« C’est bien, n’est-ce pas ? Je me confonds parfaitement bien avec la forêt, c’est super ! »

N’ayant pas compris les sous-entendus de la jolie demoiselle, Neelahn continuait à avancer rapidement, sans se soucier de savoir si son amie parvenait à suivre le rythme ou pas. Elle était si habituée à se mouvoir dans la forêt qu’elle ne se rendait pas compte que ce terrain pouvait paraître hostile pour certains.
Heureusement pour Lili, Neelahn ne cessa pas un instant de piailler durant tout le trajet. Elle lui parla de la pluie et du beau temps. Elle lui décrivait les animaux qui rôdaient parmi les arbres et lui énumérait les toutes petites bases qu’elle avait en herboristerie. Elle lui expliqua aussi que le vert était une de ses couleurs préférées mais, après avoir fait un long monologue, elle lui avoua qu’elle aimait toutes les couleurs. Et enfin, lorsqu’elle n’eût plus rien à dire, la druidesse se mit à fredonner un petit air joyeux.

« Oh non, ne t’en fais pas, ce n’est pas loin du tout. Nous y serons dans une demi-heure. » répondit-elle lorsque Lili lui demanda si elles étaient bientôt arrivées à destination.

Sautant un cours d’eau, un chêne lui tendit une de ses branches lorsque Neelahn faillit glisser. Elle conseilla ensuite à la mage rouge de faire attention où elle mettait ses pieds. Certains serpents se confondaient merveilleusement bien avec les racines des arbres. Et même s’ils avaient pour habitude de se retirer lorsqu’ils sentaient une présence arriver, il restait possible d’en croiser sur son chemin. La plupart des serpents n’étaient pas de nature agressive mais ils ne se laissaient pas faire non plus.
De temps en temps, Neelahn prévenait des pièges que les druides ou elles avaient installé ici et là pour capturer du gibier. La plupart d’entre eux n’avait aucun impact pour les hommes. Ils pouvaient parfaitement marcher sur ceux-ci sans se retrouver avec un pied en moins. Cependant, il était facile de glisser ou de se retrouver la jambe entortillée dans des cordes…

« Nous y voilà ! » s’exclama-t-elle après avoir traversé un terrain très dense en végétation.

Si Lili se contentait simplement de regarder ce qu’il y avait devant elle, elle ne verrait probablement pas grand-chose mis à part des échelles en cordes et des petites cabines destinées à monter des provisions… dans des cabanes nichées dans les arbres !

« On se rejoint en haut ! »

N’ayant pas très envie de prendre l’échelle, Neelahn préféra se transformer en colibri. En moins d’une minute, la druidesse était perchée dans sa demeure. La tête penchée dans le vide, elle cherchait des yeux sa nouvelle amie afin de voir comment elle s’en sortait.
La demeure de Neelahn ne possédait rien d’exceptionnel. Simple cabane faite en bois, la maison perchée dans les arbres étaient recouvertes de feuilles de vigne. A l’intérieur, des pots de fleurs trainaient un peu partout. Néanmoins, ce qui aurait pu frapper tout visiteur était la pagaille qui y régnait. En effet, lorsque Neelahn était revenue dans sa maison pour prendre les ustensiles pour Lili, elle y avait semé le désordre. Des vêtements trainaient ici et là, les meubles étaient tous ouverts, des couverts étaient éparpillés sur le sol, …
Et au fond de la petite cabane se trouvait Tigrou, le tigre blanc de Neelahn. Celui-ci faisait la sieste sur le lit de la druidesse et lorsque cette dernière s’en aperçut, elle lui jeta une de ses bottes qui trainaient par terre.

« Debout fainéant et viens dire bonjour ! »

… mais le tigre, après avoir levé la tête et ne voyant rien se pointer, reparti aux pays des rêves…
Après avoir soufflé sur l’une de ses mèches qui lui couvrait la vue, elle contempla avec dépit son ami et baissa à nouveau la tête dans le vide.

« Dépêche-toi, il faut que je te montre Tigrou ! »

Quand Lili arriva dans la cabane, Neelahn se releva et entreprit de ranger le bazar qu’elle avait semé un peu plus tôt. Contrairement aux apparences, la druidesse était de nature soignée mais avait un certain don pour mettre du désordre en un temps record.

« Regarde, c’est lui Tigrou ! »

Après avoir ramassé quelques objets trainant au sol pour les ranger dans un petit placard, la druidesse vînt s’asseoir à côté du tigre et lui gratouilla affectueusement le dessus de la tête. Un peu mécontent qu’on vienne le déranger, le félin donna un coup de patte à son amie qui recula vivement. Tigrou n’était pas agressif mais il ne contrôlait pas toujours sa force… et il n’était pas forcément très sage de le provoquer.
Toutefois, quand le tigre daigna ouvrir un œil, Neelahn revînt à l’assaut et le serra dans ses bras. Il se laissa faire car elle était son amie mais on voyait nettement qu’il aurait aimé qu’on ne le secoue pas trop.

« T’es tout doux. Allé, viens dire bonjour à ma nouvelle amie. »

Mais comme d’habitude, Tigrou n’en fit qu’à sa tête. Levant les yeux vers la nouvelle arrivée, le félin la dévisagea pendant quelques secondes avant de détourner le regard comme si elle n’était rien de plus qu’une statue quelconque. Neelahn avait beau rouspéter, Tigrou ne céda pas. Ce n’était pas un chien domestique et elle le savait…
Cependant, pour une raison inconnue, elle s’entêtait toujours à vouloir lui apprendre les bonnes manières. Avec le temps, le tigre blanc était devenu plus « civilisé » mais il était impossible de lui dicter sa conduite. Après tout, c’était un gros félin…

« Tu peux t’asseoir à côté de lui et lui faire des câlins pendant que je range mes affaires. »

En effet, même sur les chaises Lili ne pouvait pas s’asseoir. Neelahn y avait entassé des vêtements qu’elle se dépêchait de ranger dans une vieille malle. Elle voulait mettre un peu d’ordre chez elle afin de déjeuner tranquillement.
Et pendant qu’elle rangeait ses affaires, Tigrou avait sauté du lit et tenter d’accrocher le regard de l’elfe. Mais trop occupée, l’elfe n’aperçut pas les appels muets du félin qui voulait descendre de la cabane. Comme tous les animaux à quatre pattes, Tigrou ne pouvait pas monter et descendre tout seul de ces maisons situées dans les arbres. Il fallait entrer dans la petite cabine destinée à hisser les provisions.
Bien entendu, il existait aussi des maisons et des camps situés sur le sol. A vrai dire, il y en avait pour tous les goûts mais les druides qui pouvaient se métamorphoser en oiseau préféraient généralement se percher dans les arbres. Après avoir remonté les échelles de cordes, on était presque sûr que personne ne viendrait vous poignarder durant votre sommeil.

Le tigre blanc n’aimait pas beaucoup la demeure de son amie car il dépendait d’elle pour monter ou descendre. Alors, la plupart du temps, il restait au sol.
Et puisque Neelahn était bien trop occupée pour daigner lui jeter un coup d’œil, il se tourna vers Lili. S’approchant lentement d’elle pour ne pas lui faire peur, il la poussa doucement avec sa tête vers la sortie. Il tourna ensuite la tête vers la cabine et regarda Lili avec de grands yeux implorants. Et qui sait, peut-être que celle-ci pourrait passer sa main dans la fourrure du tigre si elle acceptait de l’aider à descendre de ce perchoir.

« Alors qu’est-ce que tu veux manger ? Il reste du ragoût, de la viande rôtie, des biscuits salés, une tourte à la viande, un peu de soupe, … Si tu veux quelque chose, tu te sers. Fais comme chez toi. » lançait Neelahn pendant que Tigrou tentait de convaincre Lili.

Tigrou donnait l’impression à Neelahn de devenir de plus en plus peureux avec le temps. A plusieurs reprises, il avait refusé de monter dans la cabane avec elle. Devoir sans cesse quémander de l’aide pour monter et descendre n’avait rien de très digne pour un félin tel que lui. Et puis, il avait été traumatisé la fois où, par inadvertance, la druidesse avait lâché pendant une fraction de seconde la corde qui servait à descendre la cabine. Heureusement que le système de poulie avait été étudié pour l’empêcher de se fracasser au sol et que Neelahn avait eu de décence de reprendre ses esprits assez tôt. Pendant un bref instant, le tigre avait bien cru que son heure était arrivée et espéra par la suite que jamais il n’aurait à périr dans des circonstances aussi grotesques. Quoi qu’il en soit, ce jour-là, Tigrou avait eu la peur de sa vie et n’avait pas manqué de le faire comprendre à son amie qui mis plusieurs semaines avant de se faire pardonner. Mais au moins, depuis ce jour-là, Neelahn se montrait plus méticuleuse et avait moins la tête dans les étoiles.

Lorsqu’il sentit la cabine descendre de manière hachée, Tigrou leva la tête vers Lili, le regard rempli de haine. La mage rouge n’aurait pas intérêt à descendre toute seule de son arbre si elle ne voulait pas se faire croquer toute crue.
Tournant en rond comme un animal en cage, le tigre blanc était nerveux. Habituellement, les cabines servaient à monter des provisions qui étaient généralement plus légères que lui. Lorsqu’une personne ne pouvait pas emprunter l’échelle de cordes, elle entrait dans une d’entre elles et attendait de se faire hisser. Cependant, il ne fallait pas croire que toutes les cabines étaient capables de supporter le poids d’une personne...

« Lili ? Qu’est-ce que tu fais ? »

Neelahn était occupée à ranger des vases lorsqu’elle entendit la réponse évasive de la jolie demoiselle.
Intriguée, la druidesse s’était retournée et, ne voyant personne, elle sortit de sa cabane.
Elle aperçut alors la mage rouge, en train de descendre le félin.

« Oh non ! Qu’est-ce que tu fais ? Il manque une corde ! »

D’habitude, deux cordes étaient entremêlées ensemble à la cabine mais puisque l’une d’entre elle commençait à s’user, on avait décidé de la retirer pour en mettre une nouvelle.
D’ailleurs, la cabine n’aurait pas dû être perchée en haut de l’arbre mais Neelahn en avait eu besoin pour monter quelques affaires et avaient oublié de la redescendre au sol afin que les druides puissent mettre une nouvelle corde.

La tête penchée dans le vide, la druidesse était soulagée d’habiter à seulement cinq mètres du sol. La cabine toucha la terre sans se briser et la corde était intacte.
Tigrou y sortit à toute vitesse et s’empressa de quitter les lieux après avoir jeté un regard furibond à Lili comme si tout était de sa faute. Voyant cela, Neelahn posa une main réconfortante sur l’épaule de la mage. Elle savait bien qu’elle n’y était pour rien et qu’elle avait seulement voulu rendre service.
De plus, malgré une descente secouée, Tigrou était parvenu au sol saint et sauf. La druidesse ne comprenait donc pas vraiment pourquoi il s’était emporté ainsi. Peut-être était-ce dû à cette fois où elle avait failli le tuer sans faire exprès…

« J’avais pour projet d’habiter plus haut mais je crois que ça sera sans lui… »

En effet, après être passé au rang d’Ermite, on lui avait proposé de changer de demeure. Elle qui aimait la hauteur, on lui avait proposé de réaménagé la cabane située à plusieurs mètres au-dessus de celle qu’elle possédait déjà.
Évidemment, elle avait accepté mais il fallait faire quelques travaux avant de pouvoir y habiter.

« Je te la montrerai tout à l’heure si tu veux. En tout cas, c’est sûr, Tigrou est parti pour faire la tête pendant au moins une semaine. »

Plissant les yeux, Neelahn tentait de voir quelle direction avait prit Tigrou. Lui courir après ne servirait à rien. Il était en colère contre les deux femmes et même si Neelahn n’avait qu’une petite part de responsabilité dans cet incident, elle restait tout de même fautive ; si elle avait daigné se retourner vers le tigre lorsqu’il lui avait quémandé de l’aide, elle aurait alors immédiatement vu qu’il manquait une corde à la cabine.
A côté d’elle, la mage rouge déversait un flot d’excuses. Pourtant, ce n’était pas elle qui avait voulu descendre de l’arbre. Au lieu d’attendre que son amie ait fini ce qu’elle avait à faire, ce bon vieux chat avait préféré demander de l’aide à une étrangère dont la vie en forêt ne devait pas lui être très familière.
Esquissant un léger sourire devant les propositions de Lili, Neelahn tourna ensuite lentement la tête de gauche à droite.

« Non, ça ne lui fera pas changer d’avis. Il n’aime pas la hauteur. Tu n’y es pour rien. »

Elle aurait même voulu ajouter que c’était de sa faute car c’était elle qui l’avait forcé à venir vivre avec elle dans sa cabane. L’elfe savait pertinemment que le tigre blanc détestait la hauteur. De manière générale, il n’appréciait pas les endroits où il n’était pas maître de ses mouvements. Et malgré cela, Neelahn l’avait tout de même incité à venir passer du temps avec elle dans sa cabane, se disant qu’avec le temps, il finirait par s’y habituer. Une nouvelle fois, elle eût la triste preuve qu’elle s’était lourdement trompée.
Mais en attendant, Tigrou se portait bien. Il avait juste eu une petite frayeur. Optimiste, Neelahn songea qu’il finirait par revenir vers elle. Il leur arrivait parfois d’être en désaccord mais cela ne les empêchait pas de bien s’entendre la plupart du temps.

« L’essentiel, c’est qu’il va bien. Le jour où tu lui feras un petit bobo, je te laisserai pleurer et même t’insulter si tu veux. Mais là, il est en parfaite santé et puis, tu aurais pu le descendre tout en douceur s’il ne passait pas son temps à s’empiffrer. Encore une fois, tu n’y es pour rien. Allé, viens, on va manger. »

Attrapant le poignet de Lili, Neelahn la tira avec elle à l’intérieur de la cabane. Elle la lâcha ensuite pour sortir les couverts et les restes de la veille.

« Si tu préfères manger chaud, on peut descendre et allumer un feu. »

Du doigt, Neelahn désigna un bol de ragoût et un bol de soupe. Il y avait aussi un peu de viande ainsi qu’une demi-tourte. Puisque faire du feu dans sa cabane en bois était dangereux, l’elfe avait prit l’habitude de manger froid, même s’il lui arrivait parfois de descendre de son arbre pour tenir un bol chaud entre ses mains.
Cependant, en repensant à la manière dont Tigrou avait détalé, l’elfe songea qu’il serait peut-être plus sage pour Lili de rester dans la cabane car le tigre serait bien capable de lui croquer une jambe rien que pour se venger de la petite frayeur qu’elle lui avait fait subir.
Après avoir refermé ses doigts sur une louche, Neelahn entreprit donc de servir la jolie demoiselle sans attendre une réponse de sa part. Sa façon de verser le ragoût dans son assiette fut d’ailleurs implicite et laissa deviner ce que la druidesse pensait. Lili était très bien ici. A la limite, peut-être pourrait-elle grimper un peu plus haut dans les arbres.

« …et tu as intérêt à tout finir ! »

Neelahn savait que Tigrou ne lui ferait rien car depuis leur rencontre, elle n’avait cessé de veiller sur lui. Quant à Lili, c’était une autre histoire et la druidesse n’était pas certaine qu’elle aurait été en mesure de raisonner le félin. Peut-être valait-il donc mieux attendre que le bon vieux chat calme…
Après avoir versé une nouvelle louche de ragoût dans l’assiette de Lili, elle lui donna un petit morceau de viande ainsi qu’un part de tourte, se disant que le temps qu’elle finisse d’avaler tout ça, Tigrou se serait peut-être calmé…

Après avoir copieusement servi Lili, Neelahn s’assit sur une chaise et déversa une grosse louche de ragoût dans une assiette. Les yeux plus gros que le ventre, elle avait souvent bien du mal à estimer la capacité de nourriture dont elle serait capable d’engloutir. Mais mieux valait en avoir trop à manger que pas assez, n’est-ce pas ?
Sa fourchette vînt piquer un morceau de viande. Savourant lentement la nourriture comme un fin gourmet, Neelahn se demandait si les druides allaient encore préparer le dîner ou si elle allait devoir se débrouiller toute seule. La druidesse aimait manger mais elle n’était pas très douée pour la cuisine. Elle savait certes mijoter de bons petits plats mais ceux de ses collègues étaient mille fois meilleurs !

Et tandis qu’elle savourait silencieusement son repas, Lili lui posa une question à propos de Tigrou. Levant la tête de son bol pour fixer la mage, Neelahn se disait que, devant son repas, elle avait presque oublié l’incident qui venait de se dérouler.
Pendant un instant, la druidesse se demandait si Lili s’en voulait encore. Après l’avoir entendu s’excuser des dizaines de fois, Neelahn n’aurait pas été étonnée de la voir remettre sur table le sujet. Elle avait l’air de se sentir terriblement coupable et l’elfe ne savait plus quoi faire pour lui faire comprendre qu’elle n’y était pour rien.
Pourtant la seconde question de Lili lui indiqua qu’il ne s’agissait pas de cela. A sa grande surprise, la mage rouge se montra très curieuse à propos des relations qu’il pouvait exister entre un bipède et un animal.

« Quelle drôle de question… »

Penchant la tête sur le côté, Neelahn fixait Lili, comme si elle se demandait si la mage rouge lui cachait quelque chose. Mais que celle-ci se rassure. La réponse de Neelahn n’avait rien de moqueur. Tout simplement, elle se demandait pourquoi Lili lui avait posé cette question. Pour Neelahn, c’était plutôt inhabituel de demander ce genre de chose.

« On dirait que tu considères les animaux comme des êtres à part. Pourtant, ils sont comme nous. »

Croisant les jambes sur sa chaise pour s’asseoir en tailleur, la druidesse se dandinait doucement de gauche à droite. Elle n’était pas très douée pour expliquer et la question de Lili lui paraissait tellement existentielle.
Fixant la jolie demoiselle du regard, Neelahn tentait de trouver les bons mots. C’était la première fois qu’on lui posait cette question à laquelle elle ne s’était jamais interrogée auparavant. Mais en y repensant, il paru logique que Lili ait fini par la questionner à propos des affinités que l’on pouvait avoir les animaux. La jolie demoiselle était une mage rouge qui passait le plus clair de son temps à observer par la fenêtre de sa grande tour des oiseaux voler. Elle n’avait donc aucune expérience avec la Nature.

« Contrairement à nous, les animaux sont plus indépendants. Ils se suffisent à eux-mêmes et n’ont pas besoin d’aller voir les autres. Après, il est certain qu’apprivoiser un dragon est plus compliqué de dresser un chien mais cela reste tout de même possible… Chacun son caractère et son histoire… »

La druidesse aimait les animaux et peut-être était-ce pour cette raison qu’elle préférait les laisser à leur place. Quant à Tigrou, il avait décidé de vivre avec l’elfe de son plein gré. A aucun moment lors de leur rencontre elle n’avait essayé de le convaincre de rester avec elle. Il avait fait ce choix de lui-même.

« Tu pourrais aussi te demander comment tu te fais des amis… C’est pareil. »

La question de Lili donna l’impression à Neelahn de lui avoir répondu à côté de la plaque. En même temps, il n’aurait pas été faux de dire qu’elle ne lui avait pas encore raconté dans quelles circonstances elle avait rencontré Tigrou.
Fouillant dans ses souvenirs, la druidesse tenta donc de se remémorer le premier jour où elle avait vu ce bon vieux félin. A force de le côtoyer tous les jours, elle avait fini par avoir la sensation que Tigrou avait toujours été à ses côtés.
Et tandis que Neelahn réfléchissait, Lili ajouta quelques mots qui la firent sourire. Puisque la jolie demoiselle faisait partie de l’ordre des mages rouges, la druidesse la pensait donc inculte de la vie en forêt. Alors, quand elle entendit sa remarque, Neelahn se félicita d’avoir réussi à faire comprendre rapidement comment fonctionnait les affinités entre les animaux et les bipèdes. Évidemment, il fallait également ajouter l’esprit ouvert de Lili facilitait aussi la compréhension. Sans ça, la druidesse aurait probablement pu parler avec un mur et avoir les mêmes effets.

« Tu peux ramener les restes chez toi si tu veux. »

Le compliment de Lili à propos de la nourriture avait fait sursauter Neelahn.
Regardant son assiette, la druidesse s’aperçue alors qu’elle n’avait pas mangé grand-chose. En voyant le ragoût, son ventre se mit à gargouiller. Comment avait-elle pu faire pour oublier pendant un instant qu’elle avait faim ?
Piquant sa fourchette dans son bol, elle avala un quart de son contenu comme une affamée pendant que Lili lui faisait des louanges à propos de sa cuisine. L’elfe failli s’étouffer en entendant cela. Elle appréciait qu’on lui dise des choses gentilles mais là, ce n’était pas elle qu’il fallait féliciter !

« J’aime manger mais ce n’est pas moi qu’il faut complimenter. »

D’un geste du menton, elle désigna toutes les cabanes qui entouraient la sienne. Un jour, lorsqu’elle en aurait l’occasion, il faudrait qu’elle leur demande à tous comment ils faisaient pour préparer des plats aussi délicieux et avec si peu d’ustensile. A Naturalia, Neelahn avait eût l’occasion de voir comment les gens travaillaient en cuisines. Ils avaient des chaudrons de toutes les tailles, des cuillères de plusieurs dimensions et d’immenses tables où ils pouvaient éplucher leurs fruits et légumes. Dans la forêt, il n’y avait pas d’espace aménagé rien que pour préparer à manger (à part peut-être un tout petit espace où l’on pouvait faire cuir du pain…). Les druides se posaient ici ou là et faisaient ce qu’ils avaient à faire, tout simplement. Ils ne s’embarrassaient pas crier des ordres, ni à sortir une dizaine de bols et assiettes de différentes tailles.

« C’est en aidant son prochain que l’on se fait des amis. »

Neelahn venait de répondre de manière assez évasive aux questions de la mage rouge. La druidesse commençait à se demander si Lili recherchait quelque chose en particulier. Ses interrogations et remarques ne semblaient pas anodines et destinées seulement à meubler la conversation. Et comme la druidesse savait qu’elle ne faisait pas l’unanimité dans sa grande tour, elle finit par se demander si la jolie demoiselle ne serait pas en quête d’un petit compagnon.

« Dans les cités comme Naturalia, il y a pleins de chatons et chiots abandonnés… »

Si Lili voulait apprivoiser un animal, il valait mieux pour elle qu’elle ne s’y prenne avec les bébés. En effet, les jeunes bêtes s’adaptent plus facilement. Et même si Neelahn était d’avis de laisser les animaux en paix, mieux valait recueillir chez soi un pauvre petit abandonné que de le laisser se débrouiller tout seul dans un milieu hostile.
Et puis, de manière générale, les chats et les chiens aimaient les grandes cités comme Naturalia et conviendraient mieux à une personne comme Lili. Les tigres, ça avait besoin de grands espaces et c’était grognon.

Neelahn resta dubitative devant la proposition de la mage rouge. Elle lui avait simplement proposé de ramener quelques restes chez elle car Lili lui était sympathique. De plus, la druidesse n’était pas en mesure de tout avaler avant que la nourriture ne se mette à périmer, alors à quoi bon laisser tous ces petits plats moisir chez elle ?
Contrairement à Lili, Neelahn ne possédait pas cette contrainte de « donnant-donnant ». Elle offrait pour faire plaisir, par pour recevoir quelque chose en retour. D’ailleurs, c’était bien sur ce principe que reposait la générosité, n’est-ce pas ?
Cependant, Lili lui avait proposé de lui confier une recette de cuisine en échange des aliments qu’elle ramènerait chez elle. Curieuse d’en savoir un peu plus, Neelahn ne pouvait donc qu’accepter cet échange, surtout si la recette se révélait aussi simple à faire qu’elle le prétendait.

« D’accord. » souffla-t-elle donc en affichant un air pas très convaincu.

Elle écouta ensuite les traitements que les citadins infligeaient aux animaux dans les cités. Cela ne lui fit ni chaud ni froid puisque ce discours ressemblait à ceux qu’on lui avait répéter des centaines de fois. Restant donc impassible devant les paroles de Lili, Neelahn tâchait de terminer son ragoût.
Au final, la mage rouge ne lui aura pas clairement révéler ses intentions et peut-être que la druidesse se trompait totalement quant aux hypothèses qu’elle avait émis. Mais si Lili ne voulait pas lui révéler le fonds de ses pensées, la druidesse n’allait pas la forcer à parler. Ce n’était pas son genre.

« Je n’ai jamais réellement su pourquoi Tigrou avait décidé de me suivre partout… Mais bon, nous sommes dans la forêt, chacun vit sa vie de son propre côté. La plupart du temps, je ne sais même pas ce que ce bon vieux matou fabrique. »

Une moue boudeuse sur le visage, Neelahn découpa sa viande à l’aide d’un couteau. Elle savait bien que Tigrou ne pouvait pas être en permanence avec elle mais l’elfe appréciait sa présence. Il lui tenait compagnie, même si parfois l’elfe se demandait s’il s’ennuyait un peu avec elle. Ils n’avaient pas les mêmes centres d’intérêts si ce n’est qu’ils aimaient tous les deux manger. Et encore. Tigrou ne possédait pas le même régime alimentaire que Neelahn.
Quoi qu’il en soit, elle espérait que celui-ci ne continuerait pas à faire la tête trop longtemps. Elle aimait chasser avec lui, même si le butin qu’il ramassait n’était que peu partagé.
Et en réalité, cela ne l’embêtait pas de voir son ami s’éloigner d’elle pour aller vaquer à ses occupations. Ce qui l’ennuyait, c’était de le voir partir en de mauvais termes car elle se demandait à chaque fois s’il allait revenir vers elle. L’elfe savait qu’elle était parfois difficile à supporter. Elle adorait le serrer dans ses bras alors lui préférait qu’on le laisse respirer. Elle aimait aussi lui parler de tout et de rien alors lui s’en fichait un peu.
D’ailleurs, avait-il vu qu’elle avait changé de couleur de cheveux ?

« … ce qui est sûr, c’est que je me sens bien mieux dans la forêt que dans les cités… » dit-elle subitement.

Si elle avait vécu à Bénécius ou Naturalia, il aurait été certain que Tigrou ne serait pas devenu son ami car le territoire ne convenait pas pour un félin tel que lui. Et même si sa remarque n’avait pas vraiment de lien avec ce qu’elle venait de dire un peu plus tôt, Neelahn avait tout de même cru bon de faire part de ses pensées à Lili.

« … parce que si j’avais vécu à Naturalia, je crois que pleins de chats gambaderaient chez moi et les gens me prendraient pour une folle… Qu’en penses-tu ? »

Neelahn s’empressa de prendre un morceau de parchemin, de l’encre et une plume. Puis, après avoir fait de la place sur sa table, elle déposa le tout et s’appliqua à noter la recette que Lili était en train de lui dicter.

« Du miel ? »

Du sucre dans une omelette ? Voilà qui était bien curieux. La seule fois où Neelahn avait eu l’occasion de manger un mélange aussi étrange, ce fut à Naturalia. Elle avait commandé dans une auberge du poulet au miel. Elle se souvînt de s’être régalée. D’elle-même, l’elfe n’aurait jamais osé mettre autre chose que des fruits ou des herbes avec de la viande.
Loin d’être une parfaite cuisinière, Neelahn préférait ne pas s’aventurer sur des terrains inconnus. Lorsqu’elle mettait la main aux fourneaux, elle préparait toujours des plats classiques. Le goût n’était pas forcément exceptionnel mais au moins, le contenu de ses assiettes avait le mérite d’être consommable et de remplir correctement les ventres affamés.
Faire des mélanges sucrés/salés n’était donc pas dans ses habitudes. D’ailleurs, elle ne l’était pas non plus pour tous les druides qui vivaient avec elle. Ici, dans la forêt, on ne s’embêtait pas à faire des expériences culinaires. Certains druides, dont l’animal totem se révélait être un animal carnivore, ne s’embarrassait même pas avec les poêles et mangeait de la viande crue…

« Je donnerai ta recette à Catelyn… »

Catelyn était la meilleure cuisinière du clan et saurait sans doute réaliser la recette de Lili à merveille. Ayant de peur de mettre trop de gingembre ou pas assez d’œufs, Neelahn préférait laisser son amie tester la recette pour lui indiquer ensuite les bonnes proportions à mettre. La réalisation ne semblait pas compliqué mais Neelahn n’avait pas beaucoup d’affinité avec la cuisine et préférait être prudente. Après tout, si elle ratait son omelette, elle serait obligée de l’avaler toute seule et il en était hors de question !

Neelahn esquissa ensuite un petit sourire lorsque Lili lui avoua son désir de voir comment elle se comporterait si elle devait vivre dans une cité comme Naturalia. A voir comment elle avait formulé cela, la druidesse était persuadée qu’aux yeux de Lili, la vie qu’elle aurait pu potentiellement mener serait comique.
Des fois, Neelahn tentait de s’imaginer comment aurait pu être sa situation si elle avait vécu dans la cité des mages rouges. Peut-être n’aurait-elle pas eu le même caractère que présentement peut-être aussi que les habitants l’auraient pris pour une excentrique. L’elfe était quelqu’un qui avait besoin d’espace et de verdure. Avec toutes ces briques que l’on trouvait à Naturalia, elle se disait qu’elle aurait certainement fini par tapisser sa demeure de pelouse, fleurs et plantes grimpantes. Mais surtout, la druidesse se disait qu’elle n’aurait pas été très heureuse dans un endroit aussi « civilisé ».

« Oh ! Oui, c’est vrai ! Je n’y suis jamais allée en plus. Viens ! Ça va être l’occasion de la voir ! On m’a dit que la cabane était plus grande que celle que j’ai en ce moment. »

Après avoir terminé rapidement son assiette, Neelahn sortit de chez elle et se dirigea vers une échelle en cordes. Il valait mieux ne pas avoir le vertige car la future demeure de la druidesse se situait très haut par rapport au sol. D’ailleurs, à cette hauteur là, la plupart des cabanes appartenaient à des druides capables de se transformer en oiseau. Si jamais un quelconque problème survenait, il valait mieux avoir des ailes que des jambes. Et puis, grimper plusieurs dizaines de mètres chaque jour pour rentrer chez soi ou pour atterrir sur terre était si fastidieux qu’il n’était pas compliqué de deviner quelle genre de personne avait eu l’idée de construire des cabanes situées aussi haut…

« Hey bah… Je ne m’étais pas imaginée que c’était aussi haut… »

Essoufflée, Neelahn était contente d’être arrivée dans sa future demeure. La vue était magnifique. Quant à la cabane, elle reposait sur deux arbres voisins. La personne qui avait conçue cette cabane devait certainement être folle. Un citadin aurait certainement trouvé que la superficie était minuscule. Mais Neelahn n’avait seulement besoin que d’un endroit où dormir et elle trouvait que sa future cabane était immense. Il y avait même un petit coin où elle pourrait faire du feu sans enflammer toute la forêt.
Mais avant de s’installer, il faudrait retaper la porte, réparer le toit et surtout… enlever toutes ces plantes qui trainaient partout ! De la mousse recouvrait la surface des meubles, des plantes grimpantes ornaient les murs du bâtiment, … En plus de cela, des insectes en tout genre y avaient élu domicile.

« Regarde comme c’est joli ! »

Pour l’instant, la cabane avait des airs de bâtiment abandonné depuis des siècles. Quelques poutres reposaient ici et là. Les rayons do soleil traversaient le toit troué pour éclairer un tas de pot de fleurs renversées par le vent, …

« Oh regarde cette fleur ! Elle est immense ! »

La « fleur » dont parlait Neelahn ressemblait à une tulipe légèrement plus grande qu’un humain. Elle ne possédait pas de tige apparente mais qui sait, avec tout ce désordre, il aurait été impossible le confirmer.
Curieuse, Neelahn s’approcha donc de l’immense plante dans le but de faire connaissance.

« C’est marrant ces espèces de petites épines tout autour des pétales… »

Neelahn hocha une fois de la tête. Lili pouvait bien compter sur elle pour lui donner des nouvelles de la recette qu’elle venait de lui donner. La druidesse était impatiente de tester cette fameuse omelette. Même si elle venait de déjeuner, l’elfe n’aurait pas refusé un petit morceau d’œuf passé à la poêle avec du miel, du gingembre et de la cannelle.
A vrai dire, elle aurait même voulu tester la recette sur le champ mais se sachant maladroite en cuisine, elle préférait que Catelyn lui indique précisément quelles gestes à faire. Et pour cela, Catelyn devait d’abord essayer la recette dans son coin avant de lui montrer les bonnes proportions à mettre pour son omelette.
Peut-être que Neelahn pourrait ensuite les communiquer à Lili, histoire de comparer. D’ailleurs, elle aurait même pu lui demander pendant qu’elle griffonnait la recette sur son parchemin. Cependant, elle ne voulait pas influencer l’instinct de Catelyn .Comme la plupart des gens, la femme y allait à la louche, chose que Neelahn ne comprenait pas. Avec elle, la cuisine à la louche se terminait automatiquement en une grosse chose informe et ragoûtante.

Tout comme Lili, Neelahn songea que de toute manière, elle devrait la recontacter si elle voulait avoir ses « bases » pour confectionner les potions pour ses cheveux. La druidesse eût cette pensée lorsqu’elle grimpa l’échelle en cordes. Pas vraiment habituée à escalader un arbre de cette façon, elle préféra donc évoquer le sujet des potions une fois qu’elle serait arrivée en haut, se disant que Lili aussi devait avoir un peu de mal à gravir l’échelle. Pourtant, il ne s’agissait que de quelques dizaines de mètres. S’il avait fallu les parcourir à pieds, Neelahn n’aurait eu aucun souci et aurait atteint son but en moins d’une minute. Mais là, sur cette échelle de cordes, il fallait solliciter la force des bras et des jambes. La druidesse aurait tout simplement pu se transformer en colibri mais cela aurait impliqué de se retrouver nu comme un vers une fois arrivée dans le cabane et ce n’était pas très solidaire vis-à-vis de la mage rouge qui n’avait pas la capacité de se métamorphoser en oiseau.

Et une fois arrivée dans sa future demeure, Neelahn en fut tellement fascinée qu’elle oublia de parler à Lili des potions pour les cheveux.
Intriguée par une tulipe géante, Neelahn s’était approchée pour en titiller une pétale avec son index. Et lorsque Lili lui cria de faire attention à cette fleur, il était déjà trop tard. Avant même que la druidesse eût le temps de réagir, la tulipe ouvrit grand la bouche et la goba toute entière. Surprise, Neelahn se transforma en colibri tandis la fleur refermait déjà sa grande gueule.
Cependant, elle ne devait pas apprécier la texture plumeuse de Neelahn – ou son bec pointu ? - car après l’avoir retournée deux ou trois fois dans sa bouche, elle finit par la recracher comme un pépin de raison. Propulsée à l’air libre, l’elfe atterri sur le sol à quelques mètres de la tulipe. Couverte de bave, elle avait du mal à ouvrir les yeux et impossible de battre des ailes avec toute cette texture visqueuse sur son corps.
Un rot gracieux se fit ensuite entendre alors que la tulipe n’avait rien avalé. En entendant cela, Neelahn haussa un sourcil après avoir reprit sa forme elfique. Mais qu’était-ce donc cette plante qui rotait et qui… pétait ? Après avoir entendu le bruit caractéristique d’un pet, une petite brume verdâtre apparue. L’odeur n’était pas insupportable mais un parfum désagréable flottait dans les airs.

« Lili ? »

En prononçant ces malheureuses syllabes, un peu de bave coula entre les lèvres de Neelahn. Dégoûtée par le goût, elle se mit à cracher. Elle tenta également de s’essuyer les yeux mais n’en eût pas vraiment l’occasion car, tout comme la mage rouge, une liane vînt s’enrouler autour de ses chevilles pour la secouer comme un pruneau dans les airs.

« Je me sens pas très bien. Je sens que je vais vomir... » articula-t-elle difficilement.

Blessée ? Non, Neelahn n’était pas blessée. En revanche, elle avait été effroyablement écœurée par son petit séjour dans la gueule de la grosse tulipe. Couverte de bave, elle se faisait agiter dans les airs comme un ruban. L’accumulation de tous ces détails lui donnait des envies de vomissement. Le teint pâle, peut-être pourrait-elle se transformer à nouveau en oiseau pour se sentir de cet enfer. Cependant, à force d’être secouée dans tous les sens, la druidesse hésita à se métamorphoser. Elle avait le tournis et ne se sentait pas vraiment capable de battre des ailes, surtout lorsque sa tête vînt percuter de plein fouet une branche d’arbre…
A moitié assommée, Neelahn tentait de chercher Lili. Elle entendait sa voix, ce qui était bon signe puisque cela signifiait que la mage rouge était toujours vivante. Néanmoins, impossible de voir sa tignasse. Mais où était-elle donc passée ?

« Oh tu crois ? Moi j’aime bien ce côté vivant et chaleureux. » répliqua-t-elle lorsqu’elle entendit le commentaire railleur de la jolie demoiselle.

Si la tulipe n’avait pas été aussi grosse, Neelahn l’aurait sûrement gardé dans un pot. Elle était jolie avec ses pétales dentés et ses lianes qui ondulaient dans tous les sens. Même si elle rotait et pétait, la plante restait très gracieuse – du point de vue de l’elfe, bien évidemment -.
Et comme elle l’avait recraché aussitôt après l’avoir gobé toute entière, Neelahn se demanda si, finalement, cette plante était carnivore. Peut-être qu’elle l’était mais n’avalait que des mouches et moustiques. Après tout, à cette hauteur, comment aurait-elle pu devenir si grosse sans viande ? Il avait bien fallu qu’elle se nourrisse avec autre chose que de la chair pour atteindre cette taille gigantesque, n’est-ce pas ?

Contre toute attente, l’énorme tulipe cessa d’agiter Neelahn comme un hochet. Celle-ci, n’en pouvant plus, avait cessé de remuer dans tous les sens et c’était peut-être cela qui avait incité la plante à arrêter de la martyriser. En voyant cela, la druidesse se demanda si fleur n’était pas tout simplement en train de s’amuser avec ses nouveaux visiteurs.

« T’es du genre facétieuse toi, hein ? »

Pour toute réponse, Neelahn eût droit à un nouveau rot disgracieux. Les pétales remuaient légèrement, donnant l’impression que la plante était en train de rire.
Puis, apparemment fatiguée – ou ennuyée -, elle posa la druidesse avec une surprenante délicatesse dans la cabane. Stupéfiée, Neelahn regarda cette grosse tulipe pendant quelques secondes, se demandant ce qu’elle devait en penser. Mais lorsqu’elle eût le malheur de faire un pas pour aller chercher Lili, la liane la saisie une nouvelle fois par la cheville. Et même si elle ne tentait plus de la secouer dans les airs, l’elfe ne pouvait plus avancer.

« Je suis fatiguée, je n’ai pas envie de jouer avec toi. Laisse-moi donc en paix. »

On aurait dit que la grosse tulipe comprenait ce que la druidesse lui disait car elle lui balança une de ses lianes dans la face. Heureusement que Neelahn eût le réflexe de se transformer en oiseau pour ré-atterrir un peu plus loin. Parcourant le plancher du regard, elle cherchait sa robe. Ne la voyant pas, elle se dit que c’était peut-être une des choses que la plante pouvait consommer.
Pointant un index accusateur, Neelahn ordonna à la plante de reposer Lili dans la cabane. Mais la tulipe semblait bornée et indisciplinée car pour toute réponse, elle péta et agita ses pétales. La druidesse voulu bouger mais elle l’en empêcha. En réalité, à chaque fois qu’elle tentait d’esquisser un geste, une liane venait la retenir.
Croisant les bras, Neelahn n’eût donc pas d’autre choix que de rester là comme un piquet. Elle cherchait un moyen pour se sortir de là sans réduire en miette cette grosse tulipe. Après tout, elle n’était pas maléfique et c’était la première fois que la druidesse voyait ce genre de spécimen. Elle trouvait cela donc dommage que de réduire en bouilli cette fleur pour la simple raison qu’elle se montrait un peu trop « enjouée ».

La future cabane de Neelahn avait des allures de vieilles ruines. Avec toutes ces plantes grimpantes, cette mousse qui tapissait le toit et ces plantes sauvages qui avaient grandi ici et là, il aurait été aisé de passer à côté sans la voir. Perchée en haut des arbres, il aurait non seulement fallu lever la tête mais aussi avoir un œil avisé pour remarquer cette petite maison.
Quant à son histoire, on avait raconté à Neelahn que la cabane avait été construire dans le but d’entreposer des affaires en tout genre. Comme elle était nichée bien haut au-dessus du sol, elle était censée être destinée aux druides qui vivaient à sa même hauteur. On y avait construit un pont la reliant ainsi à une cabane elle-même reliée de la même manière à une autre demeure. En fait, par mesure de sécurité et de praticité, il en fut de même pour toutes les cabanes situées à ce niveau.
Toutefois, comme les druides étaient peu matérialistes, la cabane fut rapidement abandonnée. On avait alors proposé aux membres de la communauté de venir s’y installer. Les uns après les autres, ils avaient tourné la tête de gauche à droite. La demeure, se situait bien trop haut et il n’aurait pas été sage de vivre à une hauteur si vertigineuse alors que son animal totem ne possédait que des poils et quatre pattes. Et puis, chacun avait déjà son chez soi et l’avait personnalisé selon ses envies.
Alors, quand Lili demanda à Neelahn qui était l’ancien occupant de la cabane, la druidesse haussa les épaules. S’il n’y avait pas eu cette plante puante et mal élevée, l’elfe aurait trouvé l’endroit romantique avec ces rayons de soleil qui s’infiltraient à travers les fenêtres et le toit troué. Quel dommage que les druides n’avaient pas su apprécier ce charmant bâtiment…

« M’obéir ? Mais pourquoi m’obéirait-elle donc ? »

Lili et Neelahn venaient d’entrer dans une phase où leur éducation et leur environnement ne leur permettaient plus de se comprendre malgré leur esprit ouvert. La mage rouge était une jeune femme tout à fait charmante mais des fois, ses questions étaient un peu étranges.
Ce n’était pas parce que la druidesse était en mesure de contrôler les plantes qu’elle était capable de toutes les plier selon sa volonté. De plus, elle n’était pas du genre à utiliser son pouvoir par simple envie d’exercer sa domination.
La grosse tulipe devant laquelle les deux femmes étaient confrontées était de nature si « sauvage » que même le chef des druides aurait bien eu du mal à lui faire entendre raison. Peu commune et de grande taille, elle semblait en plus être dotée d’une certaine forme de conscience que ne possédaient pas les autres plantes. Elle paraissait plus « humaine » que ses consœurs.

« Elle est de tout ce qu’il y a de plus naturelle et elle me dit qu’elle a… trop mangé. »

La fleur géante ne parlait pas mais envoyait des images à Neelahn. Elle lui narrait ainsi comment elle passait ses journées seule dans la cabane. Même si personne ne lui tenait compagnie, la plante était très heureuse. Et puis, on ne pouvait pas réellement dire qu’elle n’avait personne. La cabane était après tout reposée sur deux arbres mais la grosse tulipe indique à Neelahn qu’ils ne lui parlaient pas beaucoup car la trouvaient trop indisciplinée et étrange.

« Bah en même temps, si t’arrêtait de péter et de roter aussi… » répondit alors la druidesse.

Vexée, la plante lui balança une de ses lianes. Ne l’ayant pas vu venir, Neelahn fut projetée contre un des murs de la cabane qui se fissura légèrement. Finalement, il allait sans doute devoir entièrement la reconstruire si elle voulait y habiter…

« On dirait que ses pétales reposent sur un espèce de socle en forme d’étoile… » dit-elle ensuite à Lili en se relevant tant bien que mal tandis que sa nouvelle amie lui demanda si elle tenait à garder cette demoiselle impolie et puante. Et malgré son absence de réponse, celle que Neelahn venait de fournir à la mage rouge avait répondu implicitement à sa dernière question… D’ailleurs, peut-être ne valait-il mieux pas dire tout haut ce que l’on pensait de cette grosse tulipe. Elle paraissait si susceptible…

« C’est tout ? »

Neelahn avait toujours cru posséder une bonne connaissance de la flore et de la faune. Mais lorsque Lili lui expliqua comment il fallait s’y prendre avec la grosse tulipe, la druidesse se rendit compte qu’elle avait, en fin de compte, pleins de lacunes. Comment était-ce donc possible elle qui passait son temps à converser avec les fleurs et les arbres ?
Mais même si elle aurait bien voulu bouder un peu, le moment était mal choisi. De temps à autre, Neelahn apercevait la tête de la mage rouge à travers la fenêtre et devina que la plante devait la secouer dans tous les sens. Et quand son amie fut propulsée contre une des parois de la cabane, l’elfe sursauta. A ce rythme là, sa future demeure n’allait pas tarder à s’effondrer. Au final, la construction commençait à se faire bien vieille et la druidesse se rendit compte qu’il n’aurait pas été sage de venir y emménager sans avoir absolument[g] tout [/g] rebâti au préalable.

« Bon bah ça ne doit pas être trop compliqué… »

L’idée de donner un petit coup de pichenette à la plante plutôt que de la réduire en poudre séduisait Neelahn qui ne se voyait pas du tout arracher sauvagement les pétales de la fleur pour la rendre hors d’état de nuire. Et puis, les instructions de Lili semblaient faciles à exécuter et la druidesse se revoyait déjà redescendre dans sa demeure avec un grand sourire satisfait sur les lèvres.
Beaucoup trop optimiste et sûre d’elle, Neelahn fit donc quelques pas vers la plante, comme si elle s’apprêtait à aller ouvrir une armoire pour y prendre une robe. Une des lianes vînt alors s’enrouler autour de sa taille et la posa dans un coin de la cabane. La façon délicate dont la tulipe l’avait déplacé l’étonna. Si Lili n’avait pas été là, Neelahn aurait sans doute essayé de converser un peu avec elle mais sa pauvre amie se faisait secouer comme un pruneau et elle ne pouvait pas se permettre à la plante de continuer ainsi.

« Pose Lili par terre ! Ce n’est pas très gentil de l’agiter comme ça partout. Ce n’est pas un jouet ! »

Évidemment, l’énorme tulipe n’en fit qu’à sa tête.
Neelahn hésita tout de même pendant un instant à tenter d’engager la conversation mais le temps qu’elle réussisse à convaincre cette tête de mule, Lili aurait déjà recrachée tout le contenu de son déjeuner et aurait sans doute deux ou trois cotes cassées et quelques fractures ici et là.
Pour plus de facilité, Neelahn se changea donc en colibri et tenta de se diriger vers la base des pétales. Mais elle qui pensait que ce serait si facile fut déconcertée en voyant que la plante réagissait très vite. A maintes reprises, une des lianes manqua de l’aplatir au sol pour en faire une omelette. Un peu plus tôt, la plante avait été douce avec elle mais en voyant que Neelahn se rangeait du côté de Lili la Méchante Sorcière, elle changea aussitôt d’avis, ce qui était fort dommage car la druidesse aurait vraiment voulu sympathiser avec elle !

Zigzaguant à travers les lianes, Neelahn se disait qu’elle avait plutôt l’impression d’avoir à faire à une grosse pieuvre qu’à une plante.
Et à force de persévérance, la druidesse parvînt enfin à son but. La tulipe était rapide mais une plante est une plante et ne pourra jamais réagir de manière aussi vive qu’un oiseau.
Après avoir repris sa forme elfique, Neelahn se hâta de donner son petit coup de pichenette sous la branche. Elle ne connaissait pas les effets que cela aurait sur la tulipe mais à force d’être maltraitée ainsi, elle fini par n’en avoir que faire… surtout lorsqu’elle se sentit soulevée au-dessus du sol et jetée par la fenêtre comme un vulgaire pépin de raisin.

« Ça y… »

Neelahn n’eût pas le temps de terminer sa phrase qu’elle percuta déjà une branche d’arbre, puis une autre, et encore une autre… Elle aurait pu se métamorphoser en oiseau mais sonnée comme elle était, elle n’en eu pas l’occasion.
Finalement, son corps finit par tomber sur l’une des grosses branches du chêne qui soutenait sa future demeure.

« Lili… ? » articula-t-elle péniblement avant de voir des étoiles danser autour d’elle.

Si on lui avait dit que son corps s’était retrouvé aplati comme une crêpe, Neelahn se serait simplement contenté d’acquiescer.
Affalée sur le ventre sur sa branche d’arbre, ses membres lui faisaient un mal de chien à chaque fois qu’elle essayait de les bouger. Quant à son pied qui se trouvait dans une position étrange, elle se demanda s’il ne s’était pas brisé. D’ailleurs, à peine voulu-t-elle le bouger qu’elle étouffa un petit cri de douleur.
Finalement, Nelleahn se dit qu’elle ferait peut-être mieux de rester allongée sur sa branche et attendre sagement que quelqu’un ne vienne la chercher. Peut-être parviendrait-elle à faire la sieste pour oublier qu’elle avait mal…
Pourtant, elle ne parvenait pas à fermer les yeux car l’état de Lili la préoccupait. Comment son amie allait-elle ? La dernière fois qu’elle l’avait vu, la grosse tulipe la maintenant dans les airs avec une de ses lianes. Et maintenant que la plante était neutralisée, la druidesse se demandait dans quelles circonstances elle avait relâché la mage rouge.
Neelahn qui était de nature si optimiste craignait déjà le pire…

Alors, quand elle entendit la voix de Lili, Neelahn cru que son imagination jouait des tours et elle se maudit d’avoir écouté trop de contes pour petites filles lorsqu’elle était plus jeune. Au-dessus de sa tête – à moins que ce ne fut en-dessous ? -, elle entendit des branches d’arbres s’agiter. La druidesse pensait avoir anéanti la plante mais les bruits qu’elle pouvait entendre lui laissèrent croire qu’elle se trompait.
Résignée, Neelahn attendit alors sur sa misérable branche que la grosse tulipe ne vienne l’attraper par la taille et la secouer une nouvelle fois dans tous les sens comme un hochet. Elle ne se sentait plus capable de lutter et se dit que, peut-être que si elle faisait la morte, la plante la laisserait en paix. Fermant les yeux, elle essaya de contrôler sa respiration afin de bouger le moins possible.
Quelque chose atterri sur la branche où Neelahn était allongée mais celle-ci ne voulait pas voir ce qu’elle pensait être la tronche de cette ignoble fleur puante et pétante…

« Hein ? »

Ouvrant un œil, elle aperçut Lili penchée au-dessus d’elle. A première vue, elle ne semblait pas trop amochée, même si du sang coulait sur son visage. Au moins, la mage rouge n’avait pas la patte cassée. Et d’ailleurs, tant mieux car il aurait été bien difficile de la redescendre sur terre pour la guérir si tel fut le cas. Quant à Neelahn, elle pourrait toujours se métamorphoser en oiseau et se laisser porter jusqu’en bas… Mais pas tout de suite, car elle n’en avait pas vraiment la force.

« Maintenant, ça va super. »

Neelahn venait de vomir tout le contenu de son estomac après s’être penchée légèrement sur le côté pour ne pas éclaboussée sa branche d’arbre (car après tout, rien de pire que de reposer son visage sur du vomi…). Même si elle était un être de la forêt, la druidesse n’aimait pas du tout se faire secouer dans tous les sens. D’ailleurs, elle avait aussi vidé tout ce qu’elle avait dans son ventre lorsqu’elle fut face au dragon dans les sables mouvants. En effet, avec le vent produit par ses ailes, Neelahn se souvînt d’avoir été balloté dans tous les sens…
A aucun moment, la druidesse avait songé qu’elle aurait eu à revivre à nouveau cette expérience peu agréable en si peu de temps.

« Si ça t’embête pas, je vais rester un peu ici à câliner ce grand chêne. Tu connais le chemin pour descendre, hein ? »

D’un geste mollasson, elle laissa son bras pendre dans le vide, son index pointant le sol. Même si elle appréciait beaucoup Lili, Neelahn ne se sentait pas capable de la raccompagner jusqu’à la terre ferme. La mage rouge allait devoir se débrouiller toute seule. Cependant, la druidesse ne se faisait aucun souci pour elle. Agile comme elle était, elle parviendrait certainement à descendre de l’arbre sans problème majeur.