Voilà, ce test passé au château, au moins c'était une bonne chose de faite et il n'aurait pas à y songer un bon bout de temps. Les chevaliers et leurs formalités. Est-ce que le chef n'aurait pas pu simplement lui faire savoir qu'il était assez digne pour porter le titre de fier destrier et le laisser partir? Non au lieu de ça, il avait dû combattre pour sa vie, combattre pour prouver que ses capacités étaient bien réelles et non fictives. A quoi s'attendait-il sérieusement… Bien sûr, à chaque fois qu'on le convoquait au château ce n'était jamais agréable. Mais au moins en ce jour, il avait acquis une arme en plus, une chaine dont les pouvoirs lui échappaient encore totalement. Quelques heures auparavant, il était en train de flotter au-dessus des douves du château. Est-ce que cela signifierait que la chaine lui permettrait de voler? Le pouvoir ne s'était pas de nouveau manifesté depuis qu'il était entré dans la forêt achevant de le frustrer au plus haut point. Avoir un jouet et ne pouvoir s'amuser avec, on comprend bien la colère de l'enfant lorsqu'on agite le petit cadeau sous son nez sans qu'il ne puisse l'attraper.

Bref, Orpheus retournait vers Naturalia et pour se faire, il était nécessaire de traverser la forêt qui isolait Bénécius du reste. Les chemins forestiers n'avaient jamais été son fort. Peu habitué à ce genre de pistes, le blondinet avait très vite fait de s'égarer et avec ça, l'ensemble des jurons qui ornent ce genre de situation. De nature peu patiente, voire colérique, le chevalier était un brasier à l'état pur, une boule de feu qui brule tout sur son passage, qui détruit ami ou ennemi lorsque c'est nécessaire pour parvenir au bout de ce qu'il s'est fixé. L'épée à la main, il se frayait donc un chemin dans ce bout de forêt, ayant quitté depuis belle lurette la route ce qui expliquait la raison pour laquelle il n'avait plus un seul point de repère. Si le soleil aurait pu jouer un rôle important, le jeune homme était trop occupé à se dire qu'il était perdu c'est pourquoi il ne cherchait plus que de manière hasardeuse un bout de chemin qui serait éventuellement familier. Avec ça, l'heure qui tourne, le cerveau qui grésille. La nuit finirait par tomber et viendrait avec elle, les dangers de l'obscurité. Orpheus n'avait que trop connu ces derniers. Etablir un campement de fortune serait la priorité. Et justement, il avait de la chance! Un reste de feu de bois se trouvait juste devant lui. Absolument ignorant de ce genre de détail, le jeune homme ne se demandait pas si ce feu était récent, si quelqu'un ne serait pas dans les parages. Non, il se contentait de rassembler les morceaux de bois qui n'étaient pas consumés, y ajoutait les siens et ravivait la flamme éteinte pour plus de convivialité.

Les yeux bleus plantés sur les flammes dansantes, le chevalier soupirait de lassitude. Il n'était pas inquiet, rien ne saurait réellement l'inquiéter parce qu'il se considérait comme supérieur à tout être vivant dans l'ensemble alors sa sécurité, elle était garantie. Le seul souci qu'il se faisait était par rapport au temps gâché à vagabonder entre les arbres alors qu'il aurait déjà pu arriver de l'autre bout de la forêt et être en train de marcher sur une route de terre normale et non pleine de feuilles, de brindilles, d'inconnus… Inconnus? A dire vrai, le chevalier n'avait entendu personne arriver. Ce n'est que lorsqu'on entrait réellement dans son espace vital qu'il réagissait par réflexe. Son instinct lui jouait parfois des tours, d'autres fois il la suivait. En tout cas, son arme posée à côté de lui contre le tronc était prête à utilisation si nécessaire. Passivement, Orpheus n'esquissait aucun geste, réaction pacifique lorsqu'on veut éviter à tout prix plus d'ennuis que nécessaire.

Lorsque par hasard, le visage du jeune homme se tourna sur le côté, il remarqua enfin cette personne qui avait troublé ses sens sans qu'il ne puisse en trouver l'explication. Seul dans la forêt, il ne l'était plus. Restait à savoir si il allait terminer avec un couteau dans le coeur ou bien si il pourrait continuer de se reposer auprès de ce feu sans incidence aucune.

"Bien le bonjour…"

Avec cette apparition soudaine, de multiples questions basiques s'imposaient. Qui était cette personne, que voulait-elle, quelles étaient ses intentions, pacifiques ou agressives. Dans tous les cas de figure, il défendrait sa part du gâteau, sa place dans ce campement, sa vie et son existence dans ce monde.

A l'apparition soudaine de l'inconnue, le descendant du chevalier blanc n'avait émis qu'un simple bonjour poli, une salutation qui admettait qu'il avait pris connaissance de sa présence et que pour le moment, il ne trouvait pas particulièrement nécessaire de l'envoyer balader. Soigneusement enroulé dans sa cape, la garde de son arme était malgré tout clairement visible. D'un geste rapide il lui serait aisé de la tirer et de faire tâter de son tranchant si une envie soudaine de le tuer passait par la tête de la personne à qui appartenait au départ le campement. Enfin, puisqu'il l'avait trouvé abandonné, il considérait que c'était son droit de se trouver là, assis. Se disputer pour deux mètres carré de terre n'était pas dans ses intentions, quoiqu'il en serait bien capable si on le traitait comme un moins que rien.

Pour l'instant, la discussion ne démarrait pas fort. Un bonjour était échangé de chaque côté, puis rien. Sans mot dire, la femme avait continué à s'avancer, à croire que tous deux trouvaient ça normal de croiser quelqu'un dans la forêt, puis s'était installée tout naturellement. Le chevalier ne l'avait pas quitté des yeux et levait un sourcil. Peut-être qu'il s'agissait d'un simple vagabond sans prétention qui ne demandait rien de plus que la chaleur d'un feu? A dire vrai, le chevalier aux cheveux blonds n'avait pas encore identifié le sexe de la personne à qui il s'adressait, pas que cela changerait en quoique ce soit sa conduite dans tous les cas. Ce qui fut par contre amusant, c'était cette chouette qui s'approchait dangereusement de lui en piaillant comme si elle lui criait des hostilités. Un rictus apparut sur ses lèvres et ses doigts effleuraient un couteau sur sa ceinture. Son geste s'interrompit malgré tout car la violence ne fut pas nécessaire. Le propriétaire reprenait le contrôle de la volaille, bon débarras, cela lui ferait un ennemi en moins.

"A l'air de bien m'aimer votre chouette."

A quoi s'attendait-elle? Il était arrivé avant et n'allait surement pas se faire virer par un animal à plume. Et si sa présence ne lui plaisait pas, elle avait tout le loisir d'aller chercher des souris ailleurs. Le silence s'installait sur le campement et seul le son de la lame de la femme se faisait entendre alors qu'elle s'occupait soigneusement du gibier fraichement cueilli dans la forêt. Même si il semblait totalement intéressé par son entourage, le chevalier ne manqua pas d'apprécier la précision des gestes. La suite était une nécessité de la cuisine, se salir les mains pour obtenir un bon repas. Pas un moment, Orpheus n'esquissa un mouvement pour l'aider, ce serait comme surgir dans la cuisine d'un chef, entrer là où il n'était pas invité. Etrangement, cette personne dont il ne connaissait rien, acceptait malgré tout de partager son repas.

Le temps qu'elle revienne, le chevalier s'était mis à jouer avec les maillons de sa chaine fraichement acquise. Cette mystérieuse chose métallique ne réagissait plus à son touché, elle n'avait réagi qu'une seule fois. Un sursaut lorsqu'il leva les yeux à nouveau. Engager la conversation. Pas dans le genre bavard hein?

"Si il le faut vraiment… Il faut croire que je vous dois bien ça. Et puis, un diner silencieux serait bien fade alors qu'on a de la compagnie."

Pas un mot prononcé n'était pensé. A choisir, il aurait mieux été seul n'est-ce pas? Il était même prêt à jeûner pour une nuit, un repas en moins ne le tuerait pas. Cependant, pouvoir bientôt mordre dans quelque chose de consistant, il le devait à cette personne.

"Il y a un nom par lequel je peux vous appeler? Moi c'est Orpheus."

Plus tard, il lui avouerait qu'il s'était perdu et demanderait surement son chemin. Mais avant, il laisserait un peu de temps passer, juste histoire de voir si par la suite il pourrait fermer les yeux sans craindre de ne jamais se réveiller. Sa confiance, il ne l'accordait jamais au premier regard, et encore moins à une personne venant de nulle part.

Faire la conversation, faire la conversation, elle en avait bien des bonnes. Bon, il n'allait pas s'énerver alors que cela partait d'un bon sentiment et il y avait des limites à un caractère désagréable. Se prendre le chou pour une raison valable d'accord, se prendre le chou parce qu'on voulait parler lui parler, s'en était une autre. Le chevalier ne se montra pas être le grand champion de la discipline. Néanmoins, il avait le mérite d'avoir récupéré le nom de la femme, bien que ce dernier était donné sans plus de conviction. Dans la vie, on rencontre des gens de tous les genres, celle-ci étant de ceux qu'ils avaient le moins vu et donc qu'il savait probablement le moins gérer.

"Je présume qu'Eireen c'est vous et Nouck… votre chouette agressive?"

Il l'avait bien vu que le volatile était d'humeur massacrante en le voyant. Nonobstant ce détail insignifiant, Orpheus s'attachait d'avantage à observer la cuisson du lapin qui valait cent fois n'importe quel spectacle. Ce n'est qu'en regardant la chair se dorer qu'il s'apercevait à quel point il pouvait avoir faim. Contrairement à son interlocutrice, maintenant à moitié lancé dans un semblant de conversation, le blondinet n'aimait pas laisser planer des silences gênant de ce genre. Sa bouche allait s'ouvrir pour poser une question sans importance quand l'inconnue jugea l'animal assez cuit pour être mangeable. Fort bien, il la regardait savourer le mets, un réflexe de prudence sachant qu'il faisait face à un repas qui n'avait été préparé par ses soins et donc propice à être empoisonné.

"Oh, j'ai de quoi faire merci."

Tirant un de ses couteaux de sa ceinture, le chevalier entreprit de découper le plus soigneusement possible sa part, sans la faire trop grande, ni trop insignifiante non plus. De son côté, il s'attachait à se salir le moins possible, n'aillant pas d'eau pour laver les saletés. La vie dans la nature, la terre, tout ça, il y était habitué mais l'éducation ne se perd pas quand bien même on tenterait de se conditionner. Entre deux bouchées, le chevalier tournait les yeux vers le shama, essayant de détailler le plus possible les traits de son visage. Il fut d'ailleurs surpris de la finesse de son visage et se demandait comment il avait pu avoir un doute sur son sexe précédemment.

"Alors, vous chassez souvent dans la forêt? A moins que vous ne soyez que de passage? Une voyageuse peut-être?"

Là, on mettait les pieds dans le domaine un peu plus personnel celui que nombre de personnes n'aiment aborder avec les gens qu'ils ne connaissent pas. D'un autre côté, que pouvait-il faire d'autre que d'essayer d'en apprendre sur elle pour pouvoir par la suite la cerner? C'était un cercle vicieux car si jamais elle répondait de manière évasive, il ne saurait pas sur quel pied danser avec elle et continuerait de lui poser des questions jusqu'à ce qu'elle en ait ras les fesses et qu'elle se montre agressive. En tout cas, la chouette était chouchoutée avec son morceau rien qu'à elle. Le temps d'un repas, l'oiseau l'oublierait, c'était déjà une paire d'oeil qui le dévisage en moins.

"Savez-vous à combien de jours de marche est Naturalia? J'ai dévié du sentier depuis un beau bout de temps et j'ai à y faire."

Façon de parler, il avait du temps à tuer là-bas. Et surtout, il voulait éviter le château maintenant qu'il n'avait plus de raison pressante d'y retourner.

La femme ne lui répondit pas quant à l'exactitude de ses propos. Faisait-il fausse route ou bien avait-il vu juste pour les noms? Orpheus allait partir du principe que c'était la bonne combinaison. Au pire, il l'appellerait par le nom de sa chouette et appellerait la chouette par le nom de la femme, aucun souci. Lui n'était pas fasciné par les mouvements du volatile. Son intérêt se portait d'avantage sur cette mystérieuse personne qui n'en disait jamais plus que nécessaire, le genre qui ne se confie pas vraiment à n'importe qui visiblement. Cela se comprenait, il faisait souvent pareil et constatait à quel point c'était agaçant de devoir tenter de tirer les vers du nez, un par un à la pince à épiler. Son raisonnement n'avait aucune fille et se tenait parfaitement quoiqu'il aurait bien aimé en apprendre un peu plus.

Jugeant son silence comme étant la fin de sa réponse, le blondinet se contenta de reprendre là où il avait laissé son morceau de lapin. Diable que ça faisait du bien de mâcher quelque chose de solide! Devenir un ruminant n'était pas dans ses projets et hélas dans la forêt, il n'y avait que ça et les animaux. Il pourrait bien partir chasser à son tour mais une épée ne constituait pas vraiment le matériel adéquat à une telle activité. D'ailleurs obtenir quelques conseils sur cette discipline ne serait probablement pas de trop. Un jour ou l'autre, il aurait surement à se nourrir avec les moyens du bord plutôt que de se laisser mourir bêtement de faim. Lorsque l'observateur arrêta d'observer la femme, il se retrouva observé à son tour. Toutes ses petites manies, le soin qu'il prenait à manger sans trop se salir. Aucunement il n'avait jugé les manières de la chasseresse. De nos jours, il faut juger sur les capacités de chacun et non s'arrêter à leur apparence. D'ailleurs, l'apparence de cette Eireen n'était pas si repoussante, la cape lui donnait un air mystérieux, un peu comme un de ces habitants de la forêt ou ces rôdeurs habitués aux sentiers forestiers.

Plus tôt que prévu, le chevalier avoua ce qui l'amenait ici, ou plutôt, comment il s'était retrouvé aussi loin. Ses yeux s'arrondirent à la réponse de la connaisseuse. Un coup de chance qu'elle connaisse si bien les environs, la précision avec laquelle elle décrivait les alentours était impressionnante quoique ce devait être une banalité à ses yeux. Pour lui dont le domaine de prédilection était le combat et non la cartographie, cela représentait tout de même une sacré prouesse.

"Aussi loin… j'ai dû faire un détour non négligeable en m'aventurant jusqu'ici. Vous devez la connaitre comme votre poche cette forêt, je me trompe?"

Rien d'étonnant venant d'un rôdeur, puisqu'Orpheus avait décidé de poser cette étiquette sur elle par simple déduction qui s'avérerait fausse par la suite. Lui n'avait pas non plus la tête d'un chevalier avec ses cheveux désordonnés, un peu long depuis peu d'ailleurs, ses habits venant d'une classe aisée et non du fond d'un taudis. Pour elle, il devait être quelque sorte de bourgeois ou de noble en quête d'aventure, un idiot qui repartirait la queue entre les jambes au premier danger qui s'abattrait sur lui. Enfin, encore faudrait-il qu'elle ait un quelconque jugement à son propos. La manière qu'elle avait de bouger sans tenir compte de sa présence était quelque peu déconcertante. Finalement, chacun se retrouvait dans son coin, quand bien même ils partageaient un feu de camp commun. La chouette picorait, la femme se réchauffait et lui, après avoir essuya sa lame avec une feuille la rangeait soigneusement dans un des multiples fourreaux de sa ceinture. Ses doigts retournaient jouer avec cette chaine bizarre.

"J'ai acquis cet objet récemment. Il détient un pouvoir, mais je ne saurais pointer le doigt dessus. Vous vous y connaissez vous en objet magique?"

Si il avait fini par demander conseil, c'est qu'il ne craignait pas qu'elle le vole. Cette manière désintéressée de se conduire inspirait presque la confiance. Elle n'avait pas essayé de savoir qui il était, où il allait, elle n'avait fait que répondre lorsque c'était nécessaire, lui faisait presque passer le message caché qu'il pouvait bien faire tout ce qu'il voudrait, ça ne lui ferait ni chaud ni froid. Orpheus se leva pour venir s'asseoir à côté de la femme, avec ou sans son invitation, pour lui montrer les maillons de la chaine. Il avait dans l'esprit que son pouvoir permettait de voler. En réalité, il s'agissait de gravité mais il n'y avait pas eu assez de manifestation pour parvenir à une déduction correcte.

"Si je pouvais juste trouver le moyen de l'activer, cela m'épargnerait pas mal de temps de réflexion..."

Pour éviter que l'ennui ne frappe ou par simple imprudence, le chevalier avait décidé de dévoiler des informations qu'un être aux mauvaises intentions, aurait pris avec grande satisfaction. Cet homme a l'air de noble possédait un objet à la valeur inestimable. N'importe quel acheteur met le prix pour mettre la main sur un objet magique, en particulier lorsque ce dernier détient des pouvoirs aux effets considérables. Une chance finalement qu'Orpheus ne les connaissait pas encore mais il avait mis la femme dans la confidence pour justement obtenir des réponses à ce sujet. Depuis la château jusqu'ici, il n'avait jamais eu de réaction. Il s'agissait du premier vrai objet magique dont il était possesseur. L'autre, était à son bras, un bracelet dont l'utilisation était quant à elle instinctive. Jamais il n'avait eu jusqu'à présent à se pencher aussi longtemps sur une question. Très peu familier avec ce domaine, le chevalier avait très vite abandonné, en attendant de rencontrer quelqu'un d'un peu plus compétent que lui.

"Ce sera probablement toujours plus que moi. Je n'en ai pas la moindre idée. La seule fois où il s'est activé, je volais, mais ça n'a duré que quelques secondes."

Comme on parle à une connaissance, à un individu de confiance, il s'était approché de la femme sans mauvaises intentions, poussé par la curiosité. Que pourrait-elle découvrir si il lui remettait la chaine? Ce dont il était certain, c'était qu'elle n'était pas maudite, c'était déjà ça. Jamais le chef des chevaliers ne lui aurait donné un objet dangereux. La femme lui demanda la permission d'on ne sait quoi, interrompue par un brusque mouvement de l'objet. Les yeux bleus du chevalier se levaient vers la femme pour voir si elle responsable de ce soudain soubresaut ou bien si la chaine s'était activée l'espace d'une seconde par on ne sait quelle magie. Par la suite, les maillons restèrent silencieux et le jeune homme tendit simplement l'arme enroulée à la femme pour qu'elle puisse l'observer plus en détail. Si ce n'était que ça, il pouvait bien le lui laisser. Même si ce n'était pas l'attitude de quelqu'un qui demandait un service, le blondinet resta la main très proche de ses armes tandis que sa position semblait détendue, juste au cas où elle tenterait de lui fausser compagnie. Jamais trop prudent, il l'avait déjà dit et continuerait d'agir de la sorte parce que c'est en restant méfiant qu'on garde la tête sur les épaules.

"Alors, est-ce que vous avez trouvé quelque chose?"

Son regard bleuté n'avait quitté le visage un peu plus dégagé de la rôdeuse en plein observation. La concentration de la femme était palpable, elle s'était réellement plongée dans la question et essayait d'apporter une réponse, ce dont il lui était fortement redevable. Ce qui était amusant dans cette situation, c'est qu'il se sentait bien plus à l'aise aux côtés de cette personne aux manières un peu plus rustre que celles de certaines autres connaissances, comme quoi, le comportement délicat des nobles n'est pas forcément une porte ouverte à la familiarité. Au contraire, il était toujours plus facile de parler à des gens de la basse-société car ils sont cent fois plus ouverts que ceux qui se croient supérieur aux autres. Orpheus se grattait l'arrière du cou sans pouvoir tenir un petit baillement. Quoi déjà? C'est qu'il ne s'était aperçu que la nuit était tombée, trop absorbé par cette rencontre imprévue et à essayer de faire la soi-disante conversation. Quel heure était-il… Vraiment, il faudrait qu'un jour quelqu'un invente un dispositif portable pour connaitre l'heure n'importe où, comme une espèce de bracelet qu'on aurait à son poignet par exemple.

"Il y a peut-être une manière de procéder, la tenir d'une certaine façon ou on ne sait quoi, c'est vraiment un domaine qui m'échappe."

Orpheus se sentait quelque peu inutile dans cette réflexion c'est pourquoi il essayait de donner des idées auxquelles Eireen avait surement déjà pensé. Qui sait, elle pourrait peut-être de cette façon partir sur une piste particulière.

Comme Orpheus n'était jamais parvenu à un résultat satisfaisant, sa seule option était de se reposer sur une personne un peu plus compétente dans le domaine. Certes, rien n'était dit à propos d'Eireen mais cela ne coutait rien de demander et de la laisser essayer on ne sait quoi pour parvenir à tirer la moindre réaction de la chaine. Ses tentatives étaient silencieuses, elle était très concentrée et même si elle paraissait immobile par moment, le chevalier sentait des flux magiques s'ouvrir et se refermer. Etait-elle en train de tenter une magie qui lui était inconnue? En tout cas, observer sans bouger n'avait rien de bien passionnant c'est pourquoi le sommeil ne tarda pas à le gagner. Pour se tenir éveiller, le blondinet suggéra différentes approches, des pistes pour la recherche qui semblait encore et toujours stagner. Aucune réponse à ses suggestions, pas même un signe de tête, la femme l'ignorait royalement pour le meilleur et pour le pire qui sait.

"Euh… D'accord."

Au bout d'un moment, même si ce n'était que très faible, le chevalier commença à ressentir comme un appel. Cela ressemblait à un pressentiment, à une vague impression qui n'était absolument pas fondée. Sans plus de cérémonie, la femme prit soudain sa main et la posa sur la chaine. Ce geste brusque avait déclenché chez le jeune homme des réflexes d'auto-défense et il aurait retiré aussitôt sa main si l'appel ne s'était fait plus fort depuis qu'il avait les doigts sur les maillons. La femme était bizarre, elle marmonnait toute seule, surement sur une piste et lui l'écoutait assez interloqué. Sur le coup, le marchand de sable s'était fait expulser à des kilomètres de là et à chaque seconde, Orpheus était prêt à voir une réaction magique. Toute cette soudaine excitation s'atténua pourtant, retrouvant un calme serein. Toute cette histoire d'aura, la shama était la seule à l'apercevoir. Orpheus comme un bon chevalier utilisait la magie terrestre naturellement, il ne s'était jamais penché sur des préceptes, sur des fonctionnements magiques quelconques. Sans toute cette sensibilisation, il était l'équivalent de n'importe quel individu sans pouvoir, observant un magicien faire son tour. Sans un bruit, Eireen continua à faire des manipulations magiques bizarre.

Le plus frappant par la suite, ne fut pas la réponse apportée par son interlocutrice, non, au contraire, il s'agissait de son sourire, la première fois que le chevalier l'apercevait depuis qu'elle s'était assise à ce feu de camp. Son regard indiquait qu'elle revenait avec la réponse tant attendue et justement, il suivit scrupuleusement les instructions basiques qu'on lui donnait. Poser la main à un endroit en particulier de la chaine. Sans aucun doute, il s'agissait de l'emplacement parfait qu'Orpheus avait déjà frôlé à plusieurs reprises sans le savoir, ce qui avait déclenché les divers effets déjà ressentis. Mais là, alors qu'il la tenait fermement, il sentait affluer en lui la magie de la chaine, comme un torrent sauvage qu'il se devait de réguler si il ne voulait pas se faire emporter par sa puissance. Pour ainsi dire, les alentours étaient déjà sous le charme. Ils étaient tous en train de flotter à deux mètres du sol, tronc et broche à lapin compris, cet état d'apesanteur, il le comprenait comme si on venait de lui expliquer l'évidence même. Comment n'avait-il pu comprendre avant? Tournant le visage vers Eireen alors qu'il avait la tête en bas, il lança rieur:

"Ah ah, c'est incroyable!"

Après cette première surprise pleine d'extase, le chevalier décida de retourner là où il devait être, à savoir un peu plus bas. Réguler le lien avec la chaine et le faire doucement se modeler à son envie personnelle. Le chevalier ferma les yeux et raffermit la pression de sa main pour redescendre très doucement au sol. Au dernier moment, sa concentration s'échappa et les dix derniers centimètres furent une toute petite tombée. Les yeux écarquillés, Orpheus regardait l'endroit de la chaine qu'il était en train de tenir. Son pouvoir était impressionnant mais cependant, il ne savait le différencier d'un autre maillon. Avec le plus grand sérieux du monde, il revenait à Eireen car elle était la source du savoir dont il avait besoin.

"Dites-moi, comment avez-vous trouvé cette partie? J'ai beau regardé, je ne vois qu'une seule et même chaine. En situation, je ne vais quand même pas m'amuser à passer les doigts sur chaque maillon pour trouver le bon. Il doit y avoir un truc, n'est-ce pas?"

Devoir quelque chose à quelqu'un, Orpheus s'efforçait le plus souvent de n'avoir aucune dette envers autrui mais celle-ci valait largement le coup. Si après cette soirée il pouvait utiliser sa possession magique, rien ne pourrait l'arrêter.

En tout cas, je vous dois une fière chandelle et je déteste laisser une dette en suspens alors… Demandez-moi n'importe quoi, tant que cela reste dans le domaine du faisable.

Il était fort à parier que si la requête était démesurée, le chevalier se contenterait d'un refus catégorique. Il s'agissait d'un service rendu et si il n'avait eu les bases de la politesse, il n'aurait jamais proposé un coup de main en retour. Enfin, comme il ne revenait jamais sur sa parole lorsqu'il était sérieux, le blondinet était prêt à payer le prix fort en échange de ce savoir précieux.

Orpheus était toujours le premier à être grognon, antipathique par défaut, désagréable au possible. Néanmoins lorsqu'il est surpris, il l'affiche, lorsqu'il était content, il avait un sourire en coin. Au final, le chevalier était assez renfermé dans sa relation avec autrui et dans l'expression de soi mais lorsqu'il affichait un sentiment, ce dernier était réel. Alors flotter en l'air, obtenir cette illusion de liberté, il ne savait comment le définir. N'est-ce pas le rêve de la plupart des gens de pouvoir voler, fendre les cieux sans l'aide d'une quelconque fabrication mécanique? Les avancées des chercheurs le permettraient surement un jour, en attendant, le pouvoir de sa chaine serait un don utilisable par lui seul. Une nouvelle marche vers la puissance, vers le sommet qu'il voulait atteindre.

Même dans une situation inhabituelle, le blondinet s'imposa une discipline pour essayer d'asseoir sa volonté sur la chaine et non subir la chaine. Les faire redescendre doucement sans aucune secousse, les poser délicatement sur le sol sans perte brutale d'altitude, il y parvenait relativement bien si on mettait de côté la fin. On devait s'y attendre, le chevalier n'allait pas abandonner Eireen après avoir faire l'expérience d'une telle magie. Il était prévisible qu'il allait se mettre à la questionner sur sa méthode, sur sa manière de procéder pour parvenir à ses fins. Il s'avéra finalement qu'il avait vu juste en demandant conseil auprès de cette personne. Un shaman, une chaine vivante et dotée d'une conscience. Le jeune homme regardait les maillons inertes maintenant qu'ils étaient reposés et essaya d'imprimer dans sa mémoire, le sentiment qui avait traversé son être, lorsque la magie avait opéré. Plus tard, il réessaierait pour en avoir le coeur net. Saurait-il trouver ce maillon aussi naturellement qu'elle l'avançait.

"Je pense que je comprends de quoi vous parlez lorsque vous évoquez une conscience. Un instant, c'était comme si il y avait eu vous et moi, ainsi qu'une tierce personne."

La chaine… Il serait amusant de pouvoir communiquer avec elle si jamais il y avait un semblant d'intelligence en elle. En y repensant bien, son ancêtre possédait bien une chaine lui aussi à l'époque et cette chaine aussi était dotée d'une conscience qui, quant à elle, était toujours contre son possesseur parce qu'il s'agissait d'un benêt. Le blondinet soupira. Il avait beau vouloir se démarquer de cet individu, il finissait toujours par se rapprocher d'avantage de lui, même involontairement. Orpheus finissait sur des remerciements auprès de la shamane qui lui avait tant appris et qui retrouvait bientôt l'apparence première qu'elle avait lorsqu'elle s'était présentée à lui il y avait une heure ou deux. Lui proposer de rendre service, ce devait être l'idée la plus saugrenue qu'il ait pu avoir. Depuis quand éprouvait-il de la reconnaissance envers autrui? En stipulant clairement qu'il ne réaliserait rien de farfelue, le blondinet qui se mettait à son aise contre le tronc renversé, crut tomber des nues en écoutant Eireen. Pour ainsi dire, il s'était attendu à tout, sauf à ça. Pendant les premières secondes, le chevalier avait essayé de déceler un brin de sourire, l'indice d'une plaisanterie mais le visage de marbre de la femme était catégorique. Il devait partir, vraiment?

"Même en faisant des efforts pour ne pas être désagréable je trouve le moyen de me faire virer. Désolé de n'avoir remarqué plus tôt que je gênais."

D'un bond, le chevalier attrapa son épée, tournant le dos au shaman. Ce n'est pas comme si on venait de le sortir d'un lit douillet. Le sommeil dans la forêt, était le même n'importe où. Seul le feu représentait réellement une importance. Enfin, il n'avait qu'une seule parole et si elle voulait qu'il dégage, il allait partir. Le fourreau de la lame blanche quitta la cape enroulée pour retourner se placer à la ceinture tandis que la cape couvrait les épaules de son porteur.

"Ca a été court mais intense Eireen. Encore merci pour le repas."

Et sur ce, pour être fidèle à sa parole, le chevalier s'enfonçait dans l'obscurité de la forêt dans ce lieu d'insécurité dépourvu de lumière, il partait dans la direction opposée à celle qu'on lui avait montré parce qu'il était d'avantage en train de nager dans la frustration plutôt que dans la logique. A dire vrai, il serait bien resté là à discuter de tout et de n'importe quoi. A la longue, Eireen se serait peut-être un peu plus ouverte à lui. Mais il semblerait que les nuits seules lui correspondaient le mieux. Aussitôt qu'il le pue, le blondinet s'arrêta face à un arbre. Ses doigts parcouraient son écorce, il était imposant, apaisant. Sans plus attendre, à peine plus loin que le campement finalement, Orpheus sombra dans un sommeil léger, plein de décors subissant son nouveau pouvoir, des objets qui flottent en l'air, des personnes suspendues dans les nuages, le monde de l'anti-gravité. Même son corps, se détacha du sol pendant son sommeil innocent.