« Ce n’est pas bien de mentir. »

Elle venait de prendre le même ton qu’un professeur, enseignant le bien et le mal aux enfants. La tête bien haute et l’index levé, on aurait presque pu croire son métier consistait à éduquer des jeunes personnes. Mais il n’en fût rien.
Et puis, même si elle venait de le réprimander gentiment, elle n’ajouta pas un mot de plus. Le visage empourpré de Masaku ne pouvait pas tromper qui que ce soit. Il donnait l’impression à l’elfe qu’il allait éclater à tout moment. Il fallait vraiment être stupide pour croire que tout allait bien ! Mais que pouvait-elle y faire ? Il était le seul à avoir les capacités physiques et magiques pour remonter Tigrou.

« Oui, oui. »

Neelahn était en état de choc. Elle avait beaucoup de mal à détaché son regard du bébé lézard qui venait de se transpercer par la terre modelée par Masaku. L’elfe était bien consciente que c’était soit le lézard, soit elle. Mais tout de même. C’était tout de même quelque chose que de voir un bébé se faire transpercer aussi brutalement. Tout ce sang, cette chair déchirée, … Beurk, répugnant…
Mais Tigrou parvînt tout de même à faire bouger la druidesse en lui donnant un bon coup de tête dans ses jambes. L’elfe se releva comme si elle avait été piquée par une aiguille et se mit en marche. Fatiguée, elle trainait un peu derrière Masaku. Elle ne mit d’ailleurs pas bien longtemps avant de remarquer le trou béant du pantalon du nomade. Neelahn s’efforça alors de regarder ailleurs. Elle se pinça la lèvre inférieure. Mais c’était trop compliqué. Et pendant qu’il se mettait à crier, l’elfe éclata de rire.

« Par… par… don… » réussit-elle à articuler difficilement

Elle riait tellement qu’elle sentait les larmes lui venir aux yeux. Comment pouvait-on être dans un pareil état alors que le corps n’aspirait qu’à un peu de repos ? Et puis, elle savait bien que ce n’était pas bien de se moquer des autres. Cependant, même si elle savait que ce n’était pas bien, elle ne parvenait pas s’empêcher de rire. Elle l’aurait pourtant bien voulu car son ventre commençait à lui faire mal et elle avait peur que le nomade ne le prenne vraiment mal mais elle n’y arrivait pas.
Allongeant ses pas, Neelahn ne tarda pas à se retrouver au même niveau que le nomade. Elle eût un peu de mal à se calmer mais y parvînt tout de même au bout de quelques instants.

« Vous avez trouvé votre pantalon au niveau des fesses. C’est très charmant. » dit-elle alors sur un ton neutre.

Mais aussitôt après, elle ne put s’empêcher d’exploser de rire. Elle tenta de se calmer en regardant droit devant elle et en se focalisant sur les dernières paroles du nomade. Il l’avait traité de mauvaise troupe. Elle lui en voulait un peu mais en même temps, elle reconnu qu’elle ne lui avait pas servi à grand-chose. Après tout, c’était son idée que d’aller explorer cette espèce de souterrain. Elle s’en voulait de les avoir mis dans l’embarras mais ils venaient de s’en sortir et c’était le principal, n’est-ce pas ?

« Peut-être devrions-nous nous reposer maintenant, qu’en pensez-vous ? »

Elle voyait bien que Masaku était fatigué et elle aussi n’en pouvait plus. Et puis, elle se disait qu’il valait mieux se reposer pendant que le soleil éclairait les lieux. Certes, marcher à travers les plaines pendant la nuit n’était sans doute pas une bonne idée mais il valait mieux être en forme à ce moment là pour affronter les créatures qui rôdaient dans le coin car, il était bien connu que les vilaines bêtes aimaient sortir le soir, n’est-ce pas ?

Visiblement, il le prenait vraiment mal. Pourtant, ce n’était qu’un simple trou dans le pantalon. Il n’y en avait pas de quoi en faire tout un drame !
Alors, lorsque le nomade lui demanda d’arrêter de regarder son derrière, la druidesse haussa tout simplement des épaules. De toute façon, elle venait de se placer à côté de lui et n’avait plus l’occasion de rire de son malheur.

Lorsque Masaku accepta de camper ici, au beau milieu de nulle part, Neelahn hocha une fois de la tête. Aussitôt après, elle s’assit. Elle n’avait pas tourné la tête de gauche à droite pour voir s’il y avait un endroit plus propice à l’horizon pour se reposer. Pour elle, le paysage était le même partout alors qu’ils campent ici ou vingt mètres plus loin n’avait aucune importance.
Puis, lorsqu’il proposa que Tigrou aille chercher le déjeuner, l’elfe répondit :

« Je ne pense pas… Et puis… vous comptez vraiment dormir ici cette nuit ? Je pensais seulement qu’on allait se reposer quelques heures puis on remettrait en route avant la tombée de la nuit… »

Bien évidemment, elle n’empêcherait pas le nomade d’essayer de convaincre le tigre blanc à aller chercher de la nourriture pour eux. Toutefois, il ne fallait pas oublier que Tigrou était un félin, pas un chien. Et d’ailleurs, en parlant de lui, celui-ci regardait l’homme avec une espèce d’incompréhension. Assis sur ses pattes arrière, il avait l’air de se demander pourquoi il le fixait ainsi. Avait-il quelque chose sur le museau ? Il soutînt alors quelques instants le regard de Masaku et, lorsqu’il en eût assez, il parti à la chasse.

Pendant ce temps là, Neelahn s’était dandinée de d’arrière en avant et de gauche à droite pour ramasser les branches mortes qui gisaient autour d’elle. Elle donnait l’impression de faire le pitre en tendant le bras aussi loin qu’elle pouvait pour récolter le bois. Mais voilà. Elle était trop fatiguée pour se levée et puis, franchement, il faisait encore jour. A quoi pourrait bien leur servir un feu de camp ? Masaku pensait-il vraiment que Tigrou allait leur rapporter quelque chose à manger ? Décidément, les nomades étaient vraiment incompréhensibles. Par moment, ils semblaient très terre à terre et à d’autres moments, ils paraissaient plutôt nourrir de stupides espoirs. Si le tigre blanc venait à trouver du gibier, il ne ferait nul doute qu’il le garderait pour lui. C’était certain. Surtout dans les plaines dévastées.

« Je crois qu’il me reste du fromage dans mon sac… »

Farfouillant dans son sac de voyage, Neelahn ne mit pas bien longtemps avant de trouver son petit paquet. Néanmoins, lorsqu’elle le prit entre ses mains, elle constata que le fromage avait subi quelques dommages durant son petit séjour dans les souterrains. Écrasés, une partie avait même dégoulinée dans ses affaires.
Maintenant, au moins, elle savait pourquoi elle sentait si mauvais… M’enfin bon. Après avoir humé son fromage, la druidesse en conclu qu’il resta malgré tout comestible. Par contre, elle n’avait pas de pain pour le déguster. A la place, elle fit donc pousser un fraisier et déposa les fruits dans un bol. Ils n’allaient pas pouvoir remplir leur estomac avec de la nourriture consistante mais mieux valait avaler quelque chose que rien du tout, n’est-ce pas ?

« Je pense qu’à partir de maintenant, le voyage sera tranquille, vous ne pensez pas ? Il suffit juste de ne pas s’arrêter pour explorer des cavernes… »

Contemplant les alentours, la druidesse ne voyait aucune menace se proférer à l’horizon. Tout semblait aussi calme que le désert. Pour elle, la seule difficulté qu’ils auraient était de se retrouver leur chemin au beau milieu de cette plaine vide.

C’était la première fois que Neelahn voyait quelqu’un se régaler autant avec des fraises. Si ses forces le lui avaient permis, elle aurait volontiers fait pousser d’autres petits arbres fruitiers mais pour l’heure, elle se sentait trop épuisée pour faire apparaître à nouveau quelque chose. Il ne fallait pas trop se dépenser car un long chemin l’attendait. Elle n’était pas prête d’arriver chez elle.
Et en fin de compte, puisque Masaku s’était rué sur les fruits, Neelahn n’avala que trois ou quatre fraises. Elle avait mâché lentement et avait pris tout son temps pour les avaler, histoire de couper sa faim. Cela ne fonctionna pas réellement. Tant pis.

« Bon bah bonne sieste, hein ? »

Et aussitôt après avoir prononcé ses mots, Neelahn s’allongea comme un sac de patates balancer au sol. On ne l’entendit plus que son souffle régulier pendant une bonne heure. Des lézards géants ou des félins auraient pu s’approcher d’elle, elle dormait si bien qu’elle n’aurait rien vu arriver. Et à vrai dire, elle aurait bien volontiers dormi jusqu’au lendemain.
Toutefois, Tigrou était revenu de son escapade et d’un coup de pattes, il réveilla la druidesse. En ouvrant les yeux, la première chose qu’elle vît fût ses babines tachées de sang. Au moins, dans l’aventure, il y en aura bien eu un qui aura pu se nourrir convenablement… Toutefois, l’elfe espéra pour le tigre qu’il n’avait pas gobé un animal infecté par une maladie grave…

A présent debout, Neelahn secoua à son tour Masaku et ensembles, ils se remirent en marche. Cette fois-ci, ils ne s’arrêtèrent pas pour visiter des cavernes ou pour admirer un arbre mort. De toute façon, l’elfe était désormais bien trop épuisée pour s’intéresser à quoi que ce fût.
Le retour jusqu’à chez elle lui paru interminable et pourtant, à l’aller, ce fut avec entrain qu’elle avait fait le chemin jusqu’à Bénécius. En même temps, il fallait bien admettre que le paysage avait été moins morose et qu’elle n’avait pas rencontré sur son chemin des bêtes qui voulaient à tout prix la dévorer.

Les heures s’écoulaient si lentement que Neelahn eut l’impression que lorsqu’elle serait de retour chez elle, elle alors serait vieille et édentée. A un moment donné, elle songea même qu’avec Masaku, ils s’étaient trompés de chemin. Toutefois, après plusieurs heures de marche, Neelahn aperçu des arbres se dresser à l’horizon.

« Ah hé bah on aura vécu une sacré aventure, hein ? »

Soulagée d’être enfin arrivée chez elle, Neelahn embrassa le premier tronc d’arbre qu’elle aperçut. Ah ce que la forêt lui avait manqué…
Naturellement, elle ne put s’empêcher de réciter au nomade les milles et une propriété de cet endroit verdoyant. Elle le ramena ensuite jusqu’à chez elle, où elle lui donna des provisions pour la suite de son voyage. Puis, comme dans la plaine dévastée, elle tomba sur son lit et, cette fois-ci, elle dormi pendant presque toute une journée et Tigrou ne vînt pas la réveiller…