crier gare, il la prit entre ses doigts et la replaça comme elle l’aurait dû être d’un mouvement sec. Évidemment, si Neelahn l’avait pu, elle n’aurait pas hésité un seul instant à gifler son « tortionnaire ». Mais comme elle en était incapable, elle se contenta de l’observer errer comme un rapace dans sa cabane. Elle le vit fouiller dans ses tiroirs et sortir des bandages et un baume. Essayant de se tourner sur le côté, Neelahn avait la ferme intention d’échapper aux mains peu délicates du druide. Mais alors qu’elle était sur le point de se déplacer d’un pouce, Vladimir était déjà revenu et s’appliquait à enrouler le tissu autour de sa patte après avoir badigeonné copieusement – et salement - un baume dessus.

« Ne t’en fais pas, tu ne vas pas le garder très longtemps. Notre bon vieux singe te réparera ça en un clin d’œil. J’t’ai juste appliqué ce machin en attendant, ça devrait calmer un peu la douleur. »

Il sourit de toutes ses dents et se tourna vers Lili :

« A nous maintenant ! » dit-il en retroussant ses manches.

Même si elle n'avait pas vraiment eu le choix, elle s'en voulait d'avoir ainsi du "maltraiter" la pauvre druidesse. Et on pied cassé était encore plus impressionnant sous sa forme de colibri, tant ses membres étaient fins et délicats. Lili en avait presque mal pour elle… La jeune femme se retrouva soudain bien démunie. Jusqu'à maintenant elle s'était focalisée sur l'étape suivant sans vraiment se projeter bien loin dans le temps. Se rattraper. Rejoindre Nee. Vérifier les blessures possibles. Descendre. La sortir de sa poche… Maintenant elle devait faire en sorte de trouver de l'aide. Sauf qu'elle n'avait pas la moindre idée d'où en trouver. Même s'il y avait d'autres cabanes dans les arbres voisins, elle n'avait vu personne d'autre. tous ses voisins devaient être en foret à vaquer à leurs occupations… Comment allait-elle faire pour les retrouver? Elle ne savait même pas à qui s'adresser !!

La jeune femme en était à fouiller sa besace à la recherche de ses baumes pour, au moins, la soulager le temps qu'elle trouve de l'aide, lorsqu'une voix d'homme retentit dans la cabane. Lili fit presque un bond en faisan volte face. Presque seulement parce que c'était le genre de mouvements qu'elle ne pouvait plus se permettre avec son épaule. Relever brusquement la tête et sursauter avait suffit à lui faire voire trente-six chandelles. Au point qu'elle ne releva même pas que Nee s'était batture contre des dragons…

L'inconnu semblait bien connaître la druidesse… Et il avait du se transformer en un quelconque animal pour arriver si vite ici sans qu'elle ne le remarque. La jeune femme se recula prudemment pour lui laisser tout l'espace dont il aurait besoin, sans pour autant le lâcher des yeux. Rien ne disait que ses déductions étaient bonnes et avec la druidesse dans cet état, ce n'était pas sage de l'abandonner aux mains du premier inconnu venu. Sa façon de replacer soudainement la patte de l'oiseau en place la fit à nouveau sursauter et si Nee ne put crier de douleur, Lili le fit à sa place même si ce fut beaucoup plus discret… Cet homme avait la délicatesse de l'ours kodiak… Une brute… Et elle resserra instinctivement son bras blessé contre elle.

N'étant pas vraiment en état de voir si elle avait quelque chose pour calmer la douleur, elle laissa faire Vladimir. Nee devait bien conserver quelques remèdes chez elle après tout et elle ne doutait pas qu'ils seraient aussi efficaces que ceux qu'elle pouvait concocter. Elle grimaçait juste en voyant sa façon bien peu délicate de manipuler la blessée, sans défense devant ses assauts. Même si c'était pour son bien. Elle risquait de se souvenir un petit moment de la visite de sa future cabane. Au moins leurs soucis étaient-ils terminés… Ou pas finalement.

Lorsque l'homme se retourna vers elle, tout sourire et retroussant ses manches, la jeune femme fit instinctivement quelques pas en arrière, suffisamment pour placer la table entre eux.

-Non mais ça va, je n'ai rien de casser…

Et c'était vrai! Elle n'avait aucun os de cassé, rien à ressouder, aucune attelle à placer. C'était juste une épaule démise. Et elle savait pertinemment comment il fallait procéder pour la remettre en place… Et il était hors de questions que cet homme là mette ses gros doigts brutaux sur elle. Après avoir vu la délicatesse dont il avait fait preuve envers Nee, sa peur instinctive était tout à fait justifiée !!

-Allons, soyez raisonnable…

Il pouvait toujours courir… Alors qu'il se dirigeait vers elle, elle fit lentement le tour de la table pour qu'il ne puisse pas s'approcher. Leur petit manège durant quelques secondes, le temps pour le druide d'aller un peu plus vite alors que la jeune femme venait de s'empêtrer dans une chaise. C'est qu'il avait de la poigne ce Vladimir… Lili pâlit en réalisant qu'elle ne pouvait plus s'enfuir…

-Non mais vraiment ça va, je vais me débrouiller, vous donnez pas c'te peine hein je vais trouver un moyen, c'est rien, juste un bleu… Ca va finir par se remettre, j'étais un peu froide. Et puis ça va déjà mieux hein! Allez, vous ennuyez pas avec ça, vraiment, ça va, ça va e remettre tout seul...

Le druide la laissa déblatérer tout son saoul en se contentant de sourire et de hocher la tête comme s'il était tout à fait d'accord. Puis, au beau milieu de son monologue paniqué il mit une de ses mains sur l'épaule, l'autre sur le haut du bras et il poussa. Il y eut un gros claque presque instantanément suivi par un long cri de douleur. Il relâcha la mage rouge qui s'effondra à genoux à ses pieds, le souffle court, les larmes aux yeux avant de se frotter les mains l'air satisfait.

-Et voilà le travail ! Je vais prévenir le vieux singe !!

… parce qu’elle avait peur que Vladimir ne revienne la martyriser, Neelahn avait préféré jouer à la morte. Du coin de l’œil, elle observait le petit manège du druide et de la mage rouge. A coup sûr, Lili avait dû être traumatisée par les gestes de ce gros bourrin. Qui aurait cru que cet homme hirsute à l’allure négligée avait pour animal totem un aigle royal ? Pour fondre sur ses proies, Vladimir était le meilleur mais ses mouvements et son port de tête qui auraient dû être majestueux étaient aussi royaux que ceux d’un aigrefin après voir englouti cinq litres de bières fraîches.
Quitte à choisir, Neelahn préférait mille fois mieux attendre le Vieux Singe en souffrant en silence plutôt que de passer entre les mains de Vladimir. Pourtant, c’était un excellent guérisseur – même s’il ne possédait pas le don comme le Vieux Singe – mais ses gestes étaient trop brutaux si bien que sa candidature à l’Auspice avait été rejeté coups de bâtons sur la tête. Les mages blancs l’avaient qualifié de trop négligeant et puis, il fallait se rendre à l’évidence ; qui aurait bien voulu se laisser soigner par un homme aux allures si « sauvages » ? Même Neelahn qui le connaissait se disait souvent qu’elle aurait préféré s’en remettre à quelqu’un d’autre – sur le moment, du moins, car après avoir eu un peu de recul, elle ne pouvait nier ses compétences en médecine -.

Et tandis que Vladimir pratiquait ce qu’on aurait pu appeler la « médecine brutale », le Vieux Singe, lui était son exact opposé.
Après avoir patientée une petite heure, Neelahn aperçu un singe entrer dans sa cabane. L’animal esquissa des mimiques frôlant le burlesque lorsqu’il l’examina. Il se dandina ensuite vers Lili. Sautant sur un meuble, il pencha la tête sur son épaule, le menton reposant entre son pouce et son index.

« T’as vu ? Nee’ nous a ramené une p’tite noisette. C’est pas tous les jours qu’on reçoit ce genre de visite, s’écria Vladimir en en regardant Lili.
_ Je vois, je vois, … » répondit le Vieux Singe après avoir reprit sa forme elfique.

A première vue, il semblait plus négligé que son confrère. Ses cheveux et sa barbe lui faisaient office de vêtements et trainaient un peu au sol. Encore plus crasseux que Vladimir, il montrait toutefois plus « d’agilité » que ce dernier. Ses mouvements étaient plus fluides et avec ses pouvoirs, il était capable de se déplacer de manière encore plus rapide que le colibri. D’ailleurs, Neelahn eût à peine le temps de cligner les yeux qu’il s’était déjà retrouvé à son chevet.

« Puisque Vladimir a déjà fait le sale travail, je vais pouvoir ressouder tes os facilement. Tu veux que je t’endorme avant ? Ça va faire un peu mal… »

La druidesse tourna la tête de gauche à droite. Elle avait déjà passé son temps à dormir lorsqu’elle était à l’Auspice et ne tenait pas à revivre cette expérience, non pas parce qu’elle avait trouvé cela déplaisant mais parce qu’elle considérait que c’était une perte de temps. Et puis si elle s’endormait, que ferait Lili ? Elle ne pouvait pas la laisser entre les mains de ses confrères, qui, à coup sûrs, ne vont pas la laisser tranquille. Après être passée s’être fait remettre la patte dans le bon axe par Vladimir, Neelahn se disait qu’elle ne pourrait rien connaître de pire… mais elle se trompa… Sur le court-terme, la douleur aurait peut-être paru moins grande mais il fallait un certain temps pour ressouder les os. Le Vieux Singe était très expérimenté ; cependant, il ne pouvait pas utiliser sa magie pour guérir des personnes aussi rapidement que les guérisseurs de l’Auspice. Peut-être était-ce dû à l’âge ou peut-être était-ce dû à son statut... seul lui le savait.

« Voilà, mon enfant… » dit-il avant de se tourner vers Lili. « Quant à toi, petite brindille, un peu de nourriture et de repos… et c’est tout ! »

Lili resta un moment prostrée sur ses genoux, à bercer doucement son bras. Elle avait beau voir qu'il était encore là, elle avait vraiment l'impression qu'on venait de lui arracher. Elle entendit le druide partir mais n'eut pas assez de force pour l'inonder de malédictions aussi diverses que variées. La prochaine fois qu'elle se déboîterait l'épaule elle irait voir d'autres personnes, moins brutales, pour se la faire remettre en place, même si cela serait probablement tout aussi douloureux. Le seul point positif était qu'elle espérait que son cri de douleur avait porté jusqu'aux oreilles de Tigrou, ce dont elle ne doutait pas étant donné l'envolée d'oiseaux qu'il avait provoqué. Il estimerait peut-être qu'ils étaient quittes avec un peu de chance?

La jeune femme finit par se relever. Même si tout son bras était douloureux, elle sentait qu'il y avait déjà un mieux. Ce n'était plus qu'une question de temps avant que les tendons malmenés et enflammés ne lui laissent un peu de répits. Par contre elle allait devoir se ménager et veiller à ne pas utiliser ce bras pendant un petit moment si elle ne voulait pas avoir de nouveaux problèmes d'articulation… De sa main valide elle traîna une chaise jusqu'au chevet de la druidesse. A ce stade elle ne pouvait rien faire d'autre que la veiller… Tout brutal soit-il Vladimir semblait avoir fait du bon boulot avec son attelle improvisée. Il n'y avait plus qu'à attendre le fameux vieux singe. Elle se doutait qu'il devait s'agir du guérisseur de leur petite communauté. Et qu'il devait se transformer en singe. Enfin, elle espérait pour lui car il y avait de quoi se vexer sinon…

Ayant du mal avec la notion de temps, il lui sembla tout de même avoir un peu attendu avant qu'une nouvelle personne ne fasse son entrée. La jeune femme se leva pour s'éloigner par précaution. Elle n'avait encore jamais vu de singe et encore moins de cette taille. L'animal avait quelque chose de légèrement dérangeant tant certains éléments chez lui pouvaient rappeler l'homme. Et puis Vladimir était avec lui, si elle pouvait éviter de rester dans un périmètre de deux mètres autour de lui, ce ne serait pas plus mal…

-Une noisette?

Pourquoi une noisette…? Elle jeta un regard circonspect à son tortionnaire, évitant soigneusement de regarder la forme elfique du vieux guérisseur. Lili n'était pas une grande fan du "vieux fou dénudé" et n'avait pas envie que son regard ne tombe pas où il fallait alors qu'il lui tournait le dos pour s'occuper de Nee… Vladimir était un spectacle préférable… D'ailleurs elle nota qu'il était resté au beau milieu de la porte, comme s'il s'attendait à la voir fuir de nouveau. Voyant qu'elle venait de comprendre il lui fit un grand sourire de satisfaction… La mage rouge souffla avant de lever les yeux au ciel et de les poser sur une casserole abandonner au sol et qu'elle trouva brusquement passionnante.

Elle ne redressa la tête que lorsqu'elle entendit à nouveau la voix du vieux druide. Visiblement il en avait finit ici. L'os de Nee devait être ressoudé, mais elle allait avoir besoin de sacrement de repos et elle n'avait besoin que de repos et de nourriture… Elle était soulagée de savoir que son épaule ne nécessiterait pas de nouveaux soins, elle n'était pas certaine qu'elle aurait pu se laisser frôler. La jeune femme eut un sourire alors qu'elle le regardait avec obstination dans les yeux…

-Merci beaucoup. Pour nous deux… Je vais rester le temps qu'elle dorme et je rentrerai chez moi…

Elle trouverait bien un moyen de se faire rapatrier à la Tour Naturelle. Il y avait toujours des charrettes qui passaient à proximité de la foret…

-Par contre méfiez-vous. Sa future cabane est squattée par une fleur géante à l'humour approximatif….

« Noisette »… Lili était loin d’être une « p’tite noisette ». Levant les yeux au plafond, Neelahn avait hâte que les deux druides sortent de sa cabane. Elle savait pourtant qu’ils n’allaient pas la quitter de si tôt. Il était si rare de recevoir de la visite…
Après avoir tourné la tête de côté, elle aperçu le Vieux Singe étudier Lili comme si elle était une nouvelle espèce de fleur. S’il continuait à la reluquer ainsi, elle allait finir par ne plus jamais vouloir remettre les pieds dans la forêt ! Quant à Vladimir, il semblait aux anges devant la jolie demoiselle. Et d’ailleurs, quand celle-ci annonça qu’il y avait une étrange plante dans la future demeure de Neelahn, personne n’accorda ne serait-ce qu’à une once de ce qu’elle venait de dire. Les deux hommes continuaient à observer Lili comme une chose étrange, ce qui excéda rapidement la druidesse qui se sentit obligée de fournir un effort considérable pour retrouver sa forme elfique… et sa capacité à parler.

« Vous devriez vous habiller…
_ Hein ? Mais t’en as de drôles idées, toi ! répondit le Vieux Singe.
_ Ça sert à rien de s’habiller si c’est pour abandonner ses vêtements après… de la pollution moi j’dis, ajouta Vladimir. »

Mais après quelques secondes, ils semblèrent tous les deux comprendre les sous-entendu de Neelahn. Il fût assez amusant de voir réagir en même temps.
Le Vieux Singe s’empressa donc d’aller ouvrir un placard pour chercher un tissu dans lequel se draper. Mais alors que celui-ci prenait la peine de refermer les portes qu’il ouvrait, Vladimir, lui, ne s’embêtait pas à mettre la demeure de Neelahn sans dessus dessous. Après avoir ouvert plusieurs tiroirs, il jeta un drap au druide et en prit un autre pour le mettre autour de sa taille. Pendant ce temps là, Neelahn en avait profité pour s’enrouler dans sa couverture et adresser un petit regard d’excuse à sa nouvelle amie.

« Hey grand-père, regarde ça, Nee’ a les cheveux verts !
_ Je ne suis pas si vieux que ça… Oh ! Tu es jolie comme ça !
_ Ouais ! Je suppose que c’est toi qui a fait ça ? T’aurais dû la transformer en arbre tant que tu y étais, dit Vladimir en se tournant vers Lili
_ Tu es une mage rouge ? Excellent… Beau boulot…
_ Tu veux pas me faire la même chose mais en rouge, avec des mèches marrons et verts ?
_ Je crois que Lili aimerait bien se reposer… souffla Neelahn
_ Ça va pas, t’es folle ? Mais non, reste. Tu dînes avec nous Noisette ? C’est quoi ton p’tit nom ? Ce soir, ça va être la fête ! dit Vladimir
_ J’aurais quelques questions à te poser. J’ai toujours été fasciné par les mages rouges, enchaina le Vieux Singe »

Vladimir donna une grosse tape à l’épaule de Lili… l’épaule qu’il avait remise en place… et il ne s’en rendit même pas compte sur le coup… le Vieux Singe non plus… Ce dernier continuait d’ailleurs à fixer la mage rouge comme si elle était un rare spécimen.

« Tu as un visage qui m’est familier…
_ Arrête ton délire papi ! Sérieux, tu te fais vieux.
_ Je suis d’accord avec Vladimir…
_ Oh mais arrêtez tous les deux ! Je sais qui elle est… hum… »

Le Vieux Singe s’approcha de Lili et souleva délicatement une de ses mèches de cheveux. Il tourna ensuite d’elle comme un vautour, l’étudiant de la tête aux pieds.
Excédée par le comportement des deux druides mais aussi par son incapacité de faire quoi que ce soit, Neelahn remonta sa couverture jusqu’à ses yeux. Lili était SON amie – donc SON spécimen à elle ! –

« Vous me faîtes honte vous savez… »

Autant souffler dans un violon… Elle avait vraiment espéré que les deux druides allaient partir après ces remerciements mais, visiblement, ils étaient bien décidés à prendre racine. Et, toujours aussi visiblement malheureusement pour elle, ils ne semblaient pas réaliser que les conventions sociales les plus primaires exigeaient qu'on évite de se promener tout nu devant une demoiselle. Même si Lili n'était pas spécialement à cheval sur l'étiquette, c'était le genre de chose qu'elle préférait suivre. Surtout le plus vieux des deux… Elle avait déjà vu des hommes nus et, dans certaines conditions, ce n'était pas bien désagréable. Mais là, quand même, ça la dérangeait.

Nee essaya bien de lui venir en aide en leur suggérant de passer quelque chose sur le dos mais ils semblaient un peu bouchés… Les sous-entendus de la demoiselle et le regard ostensiblement fixé successivement sur une casserole puis sur le plafond, finirent tout de même à mettre en branle leurs cerveaux et ils finirent par se dénicher des draps pour masquer leurs attributs. Un rapide coup d'œil lui indiqua qu'elle pouvait regarder la pièce normalement sans le risque de se retrouvée traumatisée à vie par quelque chose de trop fripé pour être viable… Vladimir semblait avoir découvert l'étrange couleur de cheveux de son amie et en quelques instants à peine, la mage se retrouva acculée dans un coin, bombardée de questions et de remarques… Elle n'aimait vraiment pas être le centre d'intérêt…

-Oui la couleur c'est moi. Non je ne sais pas transformer les gens en arbres. Oui je suis mage rouge. La prochaine fois mais je peux faire que du monochrome avec la potion que j'ai utilisé avec Nee. Oui si vous arrêtez de me poser des questions. C'est Lili et pas "Noisette". Je ne suis pas un animal de…

Elle avait parlé sans reprendre son souffle, essayant de suivre le matraquage d'informations et de questions des deux druides, tournant tantôt la tête vers l'un, tantôt vers l'autre. Du coup elle ne vit pas arriver la grande tape, pourtant amicale, en plein sur son épaule fraîchement remboîtée. La douleur la vrilla sur place alors qu'elle étouffait une phrase entre ses dents serrées faisant vaguement allusion à péripatéticienne énuclée. S'il ne l'avait pas aidée un peu avant, elle aurait probablement envoyé un grand coup dans l'entre-jambe de Vladimir histoire que ses gonades côtoient le 7° ciel, ou au moins ses amygdales. Pour le principe. Elle dut se faire violence pour se redresser avec seulement un sourire crispé, se répétant sans cesse à elle-même qu'il les avait aidées…

-Si vous pouviez juste éviter de toucher cette épaule s'il vous plaît…

Nee l'aida aussi à tenir… Si elle prenait la fuite maintenant la pauvre serait forcément inondée de questions à son sujet. Et elle avait besoin de repos, pas de deux curieux fous furieux … La mage fit donc contre mauvaise fortune bon cœur. Pour se retrouver presque nez à nez avec le vieux singe, enfin le très vieil elfe. Elle ne put empêcher un mouvement de recul instinctif de se retrouver ainsi collée par un vieux fou à moitié nu…

-Quoi?

Qu'est-ce qu'il avait à lui tourner autour comme ça? Elle était certaine qu'elle ne l'avait jamais vu chez ses parents… Et il ne devait pas beaucoup sortir de sa foret… Elle finit par l'observer plus en détail maintenant que sa pudeur était épargnée. Difficile de lui donner un âge mais il avait largement du dépasser la décennie. Deux fois même à vue de nez… Comment diable pourrait-elle le connaître… Une lueur de compréhension passa brusquement dans son regard. Elle avait du le connaître avant son petit accident, tout simplement. A son tour elle le fixa avec plus d'intensité, cherchant vraiment à faire travailler ses méninges. Le vieux singe dut sentir le changement parce qu'il s'arrêta devant elle, oscillant légèrement d'avant en arrière sur ses pieds en affichant un sourire satisfait. Les yeux de la jeune femme s'agrandirent alors qu'elle faisait un "o" avec la bouche et qu'elle claquait des doigts comme si elle venait de mettre le doigt sur quelque chose qui lui échappait depuis un moment.

-Mais oui! Vous êtes une ancienne connaissance de ma mère. Sauf que ça faisait vachement longtemps qu'on s'était plus croisés…

_Voilà, c'est exactement ça. Mais tu n'as pas changé…

-Lili… Je préfère à mon vrai prénom, Bellinda…

Quelque chose sembla passer entre eux alors que la mage appuyait sur son prénom usuel, que peu de monde utilisait en vérité car elle se présentait systématiquement à l'aide de son surnom. Tous deux se fixèrent dans les yeux, Noisette affichant un grand sourire ingénu. Le vieux singe hocha doucement la tête en marmonnant tout bas avant de donner une claque magistrale dans le dos de Vladimir.

_Si ce soir c'est la fête va falloir que tu mettes la main à la patte! Allez, range moi le bazar que tu as mis qu'on puisse s'installer pour manger un bout !

Allongée dans son lit, Neelahn écoutait les échanges entre le Vieux Singe et Lili, agrémenté par quelques remarques de Vladimir. Si elle avait été au théâtre, il ne fit aucun doute qu’elle aurait bien rit devant ces personnages. On aurait dit deux univers diamétralement opposés qui se rencontraient.

« Pour moi, ça restera Noisette. » répondit Vladimir lorsque Lili se présenta.

Il ne fallait pas y voir là une quelconque trace de méchanceté. Pour Vladimir, « Noisette » était un gentil petit surnom destiné à une gentille petite citadine. Quant à savoir pourquoi il avait décidé de la surnommer ainsi, même le Vieux Singe et Neelahn qui étaient habitué à le côtoyer auraient été incapable de l’expliquer. Peut-être qu’aux yeux de Vladimir, Lili ressemblait à une noisette ou un écureuil.
Haussant un sourcil, le Vieux Singe se tourna vers le druide, en quête d’explication. Ce dernier se contenta de lui montrer toutes ses dents avant de reposer son attention sur la mage rouge. Le mystère resterait sans doute entier. Apparemment habitué à ces bizarreries, le vieux druide se contenta de le fixer comme un grand demeuré et reposa également les yeux sur Bellinda.

« Bon, tu te décides à bouger fainéant ? » demanda le Vieux Singe après être resté pendant quelques secondes sans rien dire.
« Tu sais que ça fait un an que je ne suis pas sorti de la forêt ? » répondit Vladimir.
« Ce n’est pas une fleur. Arrête de la regarde comme ça et va préparer la table. »
« Tu sais quoi grand-père ? C’est toi le fainéant ! »

Malgré le discours, les mots avaient été prononcés de manière taquins, mais on put aisément voir que Vladimir aurait bien voulu rester là à parler pendant quelques instants. Il fit un boucan infernal en rangeant les affaires de Neelahn. Étrangement, lorsqu’il sortit de la cabane, tout était parfaitement à sa place. Les vêtements étaient pliés et entassé correctement dans l’armoire. Plus rien ne trainait sur la table, pas même un grain de poussière.

Pendant ce temps là, Neelahn marmonnait dans son coin. Étant dans l’incapacité de se lever et encore toute pâle après ce qu’elle avait subi, elle ne pouvait pas participer à la fête – connaissant ses amis, elle savait qu’ils n’allaient pas la laisser s’amuser -. De là où elle se trouvait, elle entendait Vladimir hurler de sa voix tonitruante que « Noisette venue d’une contrée lointaine et pavée » allait passer la soirée avec « nous » et qu’il fallait venir « habillé selon les règles de bienséance en vigueur ». Levant les yeux vers le plafond, Neelahn se disait qu’il avait vraiment besoin de sortir de la forêt et espéra que peu de monde aurait entendu l’annonce de Vladimir. Avec un peu de chance, ils pourraient peut-être faire la fête dans sa cabane et cela lui permettrait de participer. Après tout, c’était elle qui avait ramené Lili chez eux. Elle était donc en droit d’assister à la fête qui était en train de s’organiser.

« Lili, ta mère était une druide ? Je t’avoue depuis le début que je t’ai pris pour une citadine de pure souche…
_ Toi, tais-toi, tu as besoin de repos.
_ Ce n’est pas tous les jours que l’on reçoit des invités.
_ C’est vrai… Au fait, Lili, comment vont tes parents ? Ça fait des lustres que je ne les ai pas vu. La dernière fois que je les avais vu, je devais certainement être moins fripé qu’aujourd’hui. »

Pinçant l’arrête de son nez entre le pouce et l’index, Neelahn sentait que le Vieux Singe et Vladimir allaient mitrailler Lili de questions durant toute la soirée. Tel qu’elle les connaissait, ils allaient sans doute vouloir avoir des nouvelles de Naturalia alors qu’elle leur faisait déjà des rapports détaillés à chaque retour de ses expéditions là-bas. Pourtant, elle le voyait déjà aborder des sujets tels que la politique ou l’économie. Même s’il n’y connaissait pas grand-chose, le Vieux Singe adorait prendre connaissance de l’actualité de ce que la plupart de ses amis considéraient comme une « inutilité citadine ».

La mage rouge tourna elle aussi son regard vers Vladimir en quête de réponses mais ne parvint à obtenir qu'un sourire. Elle se demandait vraiment ce qui pouvait ressembler à une noisette chez elle. Parce qu'elle avait les cheveux blancs. Parce qu'elle avait les yeux verts. Parce que même si elle passait son temps dehors, elle était loin d'avoir la peau assez mat pour rappeler la couleur de la noisette. C'était peut-être sa taille? La jeune femme n'était pas spécialement petite mais elle faisait vraiment fine et menue en comparaison des deux druides. Cela venait peut-être de là…? Lili restait perplexe, tout comme le Vieux Singe à première vue ce qui la rassura un peu mine de rien. Elle n'était pas tant à la masse que cela finalement si même ceux qui connaissait le bonhomme ne parvenaient pas à comprendre la logique qui avait fait naître ce surnom… Dans tous les cas elle aurait beau lui rappeler son nom à chaque fois, elle le sentait suffisamment buté pour continuer à l'appeler "Noisette" et ce en toute innocence, sans chercher à mal… La jeune femme poussa un léger soupir, abandonnant. Il ne servirait à rien de lutter contre lui, hormis se fâcher, rien d'autre n'en ressortirait…

-Va pour Noisette si tu y tiens tant…

De toute façon elle n'était pas destinée à s'installer dans la communauté de Nee non plus, cela n'était pas si dérangeant que cela… La druidesse savait quel était son nom, c'était le principal. Elle laissa les deux druides se chamailler gentiment et alla s'asseoir sur le bord du lit de sa nouvelle amie, déployant des trésors de précautions pour ne pas embroncher sa jambe ni que son poids ne se fasse trop sentir pour ne pas lui faire plus mal qu'elle n'avait déjà… Au moins, ici, elle ne dérangerait personne et elle se sentait rassurée par la présence toute proche de l'elfe, seul élément vraiment "familier" du décors. Elle avait peut-être déjà croisé le plus âgé des personnes présentes mais elle s'en méfiait un peu. Les singes étaient toujours un peu roublards d'après la sagesse populaire et elle n'était pas certaine que l'âge améliorait cet état de fait…

Laissant Vladimir sortir pour faire son annonce, toute abasourdie fut-elle par cette dernière, elle se pencha légèrement vers Nee sans pour autant tourner la tête vers elle. Un peu comme si elle cherchait à lui parler discrètement même si ce n'était absolument pas le cas. C'était plus un effet de style qu'autre chose. Et cela se voyait au léger sourire en coin qui ourlait ses lèvres. Les deux druides semblaient bien décidés à prendre les choses en main, elle n'allait pas non plus agir comme un animal de foire dressé…

-Il est hors de question que tu me laisse seule avec tes voisins. Je reste avec toi…

La mage se considérait tout autant citadine que forestière, elle avait l'expérience des deux. Maintenant qu'elle vivait à Naturalia elle avait perdu pas mal de ses réflexes de jeunesse, quand elle courait parmi les arbres… Elle lui fit un clin d'œil malicieux en espérant qu'elle arrête de ronchonner avant de se tourner vers le singe, armée d'un sourire tout ce qu'il y avait de plus factice, comme s'il venait de la tirer de ses pensées…

-Mes parents? Ils vont fort bien… Ils se font eux aussi chaque jour un peu plus vieux… Et ils se demandent quand leur "grande fille" aura l'âge mental de son physique…

La mage rouge eut un haussement d'épaules fataliste.

-J'ai beau leur dire qu'il ne faut pas se fier aux apparences, ils ne me croient pas… Du coup je n'ai jamais été aussi seule, un peu comme s'il s'agissait d'étrangers. Cela fait plaisir de revoir un visage connu par le passé, même si je ne m'attendais pas à vous revoir..

Bizarrement le Vieux Singe eut un sourire pâle, comme si cela faisait échos à de très vieux souvenirs… Et il ne chercha pas plus à questionner Lili sur sa famille, sentant que le terrain était dangereusement glissant pour lui. Ils parleraient peut-être plus mais après, seul à seul… Esquivant temporairement les questions, elle se tourna vers Nee pour voir si elle voulait qu'elle l'aide à mieux s'installer si elle voulait profiter de la fête… S'ils avaient des questions sur Naturalia, elle y répondrait, mais certainement pas sur la politique ou les gens en vue…

Hochant doucement de la tête, Neelahn accepta la supplique de Lili. De toute façon, il était hors de question qu’elle ne la laisse toute seule avec ses amis dégénérés. A coup sûr, ils allaient la traumatiser et la jolie demoiselle ne voudrait plus jamais retourner dans la forêt. D’ailleurs, Neelahn sentit que le Vieux Singe avait abordé un terrain glissant en posant des questions gênantes. Son sourire pâle indiqua qu’il avait reçu le message implicite de Lili. Ne souhaitant pas gâché la fête à venir, il s’abstenu donc d’ajouter un mot de plus sur les parents de la mage rouge et essaya de trouver un autre sujet de conversation. Apparemment lasse, Lili vînt chercher subtilement un quelconque soutient auprès de Neelahn. Ayant compris le message, la druidesse essaya de se relever pour s’asseoir.

« Tu veux bien m’aider à mettre mes oreillers derrière moi pour que je puisse m’asseoir confortablement, s’il te plaît ? »

A ce moment là, le Vieux Singe se leva et sortit de la cabane, prétextant qu’il allait Vladimir organiser la fête. Fatiguée par son aventure dans sa future demeure et tout en qui avait pu en découler, Neelahn finit par s’endormir comme une masse, « abandonnant » ainsi Lili dans sa cabane…
Elle fut réveillée quelques heures plus tard par les gros sabots de Vladimir.

« Bah ils sont passés où les autres ? »

Neelahn s’abstenu de répondre à cette question. Elle ne voulait pas que Vladimir parte à la recherche des autres druides, à part peut-être Catelyn pour qu’elle puisse tester la recette de Lili… ! Elle n’avait pas non plus envie qu’on embête sa nouvelle amie et même si elle avait l’esprit en coton, elle voulait participer à la fête ! S’ils n’étaient que quatre, ils pourraient tenir dans sa cabane et ce serait très bien comme ça.
Après avoir regardé par la fenêtre, Vladimir haussa les épaules et prépara la table. Il y laissa au centre, les restes de ragoûts que les deux femmes n’avaient pas terminés et déposa à côté un sac de biscuits salés et un poulet rôti. Le Vieux Singe apparu peu après et mit un pichet d’eau ainsi qu’une bouteille d’hydromel. Il avait également fait un gâteau mais qui ressemblait plutôt à une grosse brique jaune-orangée.

« Ils ne sont pas les autres ?
_ Non ! répondirent Neelahn et Vladimir sur un ton énervé (mais pour des raisons divergentes…) »

Après s’être demandé ce qui se passait derrière la tête de ces deux fous, le Vieux Singe approcha la table du lit de Neelahn pour que celle-ci n’ait pas à se déplacer pour manger. Vladimir servit la nourriture et, finalement, le couple de bavards ne posa pas tant de question que ça à Lili. Ils parlèrent essentiellement de la pluie et du beau temps, de la faune et de la flore. Ils émirent également leur pronostic au sujet de l’avancée du désert.

« Vous savez que le Jardin Paradisiaque a été en parti ravagé ? annonça le Vieux Singe
_ Ah bon ? Comment ça se fait ?
_ Il paraît qu’une mage blanche s’est battue avec une mage noire.
_ Hé bah… on ne peut même plus se promener tranquillement à Bénécius…
_ Tu parles comme un vieux Vladimir ! »

Finalement, même s’ils n’étaient que quatre à festoyer, ils s’amusèrent tout de même bien. A la fin, Vladimir fit un petit paquetage pour Lili. A l’intérieur, il y avait bourré de la nourriture, une gourde d’eau… et un petit sac de noisettes...